18 mai 2020
Cela ressemble à une blague facile que de rapprocher panser et penser. D'une part mettre un pansement comme le fait tout soignant, de l'autre faire usage de ses capacités de compréhension de la réalité.
A tout problème, sanitaire ou non, existent plusieurs solutions. Les bonnes et les mauvaises. Comment se fait la distinction sans faire appel à des notions dogmatiques ou idéologiques impossibles à partager par tous ? C'est la réalité qui indique sans ménagement qui a raison et qui a tort.
Notre réalité du moment, montée en mayonnaise médiatique partant dans tous les sens, nous conduit à un sentiment dont nous pensions être prémunis par toutes nos sources d'information. L'écrivain et patron de presse Éric Fottorino a su lui donner un nom : l'inintelligibilité (1). Nous ne comprenons pas la situation que nous vivons depuis que le Corona virus 2019, supposé être dénué de toute intelligence mais dont l'émergence nous a contraints à stopper toutes nos activités et à nous enfermer comme l'humanité, ne l'a jamais fait.
Tout s'est arrêté en 2020, sommes-nous capables de comprendre pourquoi ? C'est notre façon de faire et de vivre les choses depuis des siècles qui nous a conduits là. Un tel échec collectif (2) dans un monde dont nos sciences admirent la beauté et la fabuleuse capacité d'adaptation depuis ses origines, est le signe que quelque chose ne fonctionne pas. Où le situer, si ce n'est dans notre façon de penser la réalité. Il ne s'agit pas d'un simple prurit philosophique pour intellectuels distingués, mais bien de notre outil le plus productif. Notre cerveau, celui qui nous fournit une image de la réalité sans laquelle nous ne pourrions pas agir sur elle. On construit dans sa tête avant de réaliser avec ses mains, il suffit d'observer un enfant qui joue pour l'observer.
L'ère covidienne (3) ne peut que demeurer «inintelligible» pour qui ne peut en percevoir que la dimension virologique, épidémiologique, économique, sociale, psychologique, politique ou toute autre. La confrontation est hautement systémique. En face l'un de l'autre deux entités. D'une part l'effondrement en château de cartes de toutes les valeurs après lesquelles nous n'avons cessé de courir avec les seuls moyens technoscientifiques dans un idéal de «développement» sans limite. D'autre part, les seules capacités de nos cerveaux humains enfin libérés de leurs freins (4).
Apprendre à penser large demande un effort. Nous croyons tellement à la supériorité intensèque des expertises et des connaissances les plus «pointues» sur toute autre forme de savoir. « Penser globalement, agir localement » nous conseillait l'inventeur des antibiotiques, le français René Dubos (5). Qui fut également, jusqu'à Kennedy, le conseiller présidentiel pour l'écologie.
Et si cet apprentissage vital du penser large était déjà sous nos yeux sans que nous en ayons compris la valeur ? Pour panser correctement, c'est à dire au bon niveau d'efficacité, les maux que nous avons créés de toute pièce, nous avons le dos au mur. Penser enfin correctement, c'est à dire en utilisant à fond notre libre-arbitre personnel. Celui qui avait eu la possibilité de se réveiller un peu durant nos deux mois de réclusion forcée.
Penser devenant plus important que dépenser.
Et pourquoi pas ?
« Penser les maux, panser les mots. »
Philippe Aalberg (1955)
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