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Lettre
d'Expression médicale n°256
Hebdomadaire
francophone de santé
26 Août 2002
Mi-fugue,
mi-raisins
Dr Jacques
Blais
Il
ne sagira pas seulement dune allusion à ces programmes
moitié-moitié ,mettant en évidence un doute,
une approximation, en un mélange contrasté de deux
fruits, mais dune réflexion sur les conséquences
liées à la grande fugue estivale des personnels soignants
et des patients vers les lieux de vacances, avec toutes les raisons
pour entraîner ainsi un désastre prévisible
dont se font écho les médias.
Leitmotiv actuel de la presse écrite et des actualités
audiovisuelles, le thème du " plan durgence
pour les urgences " amène trois réflexions
successives et intriquées : il existe une crise de confiance
évidente, qui nécessite une prise de conscience manifeste,
pour que la situation ne frise lincompétence à
terme.
Comme toujours, et nous ne cessons ici de pointer les conséquences
dune politique de santé irréfléchie depuis
15 ans, tout cela était prévisible, lisible à
travers bien des signes, et comme à lhabitude au centre
du problème se situe la question du budget, des crédits,
entre autres.
Retrouver
la confiance:
Un
chef de service urgentiste de banlieue lécrivait hier
dans la presse régionale, une crise des vocations énorme
existe. Et il citait un seul chiffre : exiger dun médecin
affecté aux urgences dun hôpital quil travaille,
en pratique (car naturellement ce nest pas une profession
qui abandonne les patients en cours de route, en dépit des
absences de collègues, manques deffectif, heures supplémentaires
non réglées, carence absolue de personnel intérimaire,
etc) 12 heures par jour pour 1677 euros de salaire mensuel ne risque
pas dattirer des candidats.
Un jeune médecin peut être passionné, dévoué,
lépoque actuelle ne privilégie pas une orientation
vers une incroyable surcharge de travail, avec des responsabilités
vitales aiguës, alors même que la nation entière
est en congés, sans un rigoureux minimum de motivation au
moins financière, de compensations diverses, de considération,
de perspectives davenir.
Actuellement soyons lucides, la situation des personnels soignants
de tout grade est intolérable, ingérable, inacceptable,
travailler en surcharge perpétuelle au risque de sa santé,
voire de sa vie (trois internes de la région rennaise se
sont endormis au volant ces derniers mois au retour de gardes de
48 heures daffilée, la presse sest emparée
de cette information), dans une atmosphère malsaine dagressivité
verbale ou physique, dinconfort pour des patients en attente
dans les couloirs, dinsatisfaction quant à la qualité
des soins nest pas digne dun pays qui se proclame civilisé,
ou qui prétend se préoccuper de ses citoyens
Restaurer
la conscience:
Le
monde a changé. Notre génération à nous,
la précédente, apprenait son métier sur le
tas, le remplacement dété était et formateur
et rémunérateur. Quand un praticien passait une annonce
pour se faire remplacer en août il y a 20 ans, il obtenait
50 réponses de candidatures détudiants. Depuis
10 ans, un seul remplaçant potentiel aura le choix entre
50 propositions de médecins installés, cela devient
un marché. Les étudiants de troisième cycle
de médecine générale apprennent, heureusement,
leur métier lors de leur stage chez le praticien, et ils
sont non moins heureusement rémunérés par des
congés payés comme tout travailleur. Dès lors,
un généraliste installé perd moins dargent
à fermer son cabinet en août quà reverser
la presque totalité des honoraires à un hypothétique
remplaçant sil a la chance inouïe den trouver
un, en assurant les frais du cabinet à sa charge à
lui.
Le monde a changé du côté des patients aussi.
La médecine est devenu un service, un hypermarché
du soin, et nombre de patients, certes pas tous, vont au plus rapide,
au plus facile, au moins cher. Soyons lucides, de nouveau ce mot :
se rendre dans un service durgences, pour bien des patients,
est un moyen dêtre obligatoirement reçu le jour
même (quitte à attendre trois heures, mais sans obligation
de rendez-vous) et souvent de ne rien avoir à régler
sur le champ, la facture arrivant plus tard par le biais de la perception.
Et dernier point, la médiatisation de la santé a accru
langoisse considérablement, la peur de la mort est
omniprésente, pour bien des êtres en souffrance même
" banale " si cela existe, passagère
au moins, une réponse immédiate, correspondant à
létat desprit dune époque, est indispensable.
La réponse compte maintenant plus que le soin. Ou bien, pour
exprimer cela autrement, la traduction en information et connaissance
prime en immédiat sur le soin technique, dans lesprit
des intéressés. Bien des personnes faisant appel à
un médecin de nuit en ville (et la gratuité de fait,
par le biais des mutuelles, de la CMU(1), du tiers-payant, y pousse
terriblement) niront pas chercher la prescription, la réponse
rassurante et explicative du praticien leur aura suffi.
Renforcer
la compétence:
Dinnombrables
questions se posent. Un médecin est-il encore compétent
au bout de 48 heures sans dormir ? Linfirmière
est-elle toujours aussi réceptive à son 50ème
patient de sa garde aux urgences ? Un couloir ou un cagibi
est-il le meilleur endroit pour recevoir des soins dans un hôpital ?
Le va et vient incessant des pompiers, de la police, les arrivées
des blessés en même temps que les parturientes, les
personnes en état divresse, les toxicomanes et autres
états psychiatriques aigus, les enfants fiévreux,
les pathologies graves réelles, les urgences cardiologiques,
etc, cet ensemble constitue-t-il une condition optimale dapport
de soins construits, objectifs, adaptés, efficaces, hiérarchisés ?
Enfin un patient qui téléphone dans un service spécialisé
dun hôpital (exemple réel davant-hier)
pour " obtenir un renouvellement par correspondance dun
médicament pour sa prostate, parce que son médecin
traitant est bien entendu en vacances " est-il tant soit
peu conscient dune anomalie, dun décalage, ou
juste demandeur auprès dun service gratuit sans réfléchir
une seconde ?
Le ministère de la Santé a promis un repos compensatoire
aux internes, il a promis un rattrapage financier des RTT(2) impossibles
à prendre pour les médecins hospitaliers, il étudie
des mesures pour introduire des généralistes dans
laccueil des urgences. Reste le problème des heures
supplémentaires des secrétariats et infirmières,
depuis les 35 heures (2), reste à rémunérer
décemment les généralistes invités à
sassocier à la gestion des urgences, si lon veut
les intéresser. Oui, il est nécessaire de parler dargent
sans cesse, vous lavez remarqué ?
Et oui, depuis 15 ans, nous ne cessons une minute de dire et redire
que le système de Santé ne peut correctement fonctionner
quau prix dune politique démontrant que la médecine
de soins apparaît comme réellement importante, voire
digne, ou indispensable, au yeux du monde politique et financier.
Lucidité encore : nous en sommes extrêmement éloignés.
La finance, la Bourse, sont infiniment plus étudiées,
soignées, que les êtres humains, et jusquà
présent, depuis 15 ans, tous les personnels soignants de
tous les niveaux sont lobjet au mieux dune ignorance
absolue et volontaire, au pire dun mépris et dun
massacre méticuleux des décideurs politiques.
Aux dernières nouvelles, vous revenez de vacances pour le
Conseil de la fin Août, cher Monsieur Mattéi (4)?
Bon courage, donnez confiance, prenez conscience, montrez votre
compétence, merci davance, la France malade vous attend.
Notes de la rédation pour nos lecteurs ne vivant pas
en France :
1) On désigne par CMU, le concept - dun grandiose à
vous couper le souffle- de couverture maladie universelle. En fait,
cest une assurance maladie gratuite pour les gens sans revenu
suffisant.
2) Toujours dans les hyperboles langagières de nos fonctionnaires,
la RTT est la récupération du temps de travail. Ce
temps hebdomadaire est fixé par la loi à 35 heures.
Le temps supplémentaire travaillé est censé
donner lieu à une récupération.
En creux, transparaît clairement lidéologie implicite
que travailler est vraiment perdre un temps de vie qui doit être
récupéré.
3) Jean-François Mattéi, professeur de médecine,
est lactuel ministre de la santé.
l'os
court :
<< Lhomme public ne monte jamais si haut que lorsquil
ne sait pas où il va>> Cardinal
de Retz
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Lettre
d'Expression médicale n°257
Hebdomadaire
francophone de santé
2 Septembre 2002
Drogue et drogues, mon avis
par
Mulot (*)
Mon
propos concerne une réflexion du non médecin que je
suis sur la (les) drogue(s).
On stigmatise un peu partout les utilisateurs de drogue (cannabis,
héroïne, etc...). On met en avant leur irresponsabilité.
Vous remarquerez qu'il s'agit d'un jugement moral sur une addiction.
En quelque sorte, la société laïque nous dit
qu'il s'agit d'un péché sans préciser contre
quel "article de foi" est le péché. Cet
article est supposé connu de tous.
Retrouver
la confiance:
Dans
le common knowledge (je ne sais s'il existe un "savoir commun",
une "vulgate des connaissances" qui rendrait cet anglicisme),
on ne compte pas parmi les drogues les produits sur lesquels l'Etat
perçoit des droits et des taxes : lalcool et le tabac.
On commence à concevoir plus clairement depuis trente ans
que l'alcool produit une dépendance mais la majeure partie
des thérapies fut longtemps basée sur la volonté
du malade (Alcooliques Anonymes, Croix Bleue, etc.. ). Pourtant
la dépendance retire au patient dépendant tout libre
arbitre donc toute possibilité de responsabilité,
sauf héroïsme dont son entourage se ressent. Les traitements
médicamenteux contre l'alcoolisme sont mal ou non remboursés
par les assurances sociales alors que tous les traitements substitutifs
des autres drogues (hero) sont remboursés sans problème.
Restaurer
la conscience:
En
ce qui concerne le tabac, c'est toujours sevrage sans aide de médicaments,
ou directement payés de la poche du drogué. Outre
le fait que l'abstinent devient facilement agressif sous l'effet
du manque, (son entourage s'interdit moralement de le lui reprocher
et continue d'être "martyr"), il devient un militant
exacerbé de la cause anti-tabac. Là où l'on
espérerait le voir se souvenir de l'époque où
lui-même était addict et, de ce fait manifester la
même écoute que celle pratiquée par les alcooliques
anonymes (je me fonde sur le film de Régis Wargnier et sur
un livre pour la jeunesse : "Aniella" dont j'ai oublié
le nom de l'auteur).
La loi Evin en France stigmatise (et autorise qu'on chasse, y compris
de son boulot, le nicotinomane, mais le traitement n'est pris en
charge qu'à partir du moment où il est trop tard .
Le cancer du poumon est pris en charge à 100%, alors que
les chewing-gum de substitution sont aux frais du malade et les
soins dentaires qui suivent immanquablement l'utilisation desdits
produits (car l'expulsion des plombages est un effet indésirable)
sont ridiculement couverts par lasssurance maladie.
Renforcer
la compétence:
La
drogue tabac et la drogue alcool ne sont pas prises au sérieux.
La maladie dépendance n'est prise au sérieux que pour
certains produits. Ceux qui dérentabilisent le malade sans
rapporter quoi que ce soit aux caisses de l'Etat. Il est donc des
dépendances acceptables à condition que le monde des
non-dépendants puisse se défouler sur la personne
dépendante comme si une négociation s'était
déroulée, de façon implicite, pour arriver
à un tel consensus.
Telles sont mes petites réflexions du matin. En ce qui concerne
les remboursements de médicaments, il est possible que je
me trompe. En revanche, je ne me trompe pas sur le non remboursement
des produits destinés au sevrage tabagique et au sevrage
sans assistance psychologique ni substitution autre que le gavage
dans les "plans de 5 jours".
Il serait aussi intéressant de discuter ensemble de l'instrument
de mesure de la considération socialement accordée
aux malades dépendants par le biais du remboursement des
traitements par les organismes sociaux.
(*) NDLR : Mulot est le nom de plume dun Internaute qui a
fait parvenir ce texte à Exmed. Directement inspiré
par le fait que la réglementation intérieure de la
société IBM a repris exactement les sévères
dispositions légales américaines en ce qui concerne
lusage du tabac. Il est par ailleurs responsable du site pharisienlibere.free.fr
qui débat actuellement sur lanathème et la mort
. Nous remerçions Mulot de nous avoir autorisé à
publier ici sa lettre très personnelle. Lui répondre
à pharisienlibere@free.fr
.
FMM
l'os
court :
<< Un médecin est un homme qui verse des drogues quil
connait peu dans un corps quil connait encore moins >>Voltaire
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Lettre
d'Expression médicale n°258
Hebdomadaire
francophone de santé
11 Septembre 2002
Au coeur du 11 Septembre
par
Dr François-Marie Michaut
Tout
semble avoir été dit, discuté, montré
avec un luxe de détails allant jusquà lécoeurement,
depuis les dramatiques attentats qui ont frappé avec une
brutalité inimaginable nos amis américains. Harold
Burnham, le correspondant dExmed outre-Atlantique, en a été
le témoin immédiat, il y a un an, jour pour jour.
Dès lannonce de leffondrement des Tours Jumelles,
souvenons-nous. un cri unanime sest élevé de
toutes parts. Plus rien ne sera jamais comme avant, une ère
nouvelle du Monde a commencé, nous a-t-on largement prédit.
Or, en dehors de ceux qui ont payé et payent interminablement
dans leur chair et dans leur esprit le prix de ces actes, quest-ce
qui a vraiment changé dans le fonctionnement des humains
que nous sommes ? En vérité, rien du tout. Nous renâclons
toujours, comme des chevaux rétifs, devant la seule question
centrale. Celle de la violence, toujours décrite avec complaisance
sous le masque de la compassion. Toujours aussi fustigée
chez les autres. Toujours aussi justifiée chez les siens.
Le grand Satan contre lempire du Mal. Mani nest pas
mort.
Retrouver
la confiance:
Pourquoi cette violence est-elle en nous, et, si nous regardons
bien, en chacun de nous, aussi doux soyons-nous ? Cela
fait-il partie de notre physiologie ou de notre héritage
génétique, ce désir de dominer les autres ?
En vérité, en dehors des études des réactions
au stress, la science ne nous éclaire guère. Labord
moral, aussi tentant soit-il, ne nous mène pas plus loin.
A quoi sert donc aux hommes cette violence, qui leur est propre
? Avec René Girard, une hypothèse a été
lancée il y a 30 ans. Tellement dérangeante que bien
peu se sont hasardés à seulement la discuter. La voici
schématiquement (*). Dans une communauté en danger
de disparition du fait de ses divisions et de ses luttes internes,
cest seulement par lunion de tous contre un seul, en
le chargeant de tous les mots du groupe, puis en le tuant collectivement
que la paix et lunité du groupe peuvent revenir. La
victime ( toujours innocente comme le bouc émissaire) est
ainsi sacrifiée. Cest à dire, le mot le dit
bien : rendue sacrée, surhumaine. Sa mise à mort en
a fait une divinité qui protège la concorde ... jusquà
la prochaine crise du groupe.
Renforcer
la compétence:
Les
analogies avec ce que nous vivons sont troublantes. Deux grandes
forces saffrontent ouvertement . Lune se réclame
dun Coran à lallure dominatrice. Lautre
dun affairisme à visée planétaire, teinté
de quelques notions chrétiennes empruntées à
la Bible. Ils sont étrangement semblables. En quoi ? Leur
état actuel de délitement interne, qui leur fait perdre
tout sens et toute unité vraie. De chaque côté
des martyrs - dont certains se sacrifient eux-mêmes,
sont également mis en avant, pour convaincre les membres
des deux communautés de la supériorité absolue
de leur position. Hélas, tout cela est dune fragilité
de verre. La levée de boucliers antiaméricaine des
opinions en terres dIslam na pas fait plus long feu
que le sursaut de patriotisme des fils de loncle Sam. Les
divinités créées de part et dautre par
ces violences ne sont pas parvenues à un résultat
manifeste, celui de resouder durablement leur communauté.
Il reste alors deux solutions possibles. Soit se lancer dans une
violence réciproque encore plus destructive, quil nest
point besoin, hélas, de détailler. Soit se décider
enfin à comprendre que les mêmes causes produisant
toujours les mêmes effets, toute forme de domination, de la
plus brutale à la plus cachée, ne peut quentraîner
encore plus de destruction des hommes. La misère économique
crée le terreau des utilisateurs du terrorisme ? Le matérialisme
écrasant de nos pays foule aux pieds la dimension spirituelle
dont nous avons un besoin vital pour exister ? Portons-y, chacun
dans notre modeste petite sphère personnelle, les vrais remèdes
qui simposent.
(*) René Girard, La violence et le sacré ( Grasset,
1972)
l'os
court :
<< La vie est un compte de faits >> Henri
Jeanson
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Lettre
d'Expression médicale n°259
Hebdomadaire
francophone de santé
16 Septembre 2002
Vocabulaire
en C
Dr Jacques
Blais
Nous
allons nous livrer à un petit exercice de vocabulaire, portant
sur des mots ordinaires, bien entendus sélectionnés,
et qui se trouvent aujourd'hui appartenir à l'initiale "C".
Il s'agira de Clairvoyance, de Confort, et puis de Collectif, de
Choix, et enfin de Concurrence. Sachant que nous avons déjà
évoqué, dans les années passées, plusieurs
de ces sujets sur cet écran, mais opérons comme une
sorte de réactualisation ou de mise au point.
Retrouver la confiance:
Entamons
cette étude de l'idée de Clairvoyance par des rappels.
Dès l'instauration de la CMU (Couverture Maladie Universelle)
permettant aux personnes situées en dessous d'un seuil déterminé
de revenus de bénéficier de soins médicaux
gratuits, j'avais éprouvé le besoin, dans maints éditoriaux
de la presse médicale et dans plusieurs textes ici même,
d'attirer l'attention sur un phénomène paraissant
très rapidement évident : le risque prudemment évoqué
d'abord, et la certitude expérimentale ensuite, que les dispositions
de cette mesure allaient entraîner un dévoiement, une
déviance, de l'utilisation de ces soins. D'emblée
je répète ce que je soulignais à l'époque
: cette mesure a été absolument salutaire pour bien
des personnes qui sans cela n'auraient pu être soignées, il
était nécessaire de l'inventer, et sur le plateau
opposé de la balance, il était aveuglément
naïf et irresponsable de la proposer sans contrepartie de contrôle
à l'utilisation par la Caisse d'Assurance Maladie.
Cette dernière vient de publier une étude (Quotidien
du Médecin du 10 09 02) qui démontre enfin ce que
nous annoncions par expérience de terrain. Dès la
première année de mise en route, les titulaires de
la CMU ont dépensé 30 % de plus que les assurés
du régime général, et actuellement leur surcroît
de consommation à âge et sexe égal atteint +
82 %. Je tiens à le répéter, cette mesure était
logique, utile, indispensable, mais l'absence du moindre contrôle
vis à vis des usagers a abouti très vite à
la possibilité pour des individus sans scrupules, il en est
partout, de se rendre 6 fois dans la même semaine chez
6 praticiens différents, en toute gratuité, pour se
constituer des stocks de médicaments à expédier
ensuite dans leurs pays d'origine. Ou d'autres à tout simplement
utiliser le cabinet médical, pour cause de gratuité
absolue, comme une escale pluri hebdomadaire de chaleur, d'attente
en bavardant avec d'autres, ou de simple vérification "juste
pour voir si tout va bien docteur, d'ailleurs je vous ai amené
les quatre enfants cette semaine". Toutes les nuances existent,
la précarité fragilise, pénalise les défenses,
augmente le risque de dépression, etc. Mais la liberté
totale sans contrôle explique probablement 50 de ces 82 %
d'excès au total...
Ayant souvent insisté sur ces points, je ne veux pas alourdir
encore. Simplement rappeler que la plus élémentaire
clairvoyance de la part des autorités responsables, politiques,
financières, administratives, consistait à devancer,
et à effectuer les mêmes contrôles à l'encontre
des utilisateurs que ceux exercés sur les prescripteurs de
soins médicaux. Une évidence : nombre d'assurés
relevant de la CMU utilisent parfaitement scrupuleusement leurs
droits, avec honnêteté, probité. Mais les faits
chiffrés parlent, la gratuité transforme ce qui s'appelait
autrefois l'accès aux soins en ce qui est nommé maintenant
bénéfice secondaire. Toujours le vocabulaire. 82 %
ne constituent plus un hasard, mais un constat méritant une
réflexion aiguë.
Le mot Confort s'applique à une autre mesure dont vous avez
entendu l'annonce. Désormais toutes les visites à
domicile ne seront plus remboursées automatiquement, mais
évaluées selon leur justification. Là aussi,
combien de fois ne sommes nous revenus sur ce sujet ? Deux tiers
des appels à domicile du médecin sont liés
à des demandes de confort personnel, et non d'incapacité
à se déplacer. "Je n'ai pas envie d'attendre
une heure et demie chez le médecin". "MOI je suis
très occupé, j'ai une affaire à gérer,
alors pour mon mal de gorge, j'appelle le médecin de garde
de nuit à 6h30 le matin, il est bien obligé de venir et
comme cela je prends mon RER à 8h et suis à mon travail
à l'heure. Cela ne me coûte rien, ma Mutuelle paie
la différence" (propos authentiques d'un cadre
supérieur) "Oui, hier à 23 heures, ma copine
s'aperçoit que sa boîte de pilules était vide,
alors on a appelé le médecin de garde, et elle a donné
sa carte de CMU pour ne pas payer la visite, ensuite j'ai filé
chez le pharmacien de nuit en dessous acheter une plaquette"
(Non moins authentique) Et combien de secrétaires ou de
conjointes collaboratrices n'ont-elles entendu tous ces prétextes
: "s'il vous plaît, qu'il ne vienne pas avant 11 heures,
avant je suis au marché" " vous lui préciserez
bien, pas entre 14 et 17 heures, elle ne me trouverait
pas, je serai chez le coiffeur, d'accord ?" "qu'il
n'arrive pas comme la dernière fois à 18h30, il y
a Questions pour un champion, et puis juste après nous dînons,
qu'il vienne avant, ou alors un autre jour, l'après-midi
!!"
Depuis 15 ans, j'ai dû écrire tant d'éditoriaux
sur le sujet, réclamant une case spéciale à
cocher sur la feuille de maladie par le praticien, qui signifierait
"visite à domicile non justifiée, abusive, ne
pas rembourser le déplacement"
Restaurer
la conscience:
La même lucidité est à appliquer quant au mot
Collectif. Les usagers de notre système d'Assurance maladie
ont été si gâtés qu'ils en sont gâchés.
L'individu, par une logique s'appliquant à la personne, ne
fonctionne qu'en fonction de l'unité MOI JE, ne réfléchissant
jamais sur l'ajout de ses dépenses personnelles aux autres,
leur justification par rapport à une moyenne, ou leurs exigences
égocentriques au point de devoir répliquer par des
réflexions qui, si elles sont d'ordre éthique pour
le soignant, semblent appartenir à la morale pour le patient.
Quand, dans un service de régulation téléphonique
des appels de consultation d'un service de très haute technicité, la
conjointe appelle pour son époux, en annonçant : "mon
mari ne VEUT que le Professeur, ça il a bien insisté
pour que je vous le dise !!" le médecin régulateur
se trouve acculé à une réponse moraliste, et
collectiviste : voyez vous Madame, j'ai parfaitement entendu votre
demande, mais d'après vos réponses à mes questions
concernant les résultats d'examens de votre mari, en particulier
sa biopsie, il souffre d'une pathologie bénigne, et trouvera
un thérapeute adapté proche de chez vous, par contre
si j'accepte de le placer comme vous y insistez dans les rendez-vous
du Professeur, vous priverez un autre patient, atteint lui d'un
cancer et résidant dans une région où les traitements
ne seront pas adéquats pour des raisons d'équipement,
de soins non seulement appropriés mais indispensables, alors
raisonnons en collectif, si vous le voulez bien !"
Ceci, au risque de choquer, est valable pour certains praticiens.
Un médecin convoqué par une Commission pour un bilan
de ses statistiques d'activité en matière de dépenses
excessif par exemple en demandes d'examens complémentaires
va parfois crier au scandale. "MOI JE n'ai que des patients
âgés dans ma clientèle, alors forcément..."
Alors qu'il pourra aisément lui être répliqué
: cher confrère, la Commission va vous montrer des études
portant sur d'autres praticiens ayant le même âge que
vous, travaillant dans la même région, avec le même
profil de clientèle, mais voilà, eux ne dépassent
aucunement la moyenne statistique régionale dans ce type
de prescription. Il nous faut donc admettre, et vous le premier,
que quelque chose est à revoir dans votre Formation Continue,
ou votre angoisse professionnelle personnelle, ou votre adaptation
à la notion d'utilité, de justification, de preuves..."
De même que les usagers en notable excès de dépenses
sont peu nombreux, les médecins prescripteurs excessifs aussi.
Le mot de Choix est encore dépendant de l'appréciation
personnelle des critères d'importance majeurs et mineurs.
Un patient appelle pour un rendez-vous dans un service de cancérologie
chirurgicale : "Voilà, j'ai un cancer de la prostate
à opérer, il ME FAUT un rendez-vous entre le 17 et
le 28 ce mois-ci". "Monsieur, avec la meilleure
volonté du monde, la demande pour le même problème
que vous est telle que le mieux à vous proposer sera le 6
du mois prochain" "Ah oui, mais si je vous
demande cela, c'est que je serai en vacances à cette date
là" (autres options, j'aurai mes petits-enfants à
garder, un déplacement chez des cousins, un week-end au Futuroscope...)
"j'ai compris Monsieur, mais si je peux me permettre, il y
a ici alors une question d'appréciation des priorités,
qui sont de votre choix, c'est à vous de décider ce
qui est important et ce qui l'est moins, et pourra être négocié,
décalé, arrangé, modifié..."
Renforcer
la compétence:
Le dernier mot est celui de Concurrence. Les usagers ont vécu
des années d'or, où si le docteur Z. n'était
pas instantanément disponible, ou s'entêtait à
refuser l'arrêt de travail, ou récusait le scanner
alors que dans le magazine il y avait bien marqué que c'était
indispensable, ou si le docteur G. ne voulait jamais inscrire les
médicaments pour le chien sur l'ordonnance à cent
pour cent de la grand-mère, si le docteur B, juste à
côté n'acceptait pas de dispenser Magali de gymnastique
"alors qu'elle perd son temps au lieu de réviser ses
maths", s'il ne voulait pas non plus couvrir l'absence inexcusée
de Matthieu "alors qu'il s'agit juste de deux jours, et en
plus cela tombait sur géographie, espagnol et philo, des
bricoles quoi", dans tous ces cas les patients allaient ailleurs.
Actuellement, les médecins vont terriblement, dramatiquement,
manquer dans toutes les disciplines, et ce même mot devra
s'appliquer sous forme de rigueur aux dépenses, aux demandes
inconsidérées, aux traitements inutiles, aux examens
n'apportant aucun renseignement prouvé et évalué.
Ne nous leurrons pas, l'affaire récente de l'Indre montre
que, même parmi les praticiens, une infime minorité
profite de situations permettant des formes d'escroquerie, mais
ne nous trompons pas non plus sur les objectifs, une gestion saine
des budgets nécessitera forcément d'intensifier les
contrôles autant des usagers, ce sera un fait très
nouveau, que des praticiens, déjà accoutumés
à cela.
Et l'avenir est à nos étudiants, dans cette clairvoyance.
La pédagogie est de plus en plus affûtée à
leur égard, avec un enseignement "en situation"
par les stages, par les techniques de jeux de rôles, par les
évaluations en consultations simulées avec acteurs,
par l'apprentissage essentiel au delà du savoir, de l'essentiel,
le relationnel, le savoir être, la communication. Tiens, encore
un autre mot en "C".
Os court: A lhôpital :
<< Consulter : demander à quelquun dêtre
de notre avis>> Adrien
Decourcelle
|