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Lettre
d'Expression médicale n°376
Hebdomadaire francophone de santé
13 décembre 2004
Lexcision
en question
Docteur Jacques Blais
Consacrer une LEM entière au sujet de l'excision peut sembler
étonnant, mais j'avoue qu'un simple coup d'oeil, une fois que
j'ai appris une quantité d'informations sur cette question,
m'a paru succinct. Car je le reconnais, en tant que médecin,
je ne connaissais de ce problème que les quelques apports tronqués
des médias, le fait que le Docteur Pierre Foldès s'était
consacré depuis des années à la réparation
des dégâts de cette pratique aussi barbare que culturelle,
et que notre chère France était bien évidemment
fortement impliquée dans la passivité classique et l'approche
lointaine de ce phénomène. Mais aussi dans un sursaut
assez solitaire pour être mentionné.
Retrouver la confiance:
Il aura fallu quelques 25 ans de lutte, de recherche, de confrontation
aux réalités africaines, pour que le chirurgien urologue
Pierre Foldès réalise une description anatomique, une
transcription chirurgicale logique et répétable de sa
technique de réparation. mais intéressons nous tout
d'abord aux éléments d'observation.
Il y a environ 165 millions de femmes excisées en Afrique.
Et on estime qu'en France, encore 30000 femmes sont chaque année
nouvellement victimes de cette pratique. Ce qui est considérable.
Elles appartiennent quasiment toutes à des communautés
émigrées, mais 80 % d'entre elles sont nées en
France !
L'excision pure et simple consiste à "trancher" le
clitoris, si l'on peut dire, à créer par une large plaie
sans précaution une ablation de cet organe. Dans des conditions
évidentes d'absence d'hygiène, de matériel, de
technique, qui amènent une complication majeure et extrêmement
fréquente, puisqu'elle touche 65 millions d'africaines, la
fistule. Un canal anormal de passage entre la vessie et le vagin,
résultant du traumatisme du geste mutilant. Et créant
des infections, des douleurs, et un taux de mortalité dans
les suites à distance élevé. L'infibulation,
elle, est la pratique de la fermeture des lèvres vaginales
en les suturant entre elles.
Trois raisons majeures ont amené, au fil des années,
350 femmes a bénéficier des soins chirurgicaux de Pierre
Foldès en Afrique, 200 en France, et il en annonce 400 sur
ses listes d'attente : la douleur de la cicatrice, adhérente
à l'os du pubis et terriblement gênante, la dyspareunie
ensuite, comme on nomme cette difficulté à obtenir des
rapports physiquement réalisables sans douleur ou réticence,
et enfin une revendication sexuelle, devenue primordiale avec les
années. "Pourquoi, de quel droit, m'a-t-on enlevé
mon plaisir ?" interrogent ces femmes.
Restaurer la conscience
Il va de soi que la question de l'excision et de sa pratique recouvre
une globalité, qui possède des composantes sociologiques,
ethniques, et religieuses, pour ne relever que les principales.
Il est à la fois question du pouvoir évident des hommes
africains de décider du sort de leurs femmes, de la conception
ancestrale de la domination, de la "répartition"
du plaisir dans les couples. Mais aussi, maintenant, de l'intervention
exacerbée des islamistes, qui estiment que l'on ne doit pas
s'occuper ainsi des femmes en matière de soins, qui s'immiscent
dans les préceptes traditionnels. Et encore pire parfois, les
hommes constatant souvent que la femme excisée n'a plus de
plaisir viennent le lui reprocher.
Pierre Foldès, comme tous les praticiens donnant de leur temps
et de leur énergie aux ONG, a été menacé
de mort en Afrique. Et pour éviter aux femmes traitées
elles-mêmes une mise en danger, il a transposé et transporté
ses recherches et sa technique en France, dans une certaine clandestinité
au départ.
Seuls sept pays au monde ont condamné et interdit l'excision,
mais seule la France l'a criminalisée, depuis 1996, en condamnant
aux assises en correctionnelle les coupables. Six états africains
travaillent actuellement très officiellement, pour déterminer
une politique de prévention, de pédagogie, de protection,
et de soins. L'Organisation Mondiale de la Santé et la Banque
Mondiale oeuvrent, pour leur part, pour explorer des modes de financement
des campagnes de prévention et des soins.
Mais une conséquence prévisible se dessine, devant le
danger de condamnation, la pratique en France chez les petites filles
est "délocalisée" dans le pays d'origine des
parents, et c'est bien souvent au cours d'un séjour de vacances
que la jeune fille sera excisée. D'où la recommandation
aux médecins de surveiller, vérifier, examiner, les
adolescentes qui rentrent d'un été auprès des
grands-parents dans le village. Et ce en dépit de la méfiance
ou des menaces.
Renforcer la compétence:
LPour parvenir à effectuer un travail de restauration chirurgicale,
le Docteur Pierre Foldès a été fouiller non seulement
dans les planches anatomiques et les textes anciens, découvrant
l'absence totale de la moindre description du clitoris, mais aussi et
par voie de conséquence dans les cadavres à explorer
mis à disposition par la Faculté. Et là, surprise,
le chirurgien découvre que le clitoris est un organe de 10
à 12 centimètres, comparable à un corps caverneux
de mâle (un des réservoirs latéraux de la verge)
en taille, nanti d'un gland à son extrémité sensible,
d'un corps et de genoux qui se réunissent en avant du vagin,
à 2 centimètres de l'anneau vaginal, et constituent
le fameux Point G. Qui, sur le plan anatomique, est donc parfaitement
défini, avec une certaine logique quant à sa stimulation,
qui est maximale à son niveau.
En gros, le chirurgien va appliquer une technique de restauration
voisine de celles décrites pour réparer une verge, ou
l'allonger. Tout est technique, éliminer les petits névromes
cicatriciels, couper un ou deux ligaments suspenseurs pour récupérer
de la longueur de clitoris, et donc une capacité de plaisir,
interposer une sorte de coussin d'appui pour ce nouveau clitoris
à l'aide d'un muscle vaginal, reconstituer un gland, et redonner
ainsi un organe qui, abouti, sera légèrement plus gros
que l'original....
Un dernier défi pour Pierre Foldès, il s'est attaqué
au dossier "Sécurité Sociale" en allant jusqu'au
bout des discussions, des commissions, des propositions. Le passage
en "crime" de l'excision initiale a aidé, puisque
la logique de la loi justifie la réparation des lésions,
comme des blessures. Il y a maintenant une nomenclature chirurgicale,
complexe bien sûr, avec un coefficient, c'est une intervention
réalisable en ambulatoire, et qui coûte dans les 1000
euros. Notre chirurgien précise plusieurs points. La plupart
de ses patientes sont couvertes par la CMU, cela ne leur coûte
donc rien. Et s'il est à peu près le seul à se
donner à cette chirurgie humanitaire, il l'explique un peu
par l'ignorance absolue, y compris des gynécologues, au départ,
sur l'anatomie du clitoris, et sur le fait que non seulement cette
intervention n'est pas lucrative, mais s'effectue souvent sous la
menace.
J'ai estimé, pour compléter mes propos de départ
sur cette LEM, non seulement logique mais indispensable de rendre
hommage à ce chirurgien de Saint-Germain en Laye, il existera
toujours des médecins remarquablement préoccupés
des êtres humains de toutes natures et origines. Il y a, je
le sens, un petit fond de honte complémentaire, j'ai exercé
plus de 30 ans à 8 kilomètres de ce spécialiste,
à coup sûr il aura restauré, je n'aime pas dire
réparé, nombre des patientes qui réfugiaient
leur vie dans ma salle d'attente, et je persistais à ignorer
l'essentiel de son travail. En ayant par ailleurs exercé en
République Centrafricaine moi-même, tout en sachant que
les pays les plus touchés sont le Mali et le Burkina. Enfin
je tiens expressément à signaler que le maximum de ces
informations provient très simplement du bulletin
"Le médecin des Yvelines", émis par le Conseil
de l'Ordre de mon département, ces gens là sont si souvent
décriés qu'il est plus que justifié de saluer
cette remarquable mise au point plus qu'instructive. Parce que, nous
le répétons sans cesse, jamais un "organe"
ne saurait être dissocié de l'être humain qui le
possède, et pas davantage un être humain éloigné
ou séparé de la systémique culturelle, sociale,
religieuse, ethnique, familiale, professionnelle, relationnelle, et
ainsi de suite, qui le définit et le fait évoluer.
l'os court : «
Joli paradoxe, la femme est le chef duvre de Dieu, surtout
quand elle a le diable au corps » Alphonse Allais
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Lettre
d'Expression médicale n°377
Hebdomadaire francophone de santé
20 décembre 2004
Lentourage
du malade
Docteur François-Marie Michaut
Dans son supplément de formation médicale continue de
décembre 2004, le Quotidien du Médecin aborde un sujet
intéressant. . Les relations du généraliste
avec lentourage du malade . Nous avons tous été
tellement focalisés sur le patient lui-même, ou, au mieux,
sur la relation médecin malade, que le fait de prendre en compte
lexistence dun environnement familial ou social ne semble
pas encore une nécessité médicale absolue.
Retrouver la confiance:
Pourtant, lidée nest pas neuve. Dès les
années 1920, au milieu de la brousse africaine, Albert Schweitzer
est amené à soigner à Lambaréné
des patients, souvent atteints de lèpre ou de maladie du sommeil.
Au lieu de construire un hôpital traditionnel, comme cela se
faisait partout aux Colonies, il eut lidée de ne pas
couper les malades de leur famille. Qui parlait alors en lui, le philosophe,
le musicien, le pasteur ou le médecin ? Ou un subtil mélange
de toutes ces sensibilités ? Quimporte en vérité
: le maintien des liens familiaux était à ses yeux un
facteur majeur de guérison. Et il construisit un village de
paillotes traditionnelles,chaque malade y vivant avec sa famille.
Restaurer la conscience
Scandale dans les milieux bien pensants de la médecine férue
dhygiénisme et daseptie à tout prix ! Que
na-t-on pas dit sur ce faux médecin, avant
de finir par adopter la présence des parents auprès
des petits malades dans nos services de pédiatrie modernes.
Peu à peu, nos esprits médicaux ont admis limportance
dun certain nombre de gens dans les soins médicaux. Les
infirmières ont ainsi cessé dêtre de simples
domestiques du corps médical, et de nombreuses professions
para-médicales ont également fait reconnaître
leur incontestable utilité. Au delà de ces fonctions
bien délimitées, interviennent de multiples personnes
pour améliorer la vie de nos malades. La liste en est longue,
du commerçant du quartier à lassistante sociale,
en passant par le bénévole associatif et la coiffeuse.
Sans méconnaître cette quasi constante oubliée
qui est ... la famille et les amis.
Alors, quand les médecins se demandent comment utiliser au
mieux toutes les compétences pour soigner le mieux possible,
on est sur la bonne voie. Que lon donne à cette prise
en compte de lentourage au bénéfice des malades
le nom de proximologie, cest un choix respectable. Que lindustrie
pharmaceutique, en loccurence Novartis-Pharma, soutienne financièrement
cette ouverture desprit, notamment par le site www.proximologie.com,
ne nous en plaignons pas. Bien entendu que cela concerne trois pathologies
pour lesquels ces industriels fabriquent un médicament ne saurait
nous étonner vraiment.
Renforcer la compétence:
Pourtant, à nos yeux, lentourage du malade est bien plus
quun simple environnement humain plus ou moins malléable
pour le médecin. Ce site Exmed, depuis sa fondation en 1997,
propose que les médecins élargissent bien au delà
leur vision de la maladie. Le praticien doit prendre en compte tout
le système dans lequel il est amené à intervenir,
lune des difficultés étant quil est lui-même
lun des éléments actifs de ce système,
et non un observateur extérieur neutre. Que nous le voulions
ou non, nous sommes toujours en interaction avec ceux que nous rencontrons.
Le système familial lui-même joue un rôle majeur
dans le déclenchement et lévolution de la maladie
que nous observons et désignons dun nom.
Nous appelons à une ouverture de la compétence des médecins
au champ de ce que nous nommons, faute dappellation existante
-à notre connaissance- de systémique médicale,
dont le champ de la proximologie nest quune
partie.
l'os court : «
La grippe , ça dure une semaine si on la soigne , et huit jours
si on ne fait rien. » Raymond Devos
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Lettre
d'Expression médicale n°378
Hebdomadaire francophone de santé
27 décembre 2004
La grève
de Noël
Docteur François-Marie Michaut
Mettons-nous un instant en grève. Fuyons le sapin dégoulinant
de guirlandes et la dinde qui périt dans une indigestion de
marrons. Pour aller où, me demanderez-vous ? Le magnifique
Groenland célébré par Jacques Blais est hélas
un peu loin. Contentons-nous du modeste rivage le plus proche de nous.
Et là, si vous voulez bien, prenons le temps de marcher ensemble,
justement, sur ... la grève. Car, cette histoire de Noël,
depuis longtemps si pervertie par de multiples intérêts,
dabord religieux, puis ouvertement et cyniquement mercantilistes,
mérite quon sy arrête
Retrouver la confiance:
La vie dun homme na jamais eu une telle importance planétaire.
Et, cela bien avant que nexistent nos puissants tam-tam électroniques.
Pensons-nous quà chaque fois que nous inscrivons la date
du jour ( combien de fois par jour pour un médecin, par exemple),
nous utilisons comme point de départ du calendrier, du moins
en Occident, la naissance de Jésus ?
Plus de deux mille ans plus tard, quelles que soient les erreurs de
calcul, on peut se demander ce quest devenu lenseignement
que la tradition évangélique nous a transmis. Volontairement,
supprimons de son contenu tout ce qui touche à une puissance
supérieure située dans un au-delà hypothétique
pour les non croyants. Car, le moins quon puisse dire, si on
est à lécoute des actes des humains que nous sommes,
cest que la violence et la haine, sous toutes leurs formes,
des plus violentes aux plus subtilement camouflées, se portent
bien et dominent toujours le monde.
Restaurer la conscience
Celui que Mahomet et ses fidèles - curieusement on nen
parle guère - reconnaissent et nomment le prophète Jésus
a-t-il donc échoué dans sa mission de guérir
lhumanité de sa violence ? Car, si lon en croit
ceux qui ont écrit en son nom, le diagnostic était évident,
quand le traitement était aussi clairement indiqué.
Vous savez le fameux précepte, présenté comme
le plus important : Aimez-vous les uns les autres, comme je
le fais. A premier examen, cela semble évident, et ne
peut quentraîner un ricanement moqueur de la part de nos
esprits forts : la violence plus que jamais domine nos relations humaines,
et Jésus de Nazareth nest toujours pas entendu. Il a
échoué.
A y regarder dun peu plus près, notre vision de la violence
a cependant évolué peu à peu. Nous la trouvons
de moins en moins normale. Des slogans entrés dans
la tête des enfants comme mourir pour la Patrie est le
sort le plus beau nous semblent parfaitement barbares. Quailleurs,
on continue de pratiquer une justice avec des préceptes médiévaux,
on vive avec et de lesclavage, on perpétue les mutilations
sexuelles ou on soumette toutes les activités humaines à
la seule tyrannie de la règle du profit maximum, voilà
qui nous semble de plus en plus intolérable et injustifiable.
Que, dans certains pays, on ose encore donner la mort à des
hommes au nom dune prétendue justice, que lon soctroie
le droit de lancer des armées contre des nations, tout cela
encore nous est de plus en plus insupportable. Notre allergie à
la violence croit régulièrement.
Renforcer la compétence:
En poussant encore notre analyse de nouvelles pistes de réflexion
s¹ouvrent. La violence sanglante et trop ouverte - les médias
n¹y sont pas pour rien - est de plus en plus repoussée
par nos contemporains. Cest un point très positif. On
est cependant encore bien loin de saimer les uns et les autres.
Tout simplement parce que cette mise à lécart
de la violence spectaculaire encourage lusage dautres
types de violence plus subtils, et qui ne laissent pas de traces,
même sils font des dégâts considérables.
Ces destructeurs des autres qui prennent lapparence de gens
aux mains parfaitement propres, voilà ce que nous avons encore
tant de mal à percevoir. Cette violence pervertie en pseudo
empathie pour mieux manipuler , voilà à quoi nous nous
heurtons. Loin de nous lidée quil sagit dun
comportement nouveau. Cela a toujours existé, mais cétait
beaucoup mieux caché que maintenant, le devant de la scène
étant plein de sang et de fureur. Alors, si vous voulez bien,
terminons sur cette hypothèse. Si la vision de lhomme
de Joshua Ben Yousef ( cétait son nom daprès
Elie Chouraqui ) - bien proche en fait de celle queut le Bouddha
six siècles plus tôt- contient une part de vérité,
celle de la nécessité vitale de lamour des autres,
nous ne pourrions le percevoir objectivement que le jour où
nous serions capables dexpérimenter scientifiquement
une société pourchassant sans aucune complaisance, ni
exception, toute forme de violence, y compris ce qui ressemble de
près ou de loin à ce quon nomme en ce moment le
harcèlement moral.
Nous nen sommes pas encore là, mais la mèche de
la bombe à retardement dune telle révolution des
comportements nest probablement pas éteinte tant que
quelques humains seront capables dagir de bonne volonté
pour reprendre un refrain noëliste aussi connu que riche de contresens.
Car on garde la notion dune bonté teintée dangélisme
mièvre, en laissant dans lombre le moteur que constitue
la volonté : le fait de vouloir. Indispensable préalable
à toute possibilité de pouvoir.
l'os court : «
Lhomme est plein dimperfections, mais on ne peut que se
montrer indulgent si lon songe à lépoque
à laquelle il fut créé. » Raymond Devos
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