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Lettre
d'Expression médicale n°286
Hebdomadaire francophone de santé
24 Mars 2003
Mais
tu sais, mon petit
par Dr Jacques Blais
Mon petit, mon frère, mon ami,
ce matin tu as levé les yeux et il n'y avait plus de ciel,
que des volutes de fumée, des éclats de métal,
après ces lueurs rouges presque belles dans la nuit, et puis
ce silence épouvantable après le vacarme. Tu as passé
ta nuit les mains sur tes oreilles, pour ne pas entendre ce tonnerre
et ces explosions, ces cris et ces hurlements, ce fracas de verre
et de fer, sans jamais oser te lever pour aller te soulager au point
que tu en as mouillé ton bât-flanc.
Mais tu sais, mon petit, mon frère, très loin de toi
dans une partie du monde riche et nantie, du bon côté
de la terre, une petite fille de ton âge a également
passé une nuit avec les mains sur ses oreilles pour
les empêcher d'écouter. D'abord le bruit régulier,
lancinant, rythmé, du lit qui tape sur la cloison, ensuite
peu à peu les cris de sa mère qui proteste et dit
non, enfin ses hurlements déchirants et les coups qui frappent,
frappent, frappent....
Tu n'as même pas de larmes, mon petit, tes yeux ne savent
plus que s'ouvrir sur l'effroi, le désespoir et l'envie de
fuir, de mourir, de maudire les hommes. La petite fille, elle, n'a
que des pleurs de silence et de froid, elle aussi a souillé
son lit cette nuit et elle grelotte, autant de désespoir
que de cette envie impossible de tuer cet homme qu'elle hait, dans
le lit de sa mère.
Retrouver la confiance:
Tu n'as plus revu ton père que dans le drap rougi qui enveloppait
ses morceaux, et ta mère dans un hôpital. Et la petite
fille n'a plus revu son père que dans un cimetière,
et sa mère dans une prison. Chez elle il n'y avait eu que
deux coups de feu, peut-être trois elle ne veut surtout pas
se rappeler, autour de toi il y a eu deux mille déflagrations.
Elle a appris la mort comme cela, à domicile, quand celle
de la télé lui paraissait lointaine. Toi tu savais
la mort réelle, quotidienne, depuis si longtemps, quand les
mirages de la télé te paraissaient douceur et rêve.
Mais tu sais, mon petit, mon enfant, mon frère, mon ami,
chez cette petite fille cet homme malade du vin et de la violence,
entre deux cuites, deux verres, deux accès, il était
capable d'aller pleurer dans le fond du jardin, et si la petite
fille s'approchait il savait lui montrer la couleur d'une agapanthe
semblable à celle de la mer, la teinte bleue si violente
d'un delphinium comparable au ciel des jours heureux de l'été,
et lui montrer la poussée rieuse des phlox entre les brins
d'herbe, en souriant lui entre ses larmes.
Mais tu sais mon petit, il n'y a parfois aucune différence
entre un maître du monde qui veut gagner, tuer, régner,
pour venger son père, pour être réélu,
pour dominer la terre, pour abattre les tenants d'un dieu différent,
pour récupérer des bénéfices secondaires
marchands ultérieurs, et tes camarades de jeu d'hier.
Dans un autre pays riche encore, plus riche même si cela te
semble possible, un garçon avait, lors d'une partie de balle
au prisonnier, raté sa capture de son ennemi. Ensuite un
autre adversaire, qui avait autrefois dit du mal de son père
en le traitant d'étranger bizarre avec un dieu qui n'était
pas le bon l'a nargué. Blessé, outré, révolté,
ce garçon a pris la carabine de son père et a tiré
sur ses copains de classe.
Dans un autre endroit encore un vieux bonhomme avait tué
des quantités de femmes sans que l'on comprenne. Et si cela
se trouve, toi tu avais deviné que sa mère, ou sa
grande soeur, ou plusieurs femmes, l'avaient humilié quand
il était tout petit, sans défenses et sans capacité
à ce moment là d'exprimer sa colère.
Restaurer la conscience
Mais tu sais mon petit, les adultes sont depuis toujours désespérément
effrayants dans leurs manières de vivre et d'exister. Ils
ne cessent de faire semblant pour tout. Semblant d'être les
héros du monde en défendant le faible et l'opprimé,
tandis qu'ils cachent ainsi leurs énormes propres détournements
et leur besoin de pouvoir, ou d'assurer la fortune monétaire
des marchés. Semblant d'abattre des tyrans en appelant leur
dieu à la rescousse pour les protéger, alors que comme
ces gamins évoqués ils ne font que venger des brimades,
des ratés de leur balle au prisonnier, ils veulent régner
en patrons du monde, se faire réélire, redresser les
finances de leurs pays, et jouer avec ces jeux à tuer terrifiants
qu'ils possèdent dans la hotte de leur Père Noël
de richissimes...
Mais tu sais mon petit, la mère de cette petite fille, quand
elle est sortie de prison parce que cette affaire date de longtemps,
elle n'avait plus le droit, comble de tout alors qu'elle en demeurait
la mère, de s'occuper de sa fille grandie, elle est allée
se réfugier chez une amie. Cette amie est morte et la femme
condamnée s'est admirablement chargée de veiller sur
l'enfant qu'elle gardait chez elle, handicapée majeure et
dépendante, avec un dévouement et une capacité
d'amour admirable
Tu vois mon petit, mon frère, mon ami, toi aussi demain,
dans huit jours ou huit ans, tu trouveras des coquelicots entre
les pierres de ton village, comme il en pousse des champs entiers
entre les ruines de Delos que vont visiter les touristes, tu te
seras fabriqué un monde à toi, et tu auras appris
les hommes. La vie, la mort, l'amour, et toujours, depuis la nuit
des temps, cette habitude nauséabonde de chacun de vouloir
gagner, abattre, dominer, envahir, tuer, démontrer, casser,
briser...
Mais tu sais mon petit il existe aussi d'autres hommes, d'autres
êtres, d'autres idées... La petite fille de l'histoire,
on lui avait appris au catéchisme que ce dieu là disait
d'aimer. Elle ne l'a définitivement plus jamais cru, mais
elle a cru qu'elle arriverait à exister en aimant les êtres,
et elle a décidé de devenir infirmière.
Renforcer la compétence:
Tu sais petit, il y a un homme qui soigne, qui écoute et
qui aide à vivre. Il a eu une enfance terrible, terrifiante
comme la tienne. Il raconte dans un livre comment, déporté
avec un groupe d'enfants dans les temps affreux de la guerre, il
s'était échappé en grimpant à la force
de ses petits bras et jambes tout en haut d'une vespasienne, c'est
ainsi que l'on appelait les urinoirs. Et bloqué là-haut,
coincé, terrorisé mais calme, il avait vu défiler
en dessous de lui tous les soldats allemands qui venaient pisser
sous lui. Aucun n'a levé la tête. Et ce jour là
il a compris son existence. Celle d'un être qui mènerait
lui-même sa vie.
Et tu sais mon petit, mon frère, dans les ruines et les bombes
tu rencontreras à l'hôpital une femme médecin
héroïne de l'ombre qui te regardera dans les yeux, et
te dira : "tu veux m'aider ? eh bien viens, tiens porte donc
mon appareil pour écouter le coeur et les poumons..."
Ou bien dans une école sans toit dévastée,
un professeur t'impressionnera par sa noblesse, son amour des autres
et sa passion, et il te demandera si tu as envie de l'imiter un
jour... Ou bien ailleurs, dans un autre endroit, un pays différent,
une infirmière qui travaille dans un camp de réfugiés
à soulager, soigner, apaiser, écouter, qui tient la
main de celui qui souffre et ose ne pas lâcher les yeux de
celle qui meurt, te donnera un désir extraordinaire d'aider
et d'aimer les êtres humains...
Et tu sais mon petit, mon enfant, mon frère, mon ami, des
millions d'adultes éprouvent une telle honte souvent d'appartenir
à ce qui ose se nommer le genre humain, jusqu'au moment où
ils retournent les cartes, regardent derrière les façades,
au delà des miroirs, des apparences et des faux semblant,
et tout à coup ils comprennent qu'aucun être vivant,
absolument aucun, ne possède son petit recoin inapparent,
isolé, où il n'aura entassé depuis son enfance
des paquets de linge sale et d'affaires louches, de coups tordus
et de vengeances sordides, des trucs de gamin, ou d'abominables
affaires de grands vécues et reçues si tôt sur
la tête comme tes bombes à toi. Et un jour quelqu'un
saura lire ce filigrane, deviner ces mots, comprendre les pleurs
demeurés à l'intérieur, extraire ces silences
de mort, entendre ces bruits de déflagrations tus, pour laisser
exister l'être...
Mais tu sais mon frère, même si cela doit nécessiter
la moitié de ta vie, l'essentiel sera toujours que tu parviennes
à exister un jour, pour toi, en tant qu'individu unique et
reconnu. Et si par surcroît tu parvenais à expliquer
à tous les suivants qui se lèveront un matin, dans
les années à venir sous des cieux de bombes et de
néant, de poussière et de mort, comment on vit, tu
serais devenu alors un super grand, mon petit. Merci et pardon.
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d'Expression médicale n°287
Hebdomadaire francophone de santé
31 Mars 2003
Perception
et conception
par Dr Jacques Blais
Les dix dernières années
de la gestion par des gouvernements français successifs de
toutes couleurs, rose, bleue, verte, rouge, avec et sans cohabitations,
ont eu des caractéristiques spécifiques relatives
à la perception du monde de la santé. Différents
dirigeants ont tenté de placer aux gouvernes d'abord des
politiques, J.Barrot, C.Evin, C.Aymard, ou des personnes issues
des affaires, R.Teulade, en leur associant, avec l'idée d'amadouer
le corps médical, divers médecins comme P.Douste-Blazy,
E.Hubert, B.Kouchner, au profil généralement avant
tout politique , et au pouvoir totalement inopérant
sur les orientations du système de santé, puisqu'ils
ne possédaient jamais les clefs du budget, travaillant aux
ordres et sous la dépendance des ministères de tutelle.
Ensuite deux figures féminines du pouvoir rose se sont succèdées
pour achever la rupture et l'incompréhension, de nouveau
deux personnages à forte personnalité complètement
étrangers et au monde de la santé et à la conception
réaliste des difficultés des professionnels, M.Aubry
et E. Guigou. Résumé cruel, dur, lucide, réaliste.
Retrouver la confiance:
En même temps se développait cette pensée unique,
si ancrée dans le monde politique en général
: les professionnels de santé sont les responsables
exclusifs des dépenses, (les usagers n'existent donc pas)
par leurs excès de prescription, leur absence de volonté
d'implication dans la régulation et l'objectivité,
leurs revendications tarifaires exclusives. S'est ensuivie, à
partir de cette perception biaisée, une conception minimaliste
: pour réduire les dépenses, réduisons le nombre
des professionnels, d'abord. Numerus clausus étriqué,
en dépit des alertes rapides des statisticiens avertissant
d'une pénurie prévisible à l'horizon 2008 alors.
Mises en retraite anticipée des vieux praticiens, présumant
à l'envers et au mépris de toutes les études
également statistiques en provenance des Caisses elles-mêmes
qu'ils coûtaient cher. Or au contraire, un praticien chevronné,
expérimenté, aguerri, n'ayant plus de souci de rentabilité, et
moins d'angoisses diagnostiques et thérapeutiques, est nettement
plus économe qu'un jeune formé aux technologies modernes,
angoissé et par sa nécessité de gagner sa vie
et de ne pas perdre ses patients. Du coup la prévision statistique
de pénurie a été revue à l'avance de
2005.
Après le nombre des professionnels, la tendance a été
de réduire le nombre des actes. Application déguisée
ou non selon les catégories professionnelles de quotas, réels
pour les actes infirmiers, et de kinésithérapie par
exemple, indirecte pour les médecins par application de coefficients
normatifs et coercitifs. Encore un problème de conception
et de perception. Les professionnels de santé ont depuis
toujours été d'accord pour optimiser une prestation
de qualité, médecine par les preuves, application
et évaluation de critères de rapport entre coût
et utilité, choix pour un même résultat des
thérapeutiques les moins onéreuses. Ceci pour la conception.
En dépit des cris d'alarme des professionnels, une autre
utopie a été intégralement négligée,
celle qui suppose que la gratuité des soins en offre et demande,
rigoureusement indispensable pour nombre de personnes, indispensable
répétons-le, et qui devait être inventée,
a cependant une conséquence parfaitement prévisible,
humaine, statistiquement prouvée cette année pour
la CMU par exemple, celle de faire croître inexorablement
la dépense au delà de la consommation logique. Pour
la seule raison que personne n'a décidé de contrôler
l'attribution, et ensuite l'utilisation de ces prestations gratuites
et nécessaires pour ne pas les laisser transformer en opportunités,
en trafics, en circuits, en modes de vie inappropriés. Seulement
parce que personne n'aura voulu imaginer la réalité
humaine, et prendre sa mesure lucidement. Changer de conception.
Restaurer la conscience
Dans le cadre de la perception, comment imaginer qu'un praticien
dont tous les coefficients du RIAP (rapports individuels d'activité
du praticien) sont situés "dans la bonne zone"
: il ne coûte pas cher en prescriptions pharmaceutiques, en
arrêt de travail, en soins infirmiers et de kinésithérapie,
en examens de laboratoire, soit averti par sa Caisse de ce qu'il
travaille nettement plus que ses collègues du même
secteur, et montré du doigt. Alors que tout simplement il
se lève plus tôt le matin, termine plus tard le soir,
travaille par exemple le samedi, ne prend qu'une courte pause à
midi ? Et quand son coefficient de nombre d'actes pour un même
patient n'est pas supérieur à celui de ses confrères,
que donc il ne provoque pas de retour inutile des patients vers
sa consultation ? Pourquoi vouloir perpétuellement normaliser
tout par le bas, sans laisser à chacun sa propre manière,
son rythme, sa disponibilité, du moment que le critère
qualité est respecté ?
Il est visible qu'au fil des années, des réformes,
des politiques décideurs gouvernementaux exclusivement à
l'affût des critères et indices financiers du CAC 40,
c'est à dire en permanence ignorant du quotidien des
professionnels, qui consiste à aider, soigner, écouter,
traiter, accompagner, faire vivre et exister des êtres humains,
les professionnels de santé se sont totalement découragés,
parfois tragiquement désinvestis. A force de voir traduire
sa conception à lui et sa perception de vocation dans des
directions aussi incompréhensibles qu'inadmissibles, le soignant
se lasse. Je suis un humain à vocation d'aide et d'écoute
aux autres, de soins et d'amour, conscient de ce que l'être
face à moi est en attente des meilleurs soins au meilleur
coût pour le respecter et me respecter dans ma fonction. Traduire
je suis un irresponsable dépensier capable de faire n'importe
quoi pour obéir à un usager consommateur lui-même
désireux des soins et de la prévention la plus irréfléchie
véhiculée par des médias poussant à
dépenser.
Renforcer la compétence:
Actuellement hélas, usagers et professionnels touchent du
doigt une situation devenant critique, avant de toucher un fond
imité des anglais nos voisins, ou d'à peu près
tous les systèmes de santé environnants, allemand,
italien, espagnol, portugais à titre d'exemple. Pénurie
gravissime de médecins, d'infirmières, de soignants,
de lits, de matériel, de crédits. Solutions extrêmes
de repli menant des infirmières à ne plus pouvoir
assurer des soins coûteux parce que paradoxalement sanctionnées
alors par la Sécurité Sociale. Kinésithérapeutes
obligés de choisir pour limiter leurs actes, avec les risques
que cela comporte en période d'épidémies de
bronchiolite. N'importe quel examen spécialisé, rendez-vous
technique, intervention particulière, en gynécologie,
maternité, ophtalmologie, urologie, etc, repoussé
à des délais à compter en mois comme au Royaume
Uni. Évacuation des patients pour ne pas dire éjection
de leur lit à peine chauffé de leur présence,
pour raisons d'économies.
Fuites de nombreuses compétences à l'étranger.
Depuis très longtemps nos confrères britanniques exercent
au Canada et aux USA, remplacés chez eux par des médecins
Pakistanais. Les praticiens Français sont en train d'effectuer
la même démarche, ce qui en ajoutant à la pénurie
totalement prévisible et négligée depuis 10
ans par toutes les autorités, mène peu à peu
tous les patients à des probabilités de rencontrer
pour tous soins des praticiens Libanais, Syriens, Espagnols, Maghrébins.
Certes compétents, mais probablement si nettement plus utiles
dans leurs propres pays
Une nouvelle compétence approche, celle du patient. A lui
d'apprendre la patience, la débrouillardise, les moyens du
bord. A lui d'apprendre encore plus le caractère collectif
du système de santé, la courtoisie, la hiérarchie
des pathologies, le partage, l'importance et la qualité de
l'existence, au delà de la vie. A cet appelant téléphonique
pour un rendez-vous hospitalier, qui va insister dix minutes, pour
obtenir une date qui ne tombe ni durant les congés de ses
petits-enfants dont il ou elle doit s'occuper, ce qui est louable,
ni pendant sa cure de thalasso, ou sa croisière aux Caraïbes,
et pas le matin car il a horreur de se lever tôt, et pas tard
l'après-midi, parce qu'avec les embouteillages, la nuit qui
arrive, et Questions pour un Champion à ne pas rater à
la télé, et puis surtout jamais un vendredi, non,
c'est son jour de cartes avec les amis.... à cet appelant
inconscient de sa chance, de son égocentrisme, de l'invraisemblable
capacité de soins de son pays en dépit des difficultés
croissantes, il va être nécessaire de donner quasiment
un cours de morale collective. "Voyez-vous, Monsieur ou Madame,
depuis ce matin vous avez été 74 à demander
la même chose, avec les mêmes exigences correspondant
à votre logique à vous, mais dans la même période
13 personnes ont appelé pour des problèmes de cancer.
Et ces patients là, eux, ont accepté les délais,
les horaires, les jours proposés parce que leur priorité
était à leur santé, à leur vie, à
leur avenir. Alors n'oubliez s'il vous plaît jamais, derrière
vos privilèges d'usagers bénéficiaires, même
dans l'optique des énormes difficultés qui nous attendent
tous en logistique de santé, que chaque jour des êtres
sont en vraie souffrance, silencieuse et sans exigences irrecevables.
Et eux ne diront pas "cela fait trois heures que j'essaie de
vous joindre", eux diront "merci de m'avoir écouté
et guidé"
Une autre compétence. Monsieur J-F Mattéï a
été trente ans un médecin en exercice vrai,
hautement responsable et respecté, il semble bien être
un homme d'écoute et de dialogue, et pour la toute première
fois depuis vingt ans un ministre médecin, également
chargé du budget de son ministère, tente de rassembler,
de proposer, de réunir. Il paraît avoir compris le
désespoir et la détresse des professionnels, entendu
la nécessité d'élargir, de renforcer, de réformer,
de modifier, d'écouter. Reste à attendre pour évaluer
sa capacité à durer même s'il persuade (ou surtout
s'il y parvient ?) soudain les gouvernants, financiers, décideurs,
que si la vie a forcément un prix la santé a nécessairement
un coût, que les patients sont des êtres humains
nécessitant des soins et une approche globale, les professionnels
de santé des humains nécessitant un respect, une écoute
et une approche responsable, et qu'une vision humaniste de notre
monde devrait nécessairement placer avant le CAC 40 la Santé,
l'Education, et la Justice, valeurs susceptibles de rendre un pays
fier de son image. Infiniment plus qu'un porte-avions à 5
milliards (?), ou le CAC 40 à 5000 points.
Notre perception à nous de la Santé, un monde d'humanisme
et d'échange pour un soin optimal égalitaire, notre
conception de votre rôle, Monsieur Mattéi, confiance,
conscience et compétence, pour répondre aux attentes
et entreprendre.
l'os
court :
« Jai été persécuté
fort au delà de mon mérite »
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d'Expression médicale n°288
Hebdomadaire francophone de santé
7 Avril 2003
Tout
bénéfice
par Dr Jacques Blais
Abordons ensemble selon l'angle qui nous est habituel, celui qui
permet "d'aller voir derrière" une notion classique
mais que nous tenterons d'éclairer des éléments
de l'inconscient, celle de bénéfice. Faire le bien,
étymologiquement, comme tous ces mots latins à suffixe
dérivé de facere, faire. Comme sacrifice, "faire
du sacré", ou orifice, "faire une bouche"
.
Il est courant de distinguer un bénéfice "primaire"
immédiat, monétaire par exemple, un avantage acquis
grâce à une manoeuvre, un échange, une vente,
une opération commerciale, et un bénéfice dit
"secondaire" celui qui nous intéressera le plus,
car s'il est décalé dans le temps éventuellement,
il le sera plus encore dans la représentation, dans la conscience,
dans sa signification psychique, systémique, humaine.
Retrouver la confiance:
Nous
pourrions déjà tenter une différenciation,
plaçant dans les avoirs ce bénéfice primaire
consistant à gagner matériellement, en tout cas de
manière mesurable, quelque chose à une transaction.
De l'argent, du temps, des degrés de flexion dans une rééducation
d'un membre, des dioptries dans une correction d'un trouble visuel,
des points de retraite, un bonus quelconque. Des éléments
que l'on pourra chiffrer, évaluer en terme d'appréciation
en degrés, en grades, en unités.
Et retrouver alors le bénéfice secondaire dans l'être,
ce qui serait simpliste. Mais certainement dans des éléments
appréciables, valorisants, flatteurs, mais rarement mesurables.
Comment mesurer en effet un pouvoir, une autorité, une influence,
ou encore un rôle, une fonction ? Autant de "valeurs"
touchant à l'être, au paraître, au sentiment.
A l'aura également, simple exemple, et à cette sorte
de plus-value sur la parole qu'apportera un bénéfice
secondaire lié à des sondages, une victoire électorale,
de brillants résultats scolaires, un record de France, un
passage médiatique sur les antennes.
Nous allons volontairement puiser plusieurs exemples dans des situations
en apparence paradoxales, au risque en surprenant de troubler ou
de heurter, avec une part médicale éventuelle, car
c'est le cadre de nos interventions ici, et en allant jusqu'au bout
des constats les plus aigus et poussés, et dans l'inconscient
personnel et collectif des acteurs.
Restaurer la conscience
Une situation que nous qualifierons de "banale" : le petit
Sébastien, 8 ans, fait une crise de douleur abdominale. Ses
parents redoutent une appendicite, l'emmènent chez leur médecin,
expriment leurs craintes, qui ont été renforcées
par les commentaires des voisins, des proches, de l'institutrice.
En résumé faites-le opérer, vous serez tranquilles.
Or des centaines de milliers d'appendicectomies sont statistiquement
inutiles et injustifiées chaque année en France, c'est
à dire que l'examen anatomo-pathologique de l'appendice adressé
ensuite au laboratoire montre qu'il n'était pas "malade",
la cause se trouvait ailleurs...
Qui, dans ce tableau classique a "intérêt"
un mot très instructif, rapproché de "bénéfice"
à voir cet enfant se faire opérer ? En demeurant quelque
peu sordide et réducteur sans cautionner, les professionnels
de chirurgie y verront un bénéfice primaire. Restons
dans le bénéfice secondaire, avec la lucidité
la plus absolue : l'enfant, après un épisode court
de désagrément (on les voit galoper dans les couloirs
48 heures après l'intervention) y gagnera des cadeaux, l'attention
extrême et inquiète de ses parents, sur lesquels il
aura mesuré une fois de plus un pouvoir étonnant et
agréable, celui de la peur, de la menace grâce à
sa santé, auprès de ses copains il gagne une nouvelle
aura de héros qui fera des émules, dès son
retour en classe des "syndromes appendiculaires en série"
verront le jour. Éventuellement encore, il parviendra à
se faire dispenser de ce qui l'ennuie, gymnastique, catéchisme,
solfège, pendant quelques semaines, et y gagnera des
séances de vidéo, de jeux... Tout bénéfice
Les parents, et on entre dans le paradoxal, y gagneront une sorte
de respect admiratif de l'entourage et des proches ou collègues,
avec des commentaires "cela n'a pas dû être facile,
comme vous avez dû être inquiets, vous vous en êtes
admirablement tirés, vous avez vraiment la tête sur
les épaules" et ils y auront peut-être gagné
aussi l'aide de leurs parents et familles, un nouveau lien social.
Allons plus loin, ils auront assis une sorte d'autorité sur
leur médecin, auquel ils affirmaient depuis des mois
"je suis sûr qu'il nous fait une appendicite"
alors que le praticien était certain du contraire. Avec juste
raison, l'anatomo-pathologie s'est avérée négative...
La systémique parents/enfants/proches/entourage/médecin
a été modifiée considérablement les
pouvoirs ont changé de porteurs, le symbole de la peur a
pris un poids considérable, celui du chantage inconscient
également, la confiance a été ébranlée.
Renforcer la compétence:
Réfléchissons en termes de compétence. Qui
est compétent ? Le médecin qui sera parvenu à
résister, convaincre, éviter l'intervention inutile,
trouver un terrain d'attente, d'entente et de persuasion ? Ou celui
qui aura cédé à sa propre peur de "passer
à côté", qui aura privilégié
son bénéfice secondaire à lui, bonne collaboration
avec la clinique du coin, rapports confraternels excellents, famille
conservée dans sa clientèle qui dira un immense bien
de lui ou d'elle ? Le chirurgien qui se sera dit "de toute
manière ils veulent que ce soit une appendicite alors pourquoi
se battre inutilement, allons y" ou celui qui aura expliqué,
patiemment longuement "je comprends et je perçois votre
inquiétude parfaitement légitime, mais donnons nous
du temps pour des repères diagnostics précis, qui
seront les suivants, et décidons ce soir, ou demain"
?
Brièvement, une autre interrogation qui est perpétuellement
celle des médecins quant à cette notion de bénéfice
secondaire : cette femme courageuse qui, en dépit de la violence,
de l'alcoolisme de son époux, du danger, des effets désastreux
sur la famille, s'accroche et reste, quel est son bénéfice
secondaire ? Car oui, aussi atroce, inique, effroyable que cela
paraisse, il peut aussi exister un bénéfice secondaire
à rester, pour devenir "une sainte dévouée
jusqu'au bout" une femme parfaite, une mère exemplaire,
ou tout simplement, tragiquement, une femme qui a encore besoin
de l'argent de l'invalidité de cet homme perdu....
Ceci pour terminer en disant que d'une part les professionnels des
soins définissent un rapport bénéfice/risques/coût
qui semble le plus objectif en matière de choix d'une solution
thérapeutique. Que gagne-t-on à traiter ainsi
? Que risque-t-on ? Quel est le coût relatif en fonction des
deux autres paramètres ?
Et un autre aboutissement est également une question récurrente
: qui gagne quoi, dans l'affaire qui nous occupe ? Autant dans le
cas d'un homme politique se montrant en position de donneur de leçons,
de moraliste, d'opposant, de décideur, que gagne-t-il en
bénéfice secondaire, de pouvoir, de voix, d'autorité,
d'aura, d'image ? Et autant dans tous les comportements en société
systémique des intervenants multiples du domaine de la santé
: que gagnent l'infirmière scolaire, le médecin, les
parents, l'enfant, les enseignants, les services de soins, les prestataires,
à accorder, à refuser, à céder, à
résister, à se montrer compétents mais en position
de récuser, ou l'inverse ? Ce simple certificat de dispense
d'éducation physique, à qui son refus ou son
accord rapportera-t-il ? A l'élève, aux
parents, au prof de gym, au médecin, à l'infirmière,
à la conseillère pédagogique, à l'administration...?
La seule issue serait-elle alors de placer l'individu, l'être
souffrant, celui qui a besoin des soins et de l'attention, en position
d'exclusif bénéficiaire des soins les plus adaptés
et évalués en rapport bénéfices (primaire
et secondaire) risques (thérapeutiques et autres, psychologiques,
sociaux, systémiques etc) et coûts (y compris ceux
en confiance ou compétence) ?
l'os
court :
«
Notre casus belli se transforma, grosso modo, en modus vivendi»
C.Zar
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Lettre
d'Expression médicale n°289
Hebdomadaire francophone de santé
14 Avril 2003
Vivre
au milieu des risques
Dr François
Michaut
Au lendemain du mémorable accident nucléaire de Tchernobyl,
un sociologue allemand osa une hypothèse qui mérite
quon sy arrête. Le moteur qui nous avait actionnés
collectivement jusqualors aurait été, depuis
le 19ème siècle, celui de la répartition des
richesses. Dans nos sociétés industrielles deux visions
du monde saffrontent. Capitalisme contre marxisme. En fait
tout tourne alors, y compris les systèmes politiques et sanitaires,
autour de la seule économie, du seul marché des biens.
Notre séparation du monde en deux blocs opposés dans
une guerre froide de cinquante ans en fut le symbole. Et puis, un
jour, et sans prévenir les experts, le mur de Berlin tomba.
Bien peu de choses à voir avec les questions de santé,
ces grands évènements politiques mondiaux, direz-vous
? Et pourtant, cest de la vie des hommes dont il sagit
avant tout : des paradis annoncés, des disparitions programmées
par la théorie, qui se sont révélés
à lusage pour le plus grand nombre, dune part
comme de lautre, des cauchemars sans espoir. Comment cela
peut-il ne pas avoir de répercutions sur notre santé,
cette soumission de lhumain au tout économique
?
Retrouver la confiance:
Quand le nuage radioactif soviétique se promena au gré
des vents dans une grande partie de lEurope, la situation
devint évidente pour ceux qui ne se laissèrent pas
berner par les annonces fallacieuses des gouvernements destinées
à nous rassurer comme des enfants peureux. Nous étions
entrés dans une nouvelle époque : celle du partage
des risques. Risques industriels, risques écologiques, risques
terroristes aussi qui menacent un jour ou lautre tous les
hommes, riches comme pauvres, voisins comme lointains. Nul besoin
de le détailler ici. Plus personne, aussi nanti soit-il,
ne peut raisonnablement simaginer à labri de
tous ces risques. Perte de confiance définitive dans la sécurité
absolue à laquelle nous pouvions encore croire, si nous avions
la chance de vivre confortablement dans un pays riche. La mode du
cocooning, de repli sur son petit intérieur douillet,
son cocon , qui marqua les années 1970, est bien dépassée
à tout jamais. La mort vaincue par la science, plus personne
ny croit. Lhomme se retrouve tel quil est et a
toujours été malgré son orgueil : nu comme
un ver, comme au premier jour de sa vie.
Restaurer la conscience
Faut-il
alors se cogner la tête contre les murs ? Renoncer à
lespace imaginaire de protection absolue que peuvent connaître
les enfants avec le giron maternel est-il possible ? Séloigner
de lidée reposante dune divinité paternelle,
et bienveillante aux fidèles, réglant , sans que nous
ayons rien de particulier à faire, nos histoires humaines
? Et, en particulier, la somme des atteintes à lenvironnement
dont seuls nos activités sont responsables ? En vérité,
nous navons guère de choix, la société
du risque est une réalité que les médias nous
rappellent de façon incessante. Même sils nen
ont pas encore clairement pris conscience. Les virus se promènent
partout, les marées noires souillent inlassablement nos mers,
les réserves deau potable diminuent, les déchets
nucléaires saccumulent, la pollution de lair
et des terres est omniprésente. Cette conscience du monde
de risques qui est le notre, nul ne peut plus y échapper.
Comment ne pas sombrer dans une sorte de dépression collective,
dont les médecins ont souvent loccasion de mesurer,
et de soigner, les manifestations chez leurs malades ? Sentiment
général dune planète malade de nos industries
humaines qui partent dans tous les sens, sans la moindre ligne directrice
perceptible, autre que celle de la recherche du maximum de profit
financier pour une minorité de puissants.
Renforcer la compétence:
Alors, un immense défi souvre à nous, quel que
soit notre pays, quelle que soit notre fonction sociale, professionnelle,
industrielle, administrative, scientifique ou politique. Non pas
celui de pourchasser le stupide risque zéro dans
quelque domaine que ce soit. Encore une infantilisation qui nous
empêche douvrir les yeux. Il sagit au contraire
dapprendre à maîtriser peu à peu, grâce
à toutes nos activités humaines ayant enfin retrouvé
un sens, notre coexistence avec tous ces risques qui sont notre
environnement, qui sont notre planète Terre. Vaste programme,
cest évident. Notre survie de terriens, tout simplement,
en dépend. Ce nest pas une vraie question de santé,
la seule vraie question davenir, cela ? Au fait, curieux que
cet ouvrage qui fut un best-seller dans plusieurs pays germanophones
et anglophones nait été traduit quau lendemain
du 11 septembre, et bien peu commenté par nos intellectuels
en France. Une nouvelle façon de concevoir notre monde comme
un lieu déchanges et de partage obligatoires, non plus
seulement de biens de type industriels, marchands ou culturels,
mais avant tout de risques. Vous voulez en savoir un peu plus ?
La lecture du gros livre fort bien documenté La société
du risque dUlrich Beck, publié par Alto-Aubier
en France, simpose alors pour qui souhaite renforcer sa compétence.
Et, paradoxalement, cela na rien dun scénario
catastrophe. Cest bien plus une incitation à des actions
intelligentes. Cest si rare de ne pas être considérés
comme de simples pions irresponsables !
l'os
court :
«
Je vous offrirais bien un parachute, si jétais sûr
quil ne souvre pas »
Groucho
Marx
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