Consulter un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°440
Hebdomadaire francophone de santé
20 mars 2006
Délinquance, rééducation
et psychothérapie au berceau
Nicole Bétrencourt
Peut-on
lutter contre la délinquance par la médicalisation
du très jeune enfant ? Certains acteurs du champ de la santé
n'en sont pas convaincus. Les professionnels de l'enfance
des PMI ( protection maternelle et infantile), de la médecine
scolaire, de la pédopsychiatrie, de la pédiatrie et
de la psychologie font circuler, depuis plusieurs semaines, la
pétition « Pas de zéro de conduite pour
les enfants de trois ans » qui a déjà recueilli
plus de 61 000 signatures. En réponse au rapport de
l'INSERM(1) sur le trouble des conduites chez lenfant et ladolescent,
assorti dun programme de prévention.
Retrouver la confiance:
Dans la pétition, certains points du rapport de l'INSERM
susceptibles d'annoncer un parcours vers la délinquance,
ont été mis en exergue. Les professionnels de
la petite enfance sont invités à repérer
des facteurs prénataux et périnataux ( pré-berceau
et berceau ), génétiques, environnementaux liés
au tempérament et à la personnalité .
Chez ces jeunes enfants, déceler le plus vite possible la
froideur affective, les manipulateurs précoces, le cynisme.
Dépister dès 36 mois (traduire 3 ans), l'indocilité,
l'hétéroagressivité, le faible contrôle
émotionnel, l'indice de moralité bas. «
Faudra-t-il dénicher à la crèche les voleurs
de cube ou les babilleurs mythomanes?» est linterrogation
de ces professionnels de lenfance. La moindre bêtise
de l'enfant risque d'être interprétée comme
l'expression d'une personnalité pathologique évoluant
vers un comportement antisocial. Dans le rapport de l'INSERM,
des solutions associant rééducation et psychothérapie
sont proposées pour venir à bout des têtes fortes.
Et après ce délai de grâce de la prime enfance,
à partir de 6 ans, pourquoi ne pas recourir aux médicaments,
psychostimulants, thymorégulateurs?
Lobjectif des signataires de la pétition «pas
de zéro de conduite» est dêtre entendu
des pouvoirs publics car ils craignent un amalgame entre le repérage
des facteurs de risques mis en relief dans lexpertise collective
de lINSERM et la répression réclamée
par le Syndicat des commissaires de police depuis quelques années.
Ils ne sont pas les seuls. A l'INSERM même, on s'inquiète
d'un éventuel détournement de ce rapport car les ministères
de l'intérieur et de la santé s'appuient sur cette
expertise collective.
Déjà, en décembre 2003, dans un avant-projet
de loi de la prévention de la délinquance, il était
écrit que « Plus tôt les enfants sont pris en
charge, moins ils auront à l'adolescence des attitudes autodestructrices
ou agressives pouvant amener à la délinquance.» La
crise des banlieues qui marqua la fin de lautomne 2005 navait
pas encore éclaté.
Restaurer la conscience
D'autres reproches fusent sur le rapport de l'INSERM comme celui
dêtre trop médical, pas assez pluridisciplinaire
et davoir fait limpasse sur le côté multi-factoriel
du trouble mental. L'un des experts du rapport, le sociologue
Laurent Mucchielli qui a longtemps étudié les
conditions économiques et sociales qui favorisent l'émergence
du trouble des conduites, a constaté que ses remarques n'avaient
pas été écoutées.
Depuis sa sortie, la polémique fait rage dans la presse.
La revue l'École des parents s'inquiète d'une éventuelle
connotation médicale ou policière de cette expertise
collective. Des parents craignent que l'on en vienne à leur
enlever la garde de leurs enfants s'ils refusent de les psychiatriser,
de les droguer comme aux États Unis en toute légalité
avec de la Ritaline.
Si lexpertise collective de lINSERM sur le trouble des
conduites chez lenfant et ladolescent a ses détracteurs,
elle a aussi ses partisans. En commençant par Jeanne Étienne,
la biologiste qui a dirigé le comité d'experts de
l'INSERM, qui s'étonne des réactions parues dans la
presse et de la polémique engendrée par la publication
du rapport. D'autres pédopsychiatres lui emboîtent
le pas et sont favorables à une détection précoce
du trouble des conduites. Tous les jours, ils sont confrontés
à des enfants qui sont en opposition perpétuelle,
qui tapent, qui mordent qui ont des difficultés d'apprentissage,
« qui ont la tête explosée » parce qu'ils
regardent la télévision dès le réveil,
qui renversent leur bureau en cinq minutes, qui font preuve d'incivilité
et insultent leurs professeurs. Pour Michel Dubec, on en serait
à la troisième génération du trouble
des comportements dans certaines familles-femmes et enfants battus,
en Seine-Saint-Denis.
Certains résultats de lexpertise de lINSERM ne
sont pas à prendre à la légère. Ainsi,
les personnalités antisociales ont des antécédents
de trouble des conduites. Et le risque d'évoluer pour
l'enfant atteint d'un trouble des conduites vers un trouble
de la personnalité antisociale est statiquement de 50 %.
Le trouble des conduites est souvent associé lui même
à d'autres troubles mentaux comme le TDHA ( trouble du déficit
de l'attention et de l'hyperactivité), le TOP (trouble oppositionnel
avec provocation), les dépressions déclinées
sous diverses formes, les stress post-traumatiques. Sans
omettre l'inévitable facteur de risque de conduites de toxicomanie:
cannabis, psychoactifs, alcool et tabagisme, etc. Les conduites
à risque et l'âge de la mère justifieraient
la surveillance médicale des relations synergiques entre
lenfant et la mère.
Pourquoi le rapport de lINSERM suscite-t-il tant de remous
et d'inquiétudes?
Son but est de situer « le trouble des conduites au sein du
phénomène social qu'est la délinquance. Ce
dernier est un concept légal dont les limites dépendent
en grande partie des changements des pratiques policières
ou judiciaires. » Il étudie le comportement antisocial
qui caractérise les troubles des conduites et qui peut signifier
acte de délinquance. Un adolescent qui brûle des voitures
et saccage des écoles n'est pas nécessairement atteint
d'un trouble des conduites. Jeux de mots ou sémantique qui
dédouane ce rapport idéologiquement? Mais où
est la frontière entre la délinquance et le trouble
des conduites?
Dans cette expertise, tous les champs de la vie de l'enfant
et de son entourage familial et social sont passés au crible.
La synthèse a été réalisée à
force de résultats des nombreuses enquêtes, à
dominante psycho-biologique, linclusion d'études comportementalistes
avec des animaux de laboratoire qui auraient la faveur dIvan
Pavlov (1849-1936), l'ami des chiens et de Burrus.F Skinner (1904-1990),
l'inventeur du behaviorisme radical et l'ami des pigeons.
Renforcer la compétence:
Selon certains commentateurs, les acteurs de la santé
auraient du mal à se faire à l'étiquetage des
symptômes qu'on pratique couramment chez les anglo-saxons
sous le nom de DSM IV (2) et utilisé dans le rapport
de l'INSERM. Et l'on sait que la France est très attachée
à la psychanalyse. Pour beaucoup de professionnels,
le trouble se soigne aussi avec du social, ce qui est contraire
à l'esprit du rapport qui favorise "le tempérament
et la personnalité". Force de constater que le
rapport de l'INSERM a délaissé létude
des facteurs environnementaux dans la compréhension du trouble
des conduites et des comportements délinquants (sic)
et innove par celui de « l'étude de la personnalité
et du tempérament», en vigueur dans les pays
anglo-saxons.
Les programmes de prévention du trouble des conduites, ceux
qui auraient faits leurs preuves au niveau international, portent
tous des noms anglo-saxons. Les programmes "Elmira Visitation"
pour les enfants de 0 à 2 ans, et le "Perry Preschool
Study /Preschool Curriculum Comparison Study" pour les autres
de 3-4 ans, sont-ils adaptables aux mentalités françaises
et applicables sur le terrain ? Même si la France pèche
par une absence de littérature scientifique relative à
la prévention du trouble des conduites ou de la violence,
cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas d'idées et qu'elle
se révèle incapable d'élaborer démocratiquement
ses solutions.
Mais pourquoi parler de dépistage des troubles de la conduite
quand il faut neuf mois pour obtenir un rendez-vous dans un CMP
(centre médico-psychologique), douze pour une consultation
sur lhyperactivité à lhôpital Debré
? Le risque zéro de créer un ghetto psychiatrique
pour certains enfants et adolescents est-il vraiment écarté?
Sources:
INSERM: expertise collective Trouble des conduites chez l'enfant
et l'adolescent:
http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf
Pétition « Pas de zéro de conduite»:
http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/
Le Nouvel Observateur n°2138, semaine du jeudi 27
octobre 2005.
Les enfants terribles, Anne Fohr, Gérard Petitjean:
http://www.nouvelobs.com/articles/p2138/a284514.html
Le quotidien du médecin, 26 février 2006, Une pétition
des professionnels de
l?enfance, Non à la traque du trouble des conduites
à de fins d?ordre public, Philippe
Roy:
http://www.quotimed.com/journal/index.cfm?fuseaction=viewarticle&Dartidx=363859&dnews=169599&Newsid=20060222
(1) INSERM : l institut national de la santé et de
la recherche médicale est en France lorganisme dEtat
qui a le monopole de la recherche publique. NDLR
(2) DSMIV : 4ème édition dun système
américain de recueil de symptômes psychiatriques fondé
sur la seule description, et à but essentiellement statistico
scientifique et non diagnostique comme on le croit trop souvent.
NDLR
l'os court : « « Enfant
: fruit quon fit.» Léo Campion
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°441
Hebdomadaire francophone de santé
27 mars 2006
Grand messe médiatique
Guy Rouquet
Cest bien volontiers que je donne suite à la proposition
de François-Marie Michaut me demandant de faire part de ce
que jai ressenti et éprouvé lors de la grande
« messe médiatique » (sic) de « C dans
lans lair » (France 5) célébrée
par Yves Calvi, à laquelle jai été convié
à participer ce vendredi 10 mars, en ma qualité de
président de Psychothérapie Vigilance, aux côtés
de Christophe André, médecin psychiatre à l'hôpital
Sainte-Anne, spécialiste des troubles anxieux et dépressifs,
et enseignant en psychologie à l'université Paris-X,
de Jean Cottraux, médecin psychiatre, directeur de l'unité
de traitement de l'anxiété de l'hôpital neurologique
au CHU de Lyon et enseignant à l'université de Lyon-I
dans le cadre du diplôme de thérapie comportementale
et cognitive, et de Philippe Grimbert, psychanalyste et écrivain,
qui travaille aussi bien dans des institutions spécialisées
que dans le privé.
Retrouver la confiance:
Ceci tout dabord : un accueil particulièrement attentif,
un grand professionnalisme, une belle qualité découte,
le souci manifeste de donner à chacun la possibilité
dexprimer son point de vue. Doù lentente
cordiale qui a prévalu sur le plateau alors que la polémique
était annoncée par le titre quelque peu belliqueux
de lémission « La guerre des psy ». Bref,
« C dans lair » est une émission rare par
les temps qui courent, où, sacrifiant au dieu Audimat, certains
animateurs et journalistes jettent de lhuile sur le feu après
avoir soufflé sur les braises.
Restaurer la conscience
Yves Calvi a cherché à clarifier le débat en
sappliquant à dégager quelques pistes pour le
téléspectateur. Il sait que ce dernier ne sait plus
trop à quel saint se vouer quand, à la recherche de
son « âme » ou en quête dun bon Samaritain,
il savance au milieu des innombrables chapelles qui peuplent
le champ psy. Donner des balises, des points de repère, faire
preuve de pédagogie, telle était son ambition.
Je pense que chacun a pu dire ce quil avait à dire,
même si, bien évidemment, jaurais aimé
disposer dun peu plus de temps pour donner dautres éclairages,
réagir à certains propos, notamment au début
de lémission.
Ce que jai pu faire passer, et dont je suis heureux, car le
sujet est préoccupant : il existe des psychotechniques
comme le rebirth en mesure dinduire ou incruster de
faux souvenirs, dont beaucoup liés à des abus sexuels
incestueux. Le carré psy est une illusion, luvre
de psychothérapeutes autoproclamés ou auto-référents
qui ont intérêt à faire exister le vocable «
psy » alors quils nont aucune formation en psychologie,
en psychopathologie, en médecine. Il existe des « prédateurs
du transfert ». Les encarts publicitaires de Psychologies
Magazine ne doivent pas être pris au sérieux : leur
finalité est uniquement commerciale.
Renforcer la compétence:
Jai beaucoup apprécié que Yves Calvi mentionne
clairement, et à diverses reprises, lexistence de Psychothérapie
Vigilance en signalant son site : www.PsyVig.com . Cela nous a valu
dailleurs de très nombreuses connections nouvelles
durant le week-end écoulé, avec plusieurs témoignages
et demandes diverses de conseils ou dinformations.
Jobserve que les propos que jai tenus nont été
contestés ni démentis par quiconque, bien au contraire.
Cétait très important : pour lassociation
comme les victimes de thérapies déviantes, abusives
et psychosectaires au service desquelles elle sest mise.
Voilà
« La grand messe » est finie. On
a pu y entendre sexprimer la voix des victimes. Cétait
lessentiel.
l'os court : « Psychanalyse
: un examen où on est sûr de se faire étendre.»
Robert Scipion
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°442
Hebdomadaire francophone de santé
3 avril 2006
Homo precarius
Dr. François-Marie Michaut
Non à
la précarité a été lun des grands
slogans de nos jeunes, et moins jeunes, défilant en cortèges
dans nos cités pour manifester. Que voilà une bonne
raison de nous poser quelques questions pour tenter de comprendre
autrement ce qui se passe quen se contraignant à adopter
le point de vue des contre ou celui des pour telle mesure légale
de notre vie sociale et professionnelle ( quen vérité
on oubliera en quelques mois).
Retrouver la confiance:
Fidèles à une pratique courante à Exmed, commençons
par passer sous la loupe grossissante de létymologie
le fameux mot, chargé dans tous les discours des pires maux,
de précarité. Notre dictionnaire de J.Dubois, H. Mitterand
et A. Dauzat est formel. Il sagit au départ dune
notion juridique exprimée par le latin precarius. Ce qui
veut dire : obtenu par prières ( prex). Le fruit
de laumône, en quelque sorte. Puis, peu à peu,
sest dégagée la notion de révocation.
Celui qui donne pour répondre à une demande peut,
un beau jour, décider quil ne donne plus. Ce type de
situation est le quotidien de ceux qui font la manche. En médecine,
parlons clair, un état de santé précaire ne
laisse guère de doute : la mort est au coin de la rue.
Restaurer la conscience
Et voilà, le gros mot absolu, celui quil ne faut surtout
pas prononcer, est là. La mort rôde dans tout ce qui
est précaire, voilà ce que nous pensons volontiers.
Et, à linverse, la stabilité est, pour la multitude,
une véritable assurance vie. Sept sur dix de nos étudiants,
dit-on, ont pour projet de travailler dans la fonction publique
en France. La vraie vie, la bonne vie, cest donc
celle ou lon bénéficie dun emploi à
vie, suivi dune retraite précoce garantie par lEtat
? Une vie sociale stable pour pouvoir vivre en oubliant le plus
possible ce qui nous chagrine tellement. Notre vie elle-même
nest quun bien court sursis, si terriblement précaire.
Renforcer la compétence:
Si notre course épuisante pour oublier que la mort nous attend
voulait bien cesser, juste un petit moment, nous pourrions ouvrir
les yeux sur ce qui se passe en nous et autour de nous. Nous aurions
alors le plus grand mal à trouver quoi que ce soit qui ne
soit pas précaire, de nos cellules constituantes aux montagnes
que notre courte vision ne nous permet pas de voir se transformer.
Étrangement, pas de vie animale, végétale,
minérale ou cosmique possible sans mouvement, sans ruptures,
sans changement, sans mort. Autrement dit, tout est précaire
à qui veut bien voir. A une seule exception : ce qui est
déjà mort. Finalement, naurions-nous pas tendance,
avec la louable intention de rendre notre vie plus facile et plus
aisée, à nous condamner à un univers placé
sous le signe de la mort ?
La notion de société suicidaire correspondrait-elle
par hasard à une réalité dans laquelle nous
nous complaisons avec notre obsession de nous libérer de
toutes les précarités ? A moins que notre vieux et
excellent clinicien Freud, si mis à mal en ce moment, nait
eu une géniale intuition en parlant de notre pulsion de mort
? Homo precarius, voici ce que nous sommes en vérité
du début à la fin de notre vie.
l'os court : « Lhomme nest
que poussière, doù limportance du plumeau.»
Alexandre Vialatte
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°443
Hebdomadaire francophone de santé
10 avril 2006
« Bon » médecin
Dr. Gabriel Nahmani
Un bon docteur est humain et respectueux. Les manières
dun médecin comptent plus que ses compétences
médicales. Selon la source : Paris, le 23/03/06. LJS.com
Avec lobligation davoir un médecin traitant décidée
par la dernière réforme de lAssurance maladie,
les Français ont été confrontés à
un choix difficile : trouver la perle rare qui sait non seulement
poser le bon diagnostic (cest le minimum) mais aussi rassurer,
écouter, comprendre et respecter ses patients. Parce que
les manières du médecin comptent tout autant que son
savoir.
Et même plus si on en croit une étude américaine
qui vient de paraître dans le journal Mayo Clinic Proceedings.
Retrouver la confiance:
Le Dr Neeli Bendapudi de luniversité de létat
de lOhio à Colombus et son équipe ont interviewé
par téléphone 192 personnes pendant 20 à 50
minutes pour en savoir plus sur les relations patients- médecins.
Puis ils ont compilé leurs données pour lister et
valider 7 thèmes comportementaux importants selon les patients.
Les chercheurs ont pu ainsi dresser le portrait du médecin
idéal : il est digne de confiance, empathique, humain, personnel,
direct, respectueux et complet (il suit le patient du début
jusquà la fin).
Restaurer la conscience
On pourrait ajouter, Exmédiens amis, que si, en plus de ces
qualités ( rarement réunies en ces temps troublés),
s'ajoutait la beauté physique, alors, là, ce serait
trop, et pas comme quand Brel chantait " beau, beau, beau,
beau et CON à la fois ".
Mais les patients dressant ainsi le portrait du médecin idéal
sont-ils eux-mêmes nantis des mêmes qualités,
sont-ils respectueux du temps de travail de ce médecin, de
ses angoisses secrètes ( échec, erreur
), de
sa fatigue, des gardes de week-end et de nuit ? le médecin,
comme n'importe quel professionnel très sollicité,
a, plus que d'autres, droit à la fatigue, à l'usure,
au sommeil, il a le droit d'être incommodé (comme je
le fus longtemps et très souvent) par des odeurs corporelles
ou ménagères écurantes ( tabagie, chiens
puants, aisselles aux " fragrances " suspectes, sans parler
de celles des organes qui nous permettent de marcher, il a le droit
d'être heurté par un langage vulgaire, par des manières
brutales, par des tenues négligées.
Renforcer la compétence:
Patients et médecins traitants ont, réunis dans la
même quête, le droit aussi de dresser le portrait idéal
de la Société qui les manipule: les Ministres de la
santé, les organismes dits de Sécurité sociale,
les multitudes de règlements de plus en plus contraignants
et interdictions
multiples qui font douter de la LIBERTÉ chérie dont
on nous rebat les oreilles depuis 1789. Amis exmédiens, patients
présents ou à venir, membres des professions de santé,
devons-nous essayer de dresser le tableau idéal, illusoire,
de ce que nous souhaiterions ?
Un seul mot pourrait suffire: Le RESPECT des autres.
l'os court : « Le mot «
bon » peut avoir plusieurs sens. Par exemple, si un type tue
sa grand-mère avec une carabine à une distance de
cinq cents yards, je dirai que cest un « bon »
tireur, mais certainement pas un « bon » petit-fils.
» Gilbert K. Chesterton
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°444
Hebdomadaire francophone de santé
17 avril 2006
Il y a un an, Jacques Blais
se taisait
Dr. François-Marie Michaut
Cest
le 23 avril 2005 que notre complice Jacques Blais fut contraint
au silence par une maladie imparable. Ou, plus exactement, par les
suites fatales dune intervention chirurgicale qui était
absolument indispensable. Quand jécris complice, ce
nest pas un effet de style. Depuis nos premiers pas balbutiants
en janvier 1997, il a toujours été là, disponible
et disposé à mettre sa plume au service des valeurs
auxquelles il croyait fermement.
Retrouver la confiance:
Quand, rituellement, au cours de ces plus de quatre cents lettres
hebdomadaires, je retrouve les intertitres de nos LEM : Retrouver
la confiance, Restaurer la conscience, Renforcer la compétence,
je pense à lui qui sut les inventer. Et, avec sa douceur
habituelle, les imposer en insistant sur le fait que les messages
importants doivent absolument être répétés
pour finir par entrer dans les esprits, et mieux encore, dans les
coeurs. Bien entendu, la question de leur pertinence se pose de
temps en temps. Car, ici nest la place de nul fétichisme,
de nul culte de la personnalité, de nulle hagiographie. Les
injonctions de Jacques Blais nont pas pris une ride, elles
demeurent toujours un cadre conceptuel indispensable.
Restaurer la conscience
Quand, au cours des dernières semaines, nous avons abordé
ici létat de délabrement de la formation des
médecins généralistes en France, la figure
de Jacques Blais me venait encore à lesprit. Lui le
médecin généraliste hyperactif dune banlieue
ouvrière défavorisée, il trouvait encore le
temps dorganiser et danimer bénévolement
pour ses confrères de multiples réunions de perfectionnement
post-universitaire. Sans jamais faire de bruit ni se mettre en avant,
en servant volontiers de faire-valoir à des tenors de la
médecine de pointe, il a été un des pionniers
parfaitement désintéressés de la participation
des médecins généralistes à lenseignement
des étudiants en médecine à la faculté
de Paris-Ouest. Il a aussi eu à coeur de recevoir à
son cabinet des étudiants en stage pratique.
Renforcer la compétence:
Toujours présent sur tous les fronts, il fut un des seuls
et rares médecins généralistes à oser
utiliser sa plume pour écrire dans des revues médicales.
Jamais pour régler des comptes, jamais pour assurer sa propre
promotion, toujours pour tenter de faire comprendre la valeur exceptionnelle
de cette médecine quil aimait avec passion. Médecine
de lhomme, médecine de la relation à lautre,
médecine de lécoute. Combien de LEM nous a-t-il
écrit ! Parfois dans la précipitation, en véritables
rafales, comme sil avait un besoin urgent de sexprimer.
Ou comme sil savait mystérieusement que ses jours étaient
comptés. Parfois, il fut difficile à la rédaction
de suivre son rythme de production. En même temps nous parvinrent
ses voyages insolites, ses poèmes, ses pièces de théâtre.
Et notre infatigable écriveur nétait jamais
fatigué, toujours prêt à échanger en
privé avec lun ou lautre des amis dExmed.
Quand nous avons décidé en 2002 de publier notre Coup
dOeil du jour, il en fut encore un artisan enthousiaste, épluchant
la presse médicale pour en extraire le sujet de ses papiers.
Voilà qui fut Jacques Blais pour Exmed. Il a vraiment beaucoup
semé pour nous tous, même si nous ne lavons pas
connu, même si nos échanges ont été très
principalement écrits. Oui, écrits, dabord à
la main, avec notre écriture de médecins à
nous deux, rude à lire. Jusquau jour, où, pour
développer notre lettre dexpression médicale
nous avons été contraints de nous mettre à
linformatique et à linternet. Alors, réjouissons-nous
que le monde virtuel de la Toile, à travers ce site, conserve
une grande partie de ce que Jacques Blais a écrit pour nous
tous encore plus que pour lui. Voilà pourquoi, il continue,
et continuera à figurer dans la page de présentation
de la rédaction. Scripta manent , les écrits restent.
l'os court : « Un poète
est un monsieur qui sefforce de saisir leau par poignées.
Cest seulement sil y parvient que ce monsieur est un
poète. » Henri Jeanson
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°445
Hebdomadaire francophone de santé
24 avril 2006
Résister
Dr. Françoise Dencuff
Il est parfois étrange de constater les synchronisations
dans le temps. Un député, inconnu du grand public,
ancien berger, engage sa vie et sa santé dans une résistance
acharnée aux violences faites à ses administrés
par le totalitarisme financier. Dans le même temps, je termine
un ouvrage exceptionnel qui, sil arrive à vaincre le
politiquement et intellectuellement correct ambiant, est et sera
une uvre de référence : Un si fragile vernis
dhumanité, Banalité du mal, banalité
du bien , Michel Terstchenko aux éditions La Découverte.
Retrouver la confiance:
Depuis des décennies nous nous trouvons enfermés dans
un débat sans fin entre les tenants de légoïsme
psychologique et les partisans de laltruisme sacrificiel.
Pour faire simple entre les salauds et les saints.
Le paradigme égoïste soutenu par Hobbes ou La Rochefoucauld
veut que les conduites véritablement altruistes nexistent
pas ou du moins ne peuvent jamais être prouvées, tant
les ressorts intimes de la motivation risquent de se révéler
tôt ou tard de nature intéressée.
Alors comment comprendre les conduites effectives des millions de
bénévoles et de donateurs
Les individus normaux
et compatissants que nous sommes ne sont pas prêts au sacrifice
absolu pour venir en aide à leur voisin. Pourtant des milliers
dactions généreuses et désintéressées
sont mise en acte chaque jour.
De plus sil est facile de montrer quil existe bel et
bien un « sens moral » qui ne se réduit pas à
la poursuite de ce qui est avantageux ou profitable
il reste
à expliquer comment ces sentiments sont si peu capables,
en certaines circonstances, dopposer une résistance
à des conduites humaines de destructivité qui, loin
dêtre le fait de psychopathes, sont le plus souvent
le fait dhommes ordinaires, nullement démunis dun
appareillage éthique susceptible de leur faire comprendre
la nature criminelle de leurs actes
On ne peut pas mettre les comportements destructeurs simplement
sur le compte de légoïsme. Ce nest pas la
propension, la tendance naturelle à promouvoir ses intérêts,
son plaisir ou son bonheur qui peut être ici le facteur explicatif
pertinent mais une toute autre tendance et qui fait lobjet
de manipulations multiples : la propension en certaines circonstances
cette nuance est capitale - à la docilité,
à la servilité, à lobéissance
aveugle aux ordres, aux imprécations de lidéologie,
la propension à se conformer aux comportements du groupe
et aux rôles quune institution totalitaire attend que
vous jouiez. (cf. : La Soumission à lautorité
de Stanley Milgram et ses expériences sur lobéissance
passive à faire souffrir dautres hommes).
Cette passivité prend dailleurs deux formes, lune
active dobéissance aux ordres (ce que soutiennent toujours
les tortionnaires pour leur défense
par exemple les
soldats mis en cause à Abou Ghraib ou lors du procès
de Nuremberg), lautre : forme passive du témoin inactif.
Restaurer la conscience
Selon que nous sommes salauds (égoïste ou soumis) ou
saints (prêts à tous les sacrifices) nous serions donc
soit prêts à tout pour garder notre intégrité
physique ou mentale dans le premier cas (Lhomme ne saurait
pourtant, sans répudier son essence, se réduire à
nêtre quun simple « être là
», une existence qui ne vise quà se conserver)
soit dans un désintéressement absolu dans le second.
Cest là que toute la thèse de Michel Terstchenko
bouleverse les théories existantes.
Pour lui, laltruisme nexige pas la déprise, lanéantissement,
la dépossession de soi, le désintéressement
sacrificiel qui sabandonne à une altérité
radicale (Dieu, la loi morale ou autrui). Labandon, la déprise
de soi est au contraire lun des chemins qui mène le
plus sûrement lindividu à la soumission, lobéissance
aveugle et la servilité.
Seul celui qui sestime et sassume pleinement comme un
soi autonome peut résister aux ordres et à lautorité
établie, prendre sur lui le poids de la douleur et de la
détresse dautrui et lorsque les circonstances lexigent
assumer les périls parfois mortels que ses engagements les
plus intimement impérieux lui font courir
Laltruisme
comme relation bienveillante envers autrui qui résulte de
la présence à soi, de la fidélité à
soi, de lobligation éprouvée au plus intime
de soi, daccorder ses actes avec ses convictions (philosophiques,
éthiques ou religieuses), parfois même, plus simplement
encore, dagir en accord avec limage de soi indépendamment
de tout regard ou jugement dautrui, de tout désir social
de reconnaissance.
Autrement dit la « fidélité à soi »
est le moteur indispensable à toute forme de résistance
aux totalitarismes, quils soient étatiques ou hiérarchiques.
Renforcer la compétence:
Quel rapport avec notre quotidien peuvent avoir les expériences
de Milgram ou de la prison de Stanford de Zimbardo, le recueil des
témoignages de Justes ou de nazis après la guerre
de 39-45, quelle importance pour notre futur que la compréhension
des ressorts intimes de la résistance ?
Il est à craindre que la dynamique sociale actuelle ne soit
du côté de la conservation de soi et de ses acquis
à
tout prix.
Peut-on imaginer que léducation actuelle, les stars
ac multiples, le désenchantement général
donnent aux jeunes générations cette confiance, cette
fidélité à soi, à ses valeurs dont lauteur
nous parle ?
Peut-on penser que les plans visant à léconomie
de la santé donnent aux soignants la « liberté
dêtre » indispensable à la prise en charge
de la souffrance de lautre ?
Trouvera-t-on le courage, cette « présence à
soi », de refuser les diktats financiers ou politiques ?
Le plus grand paradoxe de notre époque restant que, jamais,
lestime de soi na été autant mise en avant
et recherchée
comme si la recherche dun sens
à sa vie nétait finalement utilisée que
pour se trouver mieux dêtre
soumis !
Nous laisserons à lauteur le mot de la fin :
La capacité humaine de faire le bien tout comme celle de
faire le mal ne sont pas prédéterminées par
une quelconque « nature » : toutes deux renvoient à
des potentialités enfouies en chacun de nous, quil
sagit pour la première de favoriser et, sagissant
de la seconde, contre laquelle il convient de se prémunir,
aussi bien individuellement que collectivement. Telle est peut-être
la finalité a plus haute de léducation
Laltruisme est peut-être dans certaines circonstances,
un fait dexception ; mais rien ninterdit despérer
que les hommes, prenant conscience de leur vulnérabilité,
se dressent à lavenir avec plus de résistances
contre les facteurs qui les poussent ordinairement à la soumission
et à lavilissement.
l'os court : « Je naime
que les gens qui me résistent, mais je ne les supporte pas.
» De Gaulle
Consulter
un autre numéro de la LEM
Lettre
d'Expression médicale n°446
Hebdomadaire francophone de santé
2 mai 2006
Le carré des cliniciens
perdus
Dr. François-Marie Michaut
Le clin
dil au film à succès « le cercle
des poètes disparus » néchappe à
personne. Mais ici, il ne sagit pas de la gentillette histoire
dun groupe dadolescents initié par leur professeur
charismatique à une dimension de la réalité
humaine négligée par le système scolaire à
laméricaine. Cest de santé, comme chaque
semaine, que nous parlons ici.
Retrouver la confiance:
Il sagit effectivement dun carré . Nous ne sommes
plus, hélas, devant un aimable cercle, dénué
de tout angle qui puisse être de contact agressif, et dont
le diamètre peut varier librement à linfini
de limaginaire de chacun. Oui, cest bien un carré
que nous décrivons, absolument conforme à limage
dÉpinal que nous conservons de la vieille garde se
regroupant ainsi pour protéger leur vénéré
empereur Napoléon à Waterloo. Même sil
ny aucun souverain en cause dans ce propos. Nous ne naviguons
pas dans une atmosphère légère et édulcorée
de fiction à visée initiatique, mais, nous sommes
les premiers à le regretter, dans ce qui ressemble fort à
une opération militaire où la mort est au rendez-vous.
Restaurer la conscience
De quelle mort est-il question ici ? De celle des cliniciens, nous
lavons annoncé en titre. Dans un but de simplification,
il nest question ici que des seuls médecins. Dans notre
esprit, il est indispensable de le préciser, tous les autres
soignants cliniciens, quils soient infirmiers, sage-femmes,
psychologues cliniciens, kinésithérapeutes etc...
sont exactement dans le même bateau ... en perdition. Cest
donc pour tous que nous nous exprimons. Si le terme de clinicien
a été choisi, cest par volonté de ne
pas tomber dans le piège des divisions du monde de la santé
et de la médecine en disciplines si volontiers opposées
entre elles ... pour mieux les museler. Nous reprenons simplement
à notre compte la distinction de François Dagonet
entre dune part les hypertechniciens ( Odile Marcel à
Exmed parle de technoscientifiques) et dautre part les cliniciens.
En première approche, les spécialistes - et surtout
à lhôpital - constituent le bataillon principal
de cette première orientation, largement dominante de la
médecine daujourdhui. Les cliniciens, majoritairement,
et du fait des contraintes spécifiques de leur exercice ambulatoire
sont représentés par les médecins généralistes.
Il faut signaler, pour être complet, quil existe aussi
des spécialistes qui se comportent en véritable cliniciens,
et des généralistes qui rêvent dêtre
considérés comme des hypertechniciens.
Renforcer la compétence:
Lorganisation actuelle des études médicales,
la rigidité immuable du statut du corps professoral entièrement
aux mains des fonctionnaires de lEtat, et la pression idéologique
et financière des adorateurs et profiteurs de la technoscience
( encore Odile Marcel) que toute la formation des futurs médecins
nest confiée, à quelques rares et remarquables
exceptions près, qu aux plus hypertechniciens des hypertechniciens
que nous formons à la chaîne depuis ... 1958. Excusez
du peu. Héritage de De Gaulle et Robert Debré associés.
La technique, elle, sévalue, se mesure, se perfectionne
sans cesse de moyens spectaculaires. Disons-le tout net : elle est
facile à enseigner, sa formation est aisée à
chiffrer en notes dallure objective et ... classantes. La
clinique, on en parle depuis le début du 17ème siècle.
Lorigine grecque du mot klinikos est évocatrice : qui
visite les malades au lit . Contact direct avec le malade, dhumain
à humain, sans la moindre interposition technique. Expérience
humaine à chaque fois unique et renouvelée, variable
dun sujet à un autre, dun clinicien à
un autre, dun moment à un autre. On conçoit
dès lors la difficulté extrême de la transmission
de ce qui est, avant tout, une façon dêtre taillée
à chaque fois sur mesure, et sans cesse affinée tout
au long dune vie. Royaume de la subjectivité, de la
responsabilité personnelle, de la fragilité et de
lerreur humaine, de la non systématisation, de la non
standardisation, en un mot qui fait horreur actuellement : du talent
personnel. Que voilà un univers qui se plie mal à
notre monde industriel où tout objet ( dont un soignant considéré
comme une unité de production) doit être fabriqué
de façon rentable, rapide, calibrée, normalisée,
et aussi peu onéreuse que possible.
Alors que les cliniciens, après une lente agonie de plus
dun demi siècle, soient devenus une espèce perdue
( car rendue incapable de se reproduire ) parce que personne na
jugé utile de donner aux étudiants les vrais moyens
de se former à la clinique, faut-il sen étonner
? Ce serait tellement plus simple de ne plus faire semblant quelle
existe encore, cette formation clinique, si on voulait vraiment
que les patients soient clairement informés de la réalité
de la médecine.
Lhomme étant tellement bizarre, ne verra-t-on pas un
jour fleurir une organisation militante de sauvegarde des cliniciens
perdus ? Après tout, on la déjà fait
pour les pandas et les baleines bleues. Ce serait quand même
savoureux de rencontrer un jour de jeunes et beaux torses arborant
fièrement dans tous les lieux publics des maillots portant
un slogan du genre : Nos cliniciens, on y tient .
Naturellement, privilège de la jeunesse, sans avoir conscience
de la haine destructrice quentraîne obligatoirement
chez les puissants lexistence de gens quil est impossible
de faire marcher au pas.
l'os court : « J appelle
techniciens ceux qui se trompent selon les règles.»
Paul Valéry
|