Systémique de la haine
14 janvier 2020
Les propos diffusés sur les plateformes numériques, confortés par les images publiées avec complaisance sur nos écrans en témoignent. Les manifestations de haine, jusqu'aux plus extrêmes, tiennent le haut du pavé des expressions de nos pensées (1). Faisons ici le choix, en fait habituel aux médecins dans leur travail, de laisser de côté la valeur morale ou immorale, bonne ou mauvaise d'un tel sentiment.
Dans la LEM 1013 du 1er mai 2017 (
L'arme de la haine ), j'avais proposé une première approche.
Une lecture récente m'a bouleversé, en commençant par la puissance de son titre : «
Vous n'aurez pas ma haine
» (2).
Telle une maladie infectieuse, la haine présente un fort potentiel de contagiosité. La célèbre vendetta méditerranéenne et balkanique transmise de génération en génération le traduit bien.
Nous voici au coeur du problème : une boucle circulaire. La haine manifestée génère la violence, la violence génère la vengeance et la vengeance fait le lit de la haine (3).
Chaque humain, durant sa vie, se sent victime des façons de faire ou d'être d'autrui. Notre tendance bien naturelle est de nous recroqueviller dans une position de victime. D'abord en tentant de faire reconnaitre le plus largement possible autour de nous que notre souffrance n'a qu'une source : la haine qui nous a été manifestée. C'est de la faute de l'autre si ma vie est fichue, moi je n'y suis pour rien. C'est une réalité bien décrite par le psychiatre Paul Watzlawik (4)
Pas de solution en vue autre qu'une escalade conduisant à la destruction de la fragile branche Homo Sapiens Sapiens sur laquel nous sommes assis. Pas le moindre fil d'Ariane pour sortir de ce cercle mortifère ? Au fil de mes lectures, je suis tombé sur un petit livre étonnant. Voici le titre de son chapitre 6 :
Pourquoi le pardon est-il (hélas) l'unique solution ?
Faire aussi longtemps que possible l'effort de ne plus avoir uniquement en tête la souffrance qui nous a été infligée. Autrement dit ne pas répondre en s'enfermant soi-même dans une sorte de «contre-haine».
Pas pour être bon, ou vouloir passer pour tel, ce qui est mission impossible mais par égoïsme pur et dur. Oui, pour se protéger soi-même. Mais de qui ? Le psychiatre américain cité plus haut le révèle lumineusement : de soi-même.
Comment y parvenir ? Pas de coaching miraculeux, de recettes extérieures toute faites , de neuromédiateur à bricoler, juste un cheminement personnel à découvrir et à cultiver avec ce que la vie veut bien nous permettre de rencontrer sur notre route. Lisez la fin de son livre et vous comprendrez que pour notre romancier new-yorkais ce fut ... l'apprentissage du patin à glace au Québec.
À l'isssue de ces quelques lignes, le lecteur est en droit de se demander si cela le concerne de façon pratique, dans sa vie personnelle comme dans son activité professionnelle. Sans hésitation, je pense que oui. La haine se comporte comme un redoutable agent d'autodestruction pour toute personne ( «responsable», «complice», «victime») prise dans son engrenage. On est bien dans une question de santé insoluble dans aucun système d'intelligence artificielle.
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Notes :
(1) Ce qui ne veut pas dire que rien d'autre ne s'y exprime !
(3) Cf la notion de prix du sang, la diyya dans la Charia islamique. Prévu également pour, enfin totalement contre, les femmes qui avortent.
(4) « Faites vous-même votre malheur» Seuil 1984, où « comment faire de soi-même son pire ennemi ?» P. Watzlawik
(5) Douglas Kennedy, Toutes ces grandes questions sans réponse, Traduit par Bernard Cohen,Belfond 2016 édition Pocket 2017.
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