Les jeunes vont par bandes,
Les couples vont deux ensemble,
Les vieux avec la solitude"
(dicton suédois)
VIEILLESSE
et SOLITUDE
Danou ZUINGHEDAU
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Danou Zuinghedau n'exerce pas de profession
médicale, sinon celle de collaboratrice bénévole
de son mari généraliste. Le regard qu'elle porte
dans ce texte sur ceux qu'elle rencontre auprès d'elle
est celui d'une femme aux yeux ouverts. Ce texte a été
confié à Exmed par son auteur pour publication
sur le Net. Nous la remercions de ce geste . FMM 28 mars 2000
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On
les appelle des 'Foyers ". Ce mot évoque l'image d'une demeure
où il fait bon rester, lieu de partage familier, d'hospitalité.
Les résidences pour personnes âgées répondent-elles
réellement à cette vocation ? S'affrontent-elles vraiment
à la solitude des plus âgés ? Suffit-il de les
regrouper pour leur offrir un foyer ? Comment leur permettre d'assumer
des pertes inéluctables, mais aussi de vivre d'autres liens?
Ces résidences qui se sont multipliées il y a une quinzaine
d'années ont été prévues pour lutter
contre l'isolement des anciens. Mais elles ne suppriment pas le
stress de leurs locataires, souvent blessés dans leur vie
: divorces, veuvages, départ des enfants, habitat devenu
inadapté.. Les foyers peuvent-ils pallier ces difficultés?
Ils ont cherché à répondre d'abord à un
problème de logement. Ils le font bien, grâce à
un confort matériel étudié.
A l'origine, ces foyers recevaient des retraités de 85 ans. Ils ont vieilli
depuis et les nouveaux venus arrivent à un âge avancé
(85, 90 ans), surtout les femmes. A cet âge, les handicaps
d'audition, de vision, de mobilité sont inévitables
: ils font obstacle à la communication interpersonnelle,
ou collective surtout. Le poids de l'âge est lourd, entraînant
une réduction d'activité, un manque d'esprit d'ouverture
et d'attention au monde, des radotages.
A leur âge"
Les
difficultés d'animation sont grandes et les échecs
engendrent rapidement une lassitude.
Dans
le foyer Saint-Jean de Dreux, une chorale avait été
créée. Elle rassemble toujours, chaque semaine, des
habitants du quartier, mais elle ne compte plus que trois anciens
à ses répétitions. De même, un groupe
de " remise en forme " s'exerçait deux fois la semaine. Plus
aucun locataire n'en fait partie. Les veillées de NOEL ou
du Nouvel An n'ont réuni que 10 à 20 personnes. Le
buffet, pourtant, était généreusement pourvu.
Tous les autres étaient-ils sortis en famille ? ?
Deux
présentations de diapositives - une rétrospective
de la vie de la maison, les photos d'un voyage en Roumanie - n'ont
touché qu'un petit public.
Fréquemment,
l'association communale des retraités propose des sorties,
des tournées touristiques, repas, bals ou séances
récréatives. Leur prix peut expliquer l'abstention
de certains, mais les participants se comptent par unités
: " moi, à mon âge, je ne sors plus, c'est bon pour
les jeunes ".
Il
est d'autre signes, plus graves, d'ennui et d'angoisse. Deux suicides
en deux ans dernièrement. Pour quelqu'un d'encore actif,
une certaine solitude peut être acceptée : elle est
un refuge, elle facilite le repos, le calme, la réflexion.
Mais pour un ancien que les forces et les siens abandonnent, elle
s'impose comme une fatalité. Elle conduit à l'inertie,
à l'effacement de soi-même - annonciateur de l'ultime
solitude de la mort -.
Certains
(ils sont rares) se reçoivent, guère plus de deux
ensemble, pour un goûter ou un repas du soir. Huit femmes
se retrouvent chaque soir, entre 18 et 19 heures, dans le salon,
discutant des faits du jour. Toujours les mêmes. L'échange
est simple et joyeux. Il y a même des ententes, des rendez-vous
pour une sortie, des gestes positifs, mais comme un secret qui ne
se partage pas.
Pierre,
Françoise et les autres
Il
y a surtout des visages sympathiques, à l'aise dans cette
maison.
Laissez-moi
vous en présenter quelques-uns :
Pierre
était comptable dans une entreprise.
Veuf, il a un enfant qu'il ne reçoit que rarement. A la mort
de son épouse, il s'est inscrit au foyer par souci de contacts
et par besoin d'aide matérielle. Le matin, on le voit arpenter
les couloirs, quêter des nouvelles, écouter les bavards,
rendre à l'occasion des petits services, avertir des changements.
Dans sa chambre, il lit encore des livres d'histoire, mais il "
se fatigue vite ".
Françoise
a 76 ans. Elle s'était
préparée pour l'enseignement, mais n'a pu exercer
pour raison de santé. Elle a longtemps habité avec
son père. Elle a débarqué dans ce foyer avec
toute une bibliothèque. Elle fouille des livres de contes
pour enfants et va les raconter à l'école maternelle
d'à côté. Elle tient à se débrouiller
seule. Que fera t'elle lorsque sa santé fléchira ?
Francis
, 68 ans encore alerte, possède
une voiture. Il la bricole et s'en sert souvent pour des promenades.
Il s'évade de sa " cellule ".
Amélie
est d'origine paysanne. Célibataire,
elle vivait chez sa mère. Aujourd'hui, elle est immobilisée
par des rhumatismes. Son jardin d'avant ? D'autres le cultivent.
Il
est encore d'autres visages heureux.
Sylvie, une ancienne
commerçante, d'un naturel liant, qui aime rendre service.
Henri, métallo toute sa vie, il se faufile toujours avec
le sourire, sans beaucoup s'exprimer. Il écoute sans donner
son avis - on l'appelle " l'Oeil de Moscou". Germaine se montre
un modèle de régularité : elle se lève
tôt, fait sa demi-heure de marche, expédie ses courses
et se veut attentive aux autres. Elle travaille manuellement pour
des " uvres ".
Les
volets clos
Pourtant,
si je prête l'oreille aux confidences, un autre son de cloche
domine souvent : " on se trouve dans une maison d'ennui ". La solitude
est mal vécue par beaucoup, le jour et surtout la nuit.
Denis,
87 ans, était ajusteur. Il a longtemps soigné, chez
lui, sa femme malade. Il tenait la maison et cultivait un jardin.
A la mort de son épouse, il a vendu la maison. Il s'intéressait
aux livres en allemand, à l'histoire. Mais depuis son glaucome,
il ne voit plus, il ne trouve pas d'interlocuteur. Il fait les cent
pas dans le foyer ou au jardin. " Je rentre souvent dans ma chambre
et pleure sur ma femme, ça me fait du bien ! "
De
Mireille, on ignore tout le passé. Murée dans son
silence, on la croise dans les corridors. Elle occupe parfois, seule,
un fauteuil au salon, mais se lève quand on arrive. Elle
est sourde.
Victor,
un ancien artiste peintre, s'est retrouvé chassé de
sa boutique par son grand fils. Il s' est inscrit ici pour le vivre
et le couvert, mais il ne supporte pas sa situation. Il ne comprend
pas l'attitude de ses enfants. Deux fois déjà, il
a cherché une famille " d'adoption ", comme il dit. " L'Eglise
interdit le suicide, sans cela il n'y a que cette solution qui me
reste ".
Maria,
89 ans, d'origine polonaise, a dû laisser son époux
aux soins de l'hôpital depuis trois ans. Elle va le voir tous
les deux jours. " une heure de transport, deux près de lui,
puis le retour ; mon après-midi y passe. Il ne parle pas.
Me reconnaît-il ? Je me fatigue pour rien. Mais ma présence
est sentie. Moi-même, je souffre d'une arthrite aiguë
; j'ai de la peine à marcher, j'avance lentement et personne
ne m'accompagne, c'est trop long"
La
solitude, la nuit, est toujours redoutée
ON
FERME LES PORTES EXTERIEURES, MAIS AUSSI INTERIEURES DES 20 H 30
Odette,
une vieille fille de 72 ans, souffre très fort du dos, elle
doit s'appuyer aux murs. Elle interpelle tout le monde et bouge
sans cesse : " Ca me fait oublier mes douleurs ". Mais elle obtient
peu d'audience dans le foyer et se renferme de plus en plus.
Voici,
trop rapidement brossées, quelques figures de ce foyer. Mais
il y a toutes les autres, " lot méconnu ", que l'on n'aperçoit
que de loin à table, toujours à la même place,
sans bruit, ou à la levée du courrier du matin. "
Ca va ? " - Comme des vieux.. c'est la vie ! " -
Je
ne sais pas grand chose d'elles. Elles n'ont plus grand chose à
raconter. Parfois, l'une d'entre elles passe à l'hôpital.
Si l'une ou l'autre décède, on en parle peu : " C'était
son tour ", et tout semble l'oublier. Qu'est-ce qu'on fuit ici ?
Pour
compléter ce " défilé ", quelques flashes sur
leur vie quotidienne.
Dès
le matin, sept médecins se succèdent pour des visites,
le plus souvent appelés pour des petits malaises. Leurs ordonnances
ne sont pas toujours exécutées ! Il y suffit d'un
petit coup d'oeil malicieux ! Ils les demandent autant pour avoir
un confident, étaler leurs misères et leurs craintes,
peupler une solitude accrue dans la nuit trop longue.
Tous,
même les plus actifs, attachent une importance régulière
au
COURRIER !
C'est le rendez-vous des obstinés, dès avant
l'heure du passage du facteur. Vient-il à tarder, l'impatience
monte. On ne lui laisse même pas le temps de charger les boîtes
aux lettres. N'apporte-t'il pas un répit dans leur isolement
?
Il
y a des lieux préférés, stratégiques,
pour stationner en attendant le repas, avant la sieste, ou le soir
avant la nuit. Des ESPACES en lien avec l'extérieur
(baies vitrées, entrée) : comme s'ils étaient
les seuls observatoires de la vie.
Les
visites individuelles que je réussis à assurer sont
des moments de CONFIDENCES. Il m'est arrivé d'écouter,
sans avoir à rien dire, pendant près de deux heures
de paroles avant de me retirer. Le besoin de rencontre, d'expression
était trop longtemps comprimé.
Les
passages des aides-soignantes représentent une étape
plus importante que celle d'une assurance de soins matériels
et de services. Ils échangent, discutent avec elles, parlotent.
Elles font le lien entre les vieux.
Lorsqu'il
fait beau, le plus grand nombre descend dans le JARDIN. Sur les
bancs, toutes les places sont occupées. Des heures durant,
ils restent sans dire mot.
QU'ATTENDENT-ILS ?
QUE FUIENT-ILS ICI ?
Manger
prend une place toute particulière. Les REPAS durent plus
d'une heure. Le premier geste, le matin, est de consulter le menu
du jour. Beaucoup sont capables d'ingurgiter avidement, et en quantité,
les plats qui leur plaisent : choucroute, pommes frites, pâtes.
Comme une compensation à l'absence de satisfaction, à
un VIDE.
" Il
n'est pas bon que l'homme soit seul ".
Est-il vraiment nécessaire de conclure ?
Il
paraît évident que tout ce qui facilitera un dialogue,
une ouverture des locataires du Foyer, ou toute autre forme d'expression
personnelle, même matérielle, changera les réactions
intérieures de chacun.
Mais,
bien sûr, ce sont ceux qui ont pu bénéficier
d'une formation, quelle qu'elle soit, durant leur vie, qui ont des
chances de pouvoir s'occuper intelligemment - au moins quelque temps
- durant leur passage dans le foyer.
Une
nécessité s'impose surtout : assurer un personnel
qualifié d'éducateurs en gériatrie. C'est un
effort onéreux, difficile, mais indispensable pour que l'homme
vive ses vieux jours avec dignité.
A l'époque
où le vieillard " doit assumer, de pertes en pertes, le quotidien
et découvrir le primat de l'être sur l'avoir " (Docteur
THIEL), pour accueillir un avenir incertain, l'abandonnera-t'on
à ses seules ressources ?
Les
infirmités et les handicaps sont souvent proportionnels à
l'épanouissement de la personne. Sans soutien, tout se passe
pour le vieillard comme si son isolement l'enfermait dans un cercle
vicieux ; la claustration amenant des effets psychosomatiques qui,
à leur tour, aggraveront la sénilité.
Le
grand âge favorise l'appréhension. Tout changement
devient présage d'inaptitudes nouvelles, de souffrances,
de douleurs.
Les
mesures favorisant le maintien à domicile, avec un accompagnement
et des services adaptés, sont préférables à
des grandes structures.
Les
familles sont trop contentes de " caser " leurs vieux. Ici, comme
ailleurs, 7 % ne reçoivent aucune visite régulière,
abandonnés à l'absence et à la déréliction.
" L'homme naît pour vivre avec les autres, mais il meurt toujours
seul "
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