Autre
"débat"
DÉCALAGE
de Jacques Blais
PRÉSENTATION
DU TEXTE :
Le
thème : chronique d'un mois d'activité
de médecin généraliste de la banlieue
parisienne dans le contexte actuel .
L'auteur : Docteur Jacques Blais , médecin
généraliste en banlieue parisienne jusqu'à
2001,
Docteur
Jacques Blais
Séjours
professionnels d'été à l'hôpital
général d'Ottawa ( Ontario, Canada), et à
l'Université Américaine de Beyrouth ( Liban)
. Service national en coopération en République
Centrafricaine . .Exerce depuis 28 ans en cabinet de groupe
de médecine générale. A acquis une
qualification de Programmation Neuro-Linguistique , et une
diplôme interuniversitaire et Professionnel de Pédagogie
Médicale. Auteur de quelques 120 articles, éditoriaux,
ou autres travaux dans la presse médicale ( et parfois
grand public). Généraliste-Enseignant à
Paris-Ouest , responsable d'Association de Formation Médicale
Continue . A eu la chance de parcourir environ 75 pays sur
tous les continents.
Livres : Bangassou ( récit de l'expérience
centrafricaine ) 1982 ( Ed La Bruyère, 52 r. Galande,
75005 Paris).
Dix
recueils de poèmes ( Guilde des Lettres, 104 r. Amelot,
75011 Paris).
Le
tour du monde en vain contre-jour ( roman 1988), prix de
l'académie des provinces françaises
Mondes
du médecin, 1996 (Éditions médicales
spécialisées, 11 Bd Sébastopol, 75001
Paris).
|
Un
mois, vécu avec cette impression grandissante, pour le
médecin encore passionné, de vivre en décalage
. En décalage horaire serait signe d'évasion , il
s'agit ici presque d'un décalage de siècle , en
tout cas d'horizon, d'idéal, d'objectif. D'existence, sans
doute ...
Quatre
semaines vécues en s'avouant " fier de mois", à
l'aide d'un mauvais jeu de mots, à se demander combien
de temps encore persistera à surfer sur les crêtes,
pour plonger ensuite en piquant du nez dans les flaques d'eau
croupie. Tant notre métier ressemble de plus en plus à
une survie, pieds embourbés dans la vase et la bouche ouverte
au ras du marécage pour happer un air pollué au
dessus de la surface que tant de politiques à venir utiliseront
encore interminablement comme décharge publique.
***
Une journée de séminaire de formation Médicale
Continue . En décalage. Six mois de préparation,
des interventions brillantes et très instructives, mais
une terrible carence de participation des médecins en nombre.
Saturés, démobilisés, moroses, désespérés,
en tout cas absents à l'exception des trente indéracinables,
quand soixante-dix autres auraient eu éminemment besoin
d'entendre, d'apprendre. Du coup , décalage aussi avec
nos partenaires de l'industrie pharmaceutique, qui reprochent
vertement aux organisateurs de ne pas pouvoir "lire clairement
les résultats évaluables de leur investissement
financier".
La
même impression qu'avec nos gouvernants. Là où
nous, médecins, parlons qualité, proposons une formation,
peaufinons le détail, nous sont répliqués
chiffres, courbes,nombre de boîtes. Aux représentants
réunis en fronde, - qui portent soudain si bien cette appellation
attribuées par nos clientèles , nous rétorquons,
bientôt cinglants : " à demande commerciale, réponse
commerciale : nous avons pris la décision de reverser (
encore un si curieux rapprochement de terme avec celui du gouvernement
) aux directions une part des subventions débloquées
pour le budget de cette formation".
***
A l'inverse, plusieurs rapprochements successifs ont également
rythmé le mois. Les médecins du travail de l'énorme
usine automobile de la ville invitent quelques-uns d'entre nous
à échanger au sein de l'entreprise sur les diverses
problématiques des travailleurs, après avoir visité
les ateliers. Très fructueux dialogue, les confrères
de l'industrie étant surpris que, de l'extérieur,
nous ayons acquis une telle connaissance des rouages, en particulier
ce personnage-clé qu'est le règleur, le plus proche
hiérarchiquement de l'ouvrier, qui nous en parle sans cesse.
J'invite trois médecins du travail à intervenir
dans une de nos séances de FMC ( formation médicale
continue , ndlr ) , pour nous parler de la surdité en milieu
industriel bruyant, et de sa prévention.
Nous
vivons en décalage de nos exercices, mais quel dirigeant
imaginerait-il cette symbiose autour de notre passion commune
: mieux comprendre la personne humaine à laquelle nous
sommes confrontés ?
*** Encore
un rapprochement : un travail en commun réalisé
entre médecins généralistes de la ville et
médecins de l'éducation nationale des établissements
secondaires de l'environnement , sur le thème des certificats
d'inaptitude à la pratique de l'éducation physique
et sportive ( autrefois qualifiés de "dispenses").
Par
voie de conséquence, invité aux assises de l'université
d'été des médecins de l'éducation
nationale, ( à Lille), je suis allé proposer un
projet de " document interactif de synthèse", devant les
professeurs d'éducation physique conviés aux ateliers
de travail. Pour chaque demande d'inaptitude de durée moyenne
ou longue, avec pour objectif d'en minimiser la fréquence,
la durée et l'ampleur ( partielle plutôt que totale),
un bulletin détaillé, comportant une case pour le
médecin traitant, une pour le médecin scolaire,
une pour l'enseignant d'EPS, et une pour le visa de l'administration,
serait établi et tournerait pour le suivi de l'élève
. Un double adressé aux parents montrerait que la nécessité
du secret médical aurait été préservée,
les mentions faisant état des caractéristiques d'aptitudes,
des cycles à préserver, des modalités de
programmes spécifiques, sans diagnostic préjudiciable
.
Décalage,
toujours. Qu'y-a-t'il, dans ces activités importantes et
modestes à la fois, désintéressées
mais si utiles, que pourrait-il exister qui soit susceptible de
retenir l'attention de nos dirigeants ? Nul intérêt
comptable dans ces concertations, le seul bénéfice
va aux élèves et vers l'amélioration de leur
prise en charge. La dérisoire présence du petit
médecin généraliste est en même temps
une énorme pierre à un édifice de tranquille
utopie et de conviction humaniste.
***
L'accord CNAM/ MG France ( caisse nationale d'assurance maladie
, gestionnaire national de la sécurité sociale et
syndicat de médecins généralistes - ndlr)
sur le projet de médecin référent est entériné
( projet de contrat d'abonnement des patients chez les médecins
- ndlr). Incroyable , effrayant décalage entre ces fourmis
obstinées à ramasser de la clientèle par
les filières, des frais de dossier, une illusion de pouvoir
médical, et ce bulldozer aveugle de la CNAM, qui aura tôt
fait d'exploser la fourmilière, de l'anéantir, d'humilier
les rampants ou d'enfumer les nids de guêpes éventuels,
et d'affamer tous ces cafards.
Le
tiers-payant est, et a toujours été un monstre,
un gouffre d'accroissement des dépenses de santé
non contrôlées, et les malheureux soignants qui entreraient
un doigt dans ce système auquel les médias se sont
empressées de donner presse active, y perdront le bras,
la raison, la patience et leurs illusions à mesure d'une
application dispendieuse et coercitive qui finira toujours par
les pénaliser. Décalage entre les effets prévisibles
et l'illusion entretenue pour le public avide d'effets de mode,
de manches, d'annonce, et de poudre aux yeux.
***
Quelques jeunes filles de terminale de ma petite ville d'exercice
ont l'immense chance de partir trois semaines à Madagascar,
dans un contexte vaguement humanitaire associé aux démarches
de leur professeur principal. Aussitôt la meute des mauvais
augures et des roquets aboyeurs est sur elles. L'infirmière
scolaire en abus de pouvoir, les parents assoiffés d'inquiétude
médiatisée, les relations et les je-sais-tout, les
revues et les magazines, le minitel, tous s'efforcent et se groupent
en une coalition des plus alarmantes pour transformer en cauchemar
pathologique ce qui demeure d'abord une immense chance.
Décalage,
c'est le médecin traitant qui, en apparence, reste le seul
à tenir le discours normalement attribué aux autres
: " c'est une occasion inappréciable, jeunes filles, qui
transformera votre vie , profitez à fond de tout, soyez
infiniment heureuses, regardez, observez, écoutez, imprégnez-vous
du pays et des populations, et laissez à la maison tous
ces spectres de maladie et ces menaces, laissez à votre
médecin l'éclairage préventif simple et vivez,
vivez, éloignez et oubliés tous ces angoissés
qui n'ont trouvé d'autre moyen de vous voler une part de
bonheur que de vous submerger d'appréhension ..."
***
Une soirée tardive avec les enseignants généralistes
4 de Paris-Ouest, en l'ultime jour de ce même mois, à
concocter le programme de vingt cours de troisième cycle
de l'année universitaire à venir. Décalage,
décalage perpétuel : alors que les enseignants s'interrogent
sur l'idée de savoir si, avec 50 à 60 % de sujets
à tendance psycho-ethno-socio-anthropologique ils ont bien
rempli leur rôle de formateur pour la génération
qui arrive, les gouvernants, les médias,le syndicat signataire
avec ses dérisoires 7 % d'adhérents prouvés
, sont le même jour penchés sur des problèmes
de sous, de taux à respecter, de modes et de délais
de rémunération .
La
même préparation de l'avenir, pour ces médecins
en formation. Mais dans un cas pour adapter, élever, réfléchir,
donner sa place à l'être humain et le respecter,
lui laisser la priorité. Dans l'autre cas pour figer dans
la glaciation d'un futur à l'allure de banquise le gel
de l'initiative, de l'humanisme, de l'enthousiasme, de la passion,
de l'autonomie, une activité médicale dépourvue
d'âme.
***
Dernier décalage , celui du quotidien du praticien des
banlieues . Les radios mettent le CAC 40 6 au zénith ,
les journaux célèbrent les critères de Maastricht,
on plafonne et on suppute, on trace des courbes et des comparaisons
de PIB, les taux de chômage et d'inflation sont publiés,
ceux des des intérêts commentés. Pendant ce
temps, que constate le généraliste en décalage
? 25 % , souvent 30 % de ses patients du jour ne règlent
plus leurs consultations. Soit qu'ils bénéficient
d'une assistance, justifiée ou non, éternelle ou
provisoire, à des titres divers allant de l'AMG à
l'ALD en passant par le RMI ( aide médicale gratuite ,
affection de longue durée entraînant le remboursement
intégral par l'assurance maladie et revenu minimum d'insertion
versé aux citoyens de plus de 25 ans sans emploi ni ressources
accompagné de soins médicaux gratuits-ndlr) , faisant
alors de ces consommateurs des utilisateurs sans garde-fou, incontrôlés,
soit qu'il s'avouent tout simplement incapables de fournir les
110 francs voulus pour régler une consultation ( prix unique
de la consultation de médecin généraliste
conventionné avec la sécurité sociale - ndlr
. ) .
Décalage
total : le médecin vit à crédit de tiers-payant
aléatoire ( nombre de dossiers ne lui seront jamais rémunérés,
la carte ayant été trafiquée, empruntée,
périmée, ou le changement d'adresse non effectué,
le numéro erroné, et, et), ou il fait la charité
puisqu'il faut bien que quelqu'un s'en charge . Mais le décalage
s'avère extrême, et en juin ce fut le cas, entre
le titre record du CAC 40 ( indice de la bourse de Paris - ndlr)
et le livre de recettes du praticien au soir venu, qui portera
4 ou 5 fois la mention " non réglé". Soigné,
traité, écouté, réconforté,
accueilli quand même , mais non réglé.
Qu'est-ce
qui est donc si déréglé , en notre monde
?
Docteur
Jacques Blais
PROPOSITIONS
POUR VALORISER LA MÉDECINE :
de
François-Marie Michaut
Le
thème :
Les
mesures gouvernementales destinées à combler
le déficit de l'assurance maladie ont entraîné
dans le corps médical français un malaise
sans précédent . Plutôt que d'engager
des polémiques stériles , quelques mesures
concrètes ont été imaginées
au cours des échanges qui ont eu lieu à Expression
médicale . Ce texte a été remis en
main propre au Président de la Caisse Nationale d'Assurance
maladie en mai 1997.
L'auteur
:
Né
en 1940 , François-Marie Michaut , docteur en médecine
, ancien externe des hôpitaux de Paris , après
un séjour au Tchad comme médecin au titre
de la coopération , a exercé la médecine
générale près de la Rochelle pendant
28 ans . Il a participé à un groupe Balint
de formation à la relation médecin malade
pendant quatre ans . Depuis 1975 , son intérêt
s'est également porté sur les patients alcooliques
. Il est responsable d'une consultation d'alcoologie clinique
ambulatoire au Centre Hospitalier Général
de la Rochelle . Il a été en 1979 l'un des
membres fondateurs de la Société Française
d'Alcoologie . De 1984 à 1987 , il a acquis une formation
en thérapie familiale systémique .
Initiateur
et animateur d'Expression médicale et de son site
internet .
Publications
:
Auteur
de multiples articles sur les patients alcooliques et les
aspects psychologiques de la médecine générale
, notamment dans la revue médicale " Le Généraliste
" .
-
Pratique médicale au Lac Tchad en 1966 - 1967 , thèse
de doctorat Paris 1969 .
-
De qui souffrez-vous? Editions de santé , Paris 1992
.
|
La
Rochelle le 13 mai 1997
-
Établir
un nouvel état d'esprit entre la nation et ses médecins:
Le
temps des négociations , des affrontements, des procès
d'intention réciproques est achevé . Le groupe de
réflexion qui se constitue peu à peu autour d'Expression
médicale souhaite formuler un certain nombre de propositions
pour une médecine de demain de qualité ( celle d'hier
est morte) . Nous souhaitons d'abord soumettre nos idées
au Président de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie
, co-signataire avec des organisations syndicales médicales
des conventions de 1997 . Nous sommes bien conscients que si le
système actuel échoue, la porte sera grande ouverte
aux assurances privées et aux grands groupes financiers
dont la rentabilité comptable à très court
terme sera le seul et unique credo . Fi alors de la qualité
des soins et de l'indépendance des médecins et des
assurés !
Au
lieu d'administration, de contrôles, de pénalités,
d'obligations, de contraintes, de reversements pour enfermer l'exercice
médical dans une nécessaire enveloppe budgétaire
, toutes notions purement négatives pour les professionnels
concernés ; notre souhait est que se développent
un certain nombre d'actions destinées à améliorer
la valeur des prestations médicales fournies . Seule la
recherche de cette valorisation est de nature à entraîner
l'adhésion des médecins , qui n'ont alors que des
avantages à en tirer , alors qu'ils sont actuellement sur
la défensive avec les nouvelles conventions..
-Méthode
:
Compte
tenu de la réalité démotivante vécue
sur le terrain , tant par les médecins que par le public
, trois actions prioritaires doivent être menées
de front si l'on veut se sortir par le haut de cette crise sans
précédent d'identité professionnelle:
-
Retrouver la confiance
-Restaurer
la conscience
-Renforcer
la compétence
-
Moyens :
1°)
Pour retrouver la confiance :
Des
messages constructifs pour le public , des mesures enfin incitatrices
pour les médecins.
Il
est nécessaire de redonner une image positive des médecins
, encourager et non détruire , construire et non sanctionner
. Deux actions :
-
A°)Campagne de messages en direction du public du type (
Dr Blais) : La sécurité sociale bouge, elle va vers
vous , aidez-là à vous aider. - Ne confondez pas
horoscope et examens de laboratoire et complémentaire,
ou fakir et médecin, votre praticien est un professionnel,
aidez-le à résoudre vos problèmes de santé
. - Le juste soin peut être compatible avec le juste prix
, faites confiance à votre médecin pour viser ensemble
plus juste . - En multipliant demandes et examens, vous tentez
en vain de traiter votre peur, et elle seulement ; avec votre
médecin , essayez plutôt de traiter votre vie, et
elle entièrement, car c'est son métier à
lui. - La presse santé et les émissions médicales
ne connaîtront jamais votre cas à vous ; votre médecin,
lui, vous connait personnellement, ayez recours à son professionnalisme,
si vous l'aidez, il saura vous aider .
-
B°) Mesures d'incitation à la qualité des soins,
en direction des médecins. Objectif , corriger les dispositions
actuelles de reversement individuel et collectif en prenant en
compte la qualité des soins prodigués par le praticien
( utilisation des RIAP , relevé individuel d'activité
du praticien établi chaque année par les caisses
d'assurance maladie ), les implications des médecins dans
des activités extra-cliniques de formation, d'enseignement,
de recherche, de production d'articles scientifiques , de développement
de nouvelles formes d'activité de type consultations anti-douleurs
( Dr Fouques-Duparc) , traitement des conduites addictives ( Dr
Michaut) etc... Les 25 à 30% de praticiens par département
qui amèneraient la preuve de leur souci pour les conséquences
économiques du soin Formation Médicale Continue
+ Relevé Individuel d'Activité du Praticien " vertueux"
pourraient bénéficier pour quelques années
d'un DP , droit permanent à dépassement des honoraires
conventionnels ( Dr Anglérand , psychiatre à Créteil
) . Ou bien , bénéficier d' allégement de
cotisations sociales ; ou encore avoir droit à un label
bleu, blanc ou rouge de qualité selon les diverses activités
du praticien (Dr Blais) . L'important est de miser sur l'initiative
du médecin, son volontariat, correctement récompensé
, plutôt que de continuer à avantager de façon
scandaleuse et insupportablement inflationniste l'activisme médical
tout en agitant des menaces pour ceux qui n' obéissent
pas aux règles . Actuellement, celui qui met trois séances
à régler un problème médical gagne
trois fois plus d'argent que celui qui n'a besoin que d'une consultation
pour effectuer le même travail . Récompensons enfin
le travail et la compétence , et non plus l'opportunisme
et la médiocrité comme nous le faisons depuis si
longtemps.
2°)
Pour restaurer la conscience : Un corps de médecins
conseils relationnels.
Un
double chantier doit être ouvert : celui des assurés
, plus exactement les 3,6% retrouvés dans le bloc-notes
Caisse Nationale d'Assurance Maladie n°80 , sous le nom de
la 7 ème catégorie ( 3,6 fois plus de consultations
de spécialistes, 3 fois plus de séances de généralistes,
5 fois plus de dépenses , sans pathologie particulière.
Ceux-ci, comme les dossiers lourds et les Affections de Longue
Durée ,Aide Médicale Gratuite , RMI ( pour lesquels
les ordonnances sont multipliées par trois , cf rapport
CREDES 94) doivent être contrôlés . Des messages
pédagogiques doivent être fournis alors : La sécurité
sociale fonctionnera mieux sans gaspillage .- Votre santé
est mieux préservée par le médecin qui vous
connait que par plusieurs qui ne se concertent pas.- Vous ne rendez
pas service à votre santé en dispersant vos contacts
médicaux comme si vous morceliez votre organisme.- Les
examens complémentaires ont des indications précises
, laissez votre médecin en décider au mieux de votre
intérêt. ( Dr Blais). Si cette pédagogie échoue
, de justes sanctions peuvent et doivent alors être prises
; ces patients "abuseurs" nuisant gravement tant au fonctionnement
de l'assurance maladie qu'à celui des cabinets médicaux
entraînés dans une surenchère diagnostique
et thérapeutique sans fin .
Mais
aussi, bien sûr, les médecins surprescripteur repérables
par les RIAP doivent faire l'objet de rencontres avec des représentants
des caisses d'assurance maladie dans une optique didactique et
pédagogique , et non de condamnation immédiate .
Là encore, si cette action est insuffisante, il est indispensable
pour tous que ceux qui ne respectent pas les règles d'un
exercice médical raisonnable aient à rendre compte
de leurs agissements, notamment auprès de l'organisme professionnel
chargé de faire respecter l'éthique et la déontologie
( et non la Formation Médicale Continue ou autres activités
annexes) : l'Ordre des médecins . Si celui qui agit mal,
et , accessoirement, gagne beaucoup d'argent, est à l'abri
de tout ennui , quel encouragement cela constitue-t-il à
demeurer un médecin correct ?
Pour
assurer ces deux missions complémentaires , un corps de
médecins conseils relationnels salarié de l'assurance
maladie est souhaitable ( Dr Blais) , spécifiquement formés
pour le dialogue avec les patients comme avec les médecins
. Ils auraient aussi comme indispensable fonction pédagogique
complémentaire de participer à la formation initiale
et à la formation continue de tous les médecins
qui ont besoin de savoir comment fonctionnent les organismes de
l'assurance maladie , ce qu'ils peuvent en attendre . Il y a là
un déficit important à combler , et l'image de marque
de la sécu en bénéficierait grandement auprès
de tous .
3°)
Pour renforcer la compétence : Évaluer les pratiques
pour les faire évoluer dans le bon sens.
Plutôt
que d'attendre, comme on le fait, que chaque branche de la médecine
propose à la collectivité de développer ses
dernières découvertes ( politique de lobbying médico-pharmaceutique
international ) , on devrait initier une autre démarche
. Au lieu de répondre à de permanentes offres de
prestations médicales de plus en plus onéreuses
, posons-nous la question inverse . Quelles sont les demandes
des utilisateurs de la médecine ? De quoi ont-ils besoin
? Comment jugent-ils les soins qu'ils reçoivent ? Les soins
prodigués sont-ils adaptés aux besoins réels
des malades ? En fait, il faudrait pouvoir en permanence prendre
le pouls de l'exercice médical , pour qu'il s'adapte aux
modifications de nos sociétés , et non qu'il soit
déterminé par des groupes de pression éloignés
de la réalité du terrain et animés par le
seul goût du profit. On fait alors de la santé un
marché comme un autre, et non plus ce qu'elle est fondamentalement
un service pas du tout comme les autres pour les hommes en difficulté.
Ce point est absolument fondamental , même s'il est souvent
oublié ou passé sous silence. Cette réalité
bien connue des médecins ne justifie cependant pas l'indifférence
au coût des soins. Mais tout soin de mauvaise qualité,
ou même nuisible, cela arrive, est toujours trop cher.
Pour
cela, devraient être organisés localement ( Caisse
Primaire d'Assurance Maladie ) des sondages et entretiens, tant
avec le public qu'avec les médecins et professionnels de
santé pour déterminer les attentes et besoins des
uns et des autres . La direction scientifique pourrait être
assurée par l'ANAES , association nationale pour l'analyse
et l'évaluation des soins ( ex ANDEM) , le recrutement
d'enquêteurs expérimentés et neutres pouvant
être fait auprès de bénéficiaires du
MICA ( pré-retraite des médecins) , par exemple.
On
pourrait enfin imaginer, pour utiliser les données recueillies
sur le terrain, que l'on se préoccupe de l'avenir de la
pratique médicale dans une démarche qui en terme
industriel se nommerait : recherche et développement. Là
prendrait place l'exploration de nouvelles disciplines , de nouvelles
pratiques médicales . On pourrait y concevoir des recherches
sur l'apport de la pensée systémique en médecine
( comment y échapper quand on parle de réseaux,
de filières, de Web, d'informatique, mais aussi de redondances
, de résistances au changement etc ? ) . Devraient aussi
y avoir leur place des secteurs orphelins ou négligés
de la médecine comme, selon les engagements personnels
des membres d'Expression médicale: la prise en charge de
la douleur ( Fouques-Duparc) , l'éthno-psychiatrie , l'animation
de FMC , l'enseignement pratique aux jeunes en formation , ou
le jeu dramatique en médecine ( Blais,Lumbroso, Proust)
, la formation psychologique personnelle du médecin ( Lumbroso,
Proust,Michaut) la psychiatrie et les états dépressifs
en médecine somatique , les conduites addictives et l'alcoologie
ambulatoire ( Michaut) .
Ces
quelques propositions ne sont pas exhaustives , bien entendu .
Elles ne sont peut-être pas toutes réalisables, voire
réalistes . Elles ont aussi un coût , qui suppose
un financement . Ne serait-ce pas un des rôles du fameux
fond de modernisation de la médecine ?
En
tout cas, notre démarche démontre que nous souhaitons
rester une force de proposition au service d'un métier
que nous aimons encore très profondément, et que
nous ne voulons pas voir mourir sans avoir tenté tout ce
que nous pouvions pour le sauver du déclin que nous craignons
en voyant et entendant ce que nos yeux et nos oreilles perçoivent
chaque jour . Mais, répétons le encore , au risque
de lasser , nous ne sommes pas des nostalgiques d'un passé
que nous connaissons assez pour ne pas l'idéaliser . Nous
ne voyons dans le champ médico-social que divisions,disputes,
querelles, recherches de pouvoir , appétits financiers
et honorifiques , souvent au mépris le plus total des intérêts
légitimes de ceux que l'on est censé représenter
. Nous ne représentons que nous-mêmes , notre fierté
d'exercer un métier vraiment pas comme les autres , notre
honneur de partager cette mission avec des cohortes de professionnels
absolument remarquables dont personne ne parle jamais et notre
foi indéracinable qu'il est indispensable d'aménager
au mieux les relations entre notre société, ses
malades, ses responsables politiques et administratifs et ses
médecins dans la recherche d'une médecine d'aussi
bonne qualité que possible. Et, simplement par là,
aussi économique que possible ! Si la Caisse nationale
d'assurance maladie entend ce message, il est évident que
nous envisagerons d'éventuelles modalités de coopération
. Si elle ne peut l'entendre, nous ne nous découragerons
pas. L'alliance de fait entre le corps médical et les mécanismes
d'assurance maladie ne date que d'une cinquantaine d'années
en France , et d'un peu plus en Allemagne . Comme nos ancêtres
nous ont appris à le faire de tout temps nous continuerons
à nous exprimer librement auprès de ceux qui sont
amenés à nous entendre. Et comme grands ou petits,
riches ou pauvres, la maladie sonne un jour à notre porte,
nous ne sommes pas encore muets.
Dr
François-Marie Michaut
Remarque
importante :
Ce
dossier a été élaboré à la
suite des différents contacts établis depuis la
création d'Expression médicale, soit fin janvier
1997 . Chacun d'entre nous , non médecin comme praticien
y a apporté le fruit de ses réflexions constructives
, mais le Dr Jacques Blais ,de Carrières sous Poissy, par
ailleurs éditorialiste au Généraliste , généraliste
enseignant, animateur et organisateur de FMC, auteur de différents
livres etc... a largement contribué au présent travail,
par plusieurs écrits importants retraçant une connaissance
de la profession depuis près de trente ans.
PORTRAITS
de Sylvie Guérin
Après
une mauvaise rencontre avec un médecin du service d'aide
médicale d'urgence ( SAMU ) dans l'exercice de ses fonctions
, Sylvie Guérin , elle-même "profane"est partie à
la découverte des médecins et brosse une galerie
de portraits de praticiens réels bien qu'anonymes : libéraux
ou hospitaliers , ruraux ou citadins , généralistes
ou spécialistes . Ces médecins parlent de leur métier
au quotidien , de leur parcours , de leur vocation , de leur déception
aussi parfois . Liste non exhaustive mais tout à fait représentative
du corps médical de cette fin de siècle .
Préface
du professeur Bernard Hoerni , vice-président de l'Ordre
national des médecins .
Plusieurs
extraits ont été publiés par la revue médicale
française : le Généraliste .
Contact
: Sylvie Guérin , 5 rue des Faussets , F 33000 Bordeaux
, téléphone et télécopie 33 05 56
52 79 36 .
Evaluer
l'Internet Médical
Docteur
Harold Burnham ( USA )
le
5 mars 1998
Le
JAMA ( Journal of Medical Association , l'un des plus célèbres
journaux médicaux du monde , ndlr ) du 25 février
1998 publie un article critique : " Rating Health Information on
the Internet ( Evaluation des informations de santé sur l'Internet
) ", dont le correspondant d'E-M aux Etats-Unis propose ici la traduction
suivante du résumé.
Les
auteurs posent la question en ces termes : « Est-ce qu'on se dirige vers la science ou vers la Tour de Babel
?" Alejandro R. Jadad, MD et Anna Gagliardi, MSc, MLS, sont des
membres du département d'épidémologie clinique
et de biostastitique de McMaster University, Hamilton, Canada.
Ils
soulignent que l'Internet a donné naissance a la plus grande
révolution vécue jusqu'à ce jour de l'information
. Ceux qui fournissent cette information pour les professions de
la santé comme pour les consommateurs ont dorénavant
un libre accès à une masse de renseignements inaccessible
avant cette transformation informatique.
Malgré
des avantages manifestes, tous ces renseignements sur la médecine
et la santé peuvent avoir des effets nuisibles pour les consommateurs
et pour les professionnels qui ne les utilisent pas convenablement.
L'objectif
de l'étude est d'identifier
les instruments utilisés pour l'évaluation des sites
du Web qui fournissent des renseignements de santé, d'évaluer
la valeur des critères employés par ces instruments
de mesure, d'établir le degré de validation de ces
instruments, et de montrer dans quel sens des recherches devraient
se développer dans ce domaine.
Les
sources des données étudiées
sont: MEDLINE (1996-1997), CINHAL (1982-1997), HEALTH (1975-1997),
Information Science Abstracts (1966 to September 1995), Library
and Information Science Abstracts (1969-1995), et Library Literature
(1984-1996). Les moteurs de recherche des sites de santé
sont Lycos, Excite,Open Text, Yahoo, HotBot, Infoseek, and Magellan
; des listes de diffusions sur l'Internet ; des comptes-rendus de
réunions; de multiples pages du Web; et des listes de références.
Les
auteurs ont détaillé les caractéristiques des
organisations concernées, les adresses de l'Internet, le
nombre et les ressources de ceux qui fournissent ces évaluations,
ainsi que les données sur la validité et la sûreté
de leurs appréciations. Il y a eu 47 instruments identifiés,
dont 14 qui donnent une description des critères employés
pour arriver aux évaluations, et 5 de ces 14 ont donné
les indications utilisées pour leur emploi. Aucun de ces
instruments identifies n'a fourni de renseignements sur l'objectivité
de l' observation ni sur la fiabilité des indicateurs utilisés.
Les
auteurs sont arrives a la conclusion qu'il y a beaucoup
d'instruments qui ne sont pas encore au point pour évaluer
la qualité du réseau des renseignements sur la santé
fournis par l'Internet.
D'abord,
il n'est pas certain que de tels instruments doivent exister
. Et s'ils parviennent à mesurer tout ce qu'ils affirment,
est-ce que leur impact ( sur la qualité de la santé
) est plus bénéfique que maléfique ( pour les
professionnels comme pour les utilisateurs ) ?
Les
patients sont-ils morts ?
Docteur
François-Marie Michaut
Le
3 février 1998
Les
organes de presse ont relayé dans l'opinion des chiffres
concernant le résultat des mesures de " dégraissage
" de la médecine libérale depuis un an . Environ 1500
médecins entre 56 et 65 ans auraient choisi la préretraite
prévue par les ordonnances dites du plan Juppé . L'économie
ainsi réalisée par la collectivité aurait été
de 720 millions . Soit 480 000 francs économisés par
médecin et par an peut calculer tout citoyen recevant ces
chiffres . Sa conclusion inévitable : Décidemment
ces médecins , surtout les vieux peu ou mal formés
aux techniques de pointe de la médecine la plus moderne ,
nous coûtent une fortune !
Simple
petite question logique : que sont donc devenus les patients soignés
par ces médecins si dispendieux ? Pour que les économies
annoncées ( par qui , pourquoi ?) soient réelles ,
il faut probablement que tous ces braves utilisateurs de la médecine
ou soient morts , ou aient renoncé à se faire soigner
. Car , curieusement , la somme annoncée correspondrait assez
bien ... au montant brut des honoraires des confrères mis
en touche .
Un
tant soit peu de rigueur intellectuelle de la part des professionnels
de la transmission d'information (?) exigerait que l'on ne passe
pas de tels chiffres sans le moindre commentaire . Calculer les
éventuelles économies promises par le mécanisme
de préretraite ? Une seule méthode indiscutable :
calculer comment ont évolué les dépenses de
santé remboursées par l'assurance maladie des patients
dans l'année qui a suivi le départ en préretraite
de leurs médecins habituels . Une élémentaire
exploitation des données statistiques engrangées par
les systèmes informatiques des caisses devrait être
réalisable , si toutefois l'informatique rigoureuse que l'on
veut imposer aux médecins est déjà une des
règles de gestion entrée dans la réalité
quotidienne . Il faudrait , pour être complet et crédible
soustraire les véritables économies réalisées
de la somme d'argent que coûte à la collectivité
la mise en preretraite des médecins .
Deux
paris pour finir .
Personne
n'oserait mener une telle étude . Le prétexte invoqué
serait l'inadéquation des systèmes actuels de recueil
des informations . Si tel n'était pas le cas , le résultat
ne serait jamais rendu public . Car c'est hélas prévisible
, la réalité est désastreuse . Pour la très
simple raison que tout médecin devenu de plus en plus expérimenté
au fil de sa carrière a de moins en moins besoin de s'entourer
de prescriptions pour soigner ses patients . Il y a des exceptions
? Bien sûr , mais ceux-la ne choisissent pas et ne pourront
jamais choisir de cesser leur activité médicale .
Ils ont besoin pour leur propre survie d'exercer leur activisme
médical jusqu'au bout.
Ultime
pari . Cette observation sera peut-être lue par quelques uns
. Et d'expérience pourtant personne ne prendra la peine d'y
répondre . Car on consomme actuellement l'écrit médiocre
ou de qualité comme tout le reste : on " zappe" très
vite sur autre chose . Or ne pas répondre , au sens premier
et le plus simplement humain du terme , c'est être inhabile
à la réponse , irresponsable .
Romeo
ou
l'économie qui est tout ,
c'est
n'importe quoi .
Dominique
MICHAUT , chercheur en économie fondamentale et appliquée
( Paris) .
Pour
écrire à l'auteur
Il
y avait un préjugé dans l'éducation de Roméo.
Dès que l'homme produit et consomme , lui avait-on appris
, il se livre à une activité économique . Tout
activité de l'homme ayant pour finalité la satisfaction
de ses besoins est économique (1) , lui avait-on fait réciter
.
- Quand
nous allons au bois cueillir et manger des fraises , nous produisons
et nous consommons une récolte , lui fit un jour observer
ingénuement Juliette .
Romeo
fut pris d'un doute . Si , se dit-il , la scène charmante
que Juliette vient de décrire est économique , alors
notre amour est économique . En nous y livrant , nous produisons
du plaisir et nous consommons de l'énergie . Voyons les choses
objectivement , comme les docteurs en économie le prescrivent
. Nos caresses , nos baisers et nos étreintes ont pour finalité
la satisfaction d'un besoin ... plus impératif encore , maintenant
que nous sommes grands , que celui de manger des fraises des bois
. Ces gestes d'amour sont donc encore plus économiques que
nos récoltes et nos dégustations sur place .
Cette
pensée rendit Romeo d'abord mélancolique puis franchement
dépressif . L'idée que la science économique
puisse jetter le même regard sur l'offrande de Juliette et
sur l'offre d'une péripatéticienne lui devint intolérable
. Plutôt mourir que d'abîmer notre si pur amour dans
le mercantilisme , se jura-t-il .
-Allons
au bois récolter des champignons , proposa heureusement Juliette
peu de temps après . Nous irons ensuite au marché
. Tu y vendras notre récolte . Avec l'argent gagné
, tu m'achèteras la robe dont j'ai tant envie .
Romeo
aperçut en un éclair que l'heure n'était pas
encore venue de mourir . Si , se dit-il plus vite qu'il ne faut
de temps à le raconter , produire et consommer , donc satisfaire
un besoin , ce qui ne peut se faire qu'en produisant et en consommant
, sont , en eux-mêmes , des actes dits économiques
, alors leur économie , à ces docteurs , c'est tout
dans la vie des hommes . C'est donc n'importe quoi . Ils appelllent
économie ce que j'appèle vie . Ils disent qu'ils définissent
l'économie . Ce n'est pas vrai puisqu'ils n'en fixent pas
les limites .
Soulagé
, Romeo s'avisa que le mot économie était bien utile
quand on ne l'appliquait qu'à des circonstances dans lesquelles
intervient soit un échange marchand , soit le don , volontaire
ou forcé d'une somme d'argent ( 3) . L'offre de la péripatéticienne
est économique car , contre argent , elle est marchande .
Le don que Juliette me fait de son amour n'est pas économique
car il n'y a pas de contrepartie marchande . La vente de la récolte
de champignons est économique car elle est un acte marchand
. La récolte et la dégustation de fraises des bois
ne sont pas des actes économiques car il n'y intervient ni
un échange marchand ni le mouvement d'une somme d'argent
. L'achat de la robe tant désirée par Juliette est
économique car il est un acte marchand . Le prélèvement
par le percepteur d'une taxe sur cet achat est un acte économique
puisqu'il y a don , plutôt forcé , d'une somme d'argent
. L'usage que Juliette fera de la robe ne sera pas économique
car il pourra durer ( certes moins longtemps que que notre amour
) san un nouvel échange marchand et sans une subvention reçue
ou donnée par Juliette à cette fin .
Heureux
, ils eurent beaucoup d'enfants qui allèrent à l'école
, puis à l'université . Un jour , l'un des enfants
ramena à la maison un livre d'histoire de la pensée
économique universitaire dans lequel l'auteur , en conclusion
, citait des profeseurs qui étaient de sa génération
à lui , Romeo . Dans cette citation , il était question
de " ce fascinant abîme entre un édifice théorique
en quête de cohérence et un monde en quête de
solutions et de réponses "(4) . L'auteur du livre d'histoire
laissait alors tomber son verdict : l'abîme restait si fascinant
que tout s'était passé ces dernières années
comme si sa contemplation avait absorbé , tel un trou noir
, toute l'énergie des chercheurs ; qu'il fallait espére
qu'on allait bientôt pouvoir prouver l'existence , qui paraissait
de plus en plus probable , de ce trou noir .
Romeo
se souvint des fraises , de la péripatéticienne ,
des champignons et de la robe . Il s'enquit des définitions
de l'économie professées maintenant . Les mots étaient
devenus encore un peu plus abstraits . L'absence de limites restait
patente . IL écrivit à plusieurs reprises à
l'auteur du livre . Ses lettres restèrent sans réponse
. Il écrivit à des journaux ou à des revues
économiques . Ses lettres ne furent pas publiées .
Des politiques économiques capricieuses - beaucoup de n'importe
quoi de préférence à quelque chose - , de graves
crises , beaucoup de chômage endémique , trop d'impôts
continuèrent à faire souffrir le peuple bien plus
que de raison .
Ce
fut bien injuste . Dans le pays profond , loin des grandes écoles
, la langue resta de chair et non de bois . L'économie continua
à ne pas y être tout . L'économie continua à
ne pas y être n'importe quoi .
A la
souffrance du peuple , que Romeo s'entêta à pressentir
en grande partie évitable , s'ajouta un autre motif pour
attrister la deuxième partie de la vie de l'époux
et amant de Juliette . Heureusement , ils ne faillirent point l'un
à l'autre . Le fils qui fit des études d'économie
devint consultant ( comme on dit aujourd'hui , sans égard
au sens naturel des mots , pour signifier conseiller ) en contrôle
de gestion puis , car il était brillant , en management général
. Son père lui avait donné à lire les lettres
restées sans suite , il avait compris . De clients en clients
, il allait répétant que l'entreprise type n'est pas
celle qui fabrique et qui vend . C'est celle qui revend uniquement
. Autrement dit , l'entreprise réduite à l'essentiel
n'est pas celle qu'il est communément convenu de qualifier
d'industrielle - de production physique et de production marchande
. C'est celle qu'il est communément convenu de qualifier
de commerciale - de distribution , de production marchande seulement
( seulement au premier coup d'oeil : il y a presque toujours des
opérations physiques appliquées à la marchandise
reçue pour être revendue ) . La vente est , en soi
, la production marchande , répétait-il inlassablement
. Et il insistait : fabriquer n'est pas , en soi , un acte économique
.
Il
insistait trop . Grandes et petites pointures de l'industrie , comme
chacun sait noblesse du monde des affaires au côté
des grands et des petits bonnets de la Banque , supportaient fort
mal l'idée que ce soit du côté de la roture
boutiquière , fût-elle de grande surface , qu'il faille
aller chercher concepts et exemples qui les rendraient économiquement
plus intelligents . Ils firent à Romeo fils la réputation
d'un professionnel incompétent en gestion industrielle .
Ainsi échoua une seconde tentative pour faire parler , en
haut lieu , de l'économie plus en langue de chair que de
bois .
L'économie
est forcément mal gérée quand elle n'est pas
en pensée ce qu'elle est en réalité . Elle
resta maladive . Le peuple continua à souffrir plus que de
raison . Le recul de la civilisation s'accéléra .
Dominique
Michaut , mars 1996.
Pour
écrire à l'auteur
(1)
Bien plus longue que la Litanie des Saints serait la liste des auteurs
de livres d'économie , dont les manuels , qui affirment cela
. Pour exemple , le Dictionnaire économique et financier
de MM. Bernard , Colli et Lewandowski ( Seuil ) comporte , à
l'entrée Science économique , la " définition
" suivante ( le soulignement est de mon fait ) : " Ensemble des
connaissances objectives et se rapportant aux activités
de l'homme ayant pour finalité la satisfaction de ses besoins
". Pour ce qui est de l'objectivité , ce même ouvrage
dit , à juste titre , du marginalisme , fondement conceptuel
du néolibéralisme : " Cette théorie subjective
de la valeur ..." ( le soulignement est de mon fait ) .
(2)
Voici deux définitions qui vont dans ce sens . Economie :
pratique des échanges marchands et des dons , volontaires
ou forcés , d'objets qui pourraient être vendus et
de sommes d'argent . Science économique : observation et
théorie a) des échanges marchands et du système
quils forment en situation de concurrences , b) des prélèvements
et des dépenses à des fins d'intérêt
général . En commentaire de ces définitions
, des considérations sur l'utilité et la nécessité
des échanges marchands , des monnaies , des prélèvements
et des dépenses à des fins d'intérêt
général s'imposent à bien des égards
. Ces considérations font forcément état des
besoins que l'homme satisafait ou croit satisfaire au moyen de ses
activités économiques . Elles n'en sont pas moins
des commentaires et non pas des éléments de définition
. Quand elles sont portées à un point assez haut de
contemplation , leur exposé devient une oeuvre d'art . En
complément des ces définitions , est-il utile de préciser
ici que l'échange marchand se pratique de moins en moins
par troc et de plus en plus par le moyen intermédiaire de
la monnaie ? Que ce dernier usage , pour aussi irremplaçable
qu'il soit , n'est qu'une commodité ? Que l'interposition
de la monnaie n'enlève rien au fait que les marchandises
s'échangent contre des marchandises et contre rien d'autre
? Que ce fait , de très grande importance conceptuelle ,
serait une évidence triviale s'il était possible de
ne pratiquer que le troc ? Que la théorie économique
ne peut pas être au mieux de sa forme s'il n'est pas placé
, en son commencement , une définition de l'ensemble des
marchandises et une division de cet ensemble en sous-ensembles homogènes
? De ces précisions , Romeo eut l'intuition .
(3)
Les auteurs de la citation sont MM. les professeurs Michel Beaud
( Université de Paris VII ) et Gilles Dostaler ( Université
du Québec , Montréal ) . Extrait d'un paragraphe de
conclusion cité dans le passage Un fascinant abîme
pages 32 et 33 , avec sa référence bibliographique
1993 .
Autre
"débat"
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