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Lettre
d'Expression médicale n°246
Hebdomadaire
francophone de santé
17 Juni 2002
Le
droit à l'existence
Dr Jacques
Blais
Ces réflexions se voudraient dans la complémentarité
des récents éclairages sur le travail de Balint, sur
le rôle de "médicament" du médecin
lui-même, permettant d'envisager, à terme, que l'implication
apprise, et acquise, du praticien, par sa formation adaptée
dès la Faculté, ses apprentissages de l'exercice au
quotidien, son envie d'implication, et une motivation en rapport
avec sa peine et ses ambitions (entendons par là une reconnaissance
de son rôle, de sa nécessité, de son utilité
irremplaçable, et une contre-partie de rémunération
adaptée qui ne devient plus le principal mais la
conséquence incontournable) le rendent performant. Un médecin
devenu "thérapeute en lui-même" par sa manière
d'être, son savoir faire, son écoute, sa conviction,
sa capacité simple de réassurance à l'égard
de son patient, son argumentation à la fois valorisante pour
le patient et bâtie sur une médecine de preuve bien
conçue, devient économe d'artifices. S'il a lui-même
appris l'être humain, compris ses modes de production des
demandes liées à l'angoisse, à la mode, aux
propositions médiatiques, à l'égoïsme,
à la peur permanente de mourir, aux leurres du tout scientifique
omnipotent, etc, il ne cèdera pas à ses frayeurs personnelles
ni aux mirages et vertiges engendrés par le patient, ni aux
menaces d'origine exclusivement financière générées
par les gouvernants.
Retrouver
la confiance:
La première démarche des patients, si l'on lit leurs
interrogations et affirmations publiées, à travers
la confiance dont ils témoignent avec opiniâtreté
envres leurs soignants, est de se confier. Ce qui signifie autant
se mettre entre les mains, avec l'espérance d'un résultat
fiable, et confier leur être dans sa complexité, avec
l'envie d'un aboutissement vers une prise en charge différente,
globale. Prenez tout en mains, docteur, mon corps, mon âme,
mon environnement, mes proches, mes préoccupations professionnelles,
financières, familiales, existentielles, les hantises encombrantes
de
mon passé, les inconnues lancinantes de mon avenir, je vous
confie l'ensemble (de cette systémique) prenez en soin, merci.
Restaurer
la conscience:
Michaël
Balint tenait un discours inhabituel pour les praticiens. En disant
en quelque sorte : celui que vous traitez (de quoi ? comme qui ?
en tant que... cas, ou être ?) peut vivre grâce à
vous. Mais il existera une différence permanente entre deux
praticiens. L'un suivra et traitera un patient pour le faire vivre
au mieux, le plus longtemps, quand un autre, avec les mêmes
traitements s'ils sont nécessaires et utiles, ira bien au
delà, car lui souhaitera donner, rétablir, procurer,
autoriser une existence à ce même patient. Ce droit
à l'existence parlée, exprimée, n'empêche
ni ne contrarie le
droit à vivre à l'aide de soins.Un médecin
va, perpétuellement au long de son exercice, s'il admet,
désire, entend, souhaite travailler ainsi, rencontrer diverses
formes d'inexistence chez ses patients. Les inexistants "matériels"
qui sont représentés par tant d'humains dépourvus
de droits, d'identité, de papiers, de réalité
administrative. Les inexistants "par non construction"
dont les familles, la destinée, l'environnement, l'abandon,
les pathologies systémiques de groupe, les antécédents,
n'ont jamais autorisé une réalisation de leur personne
humaine vraie. Les inexistants "par destruction" que les
troubles, les guerres, les conflits sociaux, familiaux, systémiques,
les deuils, ont détruit, qui ont été réduits
à néant. Et puis le médecin rencontrera aussi,
heureusement, nombre d'autres êtres, qui pourraient se nommer
des Existants "malgré", dont on étudie maintenant
ce degré de résilience qui est une forme de résistance
et de compensation. Ceux là existent malgré les maladies,
les troubles, les souffrances, l'environnement, l'abandon, parvenant
à la fois à "vivre avec" et à exister.
Renforcer
la compétence:
Tant
que les instances, autorités, responsables financiers, politiques,
institutionnels, les enseignants, les grands décideurs, mettront
sur un pied d'égalité, dans les mêmes programmes
et universitaires et budgétaires ces deux versants complémentaires
mais
totalement différents d'un même exercice professionnel,
personne ne comprendra personne dans le systême de santé.Une
méthode est de traiter un organe, qui est situé dans
un être, placé lui-même dans un ensemble social,
économique, familial, professionnel, mondial, etc, qui constitue
la systémique des humains. Les critères d'évaluation
risquent fort de demeurer éternellement la rentabilité,
l'équilibre budgétaire, la qualité technologique
de formation, le développement des appareillages, l'industrie,
le coût par unité déterminée...Une autre
optique est de se préoccuper de l'existence d'un être
vivant, qui possède ses caractéristiques propres,
ses critères, son passé, ses perspectives, ses influences,
en bref toute sa systémique aussi, et de replacer alors son
projet de soins personnel, avec toutes les caractéristiques
énumérées plus haut, dans une vision
d'existence et d'être, et non plus exclusivement d'avoir,
de pouvoir, et de coût. Utopie ? Le livre de Thomas Morus
qui porte ce titre originel évoque
un pays imaginaire. N'importe quel praticien optant pour la médecine,
c'est à dire étymologiquement prendre soin de, et
réfléchir en avançant, répètons
le, ne rêve-t-il pas d'un lieu où il soit en mesure
d'exercer avec toute sa capacité d'imagination des soins
adaptés à chacun ? L'enseignement de Balint montre
en permanence la différence entre simplement traiter, comme
on traite un problème, et apporter ses soins à un
être humain, en intégrant toutes les variables de l'individu
qui reçoit et demande les soins, et celles de médecin
qui offre et répond. Actuellement, et ceci s'entend dans
toutes les manifestations à tous les sens de l'incompréhension
entre décideurs et exécutants, les patients, comme
les soignants, sont admis au droit
de vivre, manger boire dormir souffrir demander recevoir avoir,
mais pas à celui d'exister, penser, ressentir, exprimer,
écouter, parler, être.
l'os
court : « Il faisait une différence fondamentale entre
l'existence et l'essence, certain que l'une était préférable
à l'autre, mais sans jamais se rappeler laquelle».
Woody Allen
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Lettre
d'Expression médicale n°247
Hebdomadaire
francophone de santé
24 Juin 2002
La
vie à tous prix
Odette
Taltavull
Imaginons que nous vivions centenaires
Où passerons-nous
nos dernières années ?
En effet, l'être humain vit de plus en plus longtemps ; la
médecine maintient la vie tant que la technicité et
la pharmacopée le permettent, mais sans pour l'instant parvenir
à maintenir chez les grands vieillards une santé physique
et mentale compatible avec l'autonomie. Qu'offre notre société
actuellement à cette catégorie de personnes ? Hormis
les hospices publics et les services de long séjour des hôpitaux,
réservés aux moins fortunés (et sur lesquelles
il y aurait à débattre également), existent
de belles structures où le confort est sensé augmenter
avec le prix de journée. Outre le marché fort lucratif
que représentent ces maisons, sont-elles la solution idéale
pour les résidents ?
S'il
est vrai qu'il existe en France, de petites structures où
la personne âgée est respectée et choyée
comme dans une famille, elles sont souvent réservées
aux moins dépendants. Ensuite, les plus nantis pourront bénéficier
de l'un de ces établissements spécialisés qui
font la fortune des personnes qui les dirigent (souvent des médecins)
et qui offrent toutefois une solution acceptable
pour les
familles.
Lorsque nous avons l'occasion de pénétrer dans de
tels endroits, en tant que soignant ou en visite, qui d'entre nous
s'y verrait vieillir sans inquiétudes? Car malgré
l'apparence extérieure, nous découvrons des rangées
de fauteuils dans lesquels se recroquevillent des humains décharnés
et anonymes, perdus dans un décor souvent moderne, voire
design et luxueux, mais bien souvent inadapté à la
vieillesse et manquant de chaleur. Parfois on y entend malgré
tout des animations, mais encore faut-il que l'état des résidents
leur permette d'apprécier cela, que le personnel permanent
soit enthousiaste, imaginatif, compétent, et surtout respectueux
des besoins réels des pensionnaires. On y rencontre aussi
des visiteurs, mais encore faut-il que ceux soient régulièrement
présents et que leurs visites ne s'espacent pas de plus en
plus .
Restaurer
la conscience:
Nous
qui lisons, pouvons-nous imaginer être un jour assis dans
ces mêmes fauteuils et y passer la fin de notre existence
? L'être humain passe-t-il à un moment donné
dans une autre notion de l'espace et du temps, dans un autre ressenti
de ce qu'est Vivre, au point d'accepter cela ? Ou bien est-il uniquement
contraint à se soumettre dès lors que ses défenses
et sa santé s'écroulent ?
Paradoxalement, la vie physiologique est prolongée sans tenir
compte que l'autonomie au quotidien devient totalement impossible
et que, dans notre société, le vieillard devient un
poids pour les autres dès l'instant qu'il devient "inutile".
Des personnes très âgées, très dépendantes
peuplent donc ces maisons de retraite d'un nouveau genre. Certes
on cherche à agrémenter ces lieux de fin de vie, à
les rendre plus vivants. Mais ces améliorations sont-elles
réellement entreprises pour le bien-être des pensionnaires
ou uniquement pour déculpabiliser les familles et justifier
le prix exorbitant de certains établissements ? D'autre part,
ces maisons ont des heures d'ouverture réservées aux
familles pour lesquelles il est bien difficile de savoir dans quelles
conditions réelles de dignité vivent leur parent.
Si l'hygiène des lieux est parfaite, cela ne signifie pas
pour autant que les soins corporels des résidents soient
réguliers ; ou si les soins du corps sont irréprochables,
cela n'implique pas forcément l'humanité relationnelle
et le bien-être moral des résidents.
Renforcer
la compétence:
Pourquoi dans certaines de ces maisons de retraite très onéreuses,
dénonce-t-on de plus en plus des histoires de mauvais soins
ou de maltraitance ? Ne serait-ce pas parce que le personnel y manque
souvent d'une formation spécifique au grand âge et
à ses exigences, qui signifierait d'augmenter leur salaire
? L'absence de connaissances peut entraîner l'agacement, l'incompréhension,
puis l'agressivité, jusqu'à la violence
Et
même si de tels actes nous horrifient et sont inexcusables,
on peut en expliquer le processus. Travailler dans de tels établissements
est ingrat, difficile, épuisant. Il faut une infinie patience,
beaucoup de motivation, et un réel bagage psychologique quelques
soient les rôles qui sont assumés. D'autre part, dans
ces structures de type hôtellerie, bien souvent les professionnels
de santé ne sont que de passage. Outre que cette pratique
ouvre la voie à divers abus, ils n'ont pas toujours le temps
ni l'envie de connaître les conditions de vie réelles
de leurs patients
Pourquoi ne pas prévoir systématiquement
des professionnels médicaux spécialisés à
plein temps dans ces lieux ? Pourquoi ne pas donner à tout
le personnel une formation de base spécifique, des soignants
jusqu'au jardinier en passant par le personnel de service ? Pourquoi
le profit prime-t-il toujours sur la qualité de la vie, et
les économies sur la qualité de la prise en charge
?
Grâce au progrès médical, vieillir ne sera peut-être
un jour plus synonyme de déchéance physique et de
perte totale d'autonomie, et l'on verra des centenaires s'occuper
de leurs arrière-arrière-petits-enfants, de leur maison
et de leur jardin
Mais en attendant ce jour lointain, combien
de temps encore verrons-nous ces grandes solitudes, ces êtres
humains qui appellent une mort sans cesse repoussée, peupler
des lieux "de vie" ?
Prolonger la vie, soit
mais dans quelles conditions ? Et
surtout, dans l'intérêt de qui ?
Os court: A lhôpital :
«
Mon Dieu que la vieillesse est donc un meuble inconfortable ! »
Odette
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Lettre
d'Expression médicale n°248
Hebdomadaire
francophone de santé
1 Juillet 2002
L'autre
vrai pouvoir
Dr François
Michaut
Le parti politique au pouvoir en France depuis cinq ans vient de
céder la place à celui qui constituait lopposition.
Dun point de vue systémique que nous affectionnons
à Exmed, quil sagisse de la droite ou de la gauche
ne change rien à laffaire. Sauf peut-être dans
le fait que ce choix va dans le même sens que ce qui se produit
un peu partout en Europe en ce moment. Même Euro dans nos
porte-monnaie, même sensibilité idéologique
dominante dans nos urnes ? Un pouvoir sorti de son fonctionnement
schizophrénique, voilà qui peut autoriser les décisions
courageuses et logiques qui simposent pour la bonne santé
de nos institutions sanitaires. Toute éventuelle sympathie
de coeur mise de côté, comme on aimerait
pouvoir être persuadé que tout risque ainsi dêtre
au mieux dans le meilleur des mondes possibles..
Retrouver
la confiance:
Juste
un exemple pour situer notre propos. Chic, une nouvelle loi vient
dêtre votée, mettant fin à une situation
inacceptable pour vous. Vite, vous tentez den être le
bénéficiaire en faisant valoir votre droit. Vous risquez
fort de vous entendre dire : « Pas si vite ! Cette loi est
bien votée par le Parlement. Mais elle est inapplicable,
car les décrets dapplication ne sont pas publiés
au Journal Officiel de la République Française .
Ces décrets à lallure dArlésienne
constituent une sorte de mode demploi des lois. Leur rédaction
est loeuvre des seuls hauts fonctionnaires. Ceux-ci savent
fort bien orienter ainsi de façon presque absolue le contenu
du texte législatif. Le choix de quelques clauses bien restrictives
a tôt fait de vider de tout contenu les intentions du législateur,
aussi généreuses soient-elles. Et vous, naïf
citoyen, vous voilà trop souvent Gros-Jean comme devant.
Vous ne remplissez pas les conditions imposées, et il ny
a plus de loi pour vous.
Restaurer
la conscience:
Faire entrer pratiquement dans la vie de chaque citoyen les décisions
politiques nécessite un ensemble complèxe dinterventions
professionnelles multiples. Cest la mission de la fonction
publique, et de tous ses corps de fonctionnaires. Ceux-ci sont-ils
de bois, sont-ils dépourvus de toute préférence
idéologique, sont-ils hors de tout engagement politique ?
Naturellement, non. Rien de bien surprenant à ce que ceux
qui ont choisi de servir la collectivité nationale aient
le souci de lintérêt du groupe avant davoir
celui du citoyen isolé. Cest la position traditionnelle
de la gauche de se dire la voix du peuple.
Renforcer
la compétence:
Comment va donc se passer cette collaboration obligatoire entre
des élus dun parti et des fonctionnaires majoritairement,
et par tradition, du parti opposé ? Cest ce que nous
allons vivre au jour le jour, même si les médias dinformation
semblent bien peu sintéresser à ce pouvoir dexécution
aussi silencieux quefficace. Sans doute ont-ils un peu de
mal à admettre cette réalité qui risque de
mettre un peu en cause le pouvoir de linformation dont ils
sont si fiers.
Alors, par défaut, cest à chacun de nous, citoyens
ordinaires, davoir les yeux grands ouverts, et si besoin en
était, la langue pas dans la poche. A moins quun jour,
selon le vieil exemple américain, nous ne décidions
que les cadres administratifs essentiels doivent changer à
chaque alternative du parti au pouvoir.
Os
court: «
Ceux qui croient que le pouvoir est amusant confondent pouvoir
etabus de pouvoir » André
Malraux
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Lettre
d'Expression médicale n°249
Hebdomadaire
francophone de santé
8 Juillet 2002
Trois
brins d'un même filin
Dr Francois
Michaut
« Circulez, il ny a rien à vendre ». Voici
ce quon peut dire à Exmed, à ceux qui continuent
de se creuser la tête pour comprendre ce que nous faisons
sur Internet depuis des années. Sans concession à
la facilité, et donc au risque accepté de ne jamais
devenir populaires, nous avons fait le choix dêtre une
antenne de ce qui se passe autour de la santé. Dans un monde
qui se définit volontiers comme dépourvu de sens,
nous constituons un modeste laboratoire de potentialités
pour que chacun puisse déterminer au mieux son action. Les
échanges récents des colistiers de notre liste de
discussion par courrier électronique sont à lorigine
de cette synthèse personnelle. Chacun, non médecins
comme praticiens, y reconnaîtra son apport précieux.
Un filin, cest, en terme de marine, un cordage en chanvre.
Cest à dire un système pour transmettre une
énergie, une force, dun point à un autre dun
navire, dans le sens quon désire. Un tel câble
est lui-même formé de différents torons, entortillés
sur eux-mêmes. Ce sont eux que nous nommons les trois brins.
Retrouver
la confiance
Le
premier dentre eux est celui de la systémique. Grâce
à lui, cest lhorizon de chacun, qui, au lieu
de se restreindre au fur et à mesure que les systèmes
de grossissement perfectionnent les performances de loeil
du navigateur, bien au contraire sélargit. Sa démarche
est inverse de celle qui a conduit les humains, et les médecins,
à se spécialiser de plus en plus pour affiner leurs
connaissances. Penser en terme de système, cest aussi
se contraindre à ne pas réduire son champ dobservation
à une discipline scientifique fermée sur elle-même.
Cest , en matière de santé, ouvrir sans peur
et sans crainte de sy noyer, les portes de la vie telle quelle
est, sous tous ses aspects. Faut-il rappeler que le systémicien
renonce volontairement à ne fonctionner que dans le registre
de la causalité linéaire ( du type : tel virus est
la cause de telle maladie) ? A linverse, la causalité
dite circulaire est pour lui une gymnastique quotidienne. Le fait
A est suivi du fait B, puis du fait C, D etc... qui ramène
au fait A, pour boucler la boucle des interactions.
Restaurer
la conscience
Dans une telle vision systémique de la santé, le monopole
de la pertinence des conceptions échappe à la seule
médecine. Voilà, nous en convenons, de quoi irriter
les tenants de lorthodoxie médicale. Et comprendre
quils ne souhaitent guère prendre conscience de quoi
il sagit. Ainsi, lorsque nous prétendons que la façon
même dont se font dans une société les échanges
des marchandises et des services - ce qui se nomme léconomie-
comporte une incidence directe sur létat de santé
des personnes, nous ne sommes pas hors sujet. Nous ne nous égarons
pas sur un terrain qui nest pas le notre. Tout simplement,
nous nacceptons pas de nous contenter dune simple description,
comme si nous étions pieds et poings liés devant une
force surhumaine, sorte de veau dor, de loi dairain
des marchés , de règle du profit maximum, à
qui nous devions tout sacrifier les yeux fermés, y compris
notre santé.
Renforcer
la compétence
Sans le moindre hasard tant toutes les choses se tiennent, le dernier
brin de notre câble moteur, est encore un dossier majeur dExmed.
Il nest abordable sans imposture que par ceux qui acceptent
de réfléchir sur un mode systémique, tout en
pensant quils sont des acteurs indispensables des grands choix
économiques. Le harcèlement moral est en effet une
pathologie très fréquente. Ses conséquences
en matière de santé sont vraiment lourdes. Dautant
plus que les professionnels de la santé, tant somaticiens
que psys, sont encore généralement formés selon
les modèles exclusifs de la relation duelle médecin
malade, et de la causalité linéaire. Ces soignants
perdent ainsi une grande possibilité de diagnostic et de
traitement dune situation complexe, dans laquelle les phénomènes
de groupe et les implications économiques doivent absolument
être pris en compte . Sinon, aucune stratégie thérapeutique
logique et ... efficace nest possible. Osons même le
dire avec un sourire : éco-no-mique. Il ne peut y avoir,
au mieux, que gesticulation thérapeutique. Et au pire, hélas,
comportements iatrogènes.
Pour ceux qui ont la chance de pouvoir réunir dans un même
cordage ces trois brins, beaucoup de choses insensées et
suicidaires quils vivent chaque jour peuvent prendre une toute
autre dynamique. Celle du sens de la vie, tout simplement.
Os
court:
<< Les voies qui ne sont ni en sens unique, ni en sens interdit,
ni en double sens nont aucun sens parce quelles vont
dans tous les sens >>.Pierre Dac
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Lettre
d'Expression médicale n°250
Hebdomadaire
francophone de santé
15 Juillet 2002
Téléphone
Dr Jacques
Blais
Rassurez vous, il ne sagira pas dune nouvelle étude
psychologique sur le portable, bien quil entre naturellement
dans le sujet. Instrument de communication (parfois), outil de secours,
de rapidité, de dépannage, mais aussi de harcèlement,
prédateur des solitudes et fabricant disolement artificiel
dans un groupe (souvent), jouet aux fonctions multiples de gadget
(fréquemment), et enfin signe extérieur dexistence
manifestée, cet objet aux vertus magiques a modifié
incontestablement le psychisme, lidentité, le savoir-vivre,
les stratégies, la communication des personnes. Mais nous
allons essentiellement envisager le téléphone en tant
que voie de relation orale entre êtres humains de toutes conditions
et représentations, que voix autorisant bien des transports,
des transferts, des transactions, des transparences paradoxales
et des transgressions, et enfin en tant qu'oreille mise à
disposition des paroles, des âmes, des expressions allant
de la détresse ou lurgence à la quiétude
et à lannonce des nouvelles vraies.
Retrouver
la confiance
Lexistence
dun " non verbal " résolument essentiel
dans la communication entre les personnes est modifiée par
le téléphone. Qui gomme le visuel, du moins en labsence
de technologie encore confidentielle, qui efface la gestuelle, encore
que loreille exercée à lécoute
perçoit mouvements, sourires, agitation, larmes, mais qui
par contre exacerbe et accentue la concentration dans loral
des manifestations. Raclements, cassures de la voix et du rythme,
silences, souffle, bruits environnants, interventions de tiers proches,
raucité, angoisse, tant et tant de perceptions rendues si
utiles pour lécoutant.
Le médecin parmi tant dautres intervenants, sait que
les messages par cette voie ne sont pas les mêmes que ceux
de la consultation directe, du courrier, de la prise de contact
dans un couloir, une chambre
Agressivité de certains
messages, confidentialité extrême dautres, confessions
impossibles dans dautres conditions, demandes irrecevables
tentées malgré tout, intrusion en cours dactes
médicaux, de conversations avec des patients, insistance
abusive, excès de toutes sortes. Le téléphone
devient outil de construction, de proposition, de démolition,
de perforation, douverture, dindiscrétion, selon
ses objectifs conscients ou non, parce que labsence de contrôle
du regard a autorisé certains
débordements,
ou audaces, ou un courage pour un aveu, une confidence impossible
auparavant.
Restaurer
la conscience
Le caractère fondamental de cette voix est si considérable
que, dans nos Facultés, nous bâtissons pour nos étudiants
des exercices téléphoniques les habituant à
gérer lintrusion en cours de consultation de lurgence
rarement vraie mais capable dexister, dun besoin immédiat
à accepter, contrôler, rendre utile, de communication
en phase de détresse, dangoisse, de confidence occasionnelle,
de questionnement jamais osé autrement. Et tout autant de
labus, du sans-gêne, de lexigence, la consultation
par téléphone par économie, la demande de service
intolérable, la " commande par téléphone
des articles de nécessité et de commodité ",
etc.
Prendre aussi une conscience aiguë de la particularité
de cette voix, qui porte tellement de nuances, qui permet tant de
prolongements, qui parfois aura été lexclusif
moment, le seul instant de sa vie où un patient sera parvenu
à évoquer son existence, parce quil ou elle
était protégé(e) par sa voix cachant ses attitudes,
larmes, rougeurs, une gêne effroyable
Et rater cet épisode
était éventuellement oublier son rôle de thérapeute,
rater sa vocation daide aux êtres, passer à côté
des minutes les plus déterminantes dune personne qui
se confie à vos soins. Même si la solution est, parfois,
dajouter " vous ne bougez pas du tout, je vous rappelle
dans cinq minutes, je serai prêt(e) pour vous écouter "
Renforcer
la compétence
Loreille
à lécoute a besoin dêtre formée,
une stratégie est souvent utile et nécessaire pour
poser les questions dans un bon ordre, pour reformuler, savoir canaliser,
interrompre, ou au contraire patienter, accepter, offrir tout le
temps nécessaire. Il est si incroyablement surprenant, lorsquon
a loccasion de travailler dans un service découte,
de constater que lappelant aura, en quelques minutes, apporté
lessentiel, le fondement de sa vie, disant, et chacun sait
que dire est cette base, de son existence ce quil naura
jamais, jamais eu loccasion de livrer durant des décennies,
même à ses proches, son conjoint, et cest à
un inconnu quil dira sans le voir.
Mais le titulaire de loreille à lécoute
noubliera pas sa responsabilité professionnelle, il
demeure responsable de ce que son oreille aura transmis à
sa voix, ce que par cette voie il aura affirmé, préconisé,
conseillé, prescrit, diagnostiqué dans des conditions
aléatoires, des soins urgents mis en uvre, tous éléments
qui pourront lui être juridiquement opposables plus tard.
Avec les difficultés de preuve pour tous les intervenants
Le théâtre sait admirablement utiliser le téléphone
pour faire entrer en scène des personnages non présents
dans leur chair ou leur costume, mais utiles et influents pour lintrigue.
Le praticien évolue en permanence dans ce costume et ce rôle
dacteur. De santé, de soins. Et lui également,
dans son théâtre du quotidien, laisse entrer de très
nombreux personnages, bouleversant sa vie et la leur, bousculant
son emploi du temps, engageant sa responsabilité, et nécessitant
une formation de son personnel au filtre, à lécoute,
et pour lui-même la conscience daspects irremplaçables
parfois dun canal de communication aigu.
Os
court:
<< Le meilleur moyen de ne pas être dérangé
par le téléphone est dêtre en dérangement
>> . Fernand
Raynaud
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