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Lettre
d'Expression médicale n°354
Hebdomadaire francophone de santé
12 juillet 2004
Annoncer
une mauvaise nouvelle
Docteur Jacques Blais
Cest une réflexion sur
les stratégies de communication. Mais pas seulement bien
sûr, car il ne saurait exister de hasard dans les comportements,
liés à ou induits par des apprentissages et des expériences
et, partant, également à des choix de lexistence.
Exprimé dune autre manière, un professionnel
de santé ne devient pas chirurgien en tirant à la
courte paille, ou médecin par petites annonces, lun
comme lautre de ces soignants auront abouti à leur
poste en optant au cours de leurs études vers un parcours
qui leur convienne et les séduise.
Retrouver la confiance:
La question du jour est la suivante : comment procède-t-on
de la façon présumée la plus appropriée
à lannonce dune mauvaise nouvelle, en loccurrence
un résultat de biopsie qualifié de positif ?
Ce qui mérite demblée une toute première
réflexion. Un résultat décrété
positif par lintervenant soignant est le plus négatif
qui puisse être pour le patient, puisque annonçant
un cancer. Simple notion de point de vue ? Toute lhistoire
commence là.
Dans un service déterminé, présumons le durologie
parce quy exercent et des chirurgiens opérateurs et
des médecins traitant par médicaments, la façon
de procéder est radicalement différente. Les chirurgiens
font adresser au patient par leur secrétariat une lettre
annonçant de manière
.lapidaire, tiens voilà
un mot très intéressant, on lancerait alors des cailloux
sur le malade ? au figuré bien sûr, que
« la présence de cellules anormales sur votre
prélèvement anatomopathologique nous invite à
vous proposer de prendre rapidement un rendez-vous pour que nous
en discutions. »
Restaurer la conscience
Soyons alors conscients, en toute lucidité, de la situation.
Le chirurgien a
opéré selon ses convictions
et ses apprentissages. Tranchant dans le vif, il a taillé
dans le papier et incisé de sa signature une sorte de condamnation
en utilisant sa plume comme son scalpel, sur ou à lencontre
dun patient incapable de lui répondre, une mutité
à laquelle il est accoutumé grâce à lanesthésie.
Propos cruel et violent ? Non, lucide. Et surtout pas une condamnation
ni une généralisation, toutes les personnalités
existent parmi les professionnels de santé.
Cette pratique est liée à lexpérience,
un chirurgien traite par le biais doutils et dinstruments,
quand un médecin utilise la parole
.et parfois des médicaments
qui savalent et se boivent comme les paroles citées.
Lorsquon discute en médecin de cet état de fait
avec le chirurgien, il est surpris, logiquement dailleurs.
Comment cela, le patient est tout seul devant sa feuille imprimée
dont il a aisément compris le message instantanément ?.
Oui, réplique le chirurgien, je lai avisé de
ce que nous devions discuter de son cas. Comment cela, il va alors,
pendant parfois des semaines avant de parvenir à obtenir
un nouveau rendez-vous dans un service surchargé, simaginer
envahi par un cancer galopant, métastatique, débordant,
et sans autre issue que le pire, les rayons, la chimio, des conséquences
effroyables, et la mort ? Mais je nai rien écrit
de tout cela !!
Effectivement, car le chirurgien agit, par son geste, et lui est
déjà dans laction future, sans imaginer un instant
que le patient est demeuré dans lhypothèse,
lincertitude, dans le scenario du pire. Le verbe et les verbes
nappartiennent généralement pas à son
programme. Ce nest aucunement une critique, mais un constat
habituel non généralisable cependant.
Renforcer la compétence:
Quelques médecins vont expliquer, suggérer, en citant
leur pratique. Eux, dans une situation identique, téléphonent
au patient. « Oui, se défend le chirurgien, mais
par téléphone on ne peut pas prévoir la réaction ».
Exact, mais la réaction de qui ? Du chirurgien désemparé
devant les questions, la peur, langoisse, une éventuelle
agressivité, lexpression dune urgence, lenvahissement
de la communication et du temps ? Ou du patient, dont il sera
on ne peut plus aisé et efficace découter et
dentendre la voix, les ruptures de rythme, la raucité,
le sanglot ravalé, les silences prolongés, les hésitations,
de susciter des interrogations quil noserait pas en
face à face, alors quil est chez lui, quil peut
blêmir, rougir, ou verser une larme silencieuse en pensant
échapper au regard ?
Et précisément, au lieu de limaginaire lui envahissant
déjà le corps de métastases et dextension,
le privant de solutions thérapeutiques modérées,
latteignant et lexposant au pire, il va par le biais
de la parole être en mesure de matérialiser ses angoisses,
de les exprimer, dentendre des réponses, de sapproprier
physiquement un cancer fantasmatique. Lêtre a besoin
ici davoir, je suis un humain, et jai un cancer. Il
est situé à tel endroit, il mesure tant de millimètres,
son degré dévolutivité a été
chiffré par tel coefficient, ce qui le classe dans telle
catégorie, permettant tel traitement, tel type dintervention,
avec tel pourcentage de probabilité, tels effets secondaires.
Y a-t-il une leçon à tirer de tout cela ? Certainement
jamais, le terme est inapproprié, il y a par contre un certain
nombre denseignements et de constats. En écrivant plutôt
que de téléphoner, le praticien éloigne à
lévidence le patient, le temps, le délai, évite
les mots, les questions, le dialogue, et ménage de façon
tout aussi nette sa peur à lui, et non celle présumée
dun patient malmené face à un rectangle de papier
en forme traduite darrêt de mort pour beaucoup. Quand,
sous forme de paroles, lannonce vraie devient dialogue, interrogations,
réponses, explications, perspectives, stratégies,
projets. Naturellement relayés dès que possible par
une consultation de face à face qui va compléter,
relancer, expliquer, prévoir.
Ce qui nempêche en rien le respect dune mesure
légale, dune trace dannonce : « je
vous confirme cela par écrit, mais jai préféré
men entretenir avec vous oralement dabord ».
Lécriture est un secours indispensable quand elle est
utilisée en trace à relire, en phrases à conserver,
en expression à ralentir et soutenir, en explication et démonstration
soutenant des idées et des théories, en beauté
et en poésie. Mais elle est à risque, ses qualités
devenant aussi vite des défauts, lorsque ses ciselures deviennent
couteaux, ses mots se transforment en cris, et ses phrases de bon
sens en interrogations à double sens. Pour bien des situations
la parole sera irremplaçable, et cet exemple en est un, pour
annoncer à un être quil est atteint dans son
corps, le dire initialement est sans doute préférable
à lécrire, pour ne pas être pris au pied
de la lettre.
l'os court :
«
Si jai demandé un faux
numéro, pourquoi répondez-vous ? »
James Thurber
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Lettre
d'Expression médicale n°355
Hebdomadaire francophone de santé
19 juillet 2004
A
vos marques
Docteur Jacques Blais
Un sujet de civilisation, pourrait-on
dire, sur lequel une émission de radio s'est penchée
il y a quelques temps, et qui a inspiré à Philippe
Ariès un ouvrage de sociologie sur l'idée des marques.
Celles que portent les vêtements, en particulier, et leur
signification.
Il est utile de noter en démarrage que le terme lui-même
de "marque" vient au départ du marquage des bêtes
d'un troupeau à l'aide d'un sceau de fer porté au
rouge, comme signe d'appartenance à un propriétaire
agricole.
Retrouver la confiance:
Ce premier élément, même s'il est résumé
sous l'idée "d'appartenance à un troupeau"
est plus qu'intéressant, fondamental. En effet, la cible
principale des marques, le potentiel commercial le plus sensible,
est celui des jeunes, à la fois par leur réceptivité
aux messages publicitaires, leur fonctionnement collectif par imitation,
et leur sentiment d'appartenance à des groupes qui leur donnent
leur signification dans l'existence.
Un jeune, enfant, adolescent, a pour se sentir en confiance besoin
impérativement de cette "marque de groupe" qui
sera faite à la fois d'un langage, d'un mode de comportement,
d'une participation collective à une activité, à
une équipe, fût-elle seulement de supporters, tous
alors reconnaissables de nouveau à cet "uniforme"
Le mot est lâché, l'uniforme, cet instrument d'égalisation
apparente, sans doute, mais encore bien plus cette garantie de non
différenciation, cet aspect extérieur qui mènera
tout jeune, des baskets à la casquette, à apparaître
rigoureusement selon les mêmes critères que tous ses
copains, pour se rassurer et être membre de la fratrie.
Restaurer la conscience
C'est le deuxième point qu'évoque le plus Philippe
Ariès, interrogé sur sa vision de ce phénomène
des marques. Les générations précédentes
étaient celles des "pères", la transmission
était alors celle d'une culture, d'une ethnie, d'une religion,
d'une éducation, d'un patrimoine, d'un milieu social, d'une
profession éventuellement, d'un mode de vie, de traditions,
et cette pérennité suffisait à "marquer"
des valeurs qui étaient reconnues par le groupe familial,
le sous-ensemble dans le système.
Actuellement la transmission est celle des " pairs" ou
des frères, des égaux, des équivalents dans
le groupe social, et non plus celle des anciens, des prédécesseurs.
Et les valeurs transmises sont alors non plus culturelles, ethniques,
religieuses, politiques, sociologiques, d'éducation, de mérite,
de profession, mais celles de l'apparence qui est la règle
de l'appartenance au groupe. Autrement dit non plus "dis moi
quel est ton parcours, quels sont tes apprentissages, tes expériences,
ton éducation, ta culture, tes traditions", mais bien
plutôt "dis moi combien tu portes sur toi, que je puisse
évaluer, estimer, ta capacité à entrer dans
le même groupe social que moi"
Il est extrêmement instructif d'écouter les phrases
de ces jeunes, interrogés. "Si t'as pas la marque, t'es
rien. Tu attrapes pas les filles, tu entres pas dans les boîtes,
tu n'existes pas, tout simplement". Ils sont d'une précision
absolue dans leurs évaluations. En dessous de Nike, Diesel,
Fashion, Lacoste, Gucci et équivalents, il est inutile d'espérer
"entrer".
Renforcer la compétence:
"Entrer" est encore une notion dont on entend l'expression
avec un intérêt majeur. Entrer dans un groupe, bien
sûr, mais aussi entrer dans une boîte de nuit, dans
un club, dans un lycée, dans une profession, dans la société,
dans la collectivité, nécessite une sorte de "compétence",
celle de se montrer capable, par n'importe quel moyen, d'acquérir
un uniforme de marques acceptées et assimilables à
celles du niveau social du groupe.
Ces jeunes expriment une échelle, elle va se situer entre
250 et 300 euros à porter sur soi, ce qui place dans une
hiérarchie d'admissibles dans le groupe. Et ces jeunes, lorsqu'ils
s'expriment, vont loin dans leur analyse, affirmant notamment que
"les intellos" entendre par là les bons élèves,
les futurs diplômés, ne portent pas de marques, eux
se regroupent entre eux avec des critères d'appartenance
différents. Une valeur ajoutée par les études,
et non par l'argent qu'ils portent sur leur peau.
Tout ceci n'est pas une découverte réelle, mais une
illustration instructive de l'évolution d'une société.
De la transmission à la descendance de valeurs traditionnelles
anciennes, culture, éducation, mérite, à la
transmission horizontale entre pairs de valeurs commerciales, on
porte ce que l'on vaut.
La compétence change aussi complètement. Nulle surprise
alors que les enseignants ou les éducateurs s'échinent
et s'acharnent à communiquer des valeurs d'autrefois, quand
la compétence nouvelle est essentiellement celle qui devine,
qui devance, qui offre une valeur aux marques constituant l'appartenance.
Le meilleur des commerçants non seulement repère,
mais devance, instaure parmi les jeunes l'arrivée de la marque
qui deviendra le phare et la source de profit maximal.
Les porteurs actuels de la transmission sont, de nouveau et toujours,
les vedettes médiatiques du petit écran. La vraie
réussite est là. Si un membre de la Star Ac porte
soudain une paire de chaussures nouvelles, n'importe quel commercial
de la chaussure vous affirmera qu'il sera le lendemain en rupture
de stock sur cette marque et ce modèle. Le signe a été
donné.
Alors les questions sans réponses, ne les qualifions pas
d'idiotes, affluent. Comment changer le message, comment le transformer,
comment changer le cours et la nature des valeurs pour cette immense
majorité de jeunes de nos pays ?
Comment, pour les parents, résister, orienter, recentrer
les valeurs, donner le goût de l'existence basée sur
des valeurs personnelles et non sur celles des vêtements que
l'on porte ? Comment lutter contre les copies, les contre-façons,
la contrebande, puisque tous ces phénomènes répondent
à une demande extrême et croissante ? Comment, adultes,
ne pas entrer dans le même moulage, ou "formatage"
en n'achetant les mêmes voitures, les mêmes objets,
les mêmes marques ?
Il y a derrière tout cela un vieux mot, désuet, reçu
de nos pères, celui de "mérite". Le plus
étonnant est de constater en regardant l'étymologie
de ce mot fabuleux qu'elle se trouve dans le Grec, meiresthai, obtenir
en partage, ou meros, la part, mora le destin. Et dans le Latin,
par mereri, meritus, recevoir comme prix, gagner. Et la famille
d'origine de tout cela, issue de mer, a à voir avec la mémoire.
Dans le fond du problème, s'agirait-il de savoir ce que l'on
gagne à dépenser ? Ou bien ce que l'on partage en
méritant ?
Bon courage, les amis.
l'os court :
«
Répéter je sais, je
sais ... signifie que lon ne sait pas et que, dailleurs,
on sen moque.» Robert Sabatier
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Lettre
d'Expression médicale n°356
Hebdomadaire francophone de santé
26 juillet 2004
Iatrocide
Docteur François-Marie Michaut
Les conséquences logiques sur
le terrain vont parfois totalement à lencontre de ce
que recherchent les concepteurs en chambre dune solution à
un problème bien concret. Les députés du Parlement
français viennent ainsi de voter une loi destinée
à éviter le naufrage financier de notre système
dassurance maladie. Pour que ce texte soit définitivement
adopté, les sénateurs doivent lentériner.
Il est donc urgent de dire haut et fort ce qui va se passer. Notre
habitude nest pas de dramatiser, mais si nous utilisons le
terme de iatrocide, cest parce que tout un pan de notre médecine
risque de disparaître à tout jamais.
Retrouver la confiance:
Avec lobjectif, au demeurant fort généreux,
de mieux protéger les patients contre les risques liés
aux usages, mésusages et accidents des pratiques médicales,
le docteur Kouchner, alors ministre de la santé du gouvernement
socialiste a fait adopter une loi. Loi sur les droits des patients,
donnant la possibilité dindemnisations importantes
en cas dalea thérapeutique. Parallèlement,
à lexemple de ce qui se passe outre-atlantique, les
patients hésitent de moins en moins à porter plainte
contre leur médecin. Le résultat a été
rapidement calculé par les compagnies dassurance dont
les primes concernant la responsabilité professionnelle se
sont envolées.
Restaurer la conscience
Sous cette double influence, des spécialités comme
la chirurgie, lanesthésie, la gynéco-obstétrique
voient le nombre de leurs praticiens seffondrer.
Si la dernière loi Douste-Blazy est appliquée, chaque
patient devra avoir son médecin traitant, seul habilité
à autoriser laccès aux médecins spécialistes.
Deux cas peuvent se présenter.
Le médecin généraliste a peu de clients, et,
ce nest pas rare, il a du mal à vivre de son métier.
Le pauvre na guère le choix. Il ne peut que donner
satisfaction à toute demande de consultation dun spécialiste.
Le prix d une consultation tombe dans son escarcelle. Comme
le spécialiste se sentira lobligé de ce fournisseur,
il lui renverra le patient avec un courrier. Deuxième consultation
assurée.
Quant au médecin ayant une bonne clientèle, on peut
penser , comme cela se passait naguère dans 95% des cas,
quil est capable de répondre lui-même au problème
médical soulevé, bien souvent en une seule séance.
Et bien, étant donné le risque de plus en plus grand
de procès, il ne pourra plus assurer cette responsabilité.
Si son patient faisait un infarctus trois mois plus tard , ou si
un cancer du sein faisait parler de lui dans un an, il se retrouverait
devant le juge en position très difficile. Le voila donc
contraint, lui aussi, à répondre positivement à
toute demande de consultation spécialisée, aussi farfelue
et inutile soit-elle à ses yeux.
Renforcer la compétence:
Voilà comment en deux lois, inspirées par deux médecins,
ô ironie du sort, on peut obtenir deux résultats paradoxaux.
Ruiner encore plus les caisses dassurance maladie avec des
consultations médicalement parfaitement inutiles. Et, à
nos yeux infiniment plus grave pour notre santé à
tous, mettre à mort ce qui constitue la substance même
de la médecine générale. Une société
sans médecins généralistes, est-ce bien cela
que nous souhaitons ?
Messieurs les Sénateurs, votre responsabilité est
immense. Le silence des professionnels, assommés de mesures
contraignantes depuis le catastrophique plan Juppé de 1996
ne doit surtout pas être pris pour une acceptation tacite
de ce qui se met en place. Chacun cherche désespéremment
de trouver un échapatoire à ce monde destructeur que
vous tissez. Je ne voudrais vraiment pas être à votre
place. En tout cas, vous ne pourrez pas dire que vous navez
pas été prévenus. La mémoire de lInternet
est infiniment plus redoutable que celle de vos électeurs.
Sachez, malgré les vacances et votre légendaire sagesse,
ne jamais loublier.
l'os court :
«
Quand les saucisses commencent à mordre les chiens, on peut
commencer à sinquiéter » Demarquet
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Lettre
d'Expression médicale n°357
Hebdomadaire francophone de santé
2 août 2004
Souriez, vous êtes fichés
Docteur François-Marie Michaut
Voici lhistoire, lecteurs de
la LEM. Jai la malchance davoir un père
alcoolo-dépendant, et je suis moi-même depuis des
années un malade de lalcool.Ô, juste comme
un adulte sur dix dans nos sociétés, y compris celles
où règne la loi islamique qui interdit tout usage
des boissons fortes.
Retrouver la confiance:
Contrairement à limage dEpinal qui colle ,
y compris chez les médecins, aux basques des mes frères
de galère, je ne suis pas du tout un clochard, ni un raté.
Tout au contraire, jexerce des hautes fonctions de direction
dans une importante entreprise, que vous me permettrez de ne pas
citer. Jai dû, et à plusieurs reprises, subir
plusieurs traitements médicaux spécialisés
dans des centres dalcoologie, afin de mettre un terme à
cette toxicomanie légale qui me tuait. Et mon niveau de
formation dans une prestigieuse école dingénieurs
ne métait vraiment daucun secours pour men
sortir. Me voilà condamné, sous peine de mort, à
une abstinence totale et définitive dalcool. Je suis
sobre dalcool, mais comme disent mes amis alcooliques anonymes,
je reste alcoolique. Mais je ne suis pas du tout anonyme, jai
un nom et une situation très en vue .
Restaurer la conscience
Voilà une histoire banale, telle que nous en rencontrons
régulièrement en alcoologie, dans le secret de nos
cabinets de consultation. Là où les choses se compliquent,
cest quand la loi Douste-Blazy ( cf LEM 356 Iatrogène
) veut imposer un dossier obligatoire pour chaque patient dès
2007. Oui, un dossier informatisé centralisé, dont
aucun informaticien, donc aucun médecin, ne pourra assurer
linviolabilité. Si des intrusions non autorisées
ne sont pas techniquement absolument impossibles, soyons assurés
quelle se feront. Qui,dans le monde médical, aura
linconscience de faire figurer dans ce dossier une histoire
telle que la notre ? La révélation dun diagnostic
de dépendance à lalcool ( ou de toute autre
maladie, particulièrement dans le domaine psychiatrique
) a toutes les chances de détruire une carrière
ou une vie. Lâchement, ceux qui pensent navoir que
des maladies honorables - quen savent-ils, en vérité
?- ne pipent mot. Une hypertension, ou une arthrose, cela vous
renforce votre carte de visite. Un alcoolisme, une séropositivité
ou une dépression, cest à cacher.
Renforcer la compétence:
Quen plus, on ose apposer la photographie de lassuré
sur chaque carte informatisée permettant daccéder
à ce dossier obligatoire est hallucinant. En France, sauf
erreur, seuls les officiers de police sont en droit légal
de vérifier lidentité des citoyens. Mais pas
les médecins ! Osons dire que nous refusons de le faire,
car ce nest pas du tout notre métier. Un romancier
naguère nous promit Big Brother. Au moins, cela vous avait
un petit air fraternel. Nos hommes politiques nous précipitent
vers un redoutable Big Doctor, aux effets destructeurs évidents
pour tout clinicien digne de ce nom.
Alors, si le coeur vous en dit encore, ne vous en privez pas,
avant den pleurer amèrement : Souriez, vous
êtes fichés . Là encore, messieurs les
sénateurs, avant de donner votre accord final à
cette loi , faîtes en sorte que personne ne puisse dire
un jour : fiché = fichu. Et si vous avez la curiosité
douvrir votre dictionnaire, vous aurez la confirmation de
la connotation sexuelle du verbe ficher, synonyme de foutre :
avoir des relations avec une femme. Le poids des mots est décidemment
bien plus fort que nous ne limaginons.
l'os court :
«
« Il mest arrivé de prêter loreille
à un sourd, il nentendait pas mieux. » Raymond
Devos
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Lettre
d'Expression médicale n°358
Hebdomadaire francophone de santé
9 août 2004
Silence, on tourne
Docteur Jacques Blais
Une expression très habituelle
associe deux mots, lorsqu'on évoque Un silence de mort,
dont il est possible d'éprouver l'exacte transposition
quand vous vous trouvez dans une salle de cinéma à
regarder l'admirable film, primé à Cannes, de Denys
Acand, "Les invasions barbares". Un scénario
qui, comme pour apprivoiser, débute par une solide approche
ludique, avec un humour féroce et salace, puis grimpe dans
des échanges très culturels entre universitaires
Canadiens, avant d'aborder dans le dernier tiers le coeur du sujet,
la mort. Vous entendez alors son exact silence, dans une salle
devenue tombe muette et figée, puis si vous écoutez
en plus d'entendre, vous parviennent ces souffles retenus, des
gorges crispées, des déglutitions tendues, des lunettes
ôtées, des mouchoirs extraits, et des sanglots retenus
ou non. Impressionnant comme ce film remarquable attaque votre
meilleure résistance, avec une pudeur extrême, tout
est suggéré, livré à l'imagination,
et la vôtre pleure ouvertement ou intérieurement.
Retrouver la confiance:
Il y a quelques temps, les médias ont donné à
voir et penser avec le drame de cette mère qui abrège
les souffrances, et bien davantage à travers ses mots la
désespérance sans issue de son fils quadriplégique.
A cette occasion, les propos du représentant du gouvernement
ont été élevés, nobles, humains, quand
le Premier Ministre affirmait que la question n'est pas du ressort
de la politique. Et lui aussi évoqua ce silence de la mort,
en demandant de le respecter autour de cette famille.
Enfin le même jour encore, une émission d'une radio
nationale évoqua également le problème, dans
un reportage tout de pudeur et de respect (Là bas si j'y
suis, Daniel Mermet) , au cours duquel une famille évoque
l'euthanasie du père, qui a perdu tout contrôle de
son idéation et de sa conscience depuis des mois. Beaucoup
de notes extraordinairement importantes, dans ce reportage là
: d'une part les membres de la famille ne parviennent pas tous,
si tous ont donné leur accord, à "agir l'acte".
Deux participent totalement, et il est intéressant de noter
que l'un est le fils biologique, l'autre une fille adoptée,
quand trois demeurent à distance, une autre fille adoptée,
l'épouse, et un enfant biologique du père dont on
achève la vie. Deux lapsus du fils, lors de son récit,
sont à noter, il dit d'abord "j'ai avorté mon
père" et plus tard "j'ai autopsié mon
père" en voulant dire j'ai euthanasié mon père.
Interrompre, autre sens de la même idée, et "explorer
dans son corps intime" comme résultat, en quelque
sorte. Un dernier point, le fils déclare, serein, "il
m'aurait semblé logique d'injecter le produit moi-même,
c'était mon rôle à moi..."
Oui, dans ce silence terrible, pudique, mérité,
logique, obligé, subi et subit, qui entoure cette mort
là, si particulière, nous parlons bien de l'euthanasie,
le sujet dont on ne parle surtout pas tout en le plaçant
dans les têtes, les coeurs, et devant les micros, sur les
lèvres.
Restaurer la conscience
Seuls deux pays, disons les d'Europe du Nord, ont légiféré
sur ce sujet délicat, douloureux, et en même temps
sensible, lucide, inéluctable, et d'une actualité
croissante. Nous n'allons évidemment pas prendre le moindre
parti, car si effectivement ce n'est pour une fois certainement
pas une décision d'ordre politique, elle ne saurait appartenir
davantage au seul monde médical. Tout en ayant conscience
de ce que, tous les jours sans exception, des professionnels de
santé ont à donner une opinion, en recueillir d'autres,
prendre des décisions actives ou passives, et surtout naviguer
en permanence entre le non-dit, l'interdit, l'entendu tacite,
la logique, et la si subtile différence entre cesser d'agir,
interrompre la part de soins de survie artificielle, et décider
d'agir, comme dans l'exemple du film de Denys Arcand, dans une
clandestinité hors territoire médical, mais avec
quelques aides et complicités...
L'émission de radio évoquée établissait
un parallèle subtil de difficulté entre décider
en 1974 de la Loi sur l'IVG, inacceptable pour beaucoup, et indispensable
pour plus encore, et cette actuelle interrogation sur un consensus
sur l'euthanasie, à défaut de Loi. Et pour enfoncer
ce clou là, les médecins de ma génération
gardent un souvenir précis. Celui d'une nuance résolument
hypocrite, combien de discussion entre des praticiens jamais confrontés
à des demandes d'Interruption Volontaire de Grossesse,
grâce ou à cause d'une appartenance manifeste et
affichée à des clans opposés, catholiques
purs par exemple mais pas seulement, laissant alors les autres
confrères concernés, eux, se débrouiller
avec les 3 demandes quotidiennes de gamines de 15 ans dans des
cités dites défavorisées, mais de nouveau
pas seulement, ou bien pire encore, certains praticiens clamant
une nuance entre le stérilet qu'ils refusaient car à
l'origine d'un "mini-avortement d'oeuf déjà
conçu" et d'une pilule qu'ils acceptaient.
Renforcer la compétence:
Si à l'époque ce type de considération pouvait
faire hurler, comment évaluer la nuance actuelle entre
décider de cesser des soins de survie, et décider
d'agir comme la mère de ce jeune homme. "Ce n'est
pas du tout pareil" pourrait-on immédiatement entendre.
Voire. Et c'est alors toute l'interrogation, dans laquelle nous
ne prendrons certainement pas parti. Parce que le but de cette
réflexion est de comprendre le préalable systémique.
La compétence si elle doit être définie n'est
pas politique, mais un législateur devra au moins par défaut
intervenir pour ne pas condamner ou fixer un cadre, une commission,
un collectif. La compétence est systémique, avec
tous les sous-groupes habituels : la famille, (et les exemples
cités prouvent qu'elle doit être élargie),
au delà de la biologie, le groupe familial disons, certains
proches, amis, amants, connaissant et sachant infiniment plus
des idées, désirs, souhaits, du mourant que sa famille
parentale, les soignants, très élargis également,
médecin traitant, équipe de réanimation,
de soins, et tous les intervenants divers d'assistance et de support.
Et s'il y a lieu d'autres personnes existant dans la conscience,
la confiance et la compétence, un thérapeute, un confident,
un religieux s'il y en a dans l'existence du patient, un conseiller....
On voit que, lorsqu'il y a eu condamnation de personnel soignant,
il s'agissait d'individus, ayant agi sans concertation globale,
sans consensus familial, et de l'équipe soignante, il ne
saurait exister de marche à suivre qui ne soit un produit
résultant d'un système, d'un ensemble. Et le dernier
point de ce lancer de réflexion est de revenir à
ce silence du titre. Un silence de mort, qui convient pour entourer,
protéger, aider, respecter, parce que l'acuité à
nulle autre pareille d'une telle succession d'idées, de
pensées, de réflexions, d'échanges, qui même
en additionnant des compétences se situeront dans l'être
bien plus que dans le savoir, et surtout jamais dans le pouvoir
ou l'avoir, justifie toute la pudeur du secret des existences,
et certainement jamais le battage, l'écho, et le bruit
pour rien. Même s'il s'agit du plus haut degré imaginable
de l'existence, très loin des riens de la vie.
Si les hommes parviennent un jour à trouver un comportement
juste et collectif dans le domaine de la mort consensuelle, cela
signifierait que les êtres arrivent à se respecter
même dans leurs systèmes.
l'os court :
«
Ce que lon te reproche, cultive-le, c'est toi. » Jean
Cocteau
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Lettre
d'Expression médicale n°359
Hebdomadaire francophone de santé
16 août 2004
Hors d'état de nuire
Docteur François-Marie Michaut
A nen pas douter, il est un
sujet intellectuellement brillant, Richard Jan. Il serait même
crédité dun QI ( coefficient intellectuel)
hors du commun à 150. Le rapporteur de son histoire ne
dit pas un mot de ce que pourrait être son intelligence
émotionnelle ( QE) dont nous aimons parler à Exmed.
Probablement minable. Ce biochimiste britannique est pourtant
sous les verrous à vie. Serait-il un tueur en série
particulièrement dangereux, comme le fut notre célèbre
confrère anglais il y a quelques temps ? Sagit-il
dun pédophile redoutable, dun escroc de grande
envergure ? Pas du tout.
Retrouver la confiance:
Ce sympathique Richard Jan, selon le juge du Middlesex qui lui
a signifié sa condamnation mérite cette observation
: Les sujets de Sa Majesté doivent être protégés
de vous. Selon, le journal le Monde du 13 juillet 2004,
il sagirait tout simplement du harceleur du siècle.
Titre pour le moins présomptueux, hélas, quand notre
petit siècle na pas encore soufflé ses cinq
bougies.
Restaurer la conscience
Pour que la justice prenne en compte la gravité des faits,
il a fallu que, pendant sept ans, au moins deux cents personnes
aient été persécutées, dans le but
avouer de les faire craquer psychologiquement. Les méthodes
pour y parvenir ne sont pas sans intérêt. Passons
sur les lettres de menace, les appels téléphoniques
injurieux, les pneus crevés, voitures vandalisées,
incendie dune maison, menaces avec une batte de cricket,
et envoi des services dhygiène pour procéder
à une dératisation. Plus subtilement, on été
dosés de façon particulièrement perverse
nos outils favoris de communication. Dune part les minimessages
téléphoniques, et, surtout, ce que nous utilisons
chaque jour à Exmed - dans un tout autre objectif- : les
courriers électroniques. Pour faire bon poids, il y a aussi
eu de multiples appels téléphoniques muets pour
inquiéter des victimes. Bien sûr, les experts psychiatres
ont été interrogés par les juges. Et leur
réponse a été sans ambiguïté
: ce sujet ne souffre daucune pathologie mentale. Il est
tout simplement dépourvu de toute possibilité de
remords, et suit son idée fixe. Celle de mener, par ce
type de moyens, ce quil nomme la troisième
guerre mondiale, contre la horde fasciste. Lélément
déclencheur ( en lui-même, il ne peut absolument
pas être la cause de cette perversité) semble avoir
été, selon le journaliste du monde, une demande
formulée par ses parents eux-mêmes persécutés
,en 1996, de se soumettre à un examen médical. Pauvre
médecin, en vérité, aussi désarmés
et impuissants que le sont nos confrères britanniques chargés
par le NHS ( service national de santé) dapporter
une aide médicale aux harceleurs. Oui, vous avez bien lu,
aux harceleurs. Comment peut-on espérer que des gens qui
prennent leur plaisir à tourmenter psychologiquement les
autres, qui sont tellement dépourvus de toute possibilité
dautocritique, puissent demander une aide extérieure
? Quelle méconnaissance de la façon dont fonctionnent
les harceleurs que de penser quune telle proposition de
soins est réaliste. Jamais aucune harceleur ne renonce
à harceler : il peut juste changer de cible, cest
tout. Et, en prime, quelle perversion des esprits : ce sont ceux
qui assassinent psychologiquement les autres qui ont ainsi droit
à la sollicitude médicale. Les victimes, parfois
à vie, de ces redoutables prédateurs sont priées
de se débrouiller toutes seules pour sen sortir.
Renforcer la compétence:
La justice britannique a fait, et bien fait son travail : punir
ceux qui ne respectent pas les droits des autres à vivre
librement, et mettre hors détat de nuire ceux qui
nont rien dautre dans la tête que de détruire
les autres. Bravo. Toute autre considération, notamment
sociologique, psychologique, médicale ou politique est
hors sujet. Le temps trop facile des cest la faute
de la société, de traumatismes de lenfance
... chers aux avocats en mal darguments de défense
doit être comme ici dépassé. Le juge nest
ni un travailleur social, ni un médecin.
La médecine, elle, na rien compris à la gravité
du harcèlement moral en se laissant imposer lobligation
moralement indéfendable de traiter les coupables de harcèlement
comme sils étaient victimes dune maladie. Et
dune maladie soignable, voir guérissable. On rêve.
Honte à notre corporation pour cette tromperie. Car, disons-le
sans ménagement, notre intervention sert alors uniquement
à faciliter leur travail aux harceleurs qui savent si bien
pervertir la relation médicale. Comme toutes les autres,
ceux qui participent à nos échanges dexpériences
à Exmed en témoignent régulièrement.
l'os court :
«
Les cons, ça ose tout ; cest même à
cela quon les reconnaît. » Michel Audiard
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