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Lettre
d'Expression médicale n°230
Hebdomadaire
francophone de santé
26 février 2002
La
santé de la pensée politique
Docteur François-Marie Michaut
Nous
avons coutume ici de nous interroger sans complaisance sur la
santé de la médecine, cette fameuse "métamédecine".
La France entre dans la période où elle va renouveler
son président de la République et ses députés.
Or, hier le quotidien Libération a publié un sondage
d'opinion digne d'attention. En effet, 74% des personnes interrogées
estiment ne constater aucune différence entre les programmes
politiques proposés par les deux candidats représentant
la droite et la gauche. Nous n'en sommes qu'au début d'une
campagne de deux mois, et des différences fondamentales
deviendront peut-être plus perceptibles au cours des débats.
Si débats d'idées, et non de personnes ou d'images,
il y a. Notre position bien marquée dans le champ de la
santé ne fait pas de nous des experts du jeu politique,
c'est évident. Cependant les conséquences des options
collectives pour l'avenir auront des conséquences sur la
santé, notre santé. C'est à ce seul titre
que nous pouvons nous exprimer.
Retrouver
la confiance
Les
catalogues de mesures qui nous sont présentés représentent
uniquement des actes d'administration et de gestion des réalités
sociales dont nous souffrons. Et en tête l'insécurité
sociale. Que les lecteurs pardonnent cet étrange rapprochement
des mots, et des maux qui s'ensuivent. Cela montre, les français
le ressentent bien, que les hommes politiques ne veulent pas,
ou ne peuvent pas, définir clairement des objectifs pour
l'avenir de notre collectivité. On n'ose plus se définir
comme socialiste ou comme libéral de peur de faire fuir
les électeurs.
Restaurer
la conscience
Rien
n'est plus montrable, pour obtenir les suffrages, qu'un profil
de gestionnaire habile et honnête. Est-ce bien un curieux
mélange des genres dans un pays dont la majorité
de la classe politique a été formée à
l'école nationale d'administration ? Celle qui forme aussi
tous les hauts fonctionnaires, leurs condisciples, qui règnent
sur une armée représentant dans notre pays le quart
des salariés. Fonction publique de plus en plus puissante,
intervenante et inamovible à vie. Ce qui ne l'empêche
pas, par tradition, et peut-être aussi par intérêt
corporatiste, de soutenir dans leur action les thèses des
partis de gauche plus que des partis conservateurs.
Renforcer
la compétence
Alors,
au moment où l'usage de l'euro nous a fait basculer dans
une autre dimension géographique et culturelle de notre
histoire, nos politiques n'ont vraiment rien à nous dire,
rien à nous proposer pour en tirer le meilleur parti ?
Au moment où l'époque dominée par la nécessité
de la répartition des richesses dans nos pays est arrivée
à une limite difficilement surpassable, qu'attend-t-on
pour le dire clairement au lieu de laisser entendre qu'un jour
tout le monde sera aussi intelligent, aussi plein de talents,
aussi fort et en aussi bonne santé que les plus nantis.
Ce qui nous préoccupe vraiment est de savoir si la terre
, et sa fragile biosphère dont nous faisons partie, va
résister à tout ce qu'on lui inflige sans nous demander
notre avis de citoyens. La seule vraie question pour notre futur
est celle des risques au milieu desquels nous sommes condamnés
à vivre. Elle est là la vraie et terrible égalité
du moment, et nulle part ailleurs. Vivre dans la société
du risque, et non dans la recherche infantile d'une protection
qui n'est qu'illusion mortelle. Pas électoral ? C'est possible.
En tout cas, l'air, l'eau, l'alimentation, le climat, la mer c'est
vital.
Os
court : L'or noir blanchit l'âme hydrocarburée des
magnats du pétrole en les enrichissant . Pierre Dac
Lettre
d'Expression médicale n°231
Hebdomadaire électronique francophone de santé
- 6 mars 2002
Le
sociologique et le passionnel
Docteur Jacques Blais
Partons d'une émission de radio, qui confronte les points
de vue des auditeurs en ligne, interrogeant des sociologues
en studio. Le thême est "porteur", ou à
la mode, ou simplement très actuel, la violence, la sécurité.
Les auditeurs projettent des opinions à fleur de peau,
où percent peur, angoisse, révolte : "comment
peut-on ainsi donner la parole à des sujets aussi malfaisants
?" "pourquoi laissez-vous s'exprimer des jeunes qui
détruisent, ne travaillent jamais, avouent en toute impunité
"casser du keuf", ou "cramer des bagnoles",
ou "caillasser des pompiers" , ne représentent
qu'une nuisance ?" Et les sociologues répondent
à l'aide de théorisations : "quelle est l'origine
de la situation présente ?", "quel est l'historique
de ces émigrations mises en cause ?", quelle a été
l'évolution des populations urbaines ?" Le
passionnel contre le sociologique.
Retrouver la confiance
Comment imaginer un jour que la peur disparaisse derrière
la confiance, que la raison masque la révolte, que l'irruption
de la colère soit apaisée par la réflexion
? Sinon en replaçant en permanence l'individu, nécessairement
passionnel, fragmentaire, réduit à ses impulsions,
blessures, réflexes, apprentissages et critères
personnels, en position d'observateur collectif, sociétal,
ne basant ses appréciations que sur des considérations
systémiques, historiques, anthropologiques, sociologiques,
plus objectives. A l'individu légitimement furieux, lèsé,
victime, meurtri, heurté dans ses convictions, ses croyances,
ses modèles, ses acquis, le sociologue apprendra à
regarder l'histoire. Ces migrations ont défini progressivement,
depuis plus de 50 ans, des figures de combattants, trahis et
oubliés, puis de travailleurs silencieux, abandonnés
et largués, enfin de personnes sans vraie citoyenneté,
perdus entre des cultures, des statuts, des religions, un passé
et un avenir, qui jamais ne parviennent ni à les définir
ni à leur convenir. Le grand-père était
un héros armé trahi. Le fils a été
un travailleur licencié oublié. Le petit-fils
évolue dans un monde regroupé d'étrangers
sans travail, sans avenir, sans culture. Le gamin de dix ans
n'a jamais connu d'adulte au travail, car autour de lui, dans
son quartier, "sur sa dalle" se retrouvent 50 % d'hommes
d'âge productif sans travail. Son grand frère qui
a été au lycée est également sans
travail, souvent devenu dealer, ou incarcéré.
Et lui-même a un statut de révolté hérité
et endémique.
Restaurer la conscience
Avouons que, pour les victimes des casses, du racket, des incendies
et des projectiles, des vols, un tel discours sociologique est
inadmissible pour les individus passionnels violentés
qu'ils représentent. Inacceptable et incompréhensible,
puisqu'il met en oeuvre des mécanismes de raisonnement
systémique, sociologique, historique, inconnus, ignorés,
refoulés. Et pourtant ce mode d'explication n'en est
pas moins sensé, réel, inexorable, parce que sociologique,
systémique, précisément.
Arrivons en à un parallèle avec des réactions
de nos lecteurs, individus passionnels meurtris, face au monde
sociétal du système de santé vécu
comme agressif ou ignorant, distant. Que vit telle patiente
blessée, ignorée dans son être souffrant,
négligée dans ses demandes, déçue
dans ses attentes ? La même agression, incompréhension,
révolte, fureur, parfaitement explicable, recevable,
légitime. Et que répond alors le sociologue ?
Cherchons l'origine, l'histoire, la genèse, d'un tel
phénomène. A partir de quoi, de quand, le système
de santé est-il devenu non réceptif, si peu à
l'écoute, si peu accueillant, totalement déshumanisé
? A partir du moment où les gouvernements en ont fait
un monde secondaire, sans intérêt, parce qu'il
dépense sans rapporter, ni voix électorales ni
argent pour la Bourse.
Renforcer la compétence
Le médecin, l'infirmière, les soignants d'autrefois
possèdaient bien peu de science, de connaissances, mais
ils étaient reconnus, titulaires d'une aura de dévouement,
de pouvoirs de soulagement, de missions d'aide, et ils étaient
valorisés de toutes leurs actions vantées comme
nobles. Et l'individu passionnel, entre leurs mains douces,
était apaisé, calmé, rassuré, reconnaissant.
Les soignants actuels sont méprisés "systématiquement"
minutieusement, par les responsables financiers, les gouvernants,
les politiques, rejetés et ignorés comme non rentables,
dépensiers, irresponsables. Ils réagissent en
recroquevillant leur action autour du savoir, du pouvoir de
décision, avec le risque majeur d'oublier leurs personnes
et les êtres qui se confient à eux.
"Ghettoïser", terme affreux, les populations
en difficulté sociale majeure est certainement une aberration.
Ignorer, mépriser, ne jamais écouter, humilier,
rabaisser les soignants (ne même plus compter sur leur
influence électorale, évaluée comme désormais
négligeable) est aussi, sociologiquement, une politique
lamentable et vouée à la catastrophe pour tous
les gouvernements. Un constat : les victimes en sont les mêmes,
les usagers, les habitants, les êtres humains. Apprendre
la société, serait le résumé d'une
politique de la ville, des cités, de la sécurité,
comme apprendre l'être humain serait une priorité
de l'enseignement du métier de soignant. Reste à
s'interroger : lit-on, devine-t-on, perçoit-on ce genre
de volonté, ou seulement de souhait, de perspective,
chez un quelconque candidat à la Présidence
(1) ? Non, jamais, car il manque alors les mots essentiels
: pouvoir, voix électorales, CAC 40 (2), politique européenne,
commerce mondial... Vous avez dit HOMME, ETRE HUMAIN ? Je vais
chercher dans mon dictionnaire.(1) Présidence de la république
française ( ndlr)
(2) Indice boursier de 40 sociétés nationales
( ndlr)
Os court : Je crains l'homme accablé
du poids de ses loisirs . Voltaire
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Lettre d'Expression médicale n°232
Hebdomadaire électronique
francophone de santé - 12 mars 2002
Un diagnostic métamédical à
ne pas rater.
Docteur François-Marie Michaut
Depuis janvier 1997, nous avons pris ici le parti de faire tout
ce que nous pouvions pour que les médecins, et, à
travers eux tous ceux qui travaillent dans le secteur de la
santé , quel que soit leur domaine d'activité,
fassent enfin l'effort de s'exprimer. Expression médicale,
avons-nous dit, en souhaitant dès le départ que
cette expression ne reste pas confinée à des cercles
professionnels restreints, et s'ouvre largement à tous
les citoyens. Sans moyens extérieurs, sans délégation
de pouvoir, sans statut représentatif, sans grandiose
mouvement de masse, nous avons continué à creuser
notre sillon de façon méthodique. Nous avons eu
nos moments de doute devant le silence quasi général
à la suite de nos analyses ou de nos propositions. En
tout cas, jamais nous ne sommes fait insulter ou agresser directement.
Discrètement, le nombre de nos lecteurs a continué
de progresser régulièrement. Et des talents nouveaux
se sont fait jour parmi ceux qui nous soutiennent.
Retrouver la confiance
Alors, quand plusieurs dizaines de milliers de professionnels
de la santé viennent manifester dans les rues de Paris,
comme ce fut le cas hier, tout observateur ne peut qu'être
très attentif. Bien sur, et de nombreux journalistes
n'ont pu résister à cette analyse facile, on peut
ne voir dans cette grève qui dure depuis un mois et demi
qu'une question de sous. Une consultation médicale à
20 euros, au lieu des 18,6 "octroyés" par l'assureur
maladie obligatoire en France. Nous sommes tellement habitués
à voir régler tous les conflits sociaux par l'obtention
d'une enveloppe financière âprement négociée.
Les soignants crient bien autre chose que cette demande sonnante
et trébuchante. Les soignants sont profondément
blessés de se faire traiter de façon indigne,
comme s'ils étaient dans l'exercice de leurs fonctions
des malfaiteurs obsédés par leur seul compte en
banque. Comment faire confiance à des gens qui sont censés
ne s'intéresser qu'au portefeuille de leurs clients ?
Restaurer la conscience
Et si les soignants en avaient profondément assez d'être
implicitement chargés de réparer toutes les misères
et tous les dégâts de la vie, et en particulier
ceux causés par une conception archaïque de la société
et des rapports humains ? Interrogé par le magazine l'Entreprise
sur les arrêts de travail prescrits par les médecins,
j'ai fait valoir ce point de vue, qui a semblé troubler
le journaliste qui m'interwiewait par une telle vision globale
de cette question. Comment ne pas être furieux de devoir
réparer sans fin, au milieu des pires souffrances, les
conséquences pathologiques dramatiques de la gestion
par le stress proposées par les spécialistes des
ressources humaines ? Comment faire comme si on ne voyait rien,
alors que les lois sociales, si généreuses et
si protectrices dans leur inspiration, sont bafouées
et détournées par des dirigeants pervers qui poussent
les salariés indésirables à demander eux-mêmes
leur départ, plutôt que de payer les lourdes indemnités
légales dont ils devraient s'acquitter pour les licencier
?
Renforcer la compétence
Quand le prestigieux Journal of American Medical Association
( 6 mars 2002 , Dr Dearry et coll.) , après avoir
suivi 500 000 adultes pendant 15 ans, affirme que la pollution
de l'air par l'industrie et surtout par la circulation automobile
avec l'émission de microparticules est une source d'augmentation
considérable du cancer du poumon, des cancers en général
et des pathologies cardio-vasculaires, comment les soignants
pourraient-ils rester les bras croisés ?
Pourquoi, dans un pays où la moitié des voitures
neuves est équipée d'un moteur diesel ne mesure-t-on
pas le taux de ces particules ? Oui, l'air que nous respirons,
les aliments que nous absorbons, l'eau que nous buvons, les
rapports humains que nous vivons en permanence sont des facteurs
prioritaires de l'état de santé de
tous. Que des lois prévoient d'inscrire sur les paquets
de cigarettes : nuit gravement à la santé, pourquoi
pas ? Mais pourquoi s'arrêter là, et ne prendre
aucune mesure sérieuse vis à vis de ces risques
environnementaux de mieux en mieux connus, tout en demandant
aux médecins de soigner les conséquences de cette
dramatique négligence ? Tout en dépensant le moins
d'argent possible, cela va de soi. Voila quelques pistes
très simples - parmi beaucoup d'autres - qui pourraient
étayer une politique de la santé qui soit, enfin,
au service du public. Et pas, comme on le voit trop hélas,
le thème électoralement porteur dit de la santé
publique récupéré pour mener des actions
de propagande politicienne.
Os court : Adopter une innovation,
c'est l'adapter . Bruno Latour
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Lettre
d'Expression médicale n°233
Hebdomadaire électronique francophone de santé -
19 mars 2002
Les couleurs du spectre
Docteur Jacques Blais
Titre à double sens, naturellement, tant il est aisé
d'aller de l'arc-en-ciel au squelette de la médecine, soigneusement
massacré par tous nos gouvernants successifs. Mais ressuscitant
soudain sous influence électorale, une brutale perfusion
qui voudrait faire croire à un quelconque intérêt
des candidats pour un monde de la santé qu'ils ont tous
ignoré intégralement depuis quinze ans. A double
sens aussi ces réponses quelque peu "auto-psy-ques"
sur des fragments autobiopsiques d'extraits colorés du
monde des généralistes. Mais tant d'interrogations
de nos non-médecins ouvrent vers des questions sur un avenir
incertain, minant la confiance, exprimées en "que
faire pour sauver les professionnels de santé ?"
Retrouver
la confiance
Un
médecin écrit au fil de son existence plusieurs
livres de la vie, qu'il feuillette pages après pages, sa
propre vie s'entremêlant dans l'entrelacs de celles des
patients qui viennent lui confier les leurs. A la fois trame et
chaîne tissant la toile, et mosaïque de couleurs à
laquelle chaque intervenant apporte sa pièce de puzzle,
les pages défilent. Des pages de Livre d'Or avec les quelques
"exploits" du thérapeute fier de quelques diagnostics
ou succès, comme des médailles de réconfort.
Les mêmes que celles des pompiers, et justement les pages
suivantes en ont la couleur rouge, sanguine, une teinte de feuilletons
à grand renfort de sirènes deux tons, mais autant
de nuances de sanies, de viande, de vinasse sur du carrelage,
d'hémorragies et de plaies par balles de la consultation
du samedi dans les banlieues... Des pages roses tout à
coup, couleur layette, peau de nourrisson, bluettes et mariages
gentils, dragées, qui mènent vers des pages jaunes
comme le soleil, le sable ou les fleurs d'hibiscus, mais aussi
cette nuance affreuse de la rétention biliaire prurigineuse
au dernier stade d'un pancréas envahi... Puis des pages
bleues comme le foot, la France, la mer, les héros, celles
que la République aime, mais encore comme ce terrifiant
papier bleu du certificat légal destiné à
permettre l'inhumation des corps... Et des pages vertes, couleur
d'enseigne de pharmacie, d'eucalyptus et de sirop, et de Carte
Vitale, les seules qui intéressent les médias,
à l'aspect de gâchis et de dépenses, et pourtant
si faibles parts de l'activité des praticiens. Des pages
marron, couleur Sécurité Sociale, et soyons affreux
carrément, couleur immigration, celle de ces êtres
balancés dans un univers terrible où tant d'entre
eux ne trouveront comme interlocuteur exclusif que leur médecin
pour les entendre et les aider...
Restaurer
la conscience
On
arrive aux pages blanches, les illisibles, les indicibles. Avec
un adjectif qui définit autant l'arme blanche que la poudre,
la lividité de l'anémique, la nuit de garde, les
blouses affublées... Et surtout la honte de la mutité,
qui hantera inlassablement l'esprit du médecin, l'inceste,
le viol, la violence, le sordide au bout du couloir et l'effroi
dans la cuisine, les yeux noyés dans les cheveux de cette
femme pour qui le paquet de kleenex du docteur ne suffira même
pas à éponger l'horreur d'une vie. Et pourtant,
au fil des pages de ces blancs de l'indicible, elle finira à
force de persévérance dans l'écoute, de patience
dans cette forme d'amour que son médecin a choisi d'exercer
dans son travail de passion, de fourmi, d'enthousiasme douché
sous les coups de gouvernants irresponsables et destructeurs,
parvenant à supprimer en quinze ans à nos jeunes
toute envie d'exercer ce métier de lumière et de
stupéfaction, d'ombre et de bonheur, le dernier rempart
humaniste sous la domination du CAC 40, cette femme livide et
meurtrie, et ses milliers de semblables finiront par non seulement
accepter de vivre mais peut-être parvenir à exister
un peu. De temps en temps, entre les pages violettes de hématomes
de son parcours, et une ou deux pages bleu du ciel, les couleurs
mêlées d'un bouquet de renoncules vives, carminées,
orangées et jaune pâles, les premières fleurs
que quiconque ait offertes à sa vie, elle rêvera
en couleurs d'un monde de sable et d'eau turquoise.
Renforcer
la compétence
Il
reste encore des pages noires bien sûr, bordées comme
des faire-part, dont le praticien meuble quelques nuits coupables,
ou emplit ses souvenirs de cet évident droit au chagrin
et à la peine, car les médecins sont aussi affectivement
secoués par la perte de quelques patients qui étaient
parfois devenus leurs membres amputés. Même si leur
compétence, leurs apprentissages, leur formation continue, ont
pour objectif non de blinder, jamais, mais d'apprendre à
vivre soi-même en aidant les autres à exister, d'écouter
pour entendre et comprendre, de dire et dire et dire encore pour
proposer, négocier, jusqu'à un accord ménageant
les parties en présence. Et même si tout cela est
plus qu'une hypothèse utopique, mais moins qu'une réalité
de terrain, tous les praticiens au fil de leurs pages d'exercice
auront appris que la couleur dominante est le gris. Personne n'est
jamais ni tout noir ni tout blanc, même un politicien, et
la plupart des années de labeur obscur et acharné
du médecin consistera à tenter de faire évoluer
les nuances de gris, ajoutant des couleurs, éclairant pour
éclaircir, et dépeignant des situations critiques
pour mieux peindre un avenir où se glisse un arc-en-ciel.
Le grand malheur, l'immense malheur politique actuel, est que
nos chers gouvernants ne semblent en permanence voir qu'une seule
couleur dans le spectre, la leur. On préfèrerait
la lueur.....
Os court : En période électorale,
les hommes politiques trahissent des inquiétudes. faute
de mieux. Coluche
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Lettre
d'Expression médicale n°234
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 24
mars 2002
Des
grilles plus hautes , ou pas de grilles ?
Docteur
Philippe DEHARVENGT(*)
Pour
illustrer la dramatique montée de la violence en milieu scolaire
( encore tout récemment actualisée par l'exécution
d'un père de famille ayant défendu son enfant victime
d'un racket que ni l'Institution scolaire , ni la Police , ni la
Justice ne protégeait ) , les médias nous montrent
avec une délectation morbide des hordes d'adolescents
braillards escaladant les grilles de leurs lycées ou collèges
.
Quel symbole ! L'école sensée être le lieu de
tous les apprentissages , y compris celui du civisme et de la citoyenneté
responsable , des valeurs laïques et républicaines
, qui devient celui de l'incivisme , du refus de l'autorité
et de la transgression des interdits. Comment en sortir?
Retrouver
la confiance :
Une
première solution serait de rendre infranchissables les grilles
et enceintes qui sont sensées sécuriser les établissements
scolaires , transformant ceux-ci en établissements carcéraux.
Excellent pour le développement de la personnalité
de nos chères petites têtes blondes ; il suffit pour
s'en convaincre de constater la haute valeur éducative
de la prison. Ceux qui y entrent délinquants en sortent assassins
potentiels . Et pourquoi ne pas restaurer les bons vieux châtiments
corporels , tant qu'on y est ?
Restaurer
la conscience :
Une
seconde solution serait de supprimer toute grille ou enceinte ,
faisant de nos écoles des lieux ouverts où chacun,
élève , enseignant et toute personne étrangère
à l'école pourrait aller et venir
librement et faire strictement tout ce qu'il voudrait . Ce qui n'est
pas tellement éloigné de la situation actuelle
, et qui aurait l'avantage non négligeable de réduire
sensiblement le risque d'accidents par chutes . Le meilleur moyen
d'éradiquer la transgression de l'interdit n'est-il pas de
supprimer l'interdit ?
Renforcer
la compétence :
Ces
deux options sont évidemment caricaturales à l'extrème
. In medio stat virtus disent les latinistes distingués que
vous êtes , amis lecteurs .
C'est notre devoir de citoyens d'exiger que nos enseignants puissent
retrouver leur rôle , qui est d'enseigner à leurs élèves
une double discipline : celle qui relève de la spécialité
enseignée , et celle qui relève du civisme , fondement
de toute civilisation et de toute vie sociale , discipline sans laquelle
deviendrait inéluctable le retour à la barbarie .
C'est notre rôle de soignants d'exiger de pouvoir soigner
, en toute sérénité , donc en toute sécurité
, condition sine qua non d'une relation médecin-malade de
qualité comme celle évoquée sur ce site par
les récents échanges d'Exmed1 .Nous n'avons jamais
eu à la LEM, me semble-t-il, l'outrecuidance de prétendre
pouvoir résoudre , ou même d'apporter des éléments
de réponse , à des problèmes de société
aussi graves et préoccupants que celui-ci . Mais aborder
le problème , n'est-ce pas déjà apporter modestement
sa pierre à ce vaste chantier ?
(*)
médecin généraliste libéral retraité
, ancien médecin de la Pénitentiaire et de santé
scolaire .
l'os
court : << Quand je bois à ta santé , c'est
la mienne qui déguste >> . le
Père Igor . . . hic !
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Lettre
d'Expression médicale n°235
Hebdomadaire électronique francophone de santé - 3
Avril 2002
Evidence
Dr Jacques Blais
Une sorte de vision rationnelle de l'exercice thérapeutique
actuel du si difficile métier de médecin fait appel
à cette très intéressante notion de la Médecine
fondée sur la Preuve, que les anglophones nomment Evidence
based Medicine. A la fois une règle du jeu dans le domaine
du matériel à utiliser, le traitement, des signes
à décrypter et des examens nécessaires et utiles
pour porter un diagnostic adapté, et à la fois une
sorte de manuel de bonne conduite, tant sur un plan du risque minimal
que du coût le plus faible. Un résumé de la
manière d'exercer proche d'un idéal situé entre
le juste prix et les meilleurs choix du moment.
Retrouver
la confiance:
Cette manière de fonctionner, associée à une
méthode de réflexion, à des règles à
respecter pour mieux observer, et à un guide du comportement
le plus proche de la meilleure logique et logistique, est une avancée
évidente, une façon rationnelle de procéder,
un encouragement, et une perspective d'avenir instructive. Si l'on
devait soulever une interrogation, elle serait celle de l'intervention
de facteurs humains. Illustrons d'une situation
réelle, issue du développement de la méthode
des ECOS, ou Examen Clinique Objectif Structuré qui est celle,
dérivée des enseignements issus du Canada, que nous
appliquons maintenant dans un certain nombre d'universités
Françaises pour tester les apprentissages, mais encore bien
plus les comportements des étudiants en médecine générale
à l'issue de leur troisième cycle. Un énorme
travail préparatoire, d'écriture, de réflexion,
de mise au point, aboutit à la rédaction de saynètes
jouées par des acteurs non médecins, qui proposent
des situations standardisées aux étudiants en vue
d'une évaluation de leurs capacités autant relationnelles
que diagnostiques, stratégiques, cliniques, au cours d'une
séquence de 20 minutes qui se
déroule comme une consultation réelle. Bien entendu
de nombreuses répétitions avec les acteurs, les évaluateurs,
les rédacteurs, ont abouti à une mise au point fiable
dans sa constance et sa perennisation.
Restaurer
la conscience:
Supposons une séance centrée sur la découverte,
au travers d'une consultation banale à propos d'une fatigue,
d'un mal-être indéfini, autrement dit d'une situation
quotidienne de médecine générale, d'un état
d'anxiété accompagnée de signes dépressifs
repérables. On aura juste demandé à l'actrice
qui joue le rôle de la patiente de s'affairer, à un
moment, à chercher un kleenex dans son sac à main.
Le scenario de son interprêtation est le même pour tous
les étudiants, qui ont tous reçu le même enseignement
issu de la même Faculté, jusque dans les considérations
cliniques et thérapeutiques de la médecine fondée
sur les preuves. Imaginons 25 étudiants en lice. Et pour
simplifier définissons les résultats des constatations
des évaluateurs, reprises en discussion finale à l'issue
de la totalité du passage des étudiants. 5 étudiants
n'auront pas même remarqué que la "patiente"
avait cherché un mouchoir. Cinq ont noté, et en ont
déduit qu'elle était enrhumée. 5 en ont été
agacés, et commenteront en disant "en plus elle ne m'écoutait
pas, elle bricolait je ne sais quoi en pensant à autre chose".
Il en reste 10 sur 25 qui ont bien noté l'action, ont compris
que la patiente manifestait quelque chose, et même perçu
que cette recherche d'un soutien, d'un support, de ce kleenex n'était
certainement pas anodine ni dépourvue de signification. Mais
5, hésitant parfois, tentés mais inhibés ou
trop peu sûrs d'eux, se sentant intrusifs, ou anxieux eux-mêmes
n'auront tiré aucun parti de ce constat. Enfin 5 auront saisi
une si belle occasion. L'un aura pu lancer "la vie est difficile
pour vous, en ce moment ?", un autre aura tenté "excusez-moi,
vous ne me sembliez pas enrhumée, il y a un autre problème
?" pour l'étudiant suivant cela aura été
"je vous sens troublée, ne vous gênez pas si vous
avez envie de pleurer, mais si je peux me permettre, qu'est-ce qui
vous bouleverse ainsi ?", ou bien encore une question ouverte
plus directe "vous... vous êtes préoccupée
par quelque chose ? vos enfants ? votre travail ? et chez vous cela
va en ce moment, ou justement...?" Imagination libre pour les
interrogations, dès lors qu'elles peuvent se formuler...
Renforcer
la compétence:
Que tentent d'évoquer ces propos ? Tous ces médecins
sont compétents, ils puisent leurs sources dans la médecine
par les preuves, ont suivi un enseignement moderne, ils vont tous
repérer les signes dépressifs, et appliquer le traitement
adapté et appris, pour sans doute 80 % d'entre eux. Et pourtant
il existera une différence extrême entre ces professionnels,
tous nourris des mêmes bases. Certains ne sauront donner,
vendre ou vanter, que leur science acquise, ce qui est déjà
considérable, en appliquant une thérapeutique adaptée
sur un diagnostic étayé. D'autres seront au bord de
percevoir qu'ils auraient pu, s'ils avaient osé, s'ils avaient
diront-ils peut-être eu le temps, s'ils s'étaient sentis
sûrs, aller plus loin, aider davantage en entrant dans l'existence
dite privée de cette femme pour lui proposer plus, plus loin,
plus efficace, autrement. Et chez cinq de ces praticiens la femme
en détresse aura trouvé une écoute, une empathie,
une oreille, un réconfort, et bien au delà de cette
seule médecine par les preuves, elle aura reçu un
don non mesurable en statistiques, en études, en graphiques,
en pourcentage, le don d'une envie d'aider, d'un amour des êtres,
d'un besoin d'ouverture, de cette capacité plus forte que
d'autres à susciter la confidence, à gagner et offrir
la confiance, à parler enfin, parfois pour la première
fois de sa vie, de l'existence, du couple, de sa vision du monde,
de ses angoisses, de la mort, de ses doutes, de ses craintes d'incapacité
à être, à élever des enfants, à
aimer un mari, à affronter
le quotidien, ou bien encore de son enfance, de parents disparus,
éventuellement jamais connus, d'un frère demeuré
le frère mort enfant... De dire, d'être, de pouvoir
se laisser écouter pour entendre et comprendre.
La
"morale de l'histoire" ? Quand deux êtres humains
se rencontrent, si l'un des deux est porteur d'une présumée
science éventuellement issue de sources validées de
la médecine fondée sur la preuve, c'est une compétence
indéniable supplémentaire, si de surcroît une
capacité humaine relationnelle qui rend celui des deux placé
en position de praticien en mesure de devenir lui-même traitement
par son savoir-être existe, la plus-value thérapeutique
est indéniable. Un rêve ? Non, un objectif. Et terminons
sur deux notes brèves : d'une part les enseignants espèrent
un jour que 15 des étudiants sur 25 et non 5 auront appris
que la recherche en apparence anodine d'un mouchoir est un signe
non verbal d'un langage qui dit "docteur je vais mal, aidez
moi", les futurs médecins auront alors ajouté
à la science des preuves la perception de l'être global.
Et d'autre part si n'importe quel politicien, candidat, gouvernant,
pouvait un jour imaginer dans son programme qu'au delà de
la science du CAC 40 existe la connaissance des êtres, pour
fabriquer et maintenir un système de soins correct, que l'on
nous fasse signe.
l'os
court : << Des preuves, des preuves ... Eh bien qu'est-ce
que ça prouve ? >> .Alphonse Karr
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