ARCHIVES DE LA LEM
N°256 à 259
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Lettre d'Expression médicale n°256

Hebdomadaire francophone de santé
26 Août 2002

Mi-fugue, mi-raisins
Dr Jacques Blais

Il ne s’agira pas seulement d’une allusion à ces programmes moitié-moitié ,mettant en évidence un doute, une approximation, en un mélange contrasté de deux fruits, mais d’une réflexion sur les conséquences liées à la grande fugue estivale des personnels soignants et des patients vers les lieux de vacances, avec toutes les raisons pour entraîner ainsi un désastre prévisible dont se font écho les médias.
Leitmotiv actuel de la presse écrite et des actualités audiovisuelles, le thème du " plan d’urgence pour les urgences " amène trois réflexions successives et intriquées : il existe une crise de confiance évidente, qui nécessite une prise de conscience manifeste, pour que la situation ne frise l’incompétence à terme.
Comme toujours, et nous ne cessons ici de pointer les conséquences d’une politique de santé irréfléchie depuis 15 ans, tout cela était prévisible, lisible à travers bien des signes, et comme à l’habitude au centre du problème se situe la question du budget, des crédits, entre autres.

Retrouver la confiance:
Un chef de service urgentiste de banlieue l’écrivait hier dans la presse régionale, une crise des vocations énorme existe. Et il citait un seul chiffre : exiger d’un médecin affecté aux urgences d’un hôpital qu’il travaille, en pratique (car naturellement ce n’est pas une profession qui abandonne les patients en cours de route, en dépit des absences de collègues, manques d’effectif, heures supplémentaires non réglées, carence absolue de personnel intérimaire, etc) 12 heures par jour pour 1677 euros de salaire mensuel ne risque pas d’attirer des candidats.
Un jeune médecin peut être passionné, dévoué, l’époque actuelle ne privilégie pas une orientation vers une incroyable surcharge de travail, avec des responsabilités vitales aiguës, alors même que la nation entière est en congés, sans un rigoureux minimum de motivation au moins financière, de compensations diverses, de considération, de perspectives d’avenir.
Actuellement soyons lucides, la situation des personnels soignants de tout grade est intolérable, ingérable, inacceptable, travailler en surcharge perpétuelle au risque de sa santé, voire de sa vie (trois internes de la région rennaise se sont endormis au volant ces derniers mois au retour de gardes de 48 heures d’affilée, la presse s’est emparée de cette information), dans une atmosphère malsaine d’agressivité verbale ou physique, d’inconfort pour des patients en attente dans les couloirs, d’insatisfaction quant à la qualité des soins n’est pas digne d’un pays qui se proclame civilisé, ou qui prétend se préoccuper de ses citoyens

Restaurer la conscience:
Le monde a changé. Notre génération à nous, la précédente, apprenait son métier sur le tas, le remplacement d’été était et formateur et rémunérateur. Quand un praticien passait une annonce pour se faire remplacer en août il y a 20 ans, il obtenait 50 réponses de candidatures d’étudiants. Depuis 10 ans, un seul remplaçant potentiel aura le choix entre 50 propositions de médecins installés, cela devient un marché. Les étudiants de troisième cycle de médecine générale apprennent, heureusement, leur métier lors de leur stage chez le praticien, et ils sont non moins heureusement rémunérés par des congés payés comme tout travailleur. Dès lors, un généraliste installé perd moins d’argent à fermer son cabinet en août qu’à reverser la presque totalité des honoraires à un hypothétique remplaçant s’il a la chance inouïe d’en trouver un, en assurant les frais du cabinet à sa charge à lui.
Le monde a changé du côté des patients aussi. La médecine est devenu un service, un hypermarché du soin, et nombre de patients, certes pas tous, vont au plus rapide, au plus facile, au moins cher. Soyons lucides, de nouveau ce mot : se rendre dans un service d’urgences, pour bien des patients, est un moyen d’être obligatoirement reçu le jour même (quitte à attendre trois heures, mais sans obligation de rendez-vous) et souvent de ne rien avoir à régler sur le champ, la facture arrivant plus tard par le biais de la perception. Et dernier point, la médiatisation de la santé a accru l’angoisse considérablement, la peur de la mort est omniprésente, pour bien des êtres en souffrance même " banale " si cela existe, passagère au moins, une réponse immédiate, correspondant à l’état d’esprit d’une époque, est indispensable. La réponse compte maintenant plus que le soin. Ou bien, pour exprimer cela autrement, la traduction en information et connaissance prime en immédiat sur le soin technique, dans l’esprit des intéressés. Bien des personnes faisant appel à un médecin de nuit en ville (et la gratuité de fait, par le biais des mutuelles, de la CMU(1), du tiers-payant, y pousse terriblement) n’iront pas chercher la prescription, la réponse rassurante et explicative du praticien leur aura suffi.

Renforcer la compétence:
D’innombrables questions se posent. Un médecin est-il encore compétent au bout de 48 heures sans dormir ? L’infirmière est-elle toujours aussi réceptive à son 50ème patient de sa garde aux urgences ? Un couloir ou un cagibi est-il le meilleur endroit pour recevoir des soins dans un hôpital ? Le va et vient incessant des pompiers, de la police, les arrivées des blessés en même temps que les parturientes, les personnes en état d’ivresse, les toxicomanes et autres états psychiatriques aigus, les enfants fiévreux, les pathologies graves réelles, les urgences cardiologiques, etc, cet ensemble constitue-t-il une condition optimale d’apport de soins construits, objectifs, adaptés, efficaces, hiérarchisés ? Enfin un patient qui téléphone dans un service spécialisé d’un hôpital (exemple réel d’avant-hier) pour " obtenir un renouvellement par correspondance d’un médicament pour sa prostate, parce que son médecin traitant est bien entendu en vacances " est-il tant soit peu conscient d’une anomalie, d’un décalage, ou juste demandeur auprès d’un service gratuit sans réfléchir une seconde ?
Le ministère de la Santé a promis un repos compensatoire aux internes, il a promis un rattrapage financier des RTT(2) impossibles à prendre pour les médecins hospitaliers, il étudie des mesures pour introduire des généralistes dans l’accueil des urgences. Reste le problème des heures supplémentaires des secrétariats et infirmières, depuis les 35 heures (2), reste à rémunérer décemment les généralistes invités à s’associer à la gestion des urgences, si l’on veut les intéresser. Oui, il est nécessaire de parler d’argent sans cesse, vous l’avez remarqué ?
Et oui, depuis 15 ans, nous ne cessons une minute de dire et redire que le système de Santé ne peut correctement fonctionner qu’au prix d’une politique démontrant que la médecine de soins apparaît comme réellement importante, voire digne, ou indispensable, au yeux du monde politique et financier.
Lucidité encore : nous en sommes extrêmement éloignés. La finance, la Bourse, sont infiniment plus étudiées, soignées, que les êtres humains, et jusqu’à présent, depuis 15 ans, tous les personnels soignants de tous les niveaux sont l’objet au mieux d’une ignorance absolue et volontaire, au pire d’un mépris et d’un massacre méticuleux des décideurs politiques.
Aux dernières nouvelles, vous revenez de vacances pour le Conseil de la fin Août, cher Monsieur Mattéi (4)? Bon courage, donnez confiance, prenez conscience, montrez votre compétence, merci d’avance, la France malade vous attend.
Notes de la rédation pour nos lecteurs ne vivant pas en France :
1) On désigne par CMU, le concept - d’un grandiose à vous couper le souffle- de couverture maladie universelle. En fait, c’est une assurance maladie gratuite pour les gens sans revenu suffisant.
2) Toujours dans les hyperboles langagières de nos fonctionnaires, la RTT est la récupération du temps de travail. Ce temps hebdomadaire est fixé par la loi à 35 heures. Le temps supplémentaire travaillé est censé donner lieu à une “récupération”. En creux, transparaît clairement l’idéologie implicite que travailler est vraiment perdre un temps de vie qui doit être récupéré.
3) Jean-François Mattéi, professeur de médecine, est l’actuel ministre de la santé.

l'os court : << L’homme public ne monte jamais si haut que lorsqu’il ne sait pas où il va>>   Cardinal de Retz


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Lettre d'Expression médicale n°257

Hebdomadaire francophone de santé
2 Septembre 2002

Drogue et drogues, mon avis
par Mulot (*)

Mon propos concerne une réflexion du non médecin que je suis sur la (les) drogue(s).
On stigmatise un peu partout les utilisateurs de drogue (cannabis, héroïne, etc...). On met en avant leur irresponsabilité. Vous remarquerez qu'il s'agit d'un jugement moral sur une addiction. En quelque sorte, la société laïque nous dit qu'il s'agit d'un péché sans préciser contre quel "article de foi" est le péché. Cet article est supposé connu de tous.

Retrouver la confiance:
Dans le common knowledge (je ne sais s'il existe un "savoir commun", une "vulgate des connaissances" qui rendrait cet anglicisme), on ne compte pas parmi les drogues les produits sur lesquels l'Etat perçoit des droits et des taxes : l’alcool et le tabac.
On commence à concevoir plus clairement depuis trente ans que l'alcool produit une dépendance mais la majeure partie des thérapies fut longtemps basée sur la volonté du malade (Alcooliques Anonymes, Croix Bleue, etc.. ). Pourtant la dépendance retire au patient dépendant tout libre arbitre donc toute possibilité de responsabilité, sauf héroïsme dont son entourage se ressent. Les traitements médicamenteux contre l'alcoolisme sont mal ou non remboursés par les assurances sociales alors que tous les traitements substitutifs des autres drogues (hero) sont remboursés sans problème.

Restaurer la conscience:
En ce qui concerne le tabac, c'est toujours sevrage sans aide de médicaments, ou directement payés de la poche du drogué. Outre le fait que l'abstinent devient facilement agressif sous l'effet du manque, (son entourage s'interdit moralement de le lui reprocher et continue d'être "martyr"), il devient un militant exacerbé de la cause anti-tabac. Là où l'on espérerait le voir se souvenir de l'époque où lui-même était addict et, de ce fait manifester la même écoute que celle pratiquée par les alcooliques anonymes (je me fonde sur le film de Régis Wargnier et sur un livre pour la jeunesse : "Aniella" dont j'ai oublié le nom de l'auteur).
La loi Evin en France stigmatise (et autorise qu'on chasse, y compris de son boulot, le nicotinomane, mais le traitement n'est pris en charge qu'à partir du moment où il est trop tard . Le cancer du poumon est pris en charge à 100%, alors que les chewing-gum de substitution sont aux frais du malade et les soins dentaires qui suivent immanquablement l'utilisation desdits produits (car l'expulsion des plombages est un effet indésirable) sont ridiculement couverts par l’asssurance maladie.

Renforcer la compétence:
La drogue tabac et la drogue alcool ne sont pas prises au sérieux. La maladie dépendance n'est prise au sérieux que pour certains produits. Ceux qui dérentabilisent le malade sans rapporter quoi que ce soit aux caisses de l'Etat. Il est donc des dépendances acceptables à condition que le monde des non-dépendants puisse se défouler sur la personne dépendante comme si une négociation s'était déroulée, de façon implicite, pour arriver à un tel consensus.
Telles sont mes petites réflexions du matin. En ce qui concerne les remboursements de médicaments, il est possible que je me trompe. En revanche, je ne me trompe pas sur le non remboursement des produits destinés au sevrage tabagique et au sevrage sans assistance psychologique ni substitution autre que le gavage dans les "plans de 5 jours".
Il serait aussi intéressant de discuter ensemble de l'instrument de mesure de la considération socialement accordée aux malades dépendants par le biais du remboursement des traitements par les organismes sociaux.
(*) NDLR : Mulot est le nom de plume d’un Internaute qui a fait parvenir ce texte à Exmed. Directement inspiré par le fait que la réglementation intérieure de la société IBM a repris exactement les sévères dispositions légales américaines en ce qui concerne l’usage du tabac. Il est par ailleurs responsable du site pharisienlibere.free.fr qui débat actuellement sur l’anathème et la mort . Nous remerçions Mulot de nous avoir autorisé à publier ici sa lettre très personnelle. Lui répondre à pharisienlibere@free.fr .
FMM

l'os court : << Un médecin est un homme qui verse des drogues qu’il connait peu dans un corps qu’il connait encore moins >>Voltaire


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Lettre d'Expression médicale n°258

Hebdomadaire francophone de santé
11 Septembre 2002

Au coeur du 11 Septembre
par Dr François-Marie Michaut

Tout semble avoir été dit, discuté, montré avec un luxe de détails allant jusqu’à l’écoeurement, depuis les dramatiques attentats qui ont frappé avec une brutalité inimaginable nos amis américains. Harold Burnham, le correspondant d’Exmed outre-Atlantique, en a été le témoin immédiat, il y a un an, jour pour jour. Dès l’annonce de l’effondrement des Tours Jumelles, souvenons-nous. un cri unanime s’est élevé de toutes parts. Plus rien ne sera jamais comme avant, une ère nouvelle du Monde a commencé, nous a-t-on largement prédit. Or, en dehors de ceux qui ont payé et payent interminablement dans leur chair et dans leur esprit le prix de ces actes, qu’est-ce qui a vraiment changé dans le fonctionnement des humains que nous sommes ? En vérité, rien du tout. Nous renâclons toujours, comme des chevaux rétifs, devant la seule question centrale. Celle de la violence, toujours décrite avec complaisance sous le masque de la compassion. Toujours aussi fustigée chez les autres. Toujours aussi justifiée chez les siens. Le grand Satan contre l’empire du Mal. Mani n’est pas mort.

Retrouver la confiance:
Pourquoi cette violence est-elle en nous, et, si nous regardons bien, en chacun de nous, aussi “doux” soyons-nous ? Cela fait-il partie de notre physiologie ou de notre héritage génétique, ce désir de dominer les autres ? En vérité, en dehors des études des réactions au stress, la science ne nous éclaire guère. L’abord moral, aussi tentant soit-il, ne nous mène pas plus loin. A quoi sert donc aux hommes cette violence, qui leur est propre ? Avec René Girard, une hypothèse a été lancée il y a 30 ans. Tellement dérangeante que bien peu se sont hasardés à seulement la discuter. La voici schématiquement (*). Dans une communauté en danger de disparition du fait de ses divisions et de ses luttes internes, c’est seulement par l’union de tous contre un seul, en le chargeant de tous les mots du groupe, puis en le tuant collectivement que la paix et l’unité du groupe peuvent revenir. La victime ( toujours innocente comme le bouc émissaire) est ainsi sacrifiée. C’est à dire, le mot le dit bien : rendue sacrée, surhumaine. Sa mise à mort en a fait une divinité qui protège la concorde ... jusqu’à la prochaine crise du groupe.
 
Renforcer la compétence:
Les analogies avec ce que nous vivons sont troublantes. Deux grandes forces s’affrontent ouvertement . L’une se réclame d’un Coran à l’allure dominatrice. L’autre d’un affairisme à visée planétaire, teinté de quelques notions chrétiennes empruntées à la Bible. Ils sont étrangement semblables. En quoi ? Leur état actuel de délitement interne, qui leur fait perdre tout sens et toute unité vraie. De chaque côté des martyrs - dont certains “se sacrifient” eux-mêmes, sont également mis en avant, pour convaincre les membres des deux communautés de la supériorité absolue de leur position. Hélas, tout cela est d’une fragilité de verre. La levée de boucliers antiaméricaine des opinions en terres d’Islam n’a pas fait plus long feu que le sursaut de patriotisme des fils de l’oncle Sam. Les divinités créées de part et d’autre par ces violences ne sont pas parvenues à un résultat manifeste, celui de resouder durablement leur communauté. Il reste alors deux solutions possibles. Soit se lancer dans une violence réciproque encore plus destructive, qu’il n’est point besoin, hélas, de détailler. Soit se décider enfin à comprendre que les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets, toute forme de domination, de la plus brutale à la plus cachée, ne peut qu’entraîner encore plus de destruction des hommes. La misère économique crée le terreau des utilisateurs du terrorisme ? Le matérialisme écrasant de nos pays foule aux pieds la dimension spirituelle dont nous avons un besoin vital pour exister ? Portons-y, chacun dans notre modeste petite sphère personnelle, les vrais remèdes qui s’imposent.
(*) René Girard, La violence et le sacré ( Grasset, 1972)

l'os court : << La vie est un compte de faits >> Henri Jeanson


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Lettre d'Expression médicale n°259

Hebdomadaire francophone de santé
16 Septembre 2002

Vocabulaire en C
Dr Jacques Blais

Nous allons nous livrer à un petit exercice de vocabulaire, portant sur des mots ordinaires, bien entendus sélectionnés, et qui se trouvent aujourd'hui appartenir à l'initiale "C". Il s'agira de Clairvoyance, de Confort, et puis de Collectif, de Choix, et enfin de Concurrence. Sachant que nous avons déjà évoqué, dans les années passées, plusieurs de ces sujets sur cet écran, mais opérons comme une sorte de réactualisation ou de mise au point.


Retrouver la confiance:
Entamons cette étude de l'idée de Clairvoyance par des rappels. Dès l'instauration de la CMU (Couverture Maladie Universelle) permettant aux personnes situées en dessous d'un seuil déterminé de revenus de bénéficier de soins médicaux gratuits, j'avais éprouvé le besoin, dans maints éditoriaux de la presse médicale et dans plusieurs textes ici même, d'attirer l'attention sur un phénomène paraissant très rapidement évident : le risque prudemment évoqué d'abord, et la certitude expérimentale ensuite, que les dispositions de cette mesure allaient entraîner un dévoiement, une déviance, de l'utilisation de ces soins. D'emblée je répète ce que je soulignais à l'époque : cette mesure a été absolument salutaire pour bien des personnes qui sans cela n'auraient pu être soignées, il était nécessaire de l'inventer, et sur le plateau opposé de la balance, il était aveuglément naïf et irresponsable de la proposer sans contrepartie de contrôle à l'utilisation par la Caisse d'Assurance Maladie.
Cette dernière vient de publier une étude (Quotidien du Médecin du 10 09 02) qui démontre enfin ce que nous annoncions par expérience de terrain. Dès la première année de mise en route, les titulaires de la CMU ont dépensé 30 % de plus que les assurés du régime général, et actuellement leur surcroît de consommation à âge et sexe égal atteint + 82 %. Je tiens à le répéter, cette mesure était logique, utile, indispensable, mais l'absence du moindre contrôle vis à vis des usagers a abouti très vite à la possibilité pour des individus sans scrupules, il en est partout, de se rendre 6 fois dans la même semaine chez 6 praticiens différents, en toute gratuité, pour se constituer des stocks de médicaments à expédier ensuite dans leurs pays d'origine. Ou d'autres à tout simplement utiliser le cabinet médical, pour cause de gratuité absolue, comme une escale pluri hebdomadaire de chaleur, d'attente en bavardant avec d'autres, ou de simple vérification "juste pour voir si tout va bien docteur, d'ailleurs je vous ai amené les quatre enfants cette semaine". Toutes les nuances existent, la précarité fragilise, pénalise les défenses, augmente le risque de dépression, etc. Mais la liberté totale sans contrôle explique probablement 50 de ces 82 % d'excès au total...
Ayant souvent insisté sur ces points, je ne veux pas alourdir encore. Simplement rappeler que la plus élémentaire clairvoyance de la part des autorités responsables, politiques, financières, administratives, consistait à devancer, et à effectuer les mêmes contrôles à l'encontre des utilisateurs que ceux exercés sur les prescripteurs de soins médicaux. Une évidence : nombre d'assurés relevant de la CMU utilisent parfaitement scrupuleusement leurs droits, avec honnêteté, probité. Mais les faits chiffrés parlent, la gratuité transforme ce qui s'appelait autrefois l'accès aux soins en ce qui est nommé maintenant bénéfice secondaire. Toujours le vocabulaire. 82 % ne constituent plus un hasard, mais un constat méritant une réflexion aiguë.
Le mot Confort s'applique à une autre mesure dont vous avez entendu l'annonce. Désormais toutes les visites à domicile ne seront plus remboursées automatiquement, mais évaluées selon leur justification. Là aussi, combien de fois ne sommes nous revenus sur ce sujet ? Deux tiers des appels à domicile du médecin sont liés à des demandes de confort personnel, et non d'incapacité à se déplacer. "Je n'ai pas envie d'attendre une heure et demie chez le médecin". "MOI je suis très occupé, j'ai une affaire à gérer, alors pour mon mal de gorge, j'appelle le médecin de garde de nuit à 6h30 le matin, il est bien obligé de venir et comme cela je prends mon RER à 8h et suis à mon travail à l'heure. Cela ne me coûte rien, ma Mutuelle paie la différence" (propos authentiques d'un cadre supérieur) "Oui, hier à 23 heures, ma copine s'aperçoit que sa boîte de pilules était vide, alors on a appelé le médecin de garde, et elle a donné sa carte de CMU pour ne pas payer la visite, ensuite j'ai filé chez le pharmacien de nuit en dessous acheter une plaquette" (Non moins authentique) Et combien de secrétaires ou de conjointes collaboratrices n'ont-elles entendu tous ces prétextes : "s'il vous plaît, qu'il ne vienne pas avant 11 heures, avant je suis au marché" " vous lui préciserez bien, pas entre 14 et 17 heures, elle ne me trouverait pas, je serai chez le coiffeur, d'accord ?"   "qu'il n'arrive pas comme la dernière fois à 18h30, il y a Questions pour un champion, et puis juste après nous dînons, qu'il vienne avant, ou alors un autre jour, l'après-midi !!"
Depuis 15 ans, j'ai dû écrire tant d'éditoriaux sur le sujet, réclamant une case spéciale à cocher sur la feuille de maladie par le praticien, qui signifierait "visite à domicile non justifiée, abusive, ne pas rembourser le déplacement"

Restaurer la conscience:
La même lucidité est à appliquer quant au mot Collectif. Les usagers de notre système d'Assurance maladie ont été si gâtés qu'ils en sont gâchés. L'individu, par une logique s'appliquant à la personne, ne fonctionne qu'en fonction de l'unité MOI JE, ne réfléchissant jamais sur l'ajout de ses dépenses personnelles aux autres, leur justification par rapport à une moyenne, ou leurs exigences égocentriques au point de devoir répliquer par des réflexions qui, si elles sont d'ordre éthique pour le soignant, semblent appartenir à la morale pour le patient. Quand, dans un service de régulation téléphonique des appels de consultation d'un service de très haute technicité, la conjointe appelle pour son époux, en annonçant : "mon mari ne VEUT que le Professeur,  ça il a bien insisté pour que je vous le dise !!" le médecin régulateur se trouve acculé à une réponse moraliste, et collectiviste : voyez vous Madame, j'ai parfaitement entendu votre demande, mais d'après vos réponses à mes questions concernant les résultats d'examens de votre mari, en particulier sa biopsie, il souffre d'une pathologie bénigne, et trouvera un thérapeute adapté proche de chez vous, par contre si j'accepte de le placer comme vous y insistez dans les rendez-vous du Professeur, vous priverez un autre patient, atteint lui d'un cancer et résidant dans une région où les traitements ne seront pas adéquats pour des raisons d'équipement, de soins non seulement appropriés mais indispensables, alors raisonnons en collectif, si vous le voulez bien !"
Ceci, au risque de choquer, est valable pour certains praticiens. Un médecin convoqué par une Commission pour un bilan de ses statistiques d'activité en matière de dépenses excessif par exemple en demandes d'examens complémentaires va parfois crier au scandale. "MOI JE n'ai que des patients âgés dans ma clientèle, alors forcément..."  Alors qu'il pourra aisément lui être répliqué : cher confrère, la Commission va vous montrer des études portant sur d'autres praticiens ayant le même âge que vous, travaillant dans la même région, avec le même profil de clientèle, mais voilà, eux ne dépassent aucunement la moyenne statistique régionale dans ce type de prescription. Il nous faut donc admettre, et vous le premier, que quelque chose est à revoir dans votre Formation Continue, ou votre angoisse professionnelle personnelle, ou votre adaptation à la notion d'utilité, de justification, de preuves..." De même que les usagers en notable excès de dépenses sont peu nombreux, les médecins prescripteurs excessifs aussi.
Le mot de Choix est encore dépendant de l'appréciation personnelle des critères d'importance majeurs et mineurs. Un patient appelle pour un rendez-vous dans un service de cancérologie chirurgicale : "Voilà, j'ai un cancer de la prostate à opérer, il ME FAUT un rendez-vous entre le 17 et le 28 ce mois-ci".  "Monsieur, avec la meilleure volonté du monde, la demande pour le même problème que vous est telle que le mieux à vous proposer sera le 6 du mois prochain"   "Ah oui, mais si je vous demande cela, c'est que je serai en vacances à cette date là" (autres options, j'aurai mes petits-enfants à garder, un déplacement chez des cousins, un week-end au Futuroscope...) "j'ai compris Monsieur, mais si je peux me permettre, il y a ici alors une question d'appréciation des priorités, qui sont de votre choix, c'est à vous de décider ce qui est important et ce qui l'est moins, et pourra être négocié, décalé, arrangé, modifié..."

Renforcer la compétence:
Le dernier mot est celui de Concurrence. Les usagers ont vécu des années d'or, où si le docteur Z. n'était pas instantanément disponible, ou s'entêtait à refuser l'arrêt de travail, ou récusait le scanner alors que dans le magazine il y avait bien marqué que c'était indispensable, ou si le docteur G. ne voulait jamais inscrire les médicaments pour le chien sur l'ordonnance à cent pour cent de la grand-mère, si le docteur B, juste à côté n'acceptait pas de dispenser Magali de gymnastique "alors qu'elle perd son temps au lieu de réviser ses maths", s'il ne voulait pas non plus couvrir l'absence inexcusée de Matthieu "alors qu'il s'agit juste de deux jours, et en plus cela tombait sur géographie, espagnol et philo, des bricoles quoi", dans tous ces cas les patients allaient ailleurs.
Actuellement, les médecins vont terriblement, dramatiquement, manquer dans toutes les disciplines, et ce même mot devra s'appliquer sous forme de rigueur aux dépenses, aux demandes inconsidérées, aux traitements inutiles, aux examens n'apportant aucun renseignement prouvé et évalué. Ne nous leurrons pas, l'affaire récente de l'Indre montre que, même parmi les praticiens, une infime minorité profite de situations permettant des formes d'escroquerie, mais ne nous trompons pas non plus sur les objectifs, une gestion saine des budgets nécessitera forcément d'intensifier les contrôles autant des usagers, ce sera un fait très nouveau, que des praticiens, déjà accoutumés à cela.
Et l'avenir est à nos étudiants, dans cette clairvoyance. La pédagogie est de plus en plus affûtée à leur égard, avec un enseignement "en situation" par les stages, par les techniques de jeux de rôles, par les évaluations en consultations simulées avec acteurs, par l'apprentissage essentiel au delà du savoir, de l'essentiel, le relationnel, le savoir être, la communication. Tiens, encore un autre mot en "C".

Os court:  A l’hôpital : << Consulter : demander à quelqu’un d’être de notre avis>> Adrien Decourcelle