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Lettre
d'Expression médicale n°447
Hebdomadaire francophone de santé
9 mai 2006
Faut-il avaler cette pilule
?
Nicole Bétrencourt
Faut-il vraiment effacer les mauvais souvenirs avec la pilule
de loubli ? Cest ce que proposent certains spécialistes
de la mémoire : la pilule dite anti-trauma
donnée après un événement traumatisant
pour gommer des souvenirs trop douloureux.
Retrouver la confiance:
Des essais cliniques concluants ont démontré
que certaines molécules prises après un événement
stressant seraient susceptibles de réduire les risques
de SSPT, résistants aux traitement classiques. Les symptômes
du stress post-traumatique (SSPT) se manifestent, entre
autres, par des souvenirs perturbants, récurrents et
intempestifs: images, pensées, impressions, rêves.
Et de nouvelles générations de médicament permettraient
déliminer ces manifestations. Pour
les neuroscientifiques, le SSPT sexplique par un excès
dhormones de stress qui impriment le souvenir trop profondément
dans le cerveau. Pour y remédier, le principe
est de bloquer les effets de ces hormones pour éviter
lencodage pathologique du souvenir traumatique par lamygdale
hyperactivée. Car des mois et des années après
lévénement, un son, une image, une odeur
pourra réveiller la mémoire amygdalienne (la mémoire
émotionnelle), laissant la personne en proie à
ses terreurs.
Restaurer la conscience
Dans le cadre dune étude pilote réalisée
au Massachusetts Hospital, le Dr Roger Pitman a sélectionné
19 patients ayant subi récemment un traumatisme. Pendant
10 jours, ils ont reçu soit du Propranolol - un bêtabloquant
utilisé contre lhypertension mais qui agit sur
les récepteurs du cerveau impliqués dans le stockage
du souvenir - , soit un placebo.
Trois mois après, ceux qui avaient reçu du Propranolol
ont manifesté moins de symptômes de stress que
ceux ayant pris le placebo. Mais parfois le SSPT remonte à
des années. Et pour voir si la pilule de l'oubli est aussi
efficace, Roger Pitman, Karim Nader et Alain Brunet
de luniversité McGill, ont recruté dans
la région de Montréal une vingtaine de personnes ayant
subi un traumatisme (mauvais traitement pendant lenfance,
agression sexuelle ou accident) il y a vingt ou trente
ans , et leur ont prescrit du Propranolol avec des résultats
également probants.
Les médias l'ont surnommée improprement "pilule
de loubli". Le but est n'est pas deffacer les mauvais souvenirs
de lévénement mais de diminuer leur charge
émotionnelle, pour la rendre accessible aux thérapeutiques
traditionnelles, psychothérapie et traitement psychiatrique.
Seulement voilà, jusqu'où a -t-on le droit deffacer
les souvenirs pénibles et quel est le revers de la médaille?
Renforcer la compétence:
Malgré les essais cliniques concluants, cette génération
de médicaments suscite la controverse sur d'éventuels
problèmes éthiques. Le risque serait dabord
quelle soit prise à tort à tort et à
travers comme le sont les psychotropes, et que cette pilule de l'oubli
devienne un substitut à tout échange verbal
avec les acteurs de la santé ou avec son entourage. Et jusquoù
peut- on manipuler la mémoire chimiquement sans manipuler
mentalement? Pour certains psychologues, émousser les émotions
ne serait pas la meilleure solution car les victimes du SSPT
sont maintenues dans un état de dissociation entre
leur vécu et la neutralité émotionnelle,
ce qui rendrait difficile lintégration de leur
expérience, aussi pénible soit-elle. Ce qui signifie
quils sont en état altéré de conscience
sur une longue période de temps. Retrouver la paix
de lesprit ne se réduit pas à avaler une pilule
miracle. Être à la recherche du temps perdu n'est pas
une simple affaire de molécules chimiques qui robotise notre
part d'humanité. Bons ou mauvais, les souvenirs font
partie intégrante de notre personnalité. La pilule
de loubli: un concept marketing ou une réelle
avancée scientifique? La quête du bonheur à
tout prix serait-elle aujourd'hui uniquement artificielle?
Sources:
Sciences et Avenir, Mai 2006, La pilule Anti-trauma, Elena Sender
Le Courrier International -no 800-2 mars 2006, Une pilule qui efface
les mauvais souvenirs, Amkjha, The Guardian
Le Courrier International -no 709-3juin 2004, A-t-on le droit d?effacer
les souvenirs pénibles, Steven Rose, The Guardian
l'os court : « Jai
une mémoire admirable. Joublie tout.» Jules
Renard
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Lettre
d'Expression médicale n°448
Hebdomadaire francophone de santé
15 mai 2006
A la ligne ou au chalut
Dr. François-Marie Michaut
La vie a fait que je nai jamais connu de médecin dans
mon entourage familial. Lenfant que jétais se
souvient fort bien sêtre posé la question du
fonctionnement du médecin de la famille. Comment faisait-il
donc pour deviner ainsi la nature de ces maladies pas très
rassurantes ? Par quel prodige de la nature se souvenait-il de tant
de noms barbares et jonglait-il avec des noms de remèdes
aussi nombreux ? Vraiment, quand la vulgarisation médicale
nexistait pas encore, cétait , à mes yeux
denfant, aussi admirable que merveilleux, et ... mystérieux.
Retrouver la confiance:
En vérité, devenu médecin, je nai guère
cessé de minterroger sur létrange alchimie
mentale qui conduisait en quelques brèves minutes à
la prescription de quelques remèdes censés améliorer,
ou guérir nos multiples maladies. A moins quun héroïque
bistouri chirurgical ne vienne trancher dans le vif du sujet, décidément
bien patient. Si lon en croit les préceptes de lenseignement
médical, cest la recherche patiente et surtout méthodique
de tous les symptômes. Et une fois, dûment consignés
par écrit dans ce que nous appelions jadis une observation
médicale, tous ces signes sont censés permettre de
retenir et de formuler un certain nombre dhypothèses
sur lorigine des troubles pathologiques du patient. A ce moment
là, et à ce moment seulement, des investigations dites
complémentaires devraient permettre de passer dun diagnostic
probable à un diagnostic de certitude. Telle est la tradition,
je pense encore rapidement évoquée actuellement, de
lenseignement de la médecine.
Restaurer la conscience
Dans la pratique, les choses se passent bien autrement. Le jeune
médecin en formation dans les services hospitaliers constate
immédiatement que la façon de procéder de ses
aînés est aux antipodes de ce qui lui a été
enseigné. On nécoute guère le malade,
et le temps consacré à son examen succinct , quand
même il existe, est des plus limité et ressemble davantage
à un rite quà une activité menée
avec conscience . Notre carabin découvre que le malheureux
humain qui franchit les portes de lhôpital est devenu
une sorte de marchandise inerte et anonyme. Il doit immédiatement
être bilanté, horrible expression pour
désigner la batterie dexamens systématiques
qui est devenue la règle dès lentrée.
Lobservation dont nous parlions a disparu, comme dans un ministère
ou un tribunal, il nest plus question que de dossier. Oui,
le malade de chair et de sang est devenu un dossier de papier, dimages,
de graphiques et décrans numériques. Passons
rapidement sur le coût financier faramineux de cette multitudes
dexamens, qui ne sont la plupart du temps pas prescrits en
fonction des symptômes que présente le patient, mais
pratiqué à titre systématique. De cette masse
dinformation ramassée par ce que nous pouvons nommer
un véritable chalut : vaste filet de pêche en mer tracté
de longues heures par de puissants bateau, on va de temps en temps
extraire un diagnostic médical. Or, ce type de trouvaille
est bien souvent totalement étranger aux troubles qui ont
conduit le patient, et son médecin traitant, vers le monde
hospitalier. Comment sétonner de la déception
de chacun quand le système est incapable de répondre
à la demande du patient et des médecins, en se contentant
de donner une réponse à côté ? Énorme,
ruineux et désespérant quiproquo pour les usagers.
Ouverture de fait vers de dangereuses voies de soins alternatifs,
remplies de charlatans et dilluminés de tout poil.
Renforcer la compétence:
Nous en sommes arrivés, quelque soit le jugement quon
puisse formuler, à une médecine de papier. On détecte
les maladies avec la technique aveugle des chalutiers. Se lamenter
sur le recul des manières de travailler de jadis, par nécessité
technique et scientifique plus que par vertu fondées sur
la seule clinique, ne sert à rien. Par contre avoir clairement
à lesprit quil existe une autre façon
de penser la pratique médicale que celle qui domine demeure
une nécessité pour notre santé de demain à
tous. La pêche à la ligne, qui nécessite certes
beaucoup de temps ( ce temps médical quon veut toujours
réduire car il coûterait trop cher ), beaucoup de patience,
beaucoup de savoir-faire, beaucoup dengagement personnel,
demeure une technique irremplaçable. En médecine clinique
comme sur la mer. La qualité des prises, quon
nous pardonne cette métaphore, nest tout simplement
pas comparable en qualité. Pour finir sur une note gustative,
déguster un bar de ligne et se nourrir dun bar pêché
au filet nont tout simplement rien à voir.
Car, finalement, et contrairement à ce que nos puissants
disent en permanence, ce ne sont pas eux qui décideront de
la médecine de demain. Ce ne sera pas non plus les médecins
et les soignants, bien trop empêtrés dans leurs intérêts
immédiats. Ce seront les citoyens. Si toutefois ils cessent
un peu de se laisser berner par des manipulateurs dopinion
pour, enfin, juger et décider par eux-mêmes.
l'os court : « Écrire,
c'est une façon de parler sans être interrompu. »
Daniel Prévost ( transmis par Ph.D.)
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Lettre
d'Expression médicale n°449
Hebdomadaire francophone de santé
22 mai 2006
Soigner ... les emplois
Dominique Estérez
Voici dabord pourquoi et comment je propose le TCSM ( taux
de contribution sociale maximum ) pour une réforme indispensable
des prélèvements obligatoires en France.
Je ne fais partie daucune chapelle politique ou syndicale,
mais jai vécu en France plus de trente ans dexpérience
de création et de gestion de PME ( petites et moyennes entreprises,
ndlr) innovantes. Endurant les handicaps et les contradictions du
système jai développé une vision personnelle
de ce qui fait problème et des aménagements souhaitables.
Retrouver la confiance:
Vous trouvez logique que l'impôt sur le revenu soit plus important
si vous gagnez beaucoup d'argent, et d'en être exonéré
si vous en gagnez trop peu. C'est de bonne justice sociale et parfaitement
logique, car on ne peut demander aux gens plus d'argent qu'ils n'en
gagnent et il faut bien laisser de quoi vivre. Mais, les impôts
ne sont pas nos obligations les plus importantes, la plus grande
partie des prélèvements obligatoires français
est constituée de charges demandées pour chaque travail
déclaré. Les charges sociales, (qui ne sont pas des
impôts), sont plus importantes que la somme de tous les impôts
(plus importantes que l'addition de l'impôt sur le revenu,
de l'impôt sur les sociétés et de la taxe à
la valeur ajoutée). C'est donc au niveau de ces charges que
se joue l'essentiel de notre organisation nationale et de son efficacité.
Restaurer la conscience
Compte tenu de l'importance de ces contributions, on s'attendrait
pour le moins à ce qu'elles soient demandées avec
autant de justice et de discernement que l`impôt. Il semblerait
logique que l'on ne demande pas, aux entreprises comme aux gens,
plus de richesse que ce qu'ils produisent et, également,
qu'on laisse une place convenable aux salaires. Pourtant, avec les
charges sociales, les choses sont tout à fait différentes
: ce n'est pas la richesse créée qui établit
l'importance des contributions, c'est la présence de salariés,
même si l'activité rencontre des difficultés
ou s'avère peu rémunératrice. Pour survivre,
une entreprise qui rencontre des difficultés à payer
ses contributions obligatoires sera tentée de faire pression
sur les salaires, car chaque euro de salaire net en moins lui permettra
d'économiser près de deux euros pour payer ses autres
charges. Si c'est impossible, il lui faudra alors rapidement licencier
pour sauver ce qui peut encore l'être. Par contre, une entreprise
florissante, qui produit avant tout avec des automates, ne payera
que très peu de nos principales contributions.
Ce manque de relation entre les contributions et les possibilités
éventuelles de les payer, qui sont très différentes
suivant les situations et les secteurs, explique, qu'en France,
nous détruisions systématiquement les activités
modestes exercées avec de la main-d'uvre.
Renforcer la compétence:
Le TCSM, Taux de Contribution Sociale Maximum, propose une nouvelle
règle innovante pour déterminer plus justement et
plus clairement les situations où les allégements
sont justifiés et nécessaires pour ne pas détruire
les activités fragilisées. Chaque fois que les prélèvements
demandés seront supérieurs à un certain pourcentage
de ce qui reste après avoir payé les salaires nets,
lentreprise sera exonérée de lexcédent.
Cela laissera beaucoup plus fréquemment les moyens pour faire
face aux autres charges. En limitant les prélèvements
de ces seules entreprises on économise alors des budgets
d'aide à l'emploi actuellement gaspillés, budgets
qui seront employés à maintenir tous les avantages
sociaux des salariés des entreprises partiellement, ou même
un temps totalement, exonérées.
Ainsi avec le TCSM personne ne perdra rien et l'on fera d'importantes
économies d'assistance, mais il deviendra alors infiniment
moins périlleux d'entreprendre en France et cela sans coût
réel pour la nation. Beaucoup dactivités nouvelles,
jusqualors impraticables, pourront être créées
tout en laissant une place convenable aux salaires des employés.
Comme dans les pays qui connaissent le moins de chômage, les
cotisations seront dues lorsquon réussit à gagner
de largent, et non dès quon essaye den
gagner. En cas de développement de ces activités,
elles cotiseront immédiatement comme les entreprises actuellement
viables.
Avec le TCSM nous pourrions tous convenir qu'il est absurde, et
finalement très coûteux, de continuer à demander
aux petites activités, aux activités en création
comme aux activités menacées, plus de valeur qu'elles
ne peuvent en produire, car alors, on anéantit sans percevoir.
L'accord de tous pourrait s'établir, car, nous l'observons
tous, le système actuel détruit beaucoup d'initiatives
intéressantes pour la nation comme pour les travailleurs
qui les animent. Or personne n'a rien à gagner à la
disparition de ces activités modestes, sauf des coûts
d'assistance, et, avec l'avènement d'un TCSM, tous conserveraient
l'ensemble de leurs acquis sociaux.
(*) Pour en savoir plus, consulter le site http://www.tcsm.fr/
ou écrire à lauteur : tcsm@tcsm.fr
l'os court : « On ne meurt
pas de dettes. On meurt de ne plus pouvoir en faire.»
Louis-Ferdinand Céline
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Lettre
d'Expression médicale n°450
Hebdomadaire francophone de santé
29 mai 2006
Hôtels de soins
Dr. Françoise Dencuff
Dans un monde entièrement dévoué aux économies
pour protéger les plus riches, la dernière idée
lumineuse veut transformer les hôpitaux et cliniques en hôtels
!
Certes lidée nest pas nouvelle. De lHôtel
Dieu (juste un nom) aux séjours touristico-chirurgico-esthétiques
dans de superbes complexes hôteliers en Thaïlande, il
y a longtemps que lidée de séparer lhébergement
des soins existe. Mais maintenant elle est officiellement une piste
de réflexion en France.
Retrouver la confiance:
L'hébergement des patients dans un hôtel au sein de
l'hôpital, après une chirurgie pour cancer, permet
d'améliorer la qualité des soins et représente
une source d'économies pour l'établissement, selon
une expérimentation menée à l'Hôtel-Dieu
de Paris (AP-HP).
Le Pr Jean-Pierre Bethoux, chef de service de chirurgie générale
à l'Hôtel-Dieu a présenté une étude
de faisabilité réalisée dans son établissement,
au cours d'une table ronde sur le thème "le malade au
centre de l'organisation des soins en cancérologie"
dans le cadre d'un colloque parlementaire organisé lundi
à l'Assemblée nationale par le Pr Paul-Henri Cugnenc,
député UMP de l'Hérault et président
du groupe d'études sur le cancer et la santé publique,
qui rassemble 90 parlementaires issus de toutes les formations politiques.
Pour réduire la durée de séjour en hospitalisation
classique, les patients sont placés "en sas de pré
sortie" à l'hôtel dans l'hôpital intra-muros,
a décrit le médecin. Ce type d'hébergement
est déjà utilisé notamment par la Mayo Clinic
aux Etats-Unis ou, en France, à l'Institut Gustave Roussy
(IGR) de Villejuif (Val-de-Marne) où un hôtel Campanile
jouxte le centre de lutte contre le cancer.
Restaurer la conscience
La demande des patients est considérable. Cela leur
permet d'échapper aux infections nosocomiales, de ne plus
être en pyjama. Les patients dé perfusés dorment
mieux car ils sont moins dérangés la nuit. Et il y
a quand même un accompagnement. En cas de problème,
ils sont sur place", a-t-il rapporté. "Nous allons
développer cette formule pour la chirurgie clioscopique
du côlon, l'hystérectomie et la chirurgie du cancer
du sein", a-t-il annoncé.
Une nuit à l'hôtel coûte 50 à 60 euros
contre 1.126 euros à l'hôpital. (Source APM)
Renforcer la compétence:
En soit lidée nest pas mauvaise, les patients
doivent certainement se sentir moins « malades » dans
un environnement presque normal. Ce qui métonne cest
que beaucoup de services se retrouvent engorgés parce quil
nexiste pas assez de structures de soins de suite.
Pour des interventions mineures ou dans le cadre de traitements
possibles en hospitalisation de jour cette solution est certainement
efficace puisque les regroupements hospitaliers pour des raisons
économiques amènent souvent les patients à
devoir faire de longs trajets. Mais pour des interventions beaucoup
plus lourdes il serait temps de développer les centres de
soins de suite, beaucoup moins onéreux quun service
classique et qui pourraient profiter de lexpérience
de personnels hôteliers pour le bien être des patients.
Voilà encore une idée qui semble sortir dun
chapeau alors quil y a longtemps quelle aurait pu être
effective. Oui
.mais
il fallait attendre que le manque
crucial de personnel bâillonne les syndicats qui sinon nauraient
pas manqué de crier au scandale.
l'os court : «
Le comble de léconomie : coucher sur la paille quon
voit dans loeil du voisin et se chauffer avec la poutre quon
a dans le sien.» Alphonse Allais
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Lettre
d'Expression médicale n°451
Hebdomadaire francophone de santé
5 juin 2006
Questions bien dérangeantes
Dr. Gabriel Nahmani
Tout homme bien portant est un malade qui s'ignore
déclarait savamment notre cher confrère, le Dr Knock
( Le triomphe de la médecine, comédie
de Jules Renard, 1923, NDLR )
et deux articles récents nous conduisent à nous poser
enfin des questions
dérangeantes.
Retrouver la confiance:
1 / Les médecins posent-ils trop de diagnostics et traitent-ils
trop? ( www.CyberSciences.com de juin 2006 )
Le cancer fait peur. Trop peur pour rien! Cest un médecin
qui le dit. Le docteur Fernand Turcotte, 64 ans, prêche par
lexemple: "Je nai jamais subi de test de dépistage
du cancer de la prostate. Si je suis atteint, je ne veux pas le
savoir! "
Cet épidémiologiste, professeur à lUniversité
Laval, est convaincu que cette peur nous entraîne sur une
pente dangereuse. On fait trop de dépistage, estime-t-il,
et cela a des conséquences très fâcheuses :
tests et traitements inutiles, anxiété, etc.
Il vient de traduire le livre dun confrère américain,
le docteur Gilbert Welch, dont le titre donne le ton: Dois-je me
faire tester pour le cancer? Peut-être pas et voici pourquoi.
À son âge, le docteur Turcotte aurait déjà
subi au moins 6 ou 7 tests sil sétait plié
aux recommandations en vogue visant à sassurer de la
bonne santé de la prostate des Québécois de
plus de 50 ans. Sil nen a rien fait, ce nest pas
quil naime pas la vie. Cest plutôt que le
cancer de la prostate nest pas ce tueur redoutable que lon
craint. " Pour la majorité des hommes, cest une
pseudo- maladie: ça ne les tue pas et ça ne les rend
même pas malades!" affirme le médecin
Restaurer la conscience
2 /" Pour vendre des médicaments, inventons des maladies
" ( Le Monde diplomatique numéro 626 )
Le Monde diplomatique publie un extrait du livre de Ray Moynihan,
journaliste, et Alan Cassels, chercheur en politique des médicaments
à luniversité de Victoria, au Canada, intitulé
" Selling Sickness. How Drug Companies Are Turning Us All Into
Patients ", Allen & Unwin, Crows Nest.
Les deux auteurs écrivent ainsi que " les stratégies
marketing des plus grosses firmes pharmaceutiques ciblent dorénavant
les bien-portants de manière agressive. Les hauts et les
bas de la vie de tous les jours sont devenus des troubles mentaux,
des plaintes somme toute communes sont transformées en affections
effrayantes, et de plus en plus de gens ordinaires sont métamorphosés
en malades ".
" Au moyen de campagnes de promotion, lindustrie pharmaceutique
[
] exploite nos peurs les plus profondes : de la mort, du
délabrement physique et de la maladie changeant ainsi
littéralement ce quêtre humain signifie ",
poursuivent Ray Moynihan et Alan Cassels.
Les auteurs remarquent que " lépicentre de ce
type de vente se situe aux Etats-Unis ", et notent que le "
rugissement du marketing samplifie " et " lemprise
des multinationales sur le système de santé se consolide
".
Renforcer la compétence:
Que sommes-nous devenus, en vérité ? Qu'entend-on,
dans les moindres conversations, au coin des rues, dans les réunions
amicales ou de voisinage ? très fréquemment, les mots
magiques " mon médecin, le labo, les radios, le scanner,
l'IRM, la scinti, la SÉCU, le bilan
" On a fabriqué
une population d' inquiets, les laboratoires d'analyses et les cabinets
de radiologie croulent sous le nombre de patients, les feuilles
de maladie s'accumulent, les pharmaciens délivrent de plus
en plus de produits, les labos pharmaceutiques prospèrent,
l'attente anxieuse augmente insidieusement, les conseils anti-ceci
et anti-cela pullulent, censés nous enseigner et nous protéger
contre presque tout
sauf contre la peur de vieillir et de mourir,
terme normal et terme final à toutes nos angoisses, justifiées
ou non.
Le Dr Turcotte, 64 ans, ne veut rien savoir ? Votre exmédien
de service ( qui ne fut jamais médecin de sévices
!), 72 ans, se moque royalement de ses lendemains à venir
et vit normalement, sainement, sagement, et se contente d'attendre,
sans crainte, sans obsession, ce que demain ou après-demain
il aura à connaître et à subir.
Au secours ? Non, pour une fois cet Os peu court conclura ce propos.
l'os court : «
Un corps débile affaiblit lâme, de là
lemprise de la Médecine, art plus pernicieux aux hommes
que tous les maux quelle prétend guérir. Je
ne sais pour moi de quelle maladie nous guérissent les médecins,
mais je sais quils nous en donnent de bien funestes : la lâcheté,
la pusillanimité, la crédulité, la terreur
de la mort : sils guérissent de la mort, ils tuent
le courage.» J.J. Rousseau
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Lettre
d'Expression médicale n°452
Hebdomadaire francophone de santé
12 juin 2006
Drôle de monde
Dr. Françoise Dencuff
Où il sera question de sexe, dAldous Huxley (1),
des jeunes et détranges courants de fonds, finalement
bien paradoxaux .
Retrouver la confiance:
Étrangement, à quelques jours dintervalle, des
penseurs se sont penchés sur la sexualité des Homo
Sapiens.
La première, uniquement par antériorité, professeur
de philosophie à Québec, nous parle de lhypersexualisation
de nos sociétés. Elaine Larochelle a répondu
au défi lancé par un journal québécois,
Le Devoir : décrypter un fait dactualité à
la lueur des thèses dun grand penseur. Après
publication ce sont les élèves qui évalueront
la copie de leur prof. Sujet choisi : Huxley et notre société
hypersexualisée.
Surexposition du corps féminin, sexualité dépourvue
de signification, sexualisation de l'enfance : comment ne pas penser
au livre Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley ? Dans ce monde,
les activités sexuelles des enfants sont considérées
non seulement normales mais également souhaitables. Ils reçoivent
un enseignement hypnopédique de «sexe élémentaire»,
on rencontre un petit garçon de sept ans et une petite fille
de huit «s'amusant à un jeu sexuel rudimentaire»
et des centaines d'enfants rassemblés prenant part «à
des jeux de construction et de modelage, au zip furet et à
des jeux érotiques».
Si notre monde représente l'enfant comme un «adulte
sexuel miniature», Huxley, lui, pousse cette image jusqu'à
la renverser. Selon lui, la précocité sexuelle provoquée
ainsi que l'accès facile à la sexualité font
en sorte que les adultes demeurent des enfants aux niveaux émotif
et moral : «Des adultes, intellectuellement et pendant les
heures de travail, [...] des bébés en ce qui concerne
le sentiment et le désir.» La sexualisation précoce
rendrait donc la maturité et l'autonomie, sinon impossibles,
du moins très difficiles et du coup extrêmement rares.
Dans le Meilleur des Mondes Huxley, nous dépeint une société
« heureuse » parce que libérée des émotions
et de lintériorité.
D'ailleurs, l'intimité est la rencontre de deux intériorités.
Et l'intériorité se construit dans le calme et la
solitude, par les pensées et les rêves. Or on fait
tout pour empêcher qu'un individu ait de l'intériorité.
La solitude est proscrite. La réflexion aussi. Il ne doit
pas y avoir de sentiments. Dès lors, la sexualité
est ravalée au rang de loisir, de divertissement. S'il en
était autrement, l'ordre social s'en trouverait menacé.
Pour qu'il subsiste, il faut que tous adhèrent à l'adage
selon lequel «chacun appartient à tous les autres».
Et s'il arrive à quelqu'un de ressentir le vide, le manque,
la tristesse, il a toujours sous la main le soma, médicament
du bonheur.
Pour Huxley, donc, l'hypersexualisation est un instrument d'abrutissement
des humains. Elle contribue à la perte d'identité
(rapport à soi) et d'intimité (rapport à l'autre)
et rend les gens d'autant plus perméables aux slogans qui
les portent à la consommation de biens futiles. À
l'inverse, malgré le conditionnement, la perspective de l'intimité
est toujours perçue comme possible et menaçante pour
la société du Meilleur des mondes.
Je suis certaine que ces quelques lignes vous feront froid dans
le dos tant le monde décrit avant la guerre de 40, et que
Huxley situait dans 600 ans, ressemble fort au nôtre.
Autre penseur, Jean-Philippe de Tonnac, journaliste, nous présente
ces adultes chastes qui seraient de plus en plus nombreux en Europe
et aux USA. Surtout chez les trentenaires. (La révolution
asexuelle chez Albin Michel)
Restaurer la conscience
Pourquoi donc aborder ce thème dans une LEM ? Tout
simplement parce quil me semble important que les médecins
puissent accompagner des patients de plus en plus déboussolés
par les diktats de certains gourous du sexe qui décident
quil existe une norme absolue et que refuser de faire «
crac-crac » est très mauvais pour la santé.
Nous ne pouvons que faire un lien entre le monde décrit par
Elaine Larochelle et celui de Jean Philippe de Tonnac. Trop de sexe
tue le sexe. Comment demander à une partie non négligeable
de nos Tanguy de vivre comme des adultes. Comment leur donner le
goût de la responsabilité, de lengagement, du
désir dans une société qui fait de lintimité
la couverture des journaux à scandale ?
Comment leur donner confiance en leur compétence dêtre
humains ?
Renforcer la compétence:
Quelle est donc notre part de responsabilité, à nous
soignants, médecins ou psy dans cette « perte didentité
et dintimité ». Elle est certainement très
grande dans notre volonté de déculpabilisation, de
tolérance, de dédramatisation
Grande aussi dans
le psy à tout prix pour avoir confiance en soi.
Combien dentre nous ont eu à expliquer à une
mère que donner la pilule à sa fille de 12 ans nest
peut-être pas judicieux
et combien dentre nous
lont-ils fait sous le fallacieux prétexte quon
ne pouvait pas lempêcher de « séclater
» alors quil valait mieux éviter le pire ! Combien
dactes de chirurgie esthétique à la limite du
supportable pour séduire à tout prix ? (voir lédifiant
concours de Miss Swann)
Il nest pas ici question de morale, juste de bon sens. De
sens tout court à vrai dire. Le sens dune vie loin
de lhyperconsommation, des divertissements idiots, des matraquages
du genre coupe du monde par les médias.
Nous lisions il y a quelques jours dans nos LEM que lhyper
technicité galopante de la médecine retirait toute
proximité avec les personnes qui venaient nous voir. Nous
assistons désolés à la mise en place de deux
spécialités : dun côté les médecins
et leurs batteries dexamens en tous genres et de lautre
les psys, justification facile de labandon du lien dans la
relation de soins.
Loin de moi de penser que lune ou lautre sont inutiles
mais leur éloignement renforce chaque jour davantage
limpression hallucinante dêtre un des bêtas
dAldous. Mais je peux me rassurer : les alphas veillent !
Je laisserais la conclusion à Elaine Larochelle :
À la différence du Meilleur des mondes, nos sociétés
libérales n'ont pas connu de campagne ouverte et violente
contre le passé : personne n'a fermé les musées,
détruit les monuments historiques et supprimé la grande
littérature. Mais dans nos démocraties, alors que
les grandes oeuvres devraient être valorisées et accessibles
à plus de gens (parce qu'elles stimulent la réflexion
et que la réflexion personnelle est nécessaire pour
que la démocratie ne soit pas démagogie), leurs effets
sont neutralisés à l'avance par une campagne douce
et insidieuse : celle du divertissement facile et de la sexualité,
celle du divertissement empreint de sexualité.
Habitués aux sensations fortes, aux images fortes qui interpellent
directement l'instinct sexuel, quel intérêt auront
les élèves, et les gens en général,
pour les oeuvres qui demandent un effort, qui s'adressent non pas
au corps mais au coeur et à l'intelligence ?
Quel beau défi pour les soignants que de rester, envers et
contre tout, les médecins du cur ?
(1) NDLR : Aldous Huxley - 1894-1963 -
romancier britannique a écrit en 1932 Brave New World
titre traduit en français par Le meilleur des mondes.
Petit fils dun biologiste partisan de Darwin, frère dun
zoologiste qui fut le premier directeur de lUNESCO en 1946,
et demi-frère dAndrew Fielding, neurologue et Prix Nobel
de médecine 1963 avec un certain Hogkin.
l'os court :« Sexe : Le fruit dEve fendu.»
Jean Cocteau
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Lettre
d'Expression médicale n°453
Hebdomadaire francophone de santé
19 juin 2006
Systémiquement parlant
(1)
Dr. François-Marie Michaut
Voici des années que nous nous permettons ici dinsister
sur le grand intérêt quil y aurait pour tous
les soignants, et pas seulement pour ceux quon nomme- sans
trop savoir qui ils sont, ne ce quils font vraiment pour notre
santé - les psys, de prendre le temps de se former à
la systémique. Comme personne, à notre connaissance,
ne semble vouloir retrousser ses manches pour combler ce manque,
je vais tenter de donner quelques pistes pour que chacun, sil
le veut bien et y trouve son compte personnel, puisse aller un peu
plus loin.
Retrouver la confiance:
Commençons bien modestement par le début en auscultant
le mot système. Pour des soignants, lassociation didées
se fait immédiatement avec le système nerveux ou le
système cardio-vasculaire dont nos études nous ont
largement parlé. Comme dhabitude, la racine grecque
du terme est au rendez-vous. Un système, ce sont tout simplement
des choses qui se tiennent ensemble. Ýyv ( sun ) ,
cela pour les hellénistes veut dire avec. Un premier écueil
existe pour les non-initiés, une fois encore lié au
sens des mots. Systémique nest pas du tout synonyme
de systématique. Agir systématiquement suggère
lutilisation obligatoire, quel que soit le problème
posé, dune routine de comportement prédéfinie
à lavance. Tout à fait comme les aviateurs font
subir à leur aéronef une check-list avant tout décollage.
Nous sommes là dans un univers exclusivement technique, mécanique,
aux frontières aussi parfaitement définies que celle
que le médecin et botaniste suédois Carl von Linné
utilisa au 18 ème siècle pour sa systématique
afin de classer rigoureusement les plantes et les animaux avec des
espèces, des classes des genres etc, le tout largement latinisé
à la mode de lépoque.
Restaurer la conscience
Pour avoir une image familière de quest un système,
penchons-nous sur les entrailles du micro-ordinateur qui nous permet
de lire, comme décrire ou de publier ce texte. Le fameux
dossier système - vous savez celui qui nous vaut parfois
quelques montées dadrénaline quand il plie les
genoux et se bloque - cest tout simplement un ensemble de
nombreux fichiers ( nommons-les des éléments) qui
ont chacun pour mission deffectuer une tâche bien précise
au moment exact où nous en avons besoin. Chaque élément
est indispensable, son ordre dentrée en action est
bien défini : si un virus en perturbe le fonctionnement,
le dossier système est incapable de faire son travail. Mais,
inversement, il ne suffit pas de rassembler en vrac tous les petits
fichiers élémentaires pour que le dossier système
fonctionne. Voilà qui peut se formuler ainsi : un système
est plus, et de nature différente, que la somme des éléments
qui le constituent. On peut prendre la réalité par
quelque bout que ce soit : notre chère petite machine à
écran nest quun paquet de composants électroniques
tant quelle nest pas dotée de son système
dexploitation. Elle devient alors plus et autre chose que
la somme de ses éléments composants.
Loin de ce propos lidée que lhumain dans son
infinie complexité et son extrême variété
puisse être réduit à quelque machine que ce
soit, aussi sophistiquée soit-elle ! Bien sûr, ceux
qui nous gouvernent, nous en parlons souvent sans ménagement
dans notre Coup dOeil du jour, en seraient enchantés,
et, plus ou moins secrètement ne rêvent que de cela.
Systèmes experts, intelligence artificielle, votre ombre
menaçante plane sur nous, pauvres petits humains.
Renforcer la compétence:
Pour que les multiples systèmes dans lesquels nous naviguons,
sans même vraiment nous en rendre compte, ne deviennent pas
autant de pièges pour notre liberté personnelle, voici
ce que nos osons proposer à la communauté virtuelle
( je ne parle pas de système, notez-le bien) des visiteurs
de la Toile. Tout simplement prendre tranquillement le temps daméliorer
notre compétence en aiguisant notre capacité de lecture
systémique. Ce nest pas très compliqué,
cela demande simplement un état desprit un peu différent
de notre perception des choses par rapport à ce que toute
notre formation traditionnelle nous a imposé de force. Si
une telle initiative - strictement personnelle et sans aucune arrière
pensée égotique ou de négoce - vous semble
intéressante, vous êtes invités à le
faire savoir à lauteur. Cest la condition nécessaire
et suffisante pour que paraissent ici dautres LEM Systémiquement
parlant dont le contenu évoluerait en fonction de vos
réactions et de vos demandes.
Pour terminer, rendons à César ce qui lui appartient
: lidée de cette série de LEM dinitiation
systémique a été lancée par notre fidèle
consoeur rédactrice Françoise Dencuff sur la liste
interne de discussion Exmed-1. Et sa LEM 452 Drôle
de monde, avec son clin doeil complice à Haldous
Huxley a constitué un précieux stimulant à
cette incursion dans le bien curieux mondesystémique.
l'os court : «
Un paradoxe est une opinion qui vit de ses charmes au dépens
de la vérité.» René de Obaldia
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