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un autre numéro de la LEM Lettre
d'Expression médicale n°295
Hebdomadaire francophone de santé
26 Mai 2003
Consultation,
univers théâtral
Dr Jacques Blais
Nous avons encore eu récemment
sur la liste Exmed-1 de nombreux échanges sur ce thème
décidément bousculant du "théâtre
dans la relation entre médecin et patient". S'il est
difficile pour certains de comprendre ou d'admettre, y compris et
paradoxalement presque plus chez certains soignants que chez nombre
de patients, que non seulement la vie est un théâtre
mais que la consultation médicale est au plus haut degré
possible une illustration de cela, prendre un exemple concret sera
peut-être plus susceptible d'illustrer ce genre de notion.
En rappelant déjà quelques principes.
Retrouver la confiance:
Dans une consultation à plusieurs, qui est véritablement
le patient désigné de cette systémique? Quand
un groupe de trois personnes vient en consultation, pour "accompagner
le malade" dont, sous prétexte "qu'il ou elle ne
saura pas s'exprimer, il ne vous en dira pas la moitié docteur,
c'est pour cela que je suis venue" nous sommes instantanément
en plein théâtre, qui joue caricaturalement quoi ?
La mère envahissante ? L'épouse dominatrice ? Le père
despotique ? "L'enfant" fragile, qui a tout de même
bien ses 26 ans, entre Papa et Maman qui l'ont traîné
? Théâtre...
Personne ne dispose du texte, pas davantage que du scénario,
même pas le médecin, les acteurs vont être exécrables
ou excellents, mais il se passera forcément quelque chose
dans cette scène, cet "acte". Et en tout premier
lieu, sans en être habituellement conscient, chacun jouera
un rôle qui est celui prévu ou au contraire différent,
voire opposé. "L'enfant" va s'avérer ici
être le seul adulte vrai par ses réflexions, et c'est
à lui que s'adressera le praticien pour transmettre ses consignes.
La mère se montrera infantile dans ses raisonnements, ou
bien le père sera dominé complètement par l'un
ou l'autre. Ou encore, la coalition des parents "contre"
le médecin, pour différentes raisons (ils sont nettement
plus âgés, ils connaissent ses propres parents, l'un
a été son prof au lycée, ils sont commerçants
influents, etc) le placera en position de faiblesse et d'enfant
dominé.
Restaurer la conscience
Évoquons maintenant à titre d'exemple une situation
de Formation Continue de médecins, déjà largement
installés dans leur exercice. Pour une fois, cette séance
s'effectue sous forme de jeu de rôles. Et le scénario
proposé aux volontaires est le suivant : vous avez envoyé
une patiente se faire opérer dans une clinique, il y a eu
un accident grave et exceptionnel, elle est décédée
de cette intervention. Dix jours plus tard, le mari veuf et le fils
viennent vous demander des comptes, ils vous accusent d'avoir mal
orienté la femme victime, de plus le mari était chômeur,
les revenus disparaissent, et si le père, vous explique le
fils, bénéficiait d'une assurance-vie, pas la mère....
Sordide, horrible, mais si réel, si vrai....
Les deux premiers médecins qui acceptent de jouer le rôle
du praticien malmené (ce sont deux autres médecins
de cette formation qui jouent les hommes accusateurs) jouent "classique"
et pourrait-on dire surtout selon les exclusifs critères
d'apprentissage qui sont les leurs. Ils se défendent pied
à pied : "j'ai regardé le dossier, j'ai appelé
l'anesthésiste, tout avait été fait, il n'y
a pas eu de faute, j'ai toute confiance en cet établissement,
il y a eu une complication exceptionnelle, imprévisible,
croyez bien que je suis désolé mais je ne peux rien
faire..."
Un drame. Qui de médical devient celui de l'incompréhension,
de l'absence de communication vraie. Tout le monde joue faux, du
médecin qui, raide et défensif, ne parvient pas à
sortir de son rôle de traitant, aux deux hommes en détresse
qui finissent par sembler épouvantables dans leurs revendications
de réparation, de haine, de violence et d'accusation.
Renforcer la compétence:
Dans un troisième temps, le formateur de la réunion
propose de rejouer lui-même le rôle du médecin.
Le scénario se déroule dans son début
de la manière prévue, agressif, rude, négatif,
mais le praticien prend un biais complètement autre dans
sa façon de travailler la situation. Il bouge, se rapproche
du père, se penche d'abord vers lui, lui parle doucement,
presque...tendrement. plus tard il se lèvera, mettra la main
sur l'épaule du fils, tenant celle du père. Et son
discours est tout autre : "Monsieur T., vous imaginez une seconde
que j'aie pu cesser un instant de penser à vous, à
votre femme, depuis cette horreur ? Mais cela me hante autant que
vous, Monsieur T. et vous savez j'attendais votre venue avec impatience.
Je me posais déjà une question : il y a combien de
temps que vous étiez mariés, Monsieur T. ?"
L'intensité de l'émotion est telle alors que le "joueur
de rôle" du veuf se met presque réellement à
pleurer. Le médecin poursuit dans le même registre
: "quand je pense à elle, je pense à cette photo
que vous avez dans votre séjour, là vous voyez laquelle
? (il s'adresse au fils en disant cela, et le fils va répondre,
spontanément) elle était prise en été
non, au bord de la mer c'est ça ? Et vos nuits, Monsieur
T. j'imagine cela..." Et le mari veuf, va évoquer cette
étendue glacée des draps à côté
de lui, là où, normalement, il trouvait la chaleur
de la peau de sa femme, il avait l'habitude de la toucher la nuit,
de lui prendre la main....
Est-on réellement dans une compétence particulière
? Même pas, simplement en acceptant le théâtre
de la vie, les innombrables composantes psychiques de la relation,
en acceptant de laisser l'émotion envahir la scène,
en laissant de côté le carcan de la science, des raisonnements
médicaux, juridiques, sinistrosiques, de la réparation,
en laissant pour le médecin apparaître son propre côté
vulnérable, sentimental, personnel, humain, en permettant
au mari de laisser exploser son chagrin, au fils de vider sa rancoeur
et de hurler sa douleur, la perte de sa mère, les acteurs
de ce théâtre là, pourtant bien complètement
médical, sont passés de la pseudo-science, du raisonnement
mathématique, physique, de probabilité, de la rationalité
de la vie vers l'imprévu absolu de l'existence, la réalité
des êtres, le drame du quotidien, la profondeur de l'être
en abandonnant l'avoir....
Et il en va probablement perpétuellement ainsi de si nombreuses
consultations "ratées", de communications impossibles,
de relations massacrées. Simplement parce que les acteurs
de la scène supposée médicale, parce que
se déroulant entre soignant et patient, ne sont jamais parvenus
à changer de rôle. L'un avait sur sa "feuille
de route" son scénario "vous, vous êtes celui
qui sait, qui soigne, qui traite, qui a appris, alors restez dans
ce rôle là et n'acceptez rien d'autre sinon vous perdez
votre pouvoir", l'autre avait sur son propre "rôle
à jouer" quelque chose comme "de toute manière
vous n'y connaissez rien, et si vous insistez il vous prendra pour
un obsédé, un parano, alors laissez tomber".
Alors qu'il aurait suffi, sans doute, d'écrire le scénario
autrement. Vous avez chacun vos convictions, vos expériences,
vos parcours, vos souffrances, vos antécédents, vos
enfances, vos apprentissages, alors acceptez d'écouter ce
que l'autre a à vous dire, à vous apprendre, acceptez
d'entendre une version qui n'est pas la vôtre, respectez vous,
revoyez vous, évoluez, et prenez conscience de la part intérieure
qui vous fait parler, que ce théâtre soit l'occasion
où jamais de jouer tous les rôles.
l'os
court :
« Les articles de fond ne remontent jamais à
la surface » Cath Hoche
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d'Expression médicale n°296
Hebdomadaire francophone de santé
2 Juin 2003
La
malnaissance
Caroline Fel
Par les temps qui courent, toujours
de plus en plus vite, la naissance d'un nouvel humain est devenue,
dans nos riches pays industrialisés, un événement
étrange et stupéfiant. Dès les premiers signes
annonciateurs de la venue du bébé, on assiste à
une étrange chorégraphie : les futurs parents se précipitent
vers le maternité la plus proche (bientôt 50 à
80 km !), rencontrent la sage-femme de service, qui va procéder
à un examen en règle de la "parturiente"
avant de l'expédier en salle dite de travail. Là,
la femme et son compagnon, consciencieusement déguisés
en "patients", blouses à l'appui, vont, justement,
patienter un moment, le plus souvent seuls, dans un endroit à
peu près inconnu, généralement peu chaleureux
et encore moins intime. Généralement, à ce
moment, intervient le médecin anesthésiste, chargé
de faire disparaître ces "douleurs" incommodantes,
afin que tout le monde (parents et soignants) puisse, sans se fatiguer,
attendre l'arrivée à l'air libre de ce trésor
tant espéré : l'enfant.
Lorsque l'enfant à paru, heureusement "accouché"
par le professionnel de service, et avant que le cercle de famille
s'agrandisse pour lui offrir sa place, on recoud "quelques
petits points de rien du tout" à la maman, qui se sentirait
à peine mère si elle avait échappé à
la trop fameuse épisiotomie.
Ensuite, chacun est content, et les jeunes parents, forcément
émerveillés, sont priés dorénavant de
s'occuper convenablement de leur progéniture.
Retrouver la confiance:
La France est le seul pays européen où la référence
en matière d'accouchement est la pathologie (10 %) et non
la physiologie (90 %). Ce raisonnement du "qui peut le plus
peut le moins" ne l'empêche pas d'avoir parmi les plus
mauvais chiffres de mortalité morbidité foeto-maternelle
d'Europe (juste avant l'Irlande). Il semble donc important de retrouver
la confiance.
Dans les femmes, d'abord : elles sont, jusqu'à preuve du
contraire, les plus à même d'amener leurs enfants au
monde sans encombres (dans plus de 90 % des cas) et ce, depuis un
moment
..
Dans les médecins, ensuite, qui, à force de galvauder
leur savoir-faire, hautement technique et extrêmement performant,
dans des interventions qui ne sont pas de leur ressort (accouchements
eutociques) déprécient leur spécialité
aux yeux des parents.
Restaurer la conscience
Comment se plaindre que les parents d'aujourd'hui soient (au choix)
: démissionnaires, dépassés, incompétents,
démobilisés, laxistes, infantiles, alors même
que depuis 25 ans, on les a déclarés ouvertement incompétents
à faire naître leurs enfants, devant être obligatoirement
assistés pour le temps de la grossesse et de la naissance
par des médecins, détenant toute vérité
en la matière.
Et qu'ensuite, une fois l'enfant né (et délivré
du danger potentiel que représentait manifestement pour lui
le corps de sa mère, à qui l'on avait du administrer
des ocytociques, pour qu'elle ait des contractions satisfaisantes,
une analgésie péridurale, pour qu'elle ne crie pas,
et des litres de sérum glucosé, faute de pouvoir s'alimenter)
on les prie de s'en charger, sans plus vouloir les aider, les accompagner,
dans le difficile apprentissage du métier de parents !
Renforcer la compétence:
J'aime à citer cette phrase du Pr Malinas :
"L'obstétrique traditionnelle consiste à surveiller
un phénomène physiologique en se tenant prêt
à intervenir à tous les instants. L'obstétrique
moderne consiste à perturber le dit phénomène
de telle sorte que l'intervention devienne indispensable à
l'heure exacte où le personnel est disponible. C'est beaucoup
plus difficile." Prof. Malinas, gynécologue-obstétricien.
Le Dauphiné Libéré, 8 mai 1994. Les gynécologues
obstétriciens sont des alliés extraordinaires, pour
les 10 % de femmes qui rentrent dans la pathologie. Leur grande
compétence, les progrès de l'obstétrique moderne
sauvent des vies chaque année. Qu'ils en soient remerciés.
Les sage-femmes sont les alliés parfaits pour les 90 % restant,
qui devraient pouvoir bénéficier d'un accompagnement
compétent, permettant de s'assurer que tout se passe bien,
sans nécessité d'interventions quelles qu'elles soient.
Qu'elles soient remises à la place qui leur revient.
Les hommes et les femmes ont, de tous temps, été les
plus à même d'accueillir LEUR enfant, qu'on les laisse
aussi exprimer cette compétence propre, fortement humaine,
qui leur sera hautement nécessaire dans l'avenir.
l'os
court :
« Enfant : fruit quon fit » Léo
Campion
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d'Expression médicale n°297
Hebdomadaire francophone de santé
9 Juin 2003
Si
on osait le mentorat
Dr François
Michaut
Satisfaction rare, pour un médecin,
que de souligner le courage politique de léditorial
du Bulletin de lOrdre des Médecins n°15 de mai
2003. Il ne sagit rien de moins que de la prise de position
du numéro un de notre vénérable institution
sur la question de leffondrement de la démographie
médicale en France.
Retrouver la confiance:
En vérité, lOrdre na pas bonne réputation
dans la profession médicale. Il est le plus souvent vécu
comme un gendarme tatillon, et un bastion du conservatisme médical
le plus poussièreux. Le fait quil ponctionne tous les
ans une cotisation obligatoire à chaque praticien naugmente
pas sa popularité. Ses origines du temps du gouvernement
de Vichy, et sa mission dans lapplication des lois anti-juives
interdisant lexercice médical aux Israëlites
restent dans nos mémoires.
Restaurer la conscience
Alors quand son Président, le Professeur Jean Langlois écrit
sans détour que nous allons payer très cher limprévoyance
des responsables de la nation depuis sept à huit ans, nous
ressentons quune conscience sexprime en toute liberté.
La population a besoin pour être soignée correctement
en 2012, quon admette en Faculté de Médecine
7500 étudiants par an. Or le numerus clausus a été
fixé par lEtat à 5100. Plus grave encore à
nos yeux pour lavenir de la profession médicale est
linformation que nous donne le Dr Jacques Blais, généraliste
enseignant à la faculté Paris-Ouest. Selon une enquête
auprès des étudiants de troisième cycle de
médecine générale ( environ 60 % de femmes
), seulement 20 % dentre eux envisagent de sinstaller
en cabinet généraliste. Huit sur dix veulent devenir
salariés, y compris dans des activités non médicales.
Renforcer la compétence:
Devant ces deux constats bruts, les pleurs et les grincements de
dents risquent de ne guère changer le cours des choses. Alors,
tant pis , lançons-nous à leau, et osons formuler
une proposition autre que celle de limportation envisagée
de médecins arrachés à leur propre pays. Les
rencontres que nous avons pu avoir avec lUniversité
Médicale Virtuelle nous ont convaincu que nos confrères
universitaires étaient ouverts à de nouvelles méthodes
de formation des médecins, en particulier pour surmonter
la passivité et le manque de motivation de leurs étudiants.
Manque de moyens, manque de personnel ? Et si lon osait solliciter
ceux qui ont raccroché leur stéthoscope ? Une solution
en effet serait de demander aux seniors - les plus vieux en latin
- ceux qui ont cessé leur activité clinique, de participer
à la formation des futurs confrères. Non pas pour
concurrencer les professeurs quils ne sont pas, et quils
ne prétendent probablement pas devenir, mais pour servir
aux carabins, aussi tôt que possible dans leurs études,
de mentors. Ce qui signifie selon le dictionnaire : guide,
conseiller éclairé. On est ainsi dans une position
beaucoup plus souple, infiniment moins contraignante pour chacun
que dans un tutorat. Un tuteur, cest cette tige rigide qui
contraint une plante à pousser là où lon
veut. Cest aussi la fonction de celui qui soccupe de
ceux que la loi nomme les incapables. Mettre le plus possible en
contact ceux qui ont vécu la profession médicale dans
sa réalité avec ceux qui veulent en faire demain leur
métier ne serait-il pas une façon intelligente pour
la société de recycler ses vieux médecins qui
le désirent ? Et déviter leffroyable gaspillage
des deniers publics de diplômes inutilisés. Dans des
métiers où lhumain devrait toujours être
au centre, même quand la technicité la plus développée
simpose, la relation entre deux humains dâges
et dexpériences vécues si différents
nest-elle quun accessoire, quun gadget ? Est-il
normal que jamais avant les toutes dernières années
de ses études, un carabin nait pu rencontrer directement
un praticien non hospitalier ? Que limage, souvent très
négative, pour ne pas dire diffamatoire, quil puisse
alors avoir des médecins de ville et particulièrement
des généralistes, ne soit que celle fournie par nos
confrères des services hospitaliers les plus techniques et
les plus spécialisés ?
Ecoutons le Pr Maurice Tubiana dans son interwiew du quotidien du
Médecin du 22 mai 2003. Pour lui, le savoir-faire et surtout
le savoir-être des vieux médecins doit être utilisé
pour former des généralistes compétents, ce
dont nous manquons, et manquerons, le plus cruellement en France.
L idée est dans lair du temps, même si
elle va à contre-courant du jeunisme ambiant.
Ne pas en défigurer la nature en la transformant en une construction
technocratique, mais sappuyer sur le volontariat, la souplesse
des nouvelles technologies de communication et les initiatives individuelles
semblerait une bonne méthode. Exmed se ferait un devoir de
participer activement à une telle initiative, si, naturellement,
elle était approuvée par un nombre suffisant détudiants
volontaires et de candidats mentors. Chiche ?
l'os
court :
« Il pense par contagion
et attrape une opinion comme un rhume.»
John Ruskin
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un autre numéro de la LEM Lettre
d'Expression médicale n°298
Hebdomadaire francophone de santé
16 Juin 2003
Interrogations
écrites(1)
Dr Jacques
Blais
Oui, c'était tentant et facile,
puisqu'une partie de ces deux LEM successives portera sur des rapprochements
entre Education Nationale et Santé. Mais en réalité
ce titre voudrait surtout souligner que nous ne nous situerons pas
ici dans des affirmations péremptoires, des critiques automatiques,
ou une polémique inutile. Chacun peut avoir et exprimer une
opinion, mais les situations sociales actuelles diverses sont si
complexes qu'elles ont bien davantage tendance à susciter
d'innombrables interrogations.
Une de celles-ci partira de l'idée d'explorer ce qui, dans
cet imbroglio absolu des quatre ou cinq sujets qui fâchent
actuellement le monde social, la classe politique, les usagers,
et quelques corporations spécifiques, concerne cette fameuse
décentralisation des personnels non enseignants de l'éducation
nationale.
Retrouver la confiance:
De quoi s'agit-il de manière simpliste ? De l'idée
de transférer des personnels jusqu'ici classés fonctionnaires
ministériels de l'éducation nationale, mais qui exercent
des métiers non enseignants, vers un statut de fonctionnaires
territoriaux. En transférant en même temps les fonds
et allocations correspondants à leurs activités.
Qui sont par exemple ces professionnels ? Les médecins et
infirmières scolaires, les conseillers d'orientation psychologues,
les assistantes sociales... Commençons par nous montrer aussi
précis et didactiques que possible. Une école appartient
déjà à la mairie, un collège ou un lycée
à la région. Le personnel de ménage, de cantine,
de surveillance des études le soir, d'entretien, les chauffeurs
de bus, toutes ces personnes sont déjà des employées,
nous parlons ici des écoles primaires, de la mairie.
Et toute autre affirmation répond à un fantasme, ou
à une tentative de manipulation. C'est à la Mairie
d'effectuer les appels d'offre pour une cantine adaptée,
sereine, efficace, sanitairement valable. Les surveillants
de cantine lors des repas sont des enseignants volontaires payés
pour cela et choisissant souvent d'arrondir ainsi leur salaire.
S'il y a un problème sanitaire, ce sera à la région
sanitaire d'intervenir. Ceci pour montrer qu'il existe déjà
un mélange absolu d'appartenances administratives et de gestion.
En comparant avec la Santé, serait-il logique que le chirurgien
chef de service se préoccupe de la nourriture, du ménage,
de l'entretien, du transport ? Il est fait pour cela appel,
selon les structures, là aussi l'appartenance régionale
ou nationale, ou privée, à des services sur appel
d'offre, ou bien régionaux, ou nationaux, avec un gestionnaire,
un directeur, etc.
Restaurer la conscience
Il est ensuite des postes dont la conscience collective est totalement
floue, avec des confusions énormes. Une psychologue scolaire
de réseau d'aide (RASED) en école primaire est, tout
comme les Maîtres E (langage) et les Maîtres G (expression
corporelle) une enseignante spécialisée qui a postulé
sur demande, et suivi une formation supplémentaire en IUFM
pour effectuer cette tâche. Elle n'est ni clinicienne, ni
thérapeute, elle possède une connaissance théorique
de la psychologie qui l'amène à faire passer des tests
et à adresser vers l'extérieur des enfants en difficultés.
En aucun cas elle ne peut ni ne doit ni ne sait appliquer une thérapie
d'ordre analytique, comportemental, ou familial. mais comme elle
est à la base enseignante, elle ne sera pas décentralisée,
elle demeure Education Nationale. A l'inverse, une Conseillère
d'orientation psychologue est une personne qui a effectué
des études de psychologie universitaire, elle n'est pas non
plus, et cela résulte de son choix d'exercice, clinicienne
ou thérapeute, mais elle va proposer son savoir pour aider
les jeunes à choisir des filières adaptées.
Elle n'est pas enseignante, et serait alors décentralisée.
Un médecin scolaire est également une personne non
enseignante, non soignante, non thérapeute, qui ne prescrit
pas de traitements, mais dépiste, oriente, surveille. Et
c'est son choix d'exercice professionnel. Exactement comme un médecin
du travail dans une entreprise, avec une population différente,
ou un médecin de PMI avec encore une population plus jeune.
Aucun n'est enseignant, aucun n'est soignant, et pourtant ces trois
médecins ont des statuts d'appartenance différente.
Pourquoi ? Et surtout pourquoi, hormis l'incontournable notion de
statut de fonctionnaire à vie, se préoccupe-t-on des
médecins scolaires et non des autres cités ? Même
chose pour l'infirmière, non soignante.
Renforcer la compétence:
Terminons sur des compétences professionnelles encore différentes.
L'assistante sociale en milieu scolaire n'a un statut Education
National que parce qu'elle opère dans un milieu scolaire.
Mais existe-t-il la plus petite différence entre son suivi
et celui de l'assistance sociale de secteur, qui visite les familles
à domicile et les connaît globalement et non sous l'angle
de ses seuls élèves scolarisés ? Allons plus
loin. Il nous est tous arrivés, médecins de familles,
heurtés et bousculés par des constats de la vie, des
enfants mal ou non nourris, ne mangeant que les jours d'école
et par conséquent de cantine, avec un père en prison,
une mère malade, et tous autres avatars de l'existence, de
nous battre comme des lions pour obtenir de la mairie des bons de
cantine gratuits, des services sociaux des aides. A qui faisions
nous appel alors ? A l'assistante sociale de secteur, pas à
celle de l'école. De même que les Conseillères
en économie sociale et familiale, de statut régional,
vont gérer les difficultés financières en réseau.
Une autre approche : quand un enfant ou un jeune est en difficulté
d'ordre mental, psychique, familial, social, soit nous le faisons
prendre en charge par des structures publiques, centre hospitalier,
unité de thérapie familiale, antenne extérieures
d'un service de psychiatrie, soit des structures régionales,
CMP (Centre Médico Psychologique) où il sera suivi
par des spécialistes, psychiatres, psychologues, orthophonistes.
Ou enfin par des intervenants privés, orthophonistes, psychologues,
etc. Donc notons ici un point fondamental, dès lors qu'il
s'agit d'une situation d'ordre clinique, thérapeutique, diagnostique,
les intervenants sont extérieurs à l'école.
Et généralement de statut territorial, ou privé,
en tout cas pas du tout Education nationale.
Ces réflexions de départ servent déjà
à illustrer la complexité annoncée. Et à
éclairer l'idée que, depuis très longtemps,
et avec une relative efficacité, des intervenants d'ordre
et de statuts complètement différents, scolaires enseignants
(enseignants, psychologues, maîtres spécialisés
en aide de réseau) scolaires non enseignants (santé,
orientation, social), territoriaux et municipaux (CMP, assistantes,
conseillères), privés (médecins, orthophonistes,
psychologues, structures, etc) associent leurs efforts, se réunissent,
oeuvrent pour le bienfait, la thérapie, l'amélioration
des enfants et des jeunes à partir de l'enseignement et en
dehors de celui-ci. Sans que, le moins du monde, le statut de chacun
soit un frein, ou interroge qui que ce soit.
Nous tenterons dans la LEM suivante de démonter les mécanismes
qui mènent les professionnels de ces différents statuts
à s'estimer menacés, ou de comprendre quels intérêts,
quelles confusions, quels arguments, servent à apporter une
telle résistance au changement de la part d'une partie enseignante
d'un univers au sein et en dehors duquel exercent un très
grand nombre de non enseignants.
l'os
court :
« Écoles : établissements
où lon apprend aux enfants ce quil faut savoir
pour devenir professeurs.»
Sacha Guitry
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un autre numéro de la LEM Lettre
d'Expression médicale n°299
Hebdomadaire francophone de santé
23 Juin 2003
Interrogations
écrites (2)
Dr Jacques
Blais
Retrouvons ici nos différents
intervenants en milieu scolaire, et la confusion qui ajoute terriblement
à l'atmosphère tendue et lourde des conflits actuels.
De quoi s'agit-il en résumé en ce qui concerne la
décentralisation ? D'attribuer à des personnels non
enseignants un statut de fonctionnaire territorial, en transférant
du même coup sur les régions, ou les municipalités,
des budgets actuellement gérés par l'Education Nationale.
De nouveau recevons l'interrogation, la crainte, la peur des populations
et des professionnels. Que craignent-ils sinon que de cette modification
de statut, leur avenir dépende non plus nationalement d'un
ministère mais d'une région, avec ses aléas
de couleur politique changeante.
Retrouver la confiance:
Il est aisé de percevoir, sous-jacente, cette énorme
question de confiance, qui est alors un constat étonnant.
Chacun sous-entend, en préférant conserver un statut
ministériel et non un régional que, nationalement,
la politique ne changerait donc jamais, quelle que soit la couleur
du gouvernement l'éducation nationale demeurerait immuable,
souhait, constat, ou fantasme ? Et que par ailleurs un changement
politique régional ne peut automatiquement qu'être
préjudiciable, péjoratif, quel qu'il soit ?
Reprenons notre comparaison par analogie. Quelle différence
entre un médecin ou une infirmière scolaire, du travail,
ou de PMI ? A part le statut, aucune. Mêmes missions, mêmes
tâches. Doit on alors subodorer que la pérennité
du poste dans le monde du travail est plus aléatoire parce
que sous contrôle privé, que la caractéristique
régionale de la PMI apportera une répartition du travail
sous forme de vacations ici et là, moins de confort et donc
la crainte chez le médecin scolaire?
En quoi aussi la mission et la tâche de l'assistante sociale,
de la conseillère en orientation, différeront-elles
si elles travaillent sous statut régional, et non plus ministériel
? Les locaux où elles opèrent sont déjà
ceux de la région, les populations à suivre et aider
sont les mêmes, la demande est rigoureusement identique. C'est
bien leur statut qui change, et non leur profession.
Et pourquoi ne jamais lire ou entendre, nulle part, qu'après
tout un statut régional peut être un progrès,
un plus, un bénéfice de stimulation politique, voire
même de surenchère, le résultat d'une action
bien plus proche et réelle d'électeurs non dilués
et d'une action personnalisée guidée par une ambition
d'élus moins bridés qu'au niveau national ? Pourquoi
pas ?
Au passage, un rappel de précaution, toutes ces interrogations
écrites sont bien des questions, ouvertes et ne se prétendent
en aucune façon bouclées avec la réponse incluse.
Restaurer la conscience
Passons à des arguments souvent opposés. Par exemple
celui, habituel, du démantèlement des "équipes
pédagogiques". En insistant sur une première
idée : en quoi des partenaires enseignants et non enseignants,
amenés à travailler dans les mêmes endroits,
une fois de plus rappelons "l'appartenance" municipale
ou régionale des structures, verraient-ils le plus petit
changement dans leurs actions sous prétexte qu'ils ne portent
plus la même étiquette statutaire ? Leur métier
demeure identique.
Nous allons illustrer de deux exemples très précis.
Quand un enfant de scolarité primaire est en difficulté,
qu'une décision doit être prise quant à son
orientation pour l'année suivante, une Commission de concertation
pédagogique et d'évaluation va être réunie
selon la loi scolaire. Cette CCPE se forme dans les locaux de l'Inspection
Académique. S'y retrouvent l'Inspecteur, la directrice, la
psychologue scolaire, l'enseignante, le maître E d'aide à
l'intégration, tous issus du monde scolaire enseignant, également
l'infirmière scolaire et le médecin, non enseignants
de l'éducation nationale, ainsi que les psychologues ou psychiatres
du Centre Médico-Pédagogique, de statut territorial,
l'orthophoniste privée de l'enfant et le médecin traitant
s'ils en font la demande. Une remarquable "équipe pédagogique"
au sein de laquelle personne, absolument personne n'est gêné
ou perturbé de l'appartenance dans le détail des participants
à un minimum de trois statuts différents, dans un
lieu institutionnel décentralisé. Parce que tout le
monde ici ne se préoccupe que de l'enfant, de son avenir,
et non de son statut.
Renforcer la compétence:
Un autre exemple dont vous excuserez le caractère personnel.
Durant quatre années, avec un psychiatre hospitalier de secteur,
nous avons réuni tous les deux mois ce que nous avions baptisé
un "Réseau de prévention en santé
mentale" Pour y parler d'adolescents, de drogue, de danger,
d'éducation, d'enseignement, d'avenir, de maladie, de psychiatrie,
etc. Nous y recevions tous les intervenants intéressés,
et nous avons vu venir des personnes de tous horizons. Enseignants,
directeurs d'établissements, orthophonistes, médecins
et infirmières scolaires, enseignants spécialisés
et psychologues scolaires, psychiatres, médecins généralistes, travailleurs
sociaux, conseillères en économie sociale et familiale,
éducateurs de rue, personnel de justice, commissaire de police,
représentants associatifs, personnels des CMP, etc etc. Ces
rassemblements de partenaires de milieux, d'origines, de statuts,
de professions, totalement différents, ont souvent été
animés, passionnés, instructifs au possible, et très
intéressants. Et jamais les intervenants ne semblaient préoccupés
de nos statuts respectifs, qui allaient du privé au public,
du territorial au national, au municipal. Parce que tous ne s'intéressaient
qu'à nos rôles, nos missions, et aux jeunes auxquels
nous avions affaire. Un détail, nous nous réunissions
tantôt dans des locaux prêtés par la mairie,
municipaux, tantôt dans un collège, alors régional.
Deux fois seulement, des intervenants qui ne sont jamais revenus
ensuite, ont émis des réserves quant au fait de partager
dans un cadre non institutionnel des propos qui seraient alors issus
de l'institution : un inspecteur d'académie, et une psychologue
scolaire. Les seuls et exclusifs à avoir été
dérangés par un problème d'apparence ou de
statut. Pas par celui du secret partagé, nous y avions consacré
plusieurs séances, et jamais aucune situation évoquée
n'était bien sûr nominative ou personnalisée.
Ceci sans en tirer de conclusion ou de généralisation,
simple remarque.
Pour terminer je voudrais tenter de sérier les interrogations
qui me viennent par écrit.
1/ En dehors de cette position statutaire, et des craintes protectionnistes
qui peuvent s'y attacher, à la lumière de toutes ces
réflexions, en quoi cette décentralisation de personnels
par définition non enseignants, donc sans justification d'un
statut éducation nationale, pourrait-elle changer quoi que
ce soit à leur travail, leur mission, leur rôle, leur
envie de s'occuper de leurs jeunes ?
2/ Pour quelles raisons non explicites les enseignants se sentent-ils
si agressés par cette proposition qui ne les concerne pas,
eux enseignants, ne les privera jamais de ces collaborations fructueuses,
ne changera rien aux méthodes et aux habitudes de prises
en charge collective de leurs jeunes, et encore moins à l'usage
de locaux qui appartiennent déjà au territoire et
non à l'éducation nationale ?
3/ Quelles motivations assez obscures ou peu nettes poussent-elles
des personnels non enseignants aussi divers à tenter par
tous les moyens de se faire des alliés impliqués du
monde enseignant, non concerné, des parents, non informés
ou terrorisés (on entend partout évoquer la cantine,
les ordinateurs, les surveillants, toutes questions d'ordre municipal
ou régional depuis longtemps) au lieu d'annoncer clairement
et d'assumer leurs préoccupations d'ordre statutaire en en
discutant pour leur compte les avantages et inconvénients
sans entretenir une telle confusion ?
4/ Une interrogation générale : quelle tragique évolution
de notre nation, pourtant nantie, privilégiée, éduquée,
démocratique en apparence, a amené une impossibilité
visible et audible désormais de mettre en évidence
la moindre demande de toute nature autrement que par la grève,
la manifestation, la cacophonie, les vociférations et la
paralysie ? Quelles carences sont en cause ? Manque absolu de confiance
(représentativité des élus professionnels,
syndicaux, politiques, locaux) manque criant de conscience (honnêteté,
notion de statut, pouvoir, autonomie, manipulation, etc), manque
de compétence (professionnelle, politique, sociale, vocations,
formation, adaptation, intelligence, etc)....?
Ensuite des questions bien davantage éthiques qu'économiques
ou seulement politiques :
A/ Quel sens éthique, de responsabilité, parvient
à justifier de convaincre un jeune de ce que les enseignants
qui l'empêchent de se rendre à ses examens, nécessaires
pour la suite de son parcours, oeuvrent "pour son bien et son
avenir" .
B/ Quelle terrifiante tragédie peut-elle bien mener un jeune
de 24 ans, qui n'a pas encore formé de projets, pas vraiment
travaillé, pas rêvé, pas échafaudé
d'avenir, à se préoccuper comme priorité d'existence
de la retraite qu'il atteindra dans 37 ans ?
C/ Quelle démonstration pédagogique, quel modèle
de vie d'envergure, quel sens éthique et de respect, des
enseignants, chargés d'instruire, d'enseigner, d'apporter
une idée du beau, du progrès, de la culture, peuvent-t-ils
donc proposer aux jeunes qu'ils ont en charge en bloquant un dépôt
d'autobus de force, en pratiquant le coup de poing, en montrant
une brutalité et une violence péjoratives, et en utilisant
des arguments par contamination alors qu'ils doivent représenter
l'élite intellectuelle ?
D/ Quelle théorie pourront proposer n'importe quelles fractions
citoyennes pour justifier la casse, la destruction, le saccage,
fût-ce au nom de n'importe quelle idéologie ?
l'os
court :
« Cest quand le
cigare éclate quon sait que cest un pétard.
» Laurence
J. Peter
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