« Place pour chaque chose et chaque chose en place »
Est un adage ancien que souvent on ressasse.
C'est qu'il paraît fort sage et « tombant sous le sens »
Mais à bien regarder, on a des réticences ;
Le même mot, suivant qu'on le change de place,
Change de sens aussi et sans qu'il le remplace :
On pourrait adorer toutes les filles belles
Et détester pourtant sa belle-fille frêle.
L'épouse de Untel est une sage-femme
Mais n'est pas femme sage en trompant ce quidam.
A quatre vingt dix ans, j'ai des petits-enfants
Mais plus d'enfants petits et depuis fort longtemps.
On perd, dit-on, sa place, en allant à la chasse ;
En allant à la pêche, est-ce la même impasse ?
Et tel escroc connu qui n'est qu'un triste sire,
N'est pourtant jamais triste et même aima bien rire.
Grand-Maître ou bien grand-croix, grand-duc ou bien grand teint
Sont grands ou bien petits comme tout un chacun.
La place de premier est souvent convoitée
Mais pour certaines listes remplace un dernier...
Ce glorieux combattant qui fut un homme brave
Ne fut pas un brave homme avec tous les bataves…
« De beaux jours devant soi » ne signifie pas
Que ces jours seront beaux et même loin de là !
Ne laissons pas les mots penser à notre place
Et plaçons les mots bons sans bons mots qui agacent.
Dès qu'une théorie semble se vérifier,
Une autre prend sa place et va tout modifier.
Il y a d'autres mots qui aiment s'égarer
Et n'en font qu'à leur tête en allant s'accoupler :
L'ongle avec le rubis, le poil avec la main
Le chèque avec le bois, le fusil et le chien...
Les fourmis dans les jambes et les pieds dans le plat,
Le vélo dans la tête ou la gorge avec chat,
Devraient mettre pourtant, une puce à l'oreille...
Leur place est ajustée pour que l'on s'émerveille.
Peut-être, au fond, la mort n'est qu'échange de place ?
D'ailleurs, « place du mort », expression d'une angoisse,
Se révèle parfois, être bien salvatrice.
Le destin n'est souvent que question de caprice.
C'est en tant qu'écrivain, que, soudain, j'ai un doute :
Fatiguer le lecteur est ce que je redoute,
Et se mettre à sa place doit être mon credo.
Mais en changeant de place, à quoi riment mes mots ?
|