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un autre numéro de la LEM Lettre
d'Expression médicale n°281
Hebdomadaire francophone de santé
17 Février 2003
Nobel,
illusions perdues
par Dr François Michaut
Lune des tentatives les plus extraordinaires de médecine
de la médecine, ce que nous nommons volontiers ici la métamédecine,
eut pour cadre la France du milieu du siècle dernier quand
de Gaulle revint au pouvoir . Lune des idées fixes
de cet ancien chef historique de la résistance française
à lenvahisseur nazi était la lutte contre la
domination américaine de la vieille Europe libérée
grâce aux armées alliées. Plusieurs réalisations
de prestige comme le paquebot France, les avions Caravelle puis
Concorde, ou la force de frappe nucléaire furent chargées
den témoigner la réalité aux yeux de
la communauté internationale de lépoque. Rêve
, peut-être déjà dépassé, de demeurer
la grande nation que nous fûmes naguère.
Retrouver la confiance:
Cest
ainsi que la médecine française, malgré son
passé prestigieux dans de multiples domaines, fut priée
de participer à la construction de ce que de Gaulle décrivait
comme une certaine idée de la France. Lartisan,
certains lont peut-être oublié, fut Robert Debré,
le père du premier ministre qui inaugura la 5ème République
après 1958. Ce professeur parisien de pédiatrie partit
dune idée simple. La récompense la plus prestigieuse
en matière de médecine est le prix Nobel. Or, en dehors
de Laveran en 1907 et de Charles Nicolle en 1928, ce prix fut régulièrement
attribué surtout à des auteurs américains.
Restaurer la conscience
Debré,
regrettant cette domination américaine, mit en cause la pauvreté
de la recherche en France, tant en moyens quen personnel.
Pour obtenir enfin la moisson de prix Nobel qui semblait à
ses yeux devoir nous revenir, il fallait mettre le paquet. Alors
que la médecine en France était encore assez peu spécialisée,
et encore imprégnée de lesprit des grands cliniciens
du 19ème siècle comme Laennec, Trousseau , Charcot
ou Babinski, il fallait créer de nouvelles structures. Ce
furent les centres hospitalo-universitaires ( CHU ), dont les médecins
salariés à plein temps de lEtat reçurent
la triple mission de soins aux malades hospitalisés, denseignement
des étudiants en médecine et dactivité
de recherche scientifique. Très vite, chaque ville provinciale
de quelque importance voulut aussi, pour dévidentes
raison de prestige local, disposer de son propre CHU. Quant aux
localités les plus modestes,elles ne voulurent pas demeurer
en reste et firent tout pour se doter de centres hospitaliers généraux
avec, également, des praticiens hospitaliers fonctionnaires
à plein temps, et un plateau technique de qualité.
Pour des raisons de vanité, non dénuées dambitions
politiciennes, chaque municipalité voulut avoir lhôpital
le plus moderne et le plus spécialisé possible.
Parallèlement, et comme contaminée par cette fascination
pour une médecine de pointe de plus en plus
technique et de plus en plus spécialisée, lassurance
maladie obligatoire assura des tarifs beaucoup plus attirants aux
actes de spécialité quaux consultations des
médecins généralistes. La réforme Debré
eut pour résultat immédiat de faire totalement disparaître
du corps professoral ceux dont le métier, par définition,
se passe en ville et non dans un service hospitalier. La médecine
générale ne fut plus en France une branche reconnue
de la médecine universitaire pendant près dun
demi-siècle. Devenir généraliste fut alors
considéré comme la voie déchec de ceux
qui ne pouvaient devenir hospitaliers, ou, à défaut,
spécialistes libéraux. Et on devint généraliste
uniquement en se formant soi-même à lissue dun
cursus effectué exclusivement dans des services hospitaliers
extrêmement spécialisés. La différence
de formation dans les hôpitaux et, soyons direct, de rémunération
fit exploser le nombre des spécialistes en pratique de ville.
La hiérarchie médicale était bien établie.
Au sommet, les CHU, puis les hôpitaux généraux,
enfin les spécialistes libéraux, et, en dernier lieu,
la piétaille mal dégrossie des généralistes.
Renforcer la compétence:
Les faits, comme il savent si bien le faire devant nos constructions
idéales, furent têtus. A de rares exceptions près-
comme le trio Monod, Lwoff et Jacob en 1965 et Dausset en 1980 -
le prix Nobel continua depuis à bouder régulièrement
le drapeau tricolore. Les grandes revues scientifiques internationales,
et les communications dans les congrès, furent toutes en
langue anglaise. Dommage. Mais plus grave encore fut ce pari national
exclusif sur la médecine de pointe, négligeant
sans état dâme les patients atteints de troubles
plus banaux. De nos jours, la médecine hospitalière,
des établissements les plus prestigieux aux plus modestes
éclate sous nos yeux, tout simplement parce quelle
est fondée sur ces principes purement idéologiques.
Elle a oublié, dans ce rêve gaullien de grandeur, quelle
était avant tout une activité purement humaine, et
secondairement scientifique, au service des hommes, et non de lambition
des hommes politiques ou des abstractions planificatrices des administrateurs.
Lillusion scientiste sur laquelle est encore fondé
implicitement tout notre édifice médical a démontré,
en presquun demi siècle, quelle ne correspondait
ni à la réalité, ni aux moyens financiers,
ni surtout aux besoins des hommes atteints par la maladie. Alors,
oui, une métamédecine est nécessaire. Elle
ne peut à nos yeux être pertinente si elle ne tient
pas compte de léchec de la politique de santé,
ou plus exactement de la santé politique, que nous venons
dexposer. Et de cela, semble-t-il, bien peu de gens, dans
la profession comme en dehors, semblent oser parler. Trop dintérêts
professionnels bien bétonnés seraient-ils alors menacés
? Les faits, une fois encore, risquent de faire évoluer très
vite la question : les carrières médicales hospitalières,
après avoir été considérées comme
la voie royale, sont désormais largement boudées
par nos jeunes confrères. Comme les malades ne cesseront
pas miraculeusement dêtre malades, il faudra bien se
décider à repenser tout cela et à répondre
enfin à la question : à quoi doivent servir les médecins,
et les autres soignants dans notre société ? Ce débat
ne sera pas pipé dans la seule mesure où toute la
société - et non les seuls soignants, gestionnaires
et hommes politique- y participera. Et, en y regardant de près,
le débat est déjà commencé parmi nous.
l'os
court :
«
Lhomme absurde est celui qui ne change jamais.
» Auguste-Marseille
Barthélemy ( 1794- 1867 )
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d'Expression médicale n°282
Hebdomadaire francophone de santé
24 Février 2003
La
crise a ses vertus
par Dr Jacques Blais
Nous avons eu plusieurs fois loccasion deffleurer cette
notion de crise, qui représente à la fois un mode
dexpression de tout état actuel de dérangement
aigu, crise politique, gouvernementale, pétrolière,
économique, sociale, et un paradoxe fréquent
dans une formulation ambiguë habituelle dans la presse ou les
médias. " La crise perdure à Air Lib "
ou chez les Verts, ou ailleurs. Une crise nen est plus une
si elle perdure, elle devient une maladie, ou ses symptômes.
Alors même quune crise a pour caractéristiques
nécessaires de représenter un état aigu, temporaire,
résolutif suivi dun changement. Et en tentant déviter
tout excès de citations et de purisme, ou de préciosité,
nous allons nous attacher à résumer, retrouver, apprécier
ici les caractéristiques qui donnent à toute crise
ses vertus, quelle soit financière, didentité,
sociétale ou de confiance.
Retrouver la confiance:
Dans
notre siècle, et essentiellement depuis 1929, la crise a
dabord été vécue comme monétaire,
économique, politique, avant dosciller entre des pôles
boursiers, gouvernementaux, de pouvoirs. Philosophiquement, Kant
avait abordé ce thème à travers lidentitaire ,
lexistentiel. Des idées reprises en termes de société,
de médecine, sous la forme des crises de ladolescence,
de la cinquantaine, de la ménopause, et les crises familiales.
David Tacium, dans une Thèse de 1998 (Université de
Montréal) reprend un mot intéressant issu du Dandysme
et de la crise de lidentité masculine de la fin du
XIXème siècle, celui de fragmentation. Entretenue
souligne lauteur par les sciences des signes comme la médecine :
" la différence se situe à lintérieur
du héros "
Enfin des auteurs contemporains comme Gérard Duménil
et Dominique Lévy, experts en crises financières,
estiment que le terme est souvent galvaudé. Mais il évoquent
des notions subtiles comme celles de dysfonctionnement structurel
ou conjoncturel, ou de mutation du système. Et pour être
complets, terminons sur les notions médicales de crises,
celles de lasthme, de la goutte, des coliques néphrétiques,
de lépilepsie, toutes autant d'accès soudains
liés à une perturbation résolutive ou à
une rupture déquilibre.
Restaurer la conscience
Comme toujours, il y a un grand intérêt à chercher
dans létymologie du mot. En Grec ancien, krinein signifie
séparer, choisir, décider, et kriterion, le si intéressant
terme de critère, vient également du même verbe.
En latin, le déterminant est criblum, avec de nouveau cette
idée de passer au crible, de trier, de choisir.
Ce qui éclaire dun sens nouveau cette notion de crise.
Un versant, celui de létat critique habituel à
la médecine, ou en quelque sorte l'état d'un organisme
va choisir son parcours, vers le mieux ou vers le pire après
un sommet atteint. Lautre versant, celui du critique dart
ou de cinéma, dont létude, la critique, représente
ce choix, ce tri, ce crible.
Il devient alors passionnant de découvrir que cette crise,
redoutée ou au contraire attendue, va finalement constituer
un état suraigu, maximal, à partir duquel un recul
critique va mener vers des choix décisionnels destinés
à aboutir à un inéluctable changement.
Schématiquement, un événement, survenant sur
une structure, un équilibre, une fonction, un système,
va entraîner une rupture, une fragmentation, une séparation,
un choix, un tri, une décision. Lensemble aboutit à
une mutation du système.
La crise va alors développer une sorte de vie autonome, qui
suit des étapes. Une modification du système. Par
un départ, cette fragmentation, vue en politique, en football,
en famille, élimination, écartement, disgrâce,
mais aussi deuil, fugue, séparation, divorce, éloignement
(y compris, pension, prison, internement, placement etc). Par un
avènement, qui sera choix ou dysfonctionnement : anorexie,
alcoolisme, toxicomanie, mais encore maladie mentale, intervention
chirurgicale, maladie grave
Et enfin par accident accès,
rupture, comme un incendie, une ruine, une catastrophe, un crime,
aussi bien quune naissance, un mariage. Cette modification
du système, et on " lit " cela parfaitement
à notre époque où il faut trouver des coupables
aux catastrophes naturelles, aux inondations et intempéries,
va provoquer la désignation. Celle dune personne support
symbolique, ou dune institution, dun organisme. " On "
choisira généralement les représentants " les
plus " ou " les moins " Le plus vulnérable,
le plus violent, le moins supportable, le plus visible, le moins
" normal " Ce personnage, ou cet organisme,
devenant en quelque sorte ou en réalité " le
malade à traiter ", le coupable. La dernière
étape demeure la plus intéressante, celle de la mutation.
Celle du système en un autre. Une famille en crise devient
une simple association, une cohabitation, un campement. Un gouvernement
devient une cohabitation, un parti devient une fédération,
une association devient un syndicat, etc.
Renforcer la compétence:
Pour revenir dans notre domaine médical, face à une
crise, dadolescence, de la cinquantaine, de confiance, familiale,
sociale, le médecin dont le rôle logique est celui
de témoin et de thérapeute, découtant,
sera en fait souvent sollicité en tant quarbitre, juge,
décideur, avocat, ce quil ne saurait en aucun cas accepter
car situé alors hors champ de compétences.
Les rôles du médecin face à la crise sont de
la reconnaître, définir, de lexpliquer, et de
tenter den faire un outil pour sa mutation en opportunité
de changement et de mutation du système. Comme dans toute
systémique, des règles implicites du groupe apparaissent,
des bénéfices secondaires, des alliances, des conflits.
La crise signal d'alarme peut devenir féconde, maturante,
si elle apporte la parole, la prise de conscience, lécoute
réciproque, et cette fameuse mutation dun système
figé. La crise " signal des larmes "
simplement déchiffrée comme un bilan des charges,
sans être décryptée comme une énigme
à résoudre, avec une famille décidée
à garder sa souffrance, ses secrets, sans la parole, sera
pathogène. Décalons une fois encore vers la politique,
le football, l'économie : quand parfois, d'évidence
extérieure il paraît à tous si nécessaire
de tout changer, de repli intérieur implicite finalement
les mêmes seront conservés, en dépit de toutes
critiques, condamnations, procédures ou manifestations. La
crise maturante explose, rue, crie, change et transforme, en
privilégiant la parole, la crise pathogène enferme,
tait, enterre, conserve, en ne protégeant que
le silence .
Un exemple systémique récent. Dans un collège,
une enseignante est agressée et blessée au couteau
par une élève. " Un établissement
sans histoires " disent les médias. Une semaine
après, les profs nont pas repris les cours. Et grâce
aux groupes de parole, soudain au delà des larmes de la crise,
de nombreux enseignants avouent quils sont eux aussi, depuis
longtemps, insultés, violentés, agressés, frappés,
mais que jusqualors, à limage de ces familles
refermées sur leur bienséance, leur pudeur, leurs
lois implicites, leurs secrets, il était impossible de parler.
La crise aura modifié par définition, par nécessité,
un système figé, et tout à coup enseignants
en souffrance tue et élèves en bouleversement tacite
seront parvenus à parler, échanger, comprendre un
peu, envisager lau delà de la crise.
La crise, lacuité dune souffrance, le choix dune
amélioration par le changement. "Facile à dire"
affirmez-vous ? Oui, c'est entendu.
l'os
court :
«
Une des propriétés de la vertu, cest de ne pas
attirer lenvie.
» Rivarol
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d'Expression médicale n°283
Hebdomadaire francophone de santé
3 Mars 2003
Simple
duel
par Dr François Michaut
Pouvoir. Mot magique de notre comportement humain, aussi loin en
arrière que puisse porter notre modeste mémoire orale
ou écrite. Moteur de nos actions depuis, nous disent les
éthologistes, nos cousins biologiques les animaux vivant
en groupes où il prend le nom de dominance. Découverte
décoiffante du Docteur Freud qui lui donne les atours sulfureux
de la libido tournant autour de la sexualité. Loin de tout
cela, un médecin bien ordinaire est amené par son
métier à soigner aussi bien des puissants de ce monde
que des petits et des sans grade. De quoi devenir cynique devant
cette comédie humaine ? Parfois, on ne peut le nier. Ou,
à linverse, être de plus en plus curieux de ce
qui peut faire courir les hommes. Notre ami Jacques Blais ny
va pas par quatre chemins au cours de nos échanges sur la
liste de discussion Exmed-1. La rivalité entre les USA et
lIrak dont on parle tant ne serait dictée au fond,
à ses yeux, que par le prix du pétrole ou par les
profits des marchés internationaux.
Retrouver la confiance:
Restons
donc dans lactualité du moment. Afin de mieux percevoir
ce qui nous paraît essentiel, courons le risque de simplifier
au maximum la situation que nous vivons. Deux hommes saffrontent.
Chacun est le maître incontesté de son pays. Tels Goliath
et David, George est grand, riche et fort, et Sadam est petit, pauvre
et faible aux yeux des observateurs. Comme dans la scène
finale dun western, nos deux rivaux sont face à face,
près à dégainer. En position de faire disparaitre
définitivement lautre pour rester seul sur la scène
à lissue de ce combat singulier.
Restaurer la conscience
Comment en sont-ils arrivés à cette situation si simple,
dans notre monde si complexe, dit-on de tous côtés
? Ici, ce que le médecin peut apprendre quand il écoute
avec attention ses patients - ou quand il parvient à observer
avec soin - est peut-être important. Tout pouvoir, aussi modeste
soit-il, a tendance a éloigner son dépositaire de
la réalité du monde extérieur. Distance nécessaire
pour commander, on le conçoit. Distance qui, en contrepartie,
coupe aussi de tout le monde extérieur. Le drame des plus
puissants est quils sont hermétiquement entourés
dune foule de gens dont la fonction est de leur filtrer la
réalité. Leur survie de conseillers nécessite
que ce quils transmettent à lhomme de pouvoir
aille dans le sens de ce qui est attendu, en gommant tout le reste.
Lhistoire récente de la perte des élections
par la gauche en France en est lillustration.
Renforcer la compétence:
La fascination que peut exercer un autre homme de pouvoir, vivant
ou même passé, peut ainsi devenir envahissante, quasi
monomaniaque diraient les psychiatres. Bush veut éliminer
Hussein, et Sadam veut faire mordre la poussière à
George junior. Toute logique alors seffondre, toute considération
sur les conséquences pour les populations deviennent secondaires.
Le duel ne peut quavoir lieu. Tous les habiles le comprennent
bien, chacun tentant de tirer les marrons du feu pour ses propres
intérêts. Intérêts financiers, naturellement,
avec ou sans pétrole, avec ou sans reconstruction, avec ou
sans armements. Intérêts politiques plus ou moins hasardeux
de ceux qui tout autour, soit prennent position dans le camp dun
des deux duellistes, soit se proclament les héros de la recherche
dune autre solution que celle de ce combat singulier inéluctable
Si nous ne comprenons pas après quoi courent les Américains
et les Irakiens dans cette terrible crise, et, effectivement nous
ne le comprenons pas, cest parce que nous cherchons - derrière
ce quAstérix aurait désigné comme un
combat des chefs - des motivations logiques, tangibles et mesurables
en dollars qui nexistent pas. La manne financière existera
( comme quand Hitler fut vaincu ), quels que soient les évènements
à venir. Elle tombera de toute façon directement dans
les poches de ceux, multiples, qui ont déjà tendu
leurs filets en se constituant en groupes de pression multinationaux.
Ceux qui perdront leur santé et leur vie, chacun les connaît,
hélas, déjà davance.
l'os
court :
« Le
jour où personne ne reviendra de la guerre, ce sera parce
que la guerre enfin aura été bien organisée.
»
Boris
Vian
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un autre numéro de la LEM Lettre
d'Expression médicale n°284
Hebdomadaire francophone de santé
10 Mars 2003
Opinions
thérapeutiques officinales
par Dr Jacques Blais
C'est un entrefilet paru dans la presse
médicale (Le Quotidien du médecin du 11 février
2003) qui, pour inaperçu qu'il ait été, interroge
très fortement et mène à un débat. Pour
résumer, le Collectif des groupements des Pharmaciens (représentant
50 % des officines de France) propose que les pharmaciens soient
autorisés à donner des consultations payantes, financées
par l'assurance maladie.Le Président du Collectif, Gilles
Brault-Scaillet, suggère que soient tenues sur rendez-vous
ces consultations, baptisées "opinions thérapeutiques"
et il cite l'exemple du suivi d'un traitement.
Retrouver la confiance:
Cette demande est très intéressante, car elle est
réitérée depuis longtemps sous des formes différentes,
par nos amis pharmaciens. Nous avions déjà ici même
eu quelques occasions d'évoquer cette sorte de frustration
bien compréhensible de la part des professionnels des officines.
Et toute la difficulté débute comme d'habitude dès
l'approche du vocabulaire. Consultation est un mot appliqué
de manière habituelle aux actes abrités par le cabinet
médical, mais ne saurait être restrictif. On peut aussi
consulter un manuel, un astrologue, et il s'agit bien seulement
sur le plan étymologique d'un mot dérivant de celui
de conseil. Justement le vocable appliqué de façon
usuelle aux aptitudes des pharmaciens, des assureurs ou des médecins
des administrations.
Une opinion s'assimile historiquement à une croyance, et
à une approbation comme dans l'expression "opiner du
chef". Que peut être alors une "opinion thérapeutique"
sinon un avis du pharmacien quant à la thérapeutique
prescrite par définition par quelqu'un d'autre ? Jusqu'alors,
le conseil suffisait, logique, qui précisait au patient des
modalités d'aborption, une posologie, des associations à
éviter, une observance, une sorte de mode d'emploi tout à
fait adapté aux circonstances, comme un apport complémentaire
utile de commentaires et de précisions.
Restaurer la conscience
La demande du collectif traduit, et trahit des éléments
d'un ordre nouveau, puisqu'elle est apparue nécessaire à
ces professionnels de santé. Peut-être simplement,
première hypothèse, pour faire remarquer que
ce conseil ne saurait plus être gratuit, inclus alors comme
il l'était dans la marge bénéficiaire de délivrance
des produits, comme une sorte de "service avec vente"
? Deuxième approche, jusqu'ici la Sécurité
sociale prend en charge financièrement, par rémunération,
des prestations de soins. Qui sont les actes médicaux
et paramédicaux, donc de soins destinés à traiter,
à prendre en charge en vue de démarches à visée
thérapeutique. Et puis elle rembourse des prestations de
services, transports, séjours, matériel, en tant que
compléments.
L'extrême difficulté et la subtilité qui
risque de fâcher se situe dans l'appréciation des rôles
des professionnels de santé. Pour le moment le système
est organisé à partir de médecins effectuant
les démarches de recherche de diagnostic, de prescription
des thérapeutiques, et ensuite de prestataires de soins,
ayant pour tâche d'exécuter les soins prescrits. Rigoureusement
rien de péjoratif dans ce distinguo, les uns, médecins,
chirurgiens, praticiens généralistes et spécialistes
ayant tout simplement reçu une formation beaucoup plus longue
à visée diagnostique et thérapeutique, les
autres para-médicaux, du corps infirmier, kinésithérapeutes,
orthophonistes, pédicures-podologues, ergothérapeutes
et bien d'autres, dont nos chers amis pharmaciens, ont suivi une
formation de base scientifique mais non de recherche diagnostique,
et celle indispensable et très hautement qualifiée
de prestataires de soins dans leurs spécialités.
Jamais les uns ne sauraient remplacer les autres. Le médecin
ne sait pas effectuer le travail du kiné et n'en aura
pas la prétention, pas davantage que celui de l'orthophoniste,
ou du pharmacien, et la réciproque doit nécessairement
être vraie. Qu'il existe quasi obligatoirement une frustration
parfois dans ces restrictions est une conqéquence frisant
l'évidence.
Renforcer la compétence:
Nous avons déjà souligné ces points. Un pharmacien
possède une connaissance chimique, moléculaire, des
effets secondaires, quelquefois aussi administrative, des contrindications,
des produits génériques, très souvent supérieure
à celle du médecin. Et il peut se trouver seul à
savoir que Monsieur N. consulte six médecins différents
de diverses spécialités, sans l'avouer par exemple
à son généraliste, avec pour conséquence
des additions dangereuses de médicaments. Est-ce là
que se situerait alors cette fameuse "opinion thérapeutique"
rémunérée sous forme de consultations ? Mais
ne reste-t-elle pas déjà du domaine du conseil, de
l'avis autorisé, inclus dans la délivrance et les
explications accompagnant le produit ?
Un médecin possède une connaissance et surtout une
capacité d'accès à des domaines bien plus étendus.
Dossier médical, examens complémentaires pratiqués,
antécédents, contexte systémique, familial,
professionnel, sociologique, ethnique, anthropologique, et encore
plus psychisme, structure psychologique, vue d'ensemble d'un être
humain. Même si, dans l'officine, le client se livre
quelque peu, il ne sera jamùais en mesure d'aller jusqu'à
une écoute à visée thérapeutique, entre
les rayons, l'apprentie, les autres clients, le chien de la pharmacienne,
le livreur, la femme de ménage, la vendeuse. D'où
probablement cette idée de "consultations sur rendez-vous"
? Mais où commence alors cette ambiguité, qui va amener
le pharmacien à donner une "opinion thérapeutique"
dans son arrière-boutique ?
J'assume ici complètement plusieurs risques. Celui de sembler
avoir peur que les pharmaciens ne "nous prennent notre boulot".
La peur, la vraie, se situe dans l'assimilation par les patients
de termes inadaptés, poussant vers des comportements inappropriés.
"J'ai mal au ventre, des vertiges, des angoisses, je vais aller
consulter le pharmacien" . Risque suivant, que les pharmaciens répondent
à ceci qu'ils sont déjà sollicités depuis
longtemps par ce genre d'interrogation. Banco. Le pharmacien ne pourra
jamais, jamais, être thérapeute. Il demeure "conseil"
et le meilleur est toujours de suggérer d'aller consulter
un médecin, qui lui a pour mission un diagnostic ET un traitement.
Allons plus loin, une crainte carrément éthique
est celle d'imaginer les patients se rendant à l'officine
pour solliciter une "opinion thérapeutique" : "mon
médecin vient de me prescrire ces médicaments, quelle
est votre opinion ?" Sans douter une seconde que la plupart
des pharmaciens répondront "si votre médecin
vous l'a prescrit c'est parce que cela correspond à son avis
sur votre situation, mais je vais vous préciser de nouveau
les précautions et le mode d'emploi". Est-on dans le
conseil, ou dans la consultation à financer par l'assurance
maladie ?
Une autre peur redoutée, déjà très réelle
bien avant ces éventuelles consultations. "On m'a donné
une ordonnance de S. A quoi cela sert-il, il paraît que c'est
un antidépresseur, qu'en pensez-vous Madame la Pharmacienne
?" Voilà un cas d'école travaillé par
exemple au cours ee plusieurs séances très productives
et conviviales de Formation Continue réunissant médecins
et pharmaciens. Ce qui ne se pratique hélas qu'exceptionnellement.
Le bonne réponse est très probablement : "que
vous en a dit votre médecin ? Il vous a préconisé
ce traitement pour quoi ?" Suivront alors des mots : pour ma
fatigue, parce qu'il m'a trouvée déprimée,
pour que j'aille mieux.... "Eh bien vous avez votre réponse...
suivez alors le traitement prescrit et si nécessaire retournez
vois votre médecin" Et la réponse opinion ? Multiple
: c'est un antidépresseur, mais cela a des effets secondaires...
Ou "on donne cela dans les "grosses" dépressions
mais c'est fort". Ou "moi à votre place je..."
Concluons en rappelant des principes essentiels. Chacun est un maillon,
mais uniquement ce maillon. Que le pharmacien, scientifique formé
et compétent, soit frustré de n'être généralement
qu'un exécutant auquel les pouvoirs publics et les idées
privées n'accordent que ce statut semi-commercial alors qu'il
est aussi relationnel, assistant d'observance, auxiliaire social,
de conseil très important, semble inexorable, logique. Qu'il
ait l'idée de demander à rémunérer ses
consultations d'opinion peut ne traduire que ce sentiment de porte
à faux et ce voeu de revalorisation de son rôle. Mais
si le médecin n'est pas prestataire, qu'il dépend
des para-médicaux pour l'exécution et la délivrance
des produits et soins, pour d'innombrables raisons allant de sa
formation à ses conditions de travail, à sa connaissance
systémique des patients, à sa prise en charge globale,
à sa prise de risque diagnostique et de traitement, le thérapeute
demeure ce praticien. Si nos relations avec les pharmaciens sont
généralement satisfaisantes, voire excellentes, elles
demeurent en grande carence de formation commune, qui permettrait
de mettre tous les mots indispensables sur les frustrations réciproques,
clarifiant du même coup les rôles et les ambiguités.
l'os
court :
« Je
veux bien changer dopinion, mais avec qui ?»
Tristan
Bernard
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un autre numéro de la LEM Lettre
d'Expression médicale n°285
Hebdomadaire francophone de santé
17 Mars 2003
Les
tradipraticiens
par Dr François Michaut
Ne cherchez pas la définition de ce mot dans votre dictionnaire,
vous ne le trouverez probablement pas. Des relents de la belle arrogance
de nos ancêtres conquérants des terres inconnues et
autres colonies nont pas fini de nous habiter. Souvent à
notre insu. Pour nous, citoyens de la vieille Europe ou de la jeune
Amérique du Nord, il ny a quune seule médecine
digne de ce nom : la notre. Ses indiscutables et spectaculaires
réponses à des maux particulièrement sévères
plaident en faveur de sa supériorité. Ses zones dombre,
ses retombées parfois dangereuses et, pour parler franc,
ses échecs conduisent depuis longtemps quelques esprits à
sinterroger. Les moyens matériels de plus en plus importants
quelle nécessite font quelle reste, et restera
hélas, de plus en plus inaccessible aux nations qui nont
pas la chance de faire partie du club très fermé des
pays riches économiquement. Plutôt que de parler de
médecine primitive, en la balayant dun geste rapide
de la main, lorganisation mondiale de la santé à
donné il y a quelques années un nom à tous
ceux qui pratiquent les soins de santé en respectant la tradition
de leur pays : celui, respectueux dans sa neutralité, de
tradipraticiens.
Retrouver la confiance:
Si
la médecine héritée du Siècle des Lumières
et de lesprit des encyclopédistes de Diderot et dAlembert
continue de tenir le haut du pavé en France, elle nest
pas pour autant la seule à laquelle nos concitoyens accordent
leur confiance quand ils se sentent malades. Des guérisseurs,
des magnétiseurs, des radiesthésistes, des dormeuses,
des désenvouteurs, des rebouteux il y en a partout. Des gens
qui nont pas effectué détudes, mais qui
ont hérité de façon mystérieuse de ce
quils nomment le don. De quoi faire bouillir les
esprits rationnels que luniversité a cultivés
si longuement. Nempêche que nos patients sont fortement
impressionnés quand, simplement en soufflant dessus, certains
parviennent à faire cesser immédiatement la douleur
dune brûlure cutanée, ou à remettre
un nerf, ou une vertèbre en place. Larrivée
massive, si on en croit les encarts publicitaires de la presse gratuite,
de personnes se présentant comme des marabouts africains
vient encore compléter les offres de soins qui nous sont
proposés.
Restaurer la conscience
Pour
corser le tout, il nest pas évident de mesurer la crédibilité
de certaines techniques proposées par des docteurs en médecine
dans le champ inépuisable dit des médecines parallèles.
Ce que ne veut rien dire dautre que le fait quelle ne
peuvent pas se rencontrer , donc se croiser, avec la médecine
officielle. Nous avons vu dans la LEM quel rôle
parfaitement double et opposé ont pu jouer les médecins
dans le développement de la Science Chrétienne dans
le monde. Alors, quand toutes ces pratiques traditionnelles font
lobjet détudes scientifiques, nous ne pouvons
que nous en réjouir. Non pour que dans leur naïveté
naturelle , elles se substituent à une science
médicale devenue maintenant lobjet de doutes quant
à ses limites et à ses pouvoirs, mais pour en comprendre
les principes de fonctionnement. Parfois, aussi, plus brutalement,
pour en extraire des connaissances nouvelles sur les propriétés
de plantes, danimaux, de poissons étrangers à
notre pharmacopée.
Renforcer la compétence:
Alors
que, malgré des besoins évidents, nous ne parvenons
toujours pas à faire admettre la nécessité
de comprendre les états de maladie psychique comme physique
sous un angle systémique, de multiples traditions médicales,
notamment celles liées au chamanisme, en tiennent le plus
grand compte. La ligne entre le rejet sans appel de ce qui nest
pas notre médecine occidentale, et le dangereux flirt avec
des univers culturels qui ne sont pas les notres demeure difficile.
Difficile pour les non médecins dy voir clair, naturellement.
Pas vraiment plus aisé pour les soignants, qui, dans nos
pays aux multiples cultures mélangées, sy trouvent
confrontés, sans les connaître. Léthnomédecine
dans les études médicales au programme déjà
si lourd ? Cela supposerait peut-être délaguer
dans des disciplines traditionnelles quon nomme les sciences
fondamentales. Pas facile, en vérité, de toucher à
ce qui ressemble à des forteresses. En attendant, lapprentissage
dune profession dure toute une vie, alors, vivent la curiosité
desprit et ... lautoformation personnelle. Quand viendront
sexprimer à Exmed des tradipraticiens ? Nous les attendons
pour échanger nos points de vue.
l'os
court :
«
La lecture est un stratagème qui évite de réfléchir
»
George
Bernard Shaw
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