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Ceux
qui s'attendraient pour autant à y découvrir
un pays tropical, des Antilles modifiées à la
portugaise, seraient déçus. L'archipel est bien
davantage une sorte de mélange d'Irlande ou de Normandie
verte, lumineuse, couverte de vaches, avec un terrain volcanique
très marqué, et une végétation
exotique luxuriante bénéficiant du climat, de
l'hydratation, de la localisation atlantique.

Le nom des Açores dérive à l'origine
de celui d'un grand oiseau, buse ou épervier nommé
"Açor", dont la présence
en quantité sur les îles avait impressionné
les arrivants.
L'autre caractéristique de cet archipel est son implication
maritime, et ceci en constitue un autre intérêt
majeur. Après avoir représenté, des décennies
durant, un centre de pêche à la baleine fondamental,
une industrie prédominante, accompagnée des
légendes et des exploits de ces émérites
fous du harpon, si la reconversion dans la pêche au
thon est demeurée un axe important, les activités
marines sont progressivement concentrées vers les fous
du tangon, du hauban, du safran, les régatiers.
Les Açores sont maintenant l'essentiel rendez-vous
de tous les navigateurs transatlantiques à la voile,
depuis les plus modestes inconnus jusqu'aux célèbrités.
On y sent toujours, perpétuellement la mer, mais plus
l'huile de baleine, et les légendes se comptent en
nuds et jours de traversées, quand elles se contaient
en odyssées et heures de chasse au cachalot autrefois.
Les 9 îles de l'archipel sont groupées en petits
paquets, deux occidentales semblent appartenir à la
plaque tectonique américaine, quand les deux ensembles,
des 5 centrales et de 2 orientales sont issues de la plaque
eurasiatique.
Il existe une forte similitude de disposition, de nombre,
d'origine volcanique, avec l'archipel très au sud,
celui du Cap Vert, également dans chacun des archipels
se trouve une île au parfait cône de volcan spectaculaire,
Pico aux Açores et Fogo au Cap Vert.
On atteint aisément les Açores depuis Lisbonne
par avion, ensuite des lignes intérieures aériennes
ou des bateaux joignent les îles entre elles. D'emblée,
sur place, frappent les caractéristiques portugaises,
dans les équipements des pêcheurs, les villages
colorés entretenus, la morue délicieuse présentée
de dix façons différentes dans les petits restaurants
des ports, la langue utilisée, les habitudes des populations.
Mais l'industrie agricole, outre celle des cultures comme
la betterave, l'ananas, le tabac, le thé, des cultures
exotiques souvent, est celle du lait. Toutes ces vaches produisent
un quart de la production du Portugal, et tout au long des
routes les véhicules croiseront et suivront des mules
tirant ou portant d'énormes bidons de lait ramassé
en chemin. Les cultures, elles, sont étagées
en fonction de l'altitude, banane et pommes de terre en bas,
maïs et fourrage ensuite, pâturages au delà
de 400 m de relief.
Partout, l'activité volcanique des îles a été
très intense, au long des siècles, avec des
tremblements de terre et des éruptions à tous
les siècles répertoriés depuis le XIV
ème, donnant naissance à d'intenses et spectaculaires
modifications des paysages : caldeiras, mot à mot des
chaudières produisant de superbes lacs volcaniques,
misterios qui sont des coulées de lave refroidies après
avoir détruit des villages, et très récemment
encore, en 1957, cette arrivée d'un cratère
tout neuf à la pointe de l'île Faïal, créant
ce splendide site de Capelhinos.

L'île la plus vaste, la plus peuplée, la plus
verte, est celle de São Miguel, localisée à
l'est de l'archipel, elle présente également
des points de vue splendides sur les cratères jumeaux
de Sete Cidades , ces sept cités qu'autant d'évêques
auraient créées selon une des nombreuses légendes
locales. Il y a dans cette île, un mélange de
Suisse avec conifères et vaches, de province rangée
avec les magnifiques hortensias qui représentent la
fierté caractéristique des îles en saison,
et de coin volcanique sauvage lorsqu'on approche des zones
remaniées, c'est une très belle excursion générale
résumant l'étrangeté de sites si mêlés.
Le tour du site est parsemé de miradors, de points
de vue élevés, de lacs et de trouées,
avant de retrouver la ville de Ponta Delgada et son centre
historique ancien. Mais c'est l'île de Faïal, la
plus à l'ouest du groupe central principal, qui réserve
les trésors et les évocations de la marine ancienne,
celle des baleiniers, et de la nouvelle, celle des voiliers
des transats modernes. L'île est, elle-aussi, centrée
sur un volcan ancien, dont il reste le " chaudron ",
la caldeira, qui s'atteint au sommet après l'ascension
d'une route sinueuse dotée d'un beau point de vue.
C'est
de Faïal qu'est née l'idée, en 1893, du
premier bulletin météorologique, lorsque plusieurs
scientifiques ont identifié l'influence importante
de l'anticyclone des Açores sur le climat de l'Europe.
Un câble téléphonique reliant Faïal
à Lisbonne assura dès lors les premières
transmissions rapides des informations. D'une manière
courante, l'archipel a assuré le relais des câblages
transatlantiques par la suite.
Le port de Horta garde la mémoire des baleiniers d'autrefois,
avec son café des sports à l'ancienne, tout
de bois plaqué, " Chez Peter " dont le petit
musée du premier étage présente les uvres
des baleiniers sculptées dans des dents de cachalot.
Le musée de la ville, lui, montre des objets travaillés
dans la moelle du figuier, représentant des monuments,
des navires, des scènes anciennes. Le café Chez
Peter sert encore régulièrement de boîte
postale pour tous les courriers des marins en route pour une
traversée de l'atlantique, dont on sait qu'ils effectueront
l'inévitable escale des Açores.
Et Horta possède aussi une extraordinaire marina, celle
où tous les navigateurs plaisanciers, ou à présent
professionnels des grandes régates, vont apporter leur
contribution au décor. Tout au long des quais, d'innombrables
écussons, des dessins, des fanions, des inscriptions
décrivant un parcours, des noms d'équipiers,
des dates, écrivent peu à peu l'histoire des
transats à voile, en une immense fresque, une histoire
en plein air emplie d'aventure et de mystère. S'y côtoient
les traces des célèbres vedettes médiatiques,
et les humbles marques des aventuriers anonymes, modestes
et inconnus, qui viennent cependant partager leur existence,
leur rêve, leur parcours ici.
Faïal est dénommée l'île bleue, en
raison des hortensias qui l'envahissent, l'enrichissent, la
décorent, la marquent de leur teinte et de leur ambiance.
A son extrémité occidentale, le cratère
tout récent du Capelhinos rappelle l'évolution
permanente de la vie des volcans, susceptibles de surgir partout
sur terre ou de la mer, à tout moment. Dans la mesure
où, pour les vulcanologues, cinquante ans représentent
un moment de la vie de notre planète, un éternuement!
Une île est particulière, celle qui demeure porteuse
du cône volcanique du Pico, qui offre une vue panoramique
à 2350 m d'altitude, avec des fumeroles. L'île
est encore emplie de laves ayant donné naissance à
des constructions l'utilisant comme matériau, elle
garde les traces de la principale usine de traitement des
produits tirés de la baleine, quelques berges abruptes
sur lesquelles se brise la mer, des caves à vin, et
une grande nostalgie de la pêche au cachalot.

Les Açores représentent un lieu de curiosité,
avec ce mélange d'histoire, tant les capitaines-donataires,
les gouverneurs, les luttes pour les accessions au trône,
y amenèrent leurs épisodes, d'épopée
héroïque surtout dans toute la période
de chasse aux cétacés. Qui portèrent
tant de récits, de romans, le plus célèbre
étant Moby Dick. Une autre aventure étant celle
des séismes et des éruptions, gorgeant encore
les légendes d'énormes évènements
terribles de morts en grand nombre. Et puis vinrent des époques
plus raisonnées, à partir d'une agriculture
spécifique, plantes tinctoriales d'abord, pastel, puis
récemment l'industrie laitière.
La tonalité actuelle, celle que l'on conserve de son
passage, est celle agréable d'un mélange considérable.
De paysages verts irlandais ou normands dans un environnement
exotique, volcanique. De populations très mêlées,
entre migrants perpétuels de et vers les amériques,
l'europe, un nombre d'habitants tendant progressivement vers
un peu plus de 200 000. Puis cette caractéristique
météorologique conservée, anticyclonique,
dont au fil des siècles l'Europe persiste à
attendre les effets stabilisants ou non du climat, comme une
aumône, une obole, une générosité
ou une surprise.
Et il semble que ces bouts de terre aient un besoin absolu
et définitif de conserver leur attitude de héros
et d'aventuriers, en relayant ce rôle maintenant aux
fanatiques de voile sur les longs parcours transatlantiques,
comme pour garder la notion permanente du risque, du dépassement
de soi, ce défi entre mer et hommes, bateaux et vagues,
même si les queues et les jets d'eau des baleines manquent
définitivement au paysage, à la mort menaçante,
et à la vraie légende.
Vraie aussi, la nature des gens sur place, des êtres
sans faux-semblant, sans faux besoins, sans illusions inadaptées,
marins et terriens conscients de leur condition, juste fiers
et lucides.
De curiosité, la visite des Açores se mue en
envie, celle d'aller très au sud découvrir un
autre archipel du même groupe géologique, de
même langue, mais si différent dans ces autres
conceptions, le Cap Vert.
Jacques Blais
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