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Lettre
d'Expression médicale n°265
Hebdomadaire
francophone de santé
28 Octobre 2002
La santé, notre affaire à
tous
par
Dr Philippe Deharvengt
Pour la première fois depuis sa création , notre vieille
Sécurité Sociale française , sous l'impulsion
d'un nouveau Gouvernement et de son Ministre de la Santé
, semble vouloir participer à des campagnes d'information
et de prévention de ses assurés , plutôt que
de vilipender le corps médical rendu jusqu'alors responsable
du déficit chronique de la branche maladie des Caisses d'Assurance
.
Retrouver
la confiance:
Quel
médecin "senior" n'a pas douloureusement éprouvé
, tout au long de sa carrière , de sa mission , de son apostolat
, le sentiment d'être mis par l'Assurance Maladie au ban de
l'infamie , désigné comme dilapidateur inconscient
et irresponsable des fonds de la Sécu ? Calomniez , il en
restera toujours quelque chose . C'est ainsi que cette diffamation
, soigneusement relayée par les médias , s'est naturellement
imposée dans l'opinion publique . Il devenait évident
pour tout-un-chacun que le déficit de la Sécu était
imputable aux seuls prescripteurs , les médecins .
On a même vu un Premier Ministre tenir le raisonnement suivant
: << s'il y a trop de prescriptions , c'est parce qu'il y
a trop de prescripteurs . Si on réduit le nombre de médecins
, il y aura moins de prescriptions , donc moins de dépenses
de santé . Alors , finançons le départ anticipé
à la retraite d'une certaine tranche d'âge de médecins
libéraux >> . Ce sophisme donna naissance en 1997 au
"nouveau MICA" ( Mécanisme d'Incitation à
la Cessation Anticipée d'activité ) . Ce fut une aubaine
pour les quelques médecins qui purent saisir cette opportunité
, mais un cuisant échec en terme d'efficacité . Non
seulement les dépenses de santé n'ont pas diminué
, mais la démographie médicale s'en est trouvée
sinistrée , au point que le nouveau Gouvernement vient d'annuler
ce dispositif , reportant à 65 ans l'âge du départ
à la retraite des médecins , avec des mesures incitatives
à la poursuite de leur activité sous la forme de remplacements.
Restaurer la conscience
Pendant
ce temps , la Sécu ne faisait rien , ou si peu , pour inciter
ses assurés à prendre en main leur santé .
Il était politiquement incorrect de laisser penser que le
déficit pérenne de la branche maladie puisse avoir
une autre cause que l'incurie des médecins , et qu'il faudrait
peut-être chercher ailleurs d'autres responsabilités
, comme par exemple du côté des assurés sociaux
, de l'industrie pharmaceutique . . . Car si tous les médecins
ont été contraints , à un degré ou à
un autre selon leur sensibilité et leur éthique ,
de céder aux exigences de leurs patients , c'est bien parce
qu'ils étaient cruellement seuls dans leur combat pour une
bonne pratique médicale . Comment convaicre cette mère
de famille d'amener en consultation au cabinet médical son
enfant avec une fièvre à 38°5 , alors que pour
quelques euro de plus , remboursés , elle peut attendre la
visite du médecin tranquillement à son domicile ?
Comment la convaincre qu'elle n'a nul besoin d'un arrêt de
travail pour garder son enfant qui pourra très bien retourner
chez sa Nounou ou à la Crèche dès le lendemain
, et qu'une prescription d'antibiotique n'y changera rien ?
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades ne fait que
renforcer l'irresponsabilité de ceux-ci et aggraver la responsabilité
des praticiens , au point que ces derniers ont de plus en plus de
mal à s'assurer en responsabilité professionnelle
. N'est-il pas grand temps d'inverser ce courant ?
Renforcer
la compétence:
Ce
nouveau Gouvernement semble animé de la volonté de
renforcer la compétence des médecins , par des campagnes
d'information visant à responsabiliser les patients , par
des mesures financières anti-gaspillage telles que la lutte
contre l'abus des visites à domicile non médicalement
justifiées , le déremboursement de médicaments
dits "de confort" etc. C'est ce que nous réclamions
à corps et à cris depuis des décennies . Car
c'est une évidence que nous nous efforçons , à
Exmed et à la LEM , d'inculquer à nos lecteurs : un
médecin ne peut être compétent qu'avec un patient
responsable . Le fameux "colloque singulier" qui nous
est si cher implique une totale confiance réciproque .
Plutôt que de sanctionner les médecins pour leurs "mauvaises
pratiques" , ne vaut-il pas mieux stigmatiser les "mauvaises
manières" de certains assurés sociaux ? Eduquer
, prévenir , inciter la population à s'assumer , lui
rappeler que la santé a un coût même si elle
n'a pas de prix , c'est ce que semble vouloir faire le nouveau Ministre
de la Santé . C'est un vaste chantier , auquel doivent être
associés la Sécurité Sociale , les Mutuelles
, avec le soutien des médias , des associations , et pourquoi
pas avec les conseils de médecins retraités riches
de leur expérience ?
l'os
court :
<<
Que Dieu nous prothèse >> José Arthur
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Lettre
d'Expression médicale n°266
Hebdomadaire
francophone de santé
4 Novembre 2002
La
grande illusion
Odette
Taltavull
Les mouvements sectaires revêtent habilement différentes
formes. C'est de cette façon qu'ils peuvent se faufiler subrepticement
dans notre vie de tous les jours. En proposant des formations d'apparence
anodine au personnel des entreprises, ou en bâtissant leur
nid dans des groupes divers ayant initialement d'autres objectifs
(loisirs, clubs etc ...), ce sont de vrais prédateurs de
l'Homme. Exmed a pour vocation de promouvoir la Santé et
la liberté d'expression, et il m'a semblé indispensable
autant qu'urgent de parler des stages organisés par un groupe
appelé Landmark Education (que je nommerai LE tout au long
de cette LEM). Cette Organisation étend ses ramifications
partout dans le monde. En France, elle fonctionne parfaitement et
en toute impunité, alors qu'elle est classée SECTE
par l'Etat Français depuis 1995.
Retrouver la confiance:
Imaginez
une belle jeune femme en période de déroute émotionnelle
comme il nous en arrive à tous au cours de notre
existence . Cette jeune femme a un bon niveau d'études, un
emploi passionnant, des amitiés diversifiées, et une
famille aimante. Malgré les inquiétudes et la mise
en garde de son entourage elle a choisi de faire "un stage
de développement personnel" chez Landmark Education.
Seulement trois jours. En fait, ce qu'elle appelle son "choix"
s'est inscrit en elle insidieusement et malgré elle, grâce
à une programmation qui a duré plusieurs mois. A cause
d'une seule rencontre qui se trouvait là au bon moment, elle
a décidé d'aller chez LE parce que cet ami lui a promis
qu'elle y trouverait en trois jours la paix, la force intérieure,
une évolution professionnelle, et un guide pour le reste
de sa vie.
Arrive pour la jeune femme le jour de ce fameux "stage de développement
personnel". Il a lieu à Paris. 150 personnes y participent
et vont plonger ensemble dans l'océan déchaîné
de Landmark Education sans que personne ne leur ait demandé
s'ils savaient nager
Trois jours après, le changement chez cette jeune femme est
effectivement étonnant, sidérant ! En fait ce n'est
plus tout à fait la même personne. Elle semble euphorique,
joyeuse, pleine d'une nouvelle confiance en elle. Mais lorsqu'elle
se met à parler du forum LE, son discours est fait d'automatismes
langagiers (phrases répétées textuellement,
persévérations dans les termes utilisés), le
ton est linéaire, sans relief, et les arguments à
opposer à l'inquiétude des siens sont comme appris
et récités. Elle est si bien
elle a "demandé
pardon" par téléphone à ceux envers lesquels
elle a été "méchante" et "inauthentique"
dans sa vie. Alors tout va mieux, tout s'est allégé
en elle . Si l'on essaie de lui faire prendre conscience calmement
qu'un tel changement est impossible en trois jours, c'est sans aucune
agressivité qu'elle répond que sa vie a été
transformée, qu'elle est à présent "une
page blanche" et qu'elle doit "se réécrire"
pour "renaître". Elle rajoute même qu'elle
va s'appliquer à promouvoir les forums LE auprès de
son entourage et au fil de ses rencontres. Elle va bien entendu
participer au suivi de soutien et a inscrit -comme un cadeau en
sorte- deux de ses amis au forum LE suivant .
Restaurer
la conscience:
Chaque stage LE regroupe au minimum 150 personnes de tous âges,
de tous horizons professionnels, et de tous milieux socioculturels.
Le grand nombre décuple les effets des manipulations qui
se succèdent à un rythme effréné. 3
jours c'est court ; il faut faire vite et taper fort ! Ceux qui
ont "choisi" de faire ce stage (en fait tous ont été
inscrits par des amis ou des connaissances qui leur veulent du bien
) sont convaincus, par une première réunion, que ces
trois jours vont être pénibles mais que leur vie va
en être transformée et qu'ils vont optimiser leur potentiel
professionnel, familial et personnel.
L'émulsion doit être faite brutalement pour être
réussie et aboutir à l'osmose puis à la soumission
collective. La méthode, issue directement de celle de la
Scientologie, est extrêmement violente psychologiquement.
Les journées sont denses. Pratiques d'exercices personnels
et collectifs alternent avec un déballage émotionnel
démesuré et parfaitement orchestré. Le but
est de déstabiliser les participants jusqu'à qu'ils
craquent, afin de faire tomber le plus rapidement possible leurs
défenses. Les temps de repos sont rares. 2 demi-heures dans
une journée qui va de 8h du matin à minuit pendant
trois jours. 2 "collations" pendant ces pauses (pas de
repas)
à manger tout en téléphonant
avec des appareils fournis par LE (donc surveillés) afin
que les adeptes demandent "pardon" à ceux envers
lesquels ils ont été "inauthentiques" (sic).
L'épuisement physique et psychique est donc assuré,
et la manipulation mentale n'en sera que plus aisée le jour
suivant.
Certes les participants rentrent à leur domicile le soir,
mais ils ont "du travail" à faire pour le lendemain.
Ceux qui hésitent à y retourner sont soutenus par
ceux qui les ont convaincus de faire le stage et qui les attendent
à la sortie. Même cela est prévu par LE.
Restent quelques heures de sommeil -forcément perturbé-
avant la reprise du lendemain.
Les conséquences des méthodes de LE sur la santé
mentale et physique des participants importent peu à leurs
responsables. L'unique objectif de LE est d'amener les nouveaux
adeptes à en amener d'autres et ainsi de suite. Il s'agit
de les convaincre que leur transformation et leur développement
personnel sont réels et efficaces. Les preuves sont là
L'adhérent vomit ? Ce sont les pollutions et les a
priori de son passé qui quittent son corps. Il sanglote ?
Ce sont les tensions inutiles qui se libèrent. Il hurle ?
C'est qu'il lâche prise, enfin. Il perd connaissance ? C'est
pour mieux renaître. etc etc
tout est expliqué,
commenté, et le conditionnement peut continuer. Le mot adhérent
prend ici toute sa signification car les participants sont scotchés
à l'infernal rouage de LE.
Le forum LE est payant (3500 FF) et il est suivi de 10 séances
gratuites de trois heures par semaine, ce "soutien" étant
destiné à aider l'adhérent à "confirmer"
l'efficacité des enseignements donnés lors du Forum
et pour mieux les inclure à sa vie de tous les jours. C'est
seulement au terme de cette formation initiale qu'il ressentira
réellement se manifester "l'effet Landmark". Ensuite,
lui seront proposés des "Forums de perfectionnement",
des "passages d'échelons", et il bénéficiera
même d'une réduction conséquente s'il s'y inscrit
dès la fin du Forum initial.
Renforcer
la compétence:
Les responsables des forums LE se disent psychiatres alors qu'aucun
d'entre eux n'est inscrit au registre du Conseil de l'Ordre des
Médecins. Leur formation, qu'ils disent "de thérapeute"
est totalement interne à l'Organisation. Précisons
que LE n'est pas inscrit au registre du commerce puisque son statut
de SECTE le lui interdit. Les animateurs sont TOUS de purs produits
Landmark et ils sont bénévoles. Quant à l'argent
récolté par LE, comptez 3500F x 150 adhérents
x 12 mois, à raison de deux Forums mensuels. Où, et
à qui, vont ces sommes astronomiques ? Que financent-elles
? Ces stages ont pourtant pignon sur rue à Paris et dans
plusieurs capitales du monde, et certaines entreprises y envoient
d'office leurs salariés !
Les Forums dits "de perfectionnement" sont de véritables
écoles de coaching pour ceux qui veulent mettre en application
les méthodes LE dans leur travail ou devenir un jour à
leur tour formateur LE.
L'Organisation Landmark Education a été classée
SECTE parce que des suicides, des névroses réactionnelles
et des psychoses révélées, comme des états
schizophréniques ,ont été rapportés
chez des adeptes dans les suites directes de ces forums. Car les
personnalités fragiles émotionnellement - même
temporairement - y sont totalement déstabilisées,
déstructurées. Après avoir été
sous contrôle durant des mois, elles sont littéralement
lâchées dans la nature ! A moins qu'elles ne choisissent
de continuer à se perfectionner et qu'elles payent pour de
nouveaux "Forums de perfectionnement"
Et le leur
dire ne sert à rien car le conditionnement est habile, profond,
et totalement insoupçonnable pour celui qui est piégé.
Les Forums Landmark Education sont admis dans notre société
(laquelle donc en cautionne les méthodes), en toute liberté
de détruire ! Comme d'ailleurs d'autres sectes ou groupes
sectaires qui ne rencontrent que peu d'entraves dans leur fonctionnement
interne (et aucune dans leur propagande sur Internet). Comment expliquer
que perdurent de telles pratiques de manipulations mentales à
effets pervers dans le pays qui se dit celui des Droits de l'Homme
?
Chaque année Landmark Education fait des milliers de nouveaux
adeptes. Dites-vous que l'un d'eux pourrait un jour être votre
enfant, votre conjoint, l'un de vos parents, l'un de vos amis, l'un
de vos collègues de travail
ou vous-même.
Os court: A lhôpital :
<< Quand on court après lesprit, on attrape la
sottise >> Montesquieu
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Lettre
d'Expression médicale n°267
Hebdomadaire
francophone de santé
11 Novembre 2002
Vocabulaire en"A"
par
Dr Jacques Blais
Reprenons pour un nouvel épisode cette manière, autant
sélective que subjective bien sûr, d'aborder quelques
points d'interaction, de relation, de communication dans le cadre
habituel général de la santé. Cette fois nous
allons parcourir plusieurs mots de la lettre A, qui seront successivement
Angoisse, Argent, Addiction, Apathie, Apothicaire, et Allergie.
Sans la moindre prétention à révolutionner
la sémantique, à inventer des solutions, ou à
révéler des connaissances, juste un partage d'idées
selon notre habitude. Il aurait pu exister des sous-groupes avec
anxiété, "accro", Alzheimer, adhésion,
entrant dans les mêmes thèmes.
Retrouver
la confiance:
Deux
items paraissent s'intégrer de façon presque naturelle
dans ce chapitre, l'angoisse et l'argent, parfois même liés.
Angoisse : à bien y regarder, elle motive un nombre considérable
de demandes de la part des patients, de recours aux praticiens,
tant l'arrière-fond de maladie, de gravité, de mort
annoncée, et l'atmosphère générale de
progrès proposant une sorte d'invincibilité des êtres
humains pousse à consulter. En contrepartie, elle génère
aussi une très grande offre de la part des médecins,
d'examens complémentaires entre autres, tant leur "fabrication"
avec l'angoisse du diagnostic, la menace amplifiée de procédures,
l'illusion entretenue de la toute connaissance par la technologie
impliquent de propositions.
Argent : d'une part impliqué au premier degré par
les conditions suggérées plus haut, l'argent motive
un nombre considérable également de propositions de
"soins" qui vont des charlatanismes les plus outranciers
aux crédulités les plus étonnantes, avec des
intermédiaires de commerces de tous acabits. Ainsi les examens
complémentaires répétés à l'envi
"pour être bien sûr" malgré des recommandations
d'agences nationales d'évaluation, ou les exposés
de médecine par les preuves, ainsi les traitements non validés,
la multiplication d'actes, etc.
La confiance se paie au prix de la lucidité, de la clairvoyance,
de l'objectivité. Et de l'irruption de la conscience, bien
sûr.
Restaurer la conscience
Nous
allons aborder ici deux autres mots, d'un ordre différent,
mais dont le sens de conscience sera double, celui d'une part de
morale arbitraire surajoutée, et celui du fonctionnement
logique de la conscience organique cérébrale.
Addiction : le propos ici ne sera pas de commenter, condamner encore
moins, élucubrer sur la vraie toxicomanie à toutes
les formes de drogues et dérivés. Simplement de réfléchir
sur l'ensemble des dépendances et addictions. Celle de l'alcool,
maintes fois évoquée dans nos écrits, celle
du tabac, mais aussi celle aux somnifères, si répandue,
celle aux tranquillisants, celle à la nourriture, aux achats
(compulsifs), celle à la mode, les fameuses "fashion
victims" dont les critères de beauté et d'apparence
créent une dépendance effarante. Ce qui nous mène
aux dépendances "inversées" comme boulimie
et anorexie, ou à des formes trompeuses, comme l'hypochondrie,
dépendance aux médecins, aux symptômes, aux
traitements et examens. Une interrogation perpétuelle, terrible,
derrière ces états: qui entraîne quoi et réciproquement
? Car pour certaines formes, un prescripteur est indispensable,
celui-ci pouvant être médecin, banquier, fabricant,
vendeur, promoteur, exploitant. Et sachant que le mot prescription
est double : ordonnance, et "oubli" par l'effet du
temps, au delà d'une durée fixée pour une faute.
Apathie : ceci va être un biais indirect pour aborder une
pathologie envahissante dans ses conséquences, ses dégâts,
son extension, la maladie d'Alzheimer. Récemment, la journée
nationale en faisait un point objectif. L'apathie est un stade particulier
à repérer dans l'évolution, ce sont les proches
ou les soignants qui effectuent ce constat. A ne pas confondre avec
un épisode forcément dépressif, plutôt
un ralentissement, une passivité accrue. Survenant bien après
les repères habituels concernant la conduite automobile devenue
impossible, la toilette autonome de même, la perte des notions
spatio-temporelles, les éléments identitaires du
patient pour lui-même et son environnement.
Pourquoi réunir les deux points dans la conscience ? Parce
que dans les deux états multiples la dépendance est
majeure, consciente ou non, dans certaines situations elle est celle
des produits, des comportements, des "prescripteurs de
toutes natures", dans l'autre celle de l'entourage, les proches
et l'équipe soignante. Dans TOUTES ces situations la collectivité
est mise en cause, à contribution, en porte-à-faux,
témoin, actrice, impliquée mais si fréquemment
"inexpliquée".
Renforcer
la compétence:
Encore deux approches en apparence réunies seulement par
une vague notion de médicalisation des implications.
Apothicaire : une lutte de pouvoir existe, hélas, entre le
corps médical et la très estimable profession des
pharmaciens. Liée, de manière non moins regrettable,
à une absence totale de communication, de réunions
communes, de formation continue collective, d'échanges constructifs.
Pour être parvenu, il y a quelques années, à
rassembler trois années de suite entre 50 et 75 médecins
et pharmaciens dans des séances de formation extrêmement
riches d'enseignement, je trouve qu'il y aurait à creuser
là des pistes de progrès. Le pharmacien est frustré,
en tant que professionnel, de ne pas diagnostiquer, alors qu'il
possède une solide "science" et il se montre souvent
enclin à "prescrire" plus ou moins en compensation.
Tout en commentant et critiquant, il deviendra "conseil",
voire orienteur. Simple lucidité objective. Le médecin
est frustré par un sentiment de relation de confiance différente de
celle du pharmacien, celle de la proximité, de la boutique,
sorte de connivence, quand lui garde la distance du "savoir",
et il a tendance à compenser par un pouvoir inadapté,
en commentant et critiquant lui aussi avec parfois un fond de sarcasme
ou de suffisance. De nouveau lucidité clairvoyante issue
des jeux de rôles observés entre professionnels. Alors
que précisément les différences entre ces professionnels
de santé se situent dans l'inversion : c'est bien chez le
médecin que devrait se situer la "science relationnelle"
quand c'est au pharmacien qu'appartient la "science rédactionnelle".
Aux patients et aux "pros" d'effectuer le rattrapage.
Allergie : le tabac et le chat du foyer sont bien plus souvent en
cause que la "pollution", déculpabilisante et facile
à désigner. De même les colorants, conservateurs
et excipients sont plus impliqués que l'aliment lui-même
ou le principe actif. Le chlore, le nickel, le latex, les plastiques,
les nitrates, et tant d'autres composants (désherbants etc)
éléments du monde moderne "simple" seront
infiniment plus redoutables que la technologie, les relais hertziens,
la plupart des productions industrielles courantes. Nous parlons
d'allergie, pas d'effets organiques à terme. Au total confort,
cosmétiques, civilisation et prévention créent
nettement plus de dégâts allergisants que le nucléaire,
les OGM, ou la technologie de pointe. Mais il est terriblement plus
difficile à tout humain d'admettre que, bien souvent, son
comportement est bien davantage en cause que son fameux environnement.
La conclusion, sans la plus petite prétention moraliste ou
encore moins scientifique, de cette fraction de vocabulaire en "A"
serait peut-être que le principal A est l' Autre . Car
pour n'importe quel individu, nous-mêmes inclus, il sera
infiniment plus confortable de reporter sur un quelconque "autre",
le matériel, les conditions, le système, l'Etat, le
fabricant, le patient, le soignant, le professionnel de santé
d'une "autre" catégorie, l'environnement défavorable
et hostile, la responsabilité d'une part si minime soit-elle
de nos modes de fonctionnement personnels, de notre vision du monde,
de notre psychisme préconditionné par nos vies, qui
s'avère dérangeante, pesante, culpabilisante, ou qui
nécessiterait, cette part mal venue et mal admise, un changement.
l'os
court :
<< Je ne suis pas plus bête quun autre. - Quel
autre ? >> Georges Clémenceau
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Lettre
d'Expression médicale n°268
Hebdomadaire
francophone de santé
18 Novembre 2002
La violence a-t'elle un sens?
par
Dr François Michaut
Qui ne reconnaît chaque jour les manifestations de cet abus
de la force, selon la définition première de
la violence du dictionnaire Petit Robert ? Naturellement beaucoup
dans leur sphère semblent disposés à lutter
activement contre la violence, que ce soit à lécole,
sur la route, dans lentreprise, dans les sectes ( LEM 266
), dans la famille , dans léconomie ou dans la politique
. Lusage de la violence , manifeste ou perverse, na-t-il
donc aucun autre intérêt que celui de détruire
la toute petite flamme , si vacillante, de la paix des hommes ?
La violence, cest le mal, et la lutte contre la violence,
cest le bien. Le Grand Satan contre lEmpire du Mal,
et vice-versa, pour parler comme nos journalistes. La violence,
alors, cest lAutre (LEM 267 ). Ne serait-ce
pas une façon trop simpliste, et improductive, de comprendre
la violence ?
Retrouver
la confiance:
A
priori, rien nest plus violent que ce que nous nommons la
loi de la jungle. Règne du plus costaud qui dévore
les plus faibles. Pourtant, le lion qui tue une gazelle pour sen
nourrir abuse-t-il vraiment de sa force ? La faim, pardonnez ce
jeu de mot, justifie alors le moyen. Le cerf le plus vaillant -
sans doute génétiquement le meilleur étalon
possible - demeure le seul maître incontesté des femelles
de la harde. Les simulacres de combat pour être le dominant
du groupe ne sont pas faits pour tuer les autres mâles. Juste
pour instaurer un ordre social sexuel fixe auquel nul individu ne
peut échapper. Des accidents fatals peuvent parfois survenir
dans ces joutes, cela est bien connu.
Restaurer la conscience
Le
meurtre, paroxysme de la violence, est alors, et demeure, une spécificité
strictement humaine. Nous sommes les seuls dans le monde animal
à nous tuer entre nous au sein de la même espèce.
Faut-il en déduire que nous sommes particulièrement
agressifs ou méchants ? Faut-il porter sur nous-mêmes
un regard moral désapprobateur ? Faut-il tenter par tous
les moyens déradiquer cette mauvais habitude
? Tout cela a été fait et refait en pure perte depuis
toujours. Interrogeons-nous plutôt sur le sens de cette caractéristique
de lhumain. Encore un petit effort : posons-nous la question
systémique ( si gênante quon lévite
depuis toujours ) de la raison, de la fonction de cette violence,
qui semble paradoxalement avoir fait de lhomme un homme, et
non un quelconque grand singe.
Des deux seuls fils dAdam et Eve, si on écoute la genèse
biblique et mythique de nos origines, lun a tué lautre.
Bon, lhistoire ne nous dit pas comment Caïn le survivant
a pu devenir lui même le père de ses enfants, et ceux-ci
les ancêtres de tous les hommes, sans recourir à linceste.
Mais cest un autre problème quil eût fallu
en son temps soumettre au Dr Freud.
Renforcer
la compétence:
Plus sérieusement, lhypothèse soulevée
par René Girard mérite notre attention. Cest
par lusage de la violence, et de la violence collective unanime
contre un seul innocent reconnu coupable, qua pu naître
le sacré, nos religions et nos institutions ( La violence
et le sacré, 1972 ). Ces valeurs qui ont fait notre humanité
se délitent tous les jours un peu plus sous nos yeux. Le
bombardement médiatique ininterrompu nous en informe partout
sur la planète, sans trêve. La tentation consciente
et inconsciente est alors énorme de restaurer ces notions
si indispensables à notre cohésion, donc à
notre survie menacée. La seule recette que nous connaissons
tous depuis les origines demeure lutilisation de la violence.
Sacrifier, souvenons-nous, ne veut rien dire dautre que :
rendre sacré. De plus en plus de violence au fil du temps
pour tenter de compenser la perte de ces valeurs au dessus de lhumain
qui nous sont de plus en plus étrangères. Le triangle
formé par les extrémismes, les restaurations de religions
purifiées et les utilisations intensives du terrorisme sous
toutes ses formes - y compris psychologiques- sans états
dâme apparents, devient alors parfaitement lisible.
Comprendrons-nous un jour que tenter de fabriquer ainsi du sacré
aujourdhui est forcément voué à léchec
dans la mesure où nous commençons à en percer
à jour le mécanisme qui nagissait durablement
que parce quil restait caché ? La violence, quel que
soit son degré, est devenue impuissante à restaurer
le sacré capable de resouder les hommes désunis. Voilà
qui nous ramène étrangement à la notion si
mal comprise de linconscient collectif de Jung. Voilà
qui fait écho à la pulsion de mort décrite
par son maître Freud. Voila enfin qui constitue une parenté
inattendue à ce péché originel de la tradition
judéo-chrétienne, si décrié par nos
intellectuels modernes. Débat purement théorique ?
En aucune façon, hélas pour nous. Toute action cohérente
en matière de violence, notamment de terrorisme, est illusoire
si lon na pas la moindre idée de la façon
dont fonctionne cette violence, de son épidémiologie.
Tout comme nous médecins, nous avons été dramatiquement
démunis devant la tuberculose jusquà la découverte
du bacille de Koch.
l'os
court :
<< La plupart des gens préféreraient mourir
que de réfléchir. Cest ce quils font dailleurs>> Bertrand
Russel
|