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Centrafrique
Abécédaire
Suite
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Un dernier survol de points particuliers, en étant
conscient d'alourdir encore un ensemble déjà
bien chargé :
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Décor
La Centrafrique est un pays de forêt équatoriale
assez dense, d'immenses arbres parfois serrés. Au delà,
plus au nord de la bande forestière jouxtant le fleuve
Oubangui (qui signifie « les rapides ») une savane
sèche monte vers une bande plus tourmentée,
minérale. Le sol est constitué de terre rouge
foncée, une terre ferrugineuse, avec de nombreux arbres
dits « de bois rouge » imprégné
aussi de sels minéraux. Les villages sont des rassemblements
nets de cases carrées au toit de feuilles et de branches,
disposées autour d'une placette bien nette, avec les
emplacements de palabres sous un grand arbre, habituels à
l'afrique.
La zone vers l'Est est une alternance de propriétés
d'exploitations de café et de coton, de fruits et de
bois.
Diamant
Un paragraphe qui correspondrait également, dans la
même lettre, avec Dommage, Dégradation, Dépravation,
Désordre. Les secteurs de minerai d'uranium, de filons
diamantifères, ou de safaris animaliers, ont tous été
laissés à l'abandon, sacrifiés, gaspillés,
et finalement jamais exploités comme ils l'auraient
pu, améliorant sans doute l'économie.
Dents
Celles des africains sont dans un état souvent catastrophique.
Lors du stage préparatoire de Marseille, j'avais été
volontaire pour apprendre à pratiquer des extractions
de molaires, tout pouvant se montrer utile ensuite. De fait,
j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de me livrer
à cet exercice, ayant découvert sur place un
matériel inutilisé qui ne demandait qu'à
être gratté, nettoyé, et stérilisé.
Ce qui a rendu bien des services, entre autres à notre
boy Simon, dont j'ai extrait une molaire très douloureuse,
malgré l'effroi pour lui de ne plus sentir sa joue
pendant plusieurs minutes sous l'effet de l'anesthésie
locale.
Restons dans l'art dentaire, mais à un niveau différent.
Mon père était dentiste, et je m'étais
promis de lui rapporter deux molaires d'éléphant.
Elles sont énormes, de la taille d'une brique. Dès
mon arrivée, j'ai envoyé le message à
la brousse : le nouveau docteur voudrait deux molaires d'éléphant.
Sans le scrupule de la dégradation désastreuse
de l'espèce avec le trafic de l'ivoire. Les dents,
elles, ne font pas l'objet de transactions. Une bonne année
après mon message, les dents me sont parvenues, en
procession solennelle et triomphale. Et mon père a
été très fier de les exposer dans une
vitrine de son cabinet, jusqu'à la cessation de son
activité.
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Douche
J'ai un peu évoqué la difficulté de l'approvisionnement
en eau. Nous avions, sur le toit de la case, un réservoir
que venaient, à la saison sèche, nous remplir
les détenus de la prison. A défaut, le marigot
filtré, et les récipients sous les pentes du
toit. Ensuite, nous versions dans le seau à douche
le contenu de nos deux douches, cette sorte de lessiveuse
était accrochée dehors sous une branche pour
se chauffer au soleil, et en fin d'après-midi, avant
le coucher de l'astre vers 16 h 30, un système de pomme
de douche placée à la base permettait de s'offrir
un lavage agréable, bien qu'un peu odorant parfois
selon l'état de l'eau.
Déjeuner
Pour rester dans l'intendance, parlons des repas. Le marché
approvisionnait en légumes, fruits, le jardin de même.
Des poissons nous étaient proposés régulièrement,
venus du fleuve, par les pêcheurs. Les alentours étaient
parcourus par des cabris, que Simon coursait, les abattant
parfois pour les découper en ragoûts, qui nécessitaient
une demi-journée de cuisson mais devenaient excellents.
De même les poulets de course du coin, tout en jambes,
après des heures d'ébullition, devenaient comestibles,
mêlés à une sauce à l'arachide
délicieuse. Les toutes petites bananes procuraient
une grande variété de desserts.
Les colons se plaignaient souvent de manquer de fromages,
de pommes. Lorsqu'ils faisaient venir, dans quel état,
un fromage de la capitale située à 700 kms de
piste, une obligation interne menait à acheter en même
temps un fromage local de chèvre très fort.
Le comble du luxe dans la difficulté a été,
pour moi en tout cas, le repas de fête de Noël
où, invités par nos amis les gérants
du commerce, ils nous ont créé la surprise d'avoir
importé des huîtres !!! D'où ? Datant
de quand ?? Et comble de tout, j'avoue ma très grande
faute : j'ai horreur des huîtres, nul n'est parfait
et surtout pas moi !
Déplacements
Plusieurs fois, j'ai été amené à
me rendre en visite d'inspection et de dépistage du
travail à Bakouma, la cité de l'uranium inexploité,
où séjournaient quelques européens et
américains, et un personnel autochtone.
Ce déplacement ressemblait toujours à une expédition.
Départ dans le brouillard, aussi surprenant que cela
semble, à 4 heures du matin des nappes couvraient le
fleuve. En saison des pluies, le pick up conduit par le chauffeur
de l'hôpital, très expérimenté
heureusement, emportait dans sa benne de quoi changer les
roues, les amortisseurs, les lames de ressort, les courroies,
les durit, la batterie. Plus des vélos, des chèvres,
des passagers, du matériel.
Au minimum, nous allions crever une fois, nous embourber deux
fois, nous planter sur des « hauts fonds » de
cailloux et pierres énormes dans la piste rouge, dépassant
la hauteur pourtant élevée du train arrière.
Souvent, les éléphants sans penser une seconde
à nous, avaient dans la nuit dévasté
un secteur de forêt, cassant et renversant les arbres
en travers de la voie. Le chauffeur et son assistant devaient
donc débiter les troncs à la hache et dégager.
Puis, vingt kilomètres plus loin, un premier pont de
troncs et de planches sur un ruisseau venait d'être
emporté à trois cents mètres par la pluie
torrentielle. Et mes compères, aidés par des
autochtones surgis soudain, de refrabriquer un pont. Enfin
encore plus loin, un bac à câble, un modèle
dont j'ai retrouvé 32 ans plus tard l'exacte réplique
à l'est de la Nouvelle Calédonie, nous jouait
un tour au cours de la traversée. Le câble de
guidage et de traction, au beau milieu du parcours, ne parvenait
plus à passer dans la poulie, car il venait d'être
réparé, l'épissure ou la manille s'avérant
trop large. Il fallait cogner dessus à coup de barre
de métal, tandis que le bac dérivait terriblement
dans le courant.
Nulle surprise à ce que 7 heures soient nécessaires
pour parcourir 180 kilomètres.
Mais le décor était somptueux. Quand, à
la fin, nous avons effectué un voyage en famille dans
le véhicule de l'Unesco, une fois encore plantés
dans le décor à attendre une réparation,
nous avons eu la surprise de voir surgir, de nulle part, des
femmes apportant des petits tabourets de bois pour s'asseoir,
du café frais cueilli dans une calebasse de courge
évidée, un ananas gros comme le bébé.
« Et ça c'est le bébé de Madame
docteur... » affirmaient ces femmes, sachant déjà
tout sans rien demander.
Une vieille femme, particulièrement touchait la petite
en répétant : « molengue ti e, Nzapa a
mou na e...» nos enfants, c'est Dieu qui nous les donne.
Et au delà de cette sorte de récitation catéchistique
dont elle ne percevait rien de plus que le discours reçu
du curé, je ressentais une tout autre dimension, chez
cette vieille, une profondeur qui, pour elle, devait exprimer
son sens du sacré : nos enfants, c'est sacré,
ce devait être la réalité de sa psalmodie,
et cela devenait émouvant, pur, noble, au milieu de
la forêt équatoriale.
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Décisions
Un considérable apprentissage de l'Afrique est celui
de la décision. Très récemment, j'entendais
sur les ondes un médecin israëlien qui avouait
qu'une tâche terrible, pour lui, à la suite des
attentats dont on lui amenait les victimes des deux camps,
était de décider qui il allait laisser mourir,
et qui il pourrait soigner utilement. Même sur des critères
médicaux, ce genre de décision s'avère
effroyable.
En Centrafrique, ces situations se rencontraient par exemple
dans deux conditions. Les morsures de serpent, et le tétanos.
Les serpents spécifiques de la région sont mortels
en quelques heures. Dans mon réfrigérateur à
énergie due au gaz, je possèdais 5 seringues
des sérums antivenimeux les plus usuels. Si l'on m'amenait
un blessé mordu depuis trois ou quatre heures, lui
administrer un sérum dérivait un peu du hasard,
d'une part, ignorant faute de l'avoir vu la catégorie
de serpent, sauf, et ceci est arrivé, quand les témoins
apportaient le reptile tué. D'autre part, le délai
écoulé rendait vaine la tentative au delà
de deux heures généralement. Me restait à...
. regarder mourir un être humain sans rien faire d'autre
que le soulager des douleurs. Abominable décision...
En cas de tétanos, une maladie quasi ignorée
chez nous, je ne disposais d'aucune solution de traitement,
des litres et des litres de perfusion auraient été
nécessaires, je n'en avais même pas pour mes
opérés. Abstention thérapeutique passive.
Terrible, terrible apprentissage de la vie, que de voir mourir
des êtres de tuberculose, des enfants de rougeole, de
voir la lèpre ronger des dizaines de personnes, de
constater les dégâts du tétanos néonatal,
le tout par carence de traitements, d'argent, d'intérêt
du monde dit civilisé.
Un autre « Double D » a été la Décision
du Départ, pour le retour au pays. Elle a été
guidée par trois réflexions : les anciens nous
avaient tous répété, à Bangui,
que la tentation de rester, de continuer, de reprendre un
nouveau poste, est si grande que beaucoup cèdent. Et
celui qui a cédé ne part plus jamais, il est
mangé par le pays. Après quelques temps, les
affectations deviennent administratives, dans des capitales,
et le constat de Bangui et son influence sur les mentalités
m'avait suffi.
Ensuite une réflexion éthique, basée
sur la crainte « de devenir dieu ». A force de
tout pratiquer comme chirurgie, une acrobatie permanente au
quotidien, l'impression de dominer toutes les situations d'être
capable de prendre les risques les plus insensés, l'absence
absolue de confrontation avec des confrères, d'acquisitions
techniques, de formation continue, de participation à
des congrès, vont rendre inconscient, gommer les frontières,
effacer les barrières. Je ressentais déjà,
après 16 mois, ce recul des extrémités
de la permissivité, ce jeu avec l'impossible, ce défi
perpétuel, et cet élément à titre
personnel me poussait impérativement sur le retour.
Jamais, jamais le praticien ne pourra, ne saura, ne sera admis
à tout faire, tout tenter, même sous le prétexte
de se trouver seul face au destin.
Enfin la responsabilité d'un et plus tard de plusieurs
enfants. Enseigner jusque et y compris en primaire à
son propre enfant est envisageable. Après, non, il
justifie des méthodes, un cadre, un matériel
pédagogique. Tous les « colons » parents
expédiaient leur progéniture en France, chez
les grands parents, et ne les voyaient plus que lors de leurs
vacances. Se retrouve alors l'alternative, entre accepter
un poste autorisant aisément une scolarisation, à
Djibouti, Dakar, Le Caire, dans des capitales et grands centres,
avec des conditions trop vite insupportables ou révoltantes
pour l'éthique personnelle, ou se séparer des
enfants...
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E COMME...
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En guise de conclusion, quelques mots en E.
Le premier sera E comme excusez-moi.
Ce texte est énorme, incroyablement long par rapport
au « calibre » des autres narrations et récits
d'autres lieux. Mais effectivement, il ne s'agissait pas de
16 jours, parfois plus, comme dans d'autres lieux, 16 mois
ont été ici l'objet de ce résumé
en 23 pages d'un livre de 226.
E comme expérience extraordinaire. Ou bien encore comme
éclairage définitif, sur la vie, d' évènements
irréductibles et qui marquent, tatouent, s'ancrent
et encrent les mots et les symboles, par la suite, de l' existence.
Entendre, écouter, s'émerveiller...
Et la conclusion se trouvera dans un ultime terme : évaluer.
C'est une question que je me suis posée cent fois :
ai-je été utile ? Utile à d'autres que
moi ? Sans l'ombre d'une hésitation, je me suis procuré
un infini plaisir de la découverte, de la satisfaction
personnelle, de cette forme de réalisation, d'une prise
de confiance et de conscience considérables, même
d'une acquisitions de compétences nouvelles.
Pour moi oui, plaisir, bonheur, expérience et apprentissages
sans mesure à l'échelle humaine, y compris l'observation
« en méta-position » cette manière
de se voir soi-même agir qui est enseignée, préconisée,
utilisée, dans diverses formes d'enseignement.
La part d'utilité réside sans doute dans la
transmission, un savoir nouveau de découvertes ethniques,
anthropologiques, d'un abord différent de populations
si inhabituelles et méconnues, l'ensemble étant
rapporté dans nos contrées, réfléchi,
expliqué, partagé.
Mais pour le reste, le coopérant parvient-il à
enseigner sur place, montrer, expliquer, transmettre éduquer
? J'en doute terriblement. Une telle technicité préalable,
un bagage d'apprentissage minimal, une capacité de
réflexion pratique, d'extrapolation, de raisonnement
vaguement scientifique, seraient nécessaire pour acquérir
des connaissances.
L'infirmier agira par modélisation, imitation, mais
sans intégrer dans une connaissance technique, médicale,
anatomique. Quand mon assistant me demandait, en cours d'intervention
: « pourquoi tu ne vas pas par là, mon docteur,
pour enlever ça, ca ira plus vite ? » je tentais
de lui expliquer les aléas, les incertitudes, l'anatomie
différente d'un individu à l'autre qui placera
l'uretère de celle-ci trois centimètres plus
au centre, qui déviera celui-ci, collera celui-là
par une adhérence. En vain, je le crains. Cet homme
saura, en ayant observé, en gros déchiqueter,
découper, écarter, effectuer un bon dépannage.
Mais en chirurgie l'essentiel du travail est situé
avant le coup de scalpel, dans la réflexion, le diagnostic,
l'indication bien posée, prudente, minutieuse, accompagnée
de précautions et de limitation du risque.
Honnêtement, je doute d'avoir transmis quoi que ce soit.
J'ai rendu service, dépanné quelques personnes,
sorti d'affaires nombre d'autres, accompli une mission, abattu
un gros travail, envers et contre des conditions économiques
désastreuses.
Mais dès le lendemain de mon départ, rien, rien,
n'en restera. Utile ? Cela aura été un séjour
enthousiasmant, comme le seront ensuite plus de trente ans
d'exercice. Mais probablement un bonheur enfoui, égoïste,
intérieur, plus une expérience sur tant de plans
inimitable, incomparable.
N'y voyez, répercuté ici, qu'un partage d'émotions.
Surtout pas le moindre enseignement, ou la plus petite prétention.
Un petit blanc se débrouillant dans le monde où
rien n'est jamais pareil que dans la vie usuelle...
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Jacques Blais |
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