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LEM 197 du 28 juin 2001

Mort, où est ton histoire ?

Docteur Jacques Blais

 

« Au delà d'une allusion à un titre célèbre d'une plume prestigieuse, cette interrogation est triple : quelle histoire particulière de la mort est en cause ici, dans un cas déterminé par une vie donnée, une expérience ? Quelle est ton histoire à toi, médecin, être humain parmi les hommes, quelle mort connaîs-tu, qu'as tu appris de la vie ? Et enfin mort, ou morte, quelle a été ton histoire personnelle, celle qui permettra de te « garder en vie » pour les tiens ?

Pour bien des personnes étrangères au monde médical, une des définitions des professionnels de santé classés dans les soignants serait qu'ils sont là pour « traiter » d'une part, que par ailleurs ils présentent la curieuse, inquiétante, ou étrange particularité de « toucher à la mort ». En fait, dans le réel de la vie professionnelle, peu de patients heureusement vont mourir, mais quasiment tous auront été porteurs, qu'on l'entende ou non, qu'on l'accepte ou pas, qu'on la perçoive, l'ignore, ou la repousse, de l'interrogation vrillante de la mort, à travers leurs questions, même autrement formulées. Est-ce grave ? Qu'allez-vous faire ? Comment va-t-on parvenir à savoir, docteur ? Existe-t-il un traitement ? Ou la plus simple, et plus ambiguë des enquêtes : « qu'en pensez-vous ? »

 

Apprendre la mort.

Le médecin a pu apprendre la mort dès l'enfance, et l'appréhender définitivement ensuite. Ou avoir eu la chance, car je crois réellement que c'en est une, d'avoir eu des parents considérant que Voir, toucher même si on en avait envie, le grand-père décédé était un bienfait, qu'accompagner un enfant au cimetière quand il veut savoir où est passée la tante, la grand-mère, la voisine ou l'amie, plutôt que de répondre au ciel, ou en voyage, est utile.

Le médecin aura ensuite son parcours personnel, ses enseignants, ses modèles de pratique médicale, pour apprendre que la mort gagne, savoir en parler, accompagner et aider, permettre les expressions, les deuils, susciter la parole que fait vivre le défunt, être à l'écoute, acquérir la sérénité, être capable d'annoncer, de recevoir, d'apprivoiser, d'amadouer la mort.

Ou il n'aura retenu, dans le même parcours personnel, que la culpabilité, l'échec, l'acharnement, la terreur, l'urgence, et il n'aura appris que les défenses, les assurances, les barrières, la rigidité, la peur ou l'effroi, le silence, la fuite, la délégation, l'horreur.

 

Certains auront eu l'immense privilège de se trouver confrontés à d'autres cultures, d'autres religions, des philosophies, qui leur auront apporté d'autres conceptions, d'autres visions. Le rituel protecteur de certaines civilisations, la persistance festive africaine, le retournement des morts malgaches, les comportements de l'Islam, les crémations indonésiennes, tant d'autres manières de vivre la mort.

L'enfant africain, du Biafra, du Rwanda, d'Ethiopie, le gamin du Bengla Desh, du Kosovo, de Tchetchenie, de la Bande de Gaza, ont sous les yeux la mort au quotidien, qui lui ôte certaines significations pathologiques pour la déformer en comportement des hommes.

 

Les autorités africaines administratives utilisent une curieuse expression lorsqu'ils réquisitionnent un médecin, ils lui demandent de déterminer « l'importance de la mort ». Ce qui signifie qu'elle n'en a pas habituellement, la seule qui en ait est celle pour laquelle ce praticien d'une autre origine, d'une culture scientifique de la cause, de la preuve, du traitement, de l'explication rationnelle, est requis, en pratique pour définir l'existence d'une « importance », un crime, un danger épidémique inconnu. Pour le reste le praticien blanc apprend des noirs la logique d'une mort à la fin de la vie, de la patience du temps, de la vanité de vouloir à tout prix traiter. Même le temps, même la mort.

 

Un bon nombre de praticiens, enfin, construiront leur propre définition de leur mort à eux à partir des expériences de leurs maladies personnelles, de leurs accidents de parcours, de cette mort frôlée, touchée, apprivoisée ou gardée proche, ayant immensément appris de leur manière personnelle de questionner leur existence, de vérifier le comportement des proches, de se fabriquer des critères d'étalonnage qui soient devenus leurs outils d'évaluation.

 

Vivre la mort.

 

Derrière les confidences des patients, des familles, sous les mots et les expressions, les non-dits et le non-verbal qui dit tant, glissent, émergent, vivent, ces demandes et ces façons de dire et de crier le fond de son être.

Cet homme mourant qui fait comprendre au praticien qui le visite chez lui combien lui apportent ces échanges portant sur la vie, les livres, les spectacles, des voyages, ou le rugby, voire un projet en cours si important, cette aquarelle à laquelle travaille le malade, ou ces maquettes, quand sa famille ou ses proches ne savent plus lui parler que de sa maladie, son corps, son poids, ses résultats de laboratoire, et qu'il doit, pour eux, faire semblant de croire qu'il ne va pas mourirÉ

Cet homme récemment veuf qui entretient son médecin des propos agaçants de ses proches, qui ne savent évoquer que leurs réactions horrifiées à la mort prématurée de sa femme, ou que son destin à lui, esseulé, désespéré. Au moins son médecin lui parle-t-il, et il est le seul à savoir le faire, de sa femme, de son sourire, de ses expressions enjouées, de la fois où elle avait gagné un voyage aux Baléares, du surnom que ses collègues lui donnaient, de l'amour que ses grands enfants manifestaient pour elle, de cette photo si délicate, là-bas chez lui, celle qu'il a fait agrandir et placée dans l'entréeÉ.

 

Cette femme secrète et si effacée, invisible dans ses habits sombres à perpétuité, qui n'a rigoureusement plus jamais rien changé de sa vie ou de son être, « même pas de coiffure, vous savez docteur Jean n'aurait pas aimé », et qui vient régulièrement, pour rien dit-elle, pour tout, au contraire, songe le médecin, le consulter juste pour évoquer son époux pendant 40 minutes. « Il n'y a qu'avec vous docteur, que je puisse le retrouver, vous comprenez, mais d'ailleurs j'ai quelque chose d'extrèmementÉembarrassant à vousÉavouer » Depuis l'allusion à la coiffure, et avec les mots d'embarras et d'aveu, le praticien a deviné, et il va employer des mots de vie pour aider cette femme : « vous savez Madame, rien ne le tuera une deuxième fois, pour vous il vivra définitivement sans le moindre oubli, alors vous avez parfaitement le droit de vivre vous aussiÉ »

 

La profession de médecin

Les médecins sont fabriqués comme des vainqueurs, programmés pour gagner, traiter, sauver, trouver des solutions. Pourtant medeo, la racine d'origine latine, évoque à la fois l'idée de prendre soin de, et celle d'avancer en réfléchissant, même les étymologies grecques de thérapeute ou de « Éiatre » ou celle des multiples « É.logues » ne font allusion qu'à des connaissances, des interventions, pas à la lutte contre la mort.

Mais l'expérience, l'enfance, le cheminement, l'idée de leur profession, d'eux-mêmes, de la science, du pouvoir, leur parcours, leurs modèles, amèneront la plupart des praticiens vers l'idée de faire vivre. Si besoin à travers la technologie, la thérapeutique, les explorations, le progrès de la science, les perspectives des greffes, des clonages, la chimie, l'électronique et l'imagerie. Quand une minime partie du corps professionnel s'engagera sur l'idée d' aider à exister par le relationnel, l'accompagnement, l'écoute, l'empathie, la thérapie.

 

Bien évidemment rien n'est si tranché, et chacun devra, sa vie durant, s'adapter, évoluer, cheminer, progresser, se situer au cours d'étapes successives. Dont ses propres deuils, ses désillusions, ses constructions.

 

Mort, où est TON histoire ? Et pourquoi donc chacune serait comparable aux autres ? » Jacques Blais , 8 juin 2001

 

Os court « Mes fesses que tu veux » Alfonse Allais.


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LEM 198 du 5 juillet 2001

 

Notre ligne éditoriale

Docteur François-Marie Michaut

 

Telle une litanie lancinante revient dans chacune de nos LEM hebdomadaires une trilogie. Celle des trois ingrédients qui nous semblent les fondements d'une relation de qualité entre les patients et ceux qui les soignent. Retrouver la confiance, restaurer la conscience et renforcer la compétence. Bel idéal, certes. Mais dans quel contexte général de notre société s'inscrit-il ? Que nos lecteurs francophones me pardonnent de prendre l'exemple de la France. Une récente étude d'un magazine allemand a été relayée par Radio-France. Le pays qui se targue volontiers à l'étranger d'être celui des droits de l'homme, occuperait, juste devant le Bengladesh, la 28 ème place mondiale des pays où les dirigeants, privés, comme publics, sont les plus résistants aux tentatives de corruption. Il y a quelques jours, un patient, qui a eu des fonctions de tout premier plan dans l'administration et le pouvoir politique me racontait la chose suivante. Le corps le plus prestigieux de la fonction publique française est celui de l'inspection des finances. Les membres de cette élite des serviteurs de l'Etat reçoivent chaque mois leur feuille de paye, comme tout salarié. En plus, la coutume, déjà ancienne, serait de distribuer en même temps de la main à la main une enveloppe contenant un nombre non négligeable de billets de banque de 500 FF. Alors, que l'on fasse la chasse aux cadeaux que l'industrie pharmaceutique ferait aux médecins, ou contre le travail au noir et autres rétributions occultes, abus de biens sociaux , pourquoi pas ? Avouons cependant qu'il est difficile pour le citoyen d'accepter de tels privilèges occultes chez ceux qui doivent contrôler la régularité des opérations.

 

Retrouver la confiance

Vraiment curieux ce silence sur la réalité de la situation du niveau de vie des français. Le revenu disponible par chaque citoyen pour consommer - donc après ponction des impôts et des cotisations obligatoires ( dont l'assurance maladie et vieillesse ) - nous placerait au 12 ème rang des 15 pays européens. Talonnés par les espagnols, nous serions juste avant les portugais et les grecs. Cette étude, toujours selon mon informateur digne de foi, aurait été publiée dans la presse grand public. Quelles sont les raisons qui font qu'un pays à la richesse globale non négligeable ait des citoyens parmi les moins riches de l'Europe des 15 ? Entendons-nous des hommes politiques s'exprimer à ce sujet, qui touche directement à notre vie quotidienne ? Est-ce ainsi que les électeurs auront à nouveau envie de voter ?

 

Restaurer la conscience

Les choses sont-elles plus claires du côté des professionnels de la santé ? La question de l'indépendance des universitaires et des enseignants prestigieux mérite d'être soulevée. Peut-on effectuer un travail d'expert sur un traitement médicamenteux, quand on a des relations de travail avec l'un des laboratoires qui fabrique un produit dans cette indication ? Sans sombrer dans le mythe quelque peu puritain de la transparence absolue dans toutes les relations humaines, un effort d'information sur les intérêts légitimes des uns et des autres, renforcerait considérablement la crédibilité en péril de ces élites dont nous avons le plus grand besoin. La pratique anglo-saxonne de signaler dans chaque publication qui a financé les études relatées est intéressante pour cela.

 

Renforcer la compétence

Alors, à quoi sert la LEM, avec ses slogans en forme de voeux pieux ? La réalité que nous vivons est bien différente. Autour de nous, confiance, conscience et compétence disparaissent derrière profit, dissimulation et soif de pouvoir. Plus de gens deviendront pleinement conscients de tout cela, plus ils cesseront de le vivre comme une fatalité. Avec une telle prise de conscience, il deviendra impossible de manipuler les autres, de façon intolérable, à son seul avantage . Tout changement vrai se fait dans la tête de chacun, pas dans les médias et encore moins dans la rue.

 

Os court « Le mensonge et la crédulité s'accouplent et engendrent l'opinion » Paul Valéry


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LEM 199 du 13 juillet 2001

Français, osez les comparaisons

Christiane Kreitlow , psychologue clinicienne

 

« Merci pour votre courage de regarder certains faits en face. comme dans la LEM 198. Je vis en France depuis 25 ans, allemande et psychologue. Depuis j'entends ce pays se gargariser de toutes les qualités du monde, non sans un certain mépris à l'égard des autres pays européens ou pas. On dirait que depuis la déclaration des droits de l'homme, dont la France reste le berceau, rien n'a bougé ailleurs, dans les autres confins du monde. Et rien n'a bougé ici. Ici c'est l'acquis, qui semble aller de soi et dont on oublie que rien n'est jamais acquis , que la liberté, l'égalité et la fraternité sont des valeurs qu'il convient de défendre à chaque instant. La France n'est pas un exemple de ces droits. En guise de simple rappel, il faut qu'il soit dit que la France a été condamnée plusieurs fois ces derniers temps par la Cour européenne de justice pour atteinte aux droits de l'homme. Ou encore rappelons ce commentaire courageux de monsieur Jack Lang sur les ondes de France-Inter ( il y déjà quelques 3 ans ) : " La France n'est pas un pays démocratique". En tant qu'allemande ayant bénéficié de l'éducation civique du système démocratique allemand d'après guerre, je suis parfois surprise de cette politique centraliste, de l'état providence auquel le peuple semble s'abandonner et surtout de ces croyances véhiculées par les médias et repris par les français d'une fierté sociale qui ne s'avère qu'illusion si on a le courage de regarder au delà des frontières. Je passe ici sur les remarques désobligeantes, voire arrogantes ( je cite le Monde et Libération à propos des sommets européens surtout sous présidence française) que les étrangers, dont je fais partie, doivent entendre. La sécurité sociale française n'est pas la meilleure du monde - que les médecins l'entendent. Quand j'étais lycéenne en Allemagne, je n'avais jamais de problème de remboursements de mes lunettes ou des soins dentaires. Je ne payais pas non plus ni le pharmacien, ni le médecin - depuis trente ans ceux-ci se débrouillent avec les caisses. Je précise que je n'étais pas une privilégiée d'une caisse privée. Depuis trois ans, les psychologues allemands, comme dans certains autres pays européens, bénéficient du remboursement d'une thérapie au même titre que les psychiatres ( ce qui a des avantages et des désavantages sur le plan thérapeutique) . C'est un fait qui a aboli un protectionnisme et ouvre au choix possible du patient. ( les psychologues allemands bénéficiant entre autre d'une formation à la thérapie, font 6, voire 7 ans d'études, contre 5 en France).

il serait effectivement bienvenu que les français osent les comparaisons. Il est aussi curieux que dans le domaine du travail, les psychiatres-consultants à la une des médias en dénonçant les méfaits de la souffrance au travail ne s'attaquent pas au rôle des grandes écoles de la nation et encore moins à leurs enseignements qui ne visent que la maîtrise et la domination des autres( je fais ici référence à des séminaires spécifiques en communication). Rappelons que quand un jeune entre dans ces "grandes écoles", on lui précise que dès à présent il fait partie de l'élite de la Nation. Les hommes politiques sont à cette image. et ces même grandes écoles, du moins certaines entre elles, la Nation les doit à Napoléon. Curieux pour un peuple fier de sa révolution. Dans le même genre, la notion de "cadre" fait son apparence sous le régime de Vichy - une instauration d'assurance spécifique pour des employés supérieurs. Est-ce un tabou de mettre en question les institutions ? A ce propos la psychiatre Guiho-Bailly parle dans un article publié dans le Journal des Psychologues, à propos du harcèlement moral au travail "d'une voie raccourcie pour la carrière" . Un moyen efficace d'arriver plus vite au sommet. Cependant elle ne précise pas que les grandes écoles constituent toutes des voies raccourcies. Il ne s'agit pas de soupçonner toute l'élite d'être harceleur - cependant à travers les "anciens" comme on dit, se crée un réseau et un système de solidarité qui protège allégrement celui qui s'aventure à des coup de pouce plus que déloyaux. Il ne s'agit pas non plus de dire que les autres pays sont exempts de ces pratiques, comme on sait. Mais contrairement à la France, la majorité des autres pays ne construit pas une fierté nationale, identitaire et apparemment inattaquable, de ses dirigeants fonctionnaires, industriels et politiques.

Un proverbe allemand décrit le sentiment de bien-être, de plaisir sous cette forme "vivre comme Dieu en France" - et un journaliste allemand ayant travaillé des années à Paris, a intitulé son livre récent - et best-seller de surcroît - "Heureux comme un français". Il y a donc à prendre et à laisser, il y a aussi l'école d'une certaine humilité qu'il serait bon d'apprendre à pratiquer » C.Kreitlow transmis par émail.

 

 

Os court « L'intelligence nous vient lorsque nous comprenons les problèmes au fur et à mesure qu'ils surgissent » Krishnamurti


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LEM 200 du 20 juillet 2001

On abat !

Docteur Jacques Blais

          Il y aurait un animal atteint, ou au moins suspect dans un troupeau. Attendre les résultats des tests sur les autres ? Réfléchir ? Inventer des solutions ? Trop lent, trop long. On agit ! On abat !  Une grande quantité d'automobilistes s'empalent sur des platanes en bord d'une superbe route délicieusement ombragée dans un paysage paisible du sud. Rouleraient-ils trop vite ? Avec des taux d'alcool un peu élevés ? Doit-on envisager d'installer des glissières, de dévier la route nationale ailleurs, de limiter extrêmement strictement la vitesse en verbalisant ? Devrait-on réfléchir, inventer ? Trop lent, trop long. On agit ! On abat !

           Une anecdote bucolique. Dans ma modeste ville, au cÏur d'un nÏud routier entre ponts et chemin de fer, usine d'automobiles et gare routière, alors que l'on avait déjà rasé pavillons, végétation, bâtiments et square, persistait un admirable tilleul immense, feuillu et odorant. Avec une histoire, comme tous les arbres : il se trouve que, planté ici le jour de la naissance de mon frère, il aurait fêté ses 60 ans cette année, fier et esseulé dans un terrain érigé à présent de grues, de palissades, d'affiches de grandiose projet immobilier de bureau. Aurait-on pu, il y a 8 ans, réfléchir ? Intégrer ce magnifique reliquat de vie végétale décorative dans une place, un jardinet, un espace de respiration ? Trop compliqué, trop humain, trop sentimental. On agit ! On abat ! Et depuis ces huit années, l'ultime arbre dans un rayon de 3 kilomètres a disparu, sans qu'apparaissent les moindres constructions d'ailleurs . Les projets ont capoté, les faillites se sont succédées, les affaires, les luttes pour des voix. Il reste des grues, un pont de chemin de fer, des panneaux de tôle tordus, et un nÏud routier générateur d'activité du SAMU (*).    On abat !

           Les mots-clefs de cette partie sont : décideurs, pouvoir, urgence, réglements administratifs, façade, et des verbes d'action immédiate, faire, agir, remuer.

           Il existe une cruelle comparaison avec d'autres domaines comme celui des jeux, du grand banditisme, du terrorisme, de la politique tragique. On abat un Préfet, on abat ses cartes au Poker menteur, on abat un, deux otages, partout sur la planète, on abat un rival, on abat des avions ennemis, on abat des forcenésÉ On agit ! On abat !

         Et le pire étant alors que les mots-clefs s'assemblent, qui seront ici : décideurs financiers, pouvoirs de toutes sortes, urgence, réglements de comptes, sauvegarde des apparences, sauve-qui-peut, clandestinité, et des verbes d'ordre qui claquent, agir, trancher, même si le terme de projet utilisé dans le domaine policé (tiens, quel drôle de mot ?) des affaires socio-politico-économico-financières devient celui de contrat dans le banditisme, mot un peu à double É tranchant.

           Faut-il une morale à ce sujet de philosophie ? Face à une situation délicate comportant des acteurs de tous ordres, doit-on plutôt choisir d'éliminer l'obstacle, animal, végétal, humain, par abattage systématique et irréfléchi, ou doit-on parce que l'être humain est précisément doté d'une capacité de réflexion, tenter de penser d'abord, de décider en fonction de choix pesés, de mesurer avantages, conséquences et inconvénients, y compris sur l'avenir, doit-on finalement entendre les voix qui peuvent s'exprimer, plutôt que compter d'avance celles qui risquent d'être égarées dans les urnes ?

           De nouveau amusant, ce mot, car une urne recueille des bulletins, mais également des cendres funéraires, non ? On abat !

( NDLR : SAMU , sigle franco-français pour désigner les services d'aide médicale urgente, généralement rattachés aux hôpitaux publics, qui interviennent dans les accidents )

 

- Nous sommes particulièrement fiers et heureux que ce numéro 200 de la LEM soit consacrée à un texte de Jacques Blais. C'est grâce à son initiative d'éditorialiste du journal Le Généraliste que ce site d'Expression médicale a pu voir le jour en 1997. Merci Jacques, toi qui a inventé notre litanie :

- Retrouver la confiance

- Restaurer la conscience

-Renforcer la compétence

Dr François-Marie Michaut

 

Os court « Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils pour mourir ? » Emil Cioran


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LEM 201 du 27 juillet 2001

La question qu'on évite prudemment

Docteur François-Marie Michaut

 

Juste avant l'extinction estivale des feux des messages de communication de nos responsables politiques, nous avons eu droit à une petite vaccination de rappel. Les professionnels de la santé, et en particulier les médecins de notre douce France, continuent à pratiquer des soins de plus en plus coûteux pour l'équilibre financier de notre assurance maladie obligatoire. On prescrit, affirme-t-on, trop de médicaments, trop d'hospitalisations, trop d'investigations paracliniques. Ce genre d'opinion, qui prend facilement dans la presse l'apparence d'une sorte de mise en accusation, agace terriblement les professionnels que nous sommes. Que les citoyens des pays les plus riches décident de consacrer de plus en plus d'argent pour se soigner, dans un rêve infantile de quasi immortalité, est un fait. Qu'ailleurs, même le rudimentaire fasse défaut, en est un autre. Sans porter de jugement de valeur sur cette criante inégalité dans l'accès aux soins, n'est-il pas possible de poser une question que tout le monde semble éviter soigneusement ? Est-ce que les moyens considérables tant en termes humains qu'en termes économiques que nous mettons en place sont adaptés aux besoins de santé de nos concitoyens ? Autrement dit, est-ce que l'abord des maladies et des différents troubles des humains, est correctement assuré par la médecine telle qu'elle existe actuellement, et qu'elle est apprise à nos jeunes ?

 

Retrouver la confiance

Chaque praticien a naturellement sa vision des choses à ce sujet. Un spécialiste dira volontiers que sa fonction est de découvrir des maladies rares qui ne sont pas familières aux autres médecins. Et que leur recherche justifie tous les examens systématiques auquel il se livre chez tous ses patients. Un universitaire défendra naturellement son champ de compétence de plus en plus limité, et la légitimité de ses travaux " de pointe ", au nom de la science médicale mondiale.

 

Restaurer la conscience

Les généralistes, selon une boutade d'un confrère, se trouvent être les spécialistes du traitement des maladies spontanément curables. Leur opinion sur l'adéquation entre les offres des professions de santé et les besoins vrais des patients est, bien souvent, beaucoup plus nuancée. Combien de fois, ne parvenant pas à résoudre un problème médical difficile, n'ont-ils pas fait hospitaliser leur malade ? Dans quelle proportion de ces cas, la machine hospitalière a répondu correctement à leur attente ? Combien de fois, aucun diagnostic n'a été posé, sinon celui d'une affection découverte au hasard des investigations systématiques ? Quant aux autres soignants et aux patients, personne ne songe à leur demander leur avis. Au mieux, on leur octroie un strapontin, s'ils savent être des faire-valoir du corps médical. La peur de se faire mal voir de gens dont on peut avoir besoin un jour pour sa propre vie est un frein puissant pour ceux qui n'ont pas une âme de militant.

 

Renforcer la compétence

Un immense chantier s'imposera un jour ou l'autre, simplement comme une évidence. Celui d'un audit de la médecine elle-même, de ses avantages, de ses performances, de ses insuffisances, de ses dysfonctionnements, de ses erreurs d'appréciation des problèmes de la santé des hommes. On a nommé cela à Exmed la métamédecine, la médecine de la médecine. D'où viendrait ce souffle nouveau ? Sûrement pas des politiques eux-mêmes, sûrement pas des instances professionnelles qui ont trop intérêt au maintien du statu quo. Alors, simplement des citoyens eux-mêmes, enfin conscients que les louanges des exploits médicaux ( aussi réels que rares ) cachent la réalité d'une médecine quotidienne qui, dans sa course à la technique, est devenue gravement inadaptée aux besoins bien concrets des patients dans une très grande partie de ses rouages.

 

Os court « Remède : agent thérapeutique qui guérit rarement le mal qu'on a, mais donne, à chaque instant, un mal qu'on n'avait pas. » Georges Courteline

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LEM 202 du 2 août 2001

 

Échos d'été

Docteur François-Marie Michaut

 

Les médias font leurs choux gras de l'annonce à sensation d'un confrère italien qui veut cloner des embryons humains au mois de novembre. Vous savez, ce médecin qui avait aidé une femme de 63 ans à devenir mère. Est-on encore là dans le domaine de la santé ? A l'image de la météorologie, le "moral des ménages" français serait en chute libre. Du moins si les projets de consommation sont bien des indices crédibles de ce fameux "moral". Est-il innocent pour la santé psychologique de la population de lancer de telles affirmations ? Au moment où à l'arrivée de l'Euro les bas de laine se vident, témoignant ou d'un manque de confiance dans les établissements bancaires ou de revenus Surtout au moment où les radios annoncent que le déficit du budget de l'Etat français pour le premier semestre 2001 atteindrait la bagatelle de 105 milliards de francs français. Les causes invoquées sont celle d'une mauvaise évaluation de la réalité économique et une diminution des recettes fiscales attendues. Quel serait le sort d'une entreprise faisant de telles erreurs de stratégie ? Qui va payer ce déficit , et comment ? Quelle en est la conséquence sur notre compétitivité future ? Comment ne pas se poser de questions sur la santé de notre situation nationale ? Nos journalistes annoncent également que notre agriculture nationale remporterait, selon la Commission Européenne, la palme de l'usage des pesticides. Il sera intéressant de suivre sans complaisance quelles seront les répercussions concrètes de ce triste record sur les comportements de nos producteurs. Voilà qui concerne au premier chef la santé de tous les citoyens, grands et petits. Resterons-nous silencieux, saurons-nous tirer la manche de nos hommes politiques, saurons-nous ne pas nous laisser intoxiquer ?

 

Retrouver la confiance

En qui est-il encore possible de faire confiance ? La célèbre foi du charbonnier, tant vantée par nos instances religieuses traditionnelles, semble bien abandonnée. Nous continuons de croquer avec appétit la pomme biblique de l'arbre de la connaissance. Alors deux attitudes sont possibles. Devant toute rencontre nouvelle, la méfiance peut être une position de principe. En apparence, elle est sage : impossible de se tromper quand on exclut systématiquement tout ce qu'on ne connait pas.

 

Restaurer la conscience

Le résultat de ce système si répandu de méfiance est d'aboutir à un blocage de tous les rouages vivants d'une société. Les patients se méfient des médecins, et les médecins des patients, des gouvernants, des institutions, des industriels,des confrères. A l'inverse, certains, à vrai dire bien rares, font le choix à haut risque de jouer a priori la carte de la confiance à l'autre. L'autre n'est pas un ennemi à combattre, il est simplement le porteur de son propre projet, de sa logique, de sa motivation. Ce crédit de confiance se trouve naturellement confronté aux faits, qui permettent d'en estimer sur pièce la solidité.

 

Renforcer la compétence

Les discours pour manipuler les opinions en vue d'obtenir les comportements attendus ( comme un bulletin de vote ) prennent alors une autre teinte. La question du traitement hormonal de la ménopause en est un autre excellent exemple. Bien sûr, il est difficile de s'y retrouver, tant pour les professionnels que pour les patientes. Les pour affrontent les contre, les supporters de la TSH s'opposent à ceux des phyto-oestrogènes. Bien sûr cela oblige à accepter qu'on ne sait pas tout, et que sa perception des choses est en évolution permanente. Tout cela n'est pas rassurant du tout. Qui d'autre qu'un esprit totalement rigide, ou un enfant, peut se raccrocher durablement à une vérité immuable qui les mettent à l'abri de tout risque d'évolution ou d'erreur ? La sécurité absolue, l'assurance contre tout imprévu ne sont que des slogans inventés pour nous manipuler.

 

Os court : « Dès qu'une vérité dépasse cinq lignes, c'est du roman. » Jules Renard

 


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