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Ethiopie (suite)
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Il aura fallu 20 ans pour
construire ce train, entre 1897 et 1917, mais il roule encore.
Un train africain typique, incroyable de lenteur, d'inconfort,
de péripéties, de folklore, de bonne humeur.
C'est un train d'autrefois, à voie étroite.
Ce qui signifie qu'il se penche effroyablement dans les
virages, ne peut de ce fait rouler vite, secoue épouvantablement
les passagers. Les bagages sont en perpétuel mouvement,
entre chutes répétées et glissades
permanentes d'un bord à l'autre des wagons. Les passagers
sont innombrables, virevoltants, entrant et sortant à
chaque arrêt. Et les arrêts en question ne se
comptent pas, entre ceux réels des gares, les pauses
en rase campagne, les pannes, les temps nécessaires
pour faire grimper à bord des militaires, tous les
4 ou 5 kilomètres. Le trajet prendra des heures,
pour parcourir les 280 kilomètres séparant
Addis de Diré Dawa, peut-être 7 tours de cadran…
A chaque occasion, des hordes d'enfants montent à
bord, pour proposer des beignets de nourriture, des bananes,
justifiant également une forte surveillance des bagages.
Il est très amusant d'observer les hommes qui partent.
Ils sont couverts, des jambes au torse, de très nombreuses
couches superposées de vêtements, au point
de transpirer et suffoquer, car ils en font commerce et
se proposent de les vendre à destination pour récupérer
un peu d'argent.
C'est un train assez éprouvant, voire exténuant
pour des blancs, mais de manière différente
des trains des Andes rendus célèbres par les
marques de café. Les trains andins sont surtout vertigineux,
essoufflés par les ascensions, avec une vue extraordinaire
et des ennuis mécaniques permanents. Les trains africains
sont des maracas qui vous secouent épouvantablement
dans une lenteur, une odeur, un folklore, une bousculade,
indescriptibles, et une humeur aussi joyeuse que possible.
Naturellement, cet ouvrage audacieux, innovant, aura rendu
d'extrêmes services aux échanges commerciaux
entre cette Abyssinie et les berges de la Mer Rouge, ses
ports, ses mystères, ses trafics, et ce monde «
de l'autre côté » celui de l'Arabie.
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Où l'on
entrevoit Rimbaud
Près de Dire Daoua,
nous sommes au nord de l'Ethiopie, avant l'Erythrée,
et aux portes de la Somalie. Entre autres des étendues
salines du Nord et du transport du sel qui avait longtemps
contribué à d'autres échanges.
Et la ville proche est celle du Harrar. On dit Le Harrar,
pour cette ville anciennement fortifiée, dont persistent
des portes d'entrée assez solennelles, une cité
de 70000 habitants sise à 1800 m d'altitude. La plupart
des grandes villes sont d'ailleurs posées entre 1600
et 2300 mètres d'altitude. Ce qui frappe au Harrar,
c'est l'importance des marchés, une allure de ville
arabe, avec une sorte de souk, des marchés denses,
très occupés d'étals et d'échanges,
des femmes portant des boubous aux couleurs très
vives. Et cet immense marché du kat, cette feuille
excitante, supposée quelque peu aphrodisiaque, dont
l'usage en mastication permanente par les populations se
retrouve à l'identique, sous le nom de Qat, sur la
berge yéménite de la Mer Rouge. Le commerce
de cette marchandise si importance dans les rituels des
populations est riche, fourni, perpétuel.
Au détour de ruelles surgit soudain la maison de
Rimbaud, une grande bâtisse assez délabrée
essentiellement de bois, et tout à coup intervient
un aspect particulier de notre Arthur national, qui mérite
un détour. Arthur Rimbaud, né en 1854 et mort
en 1895, a vécu on le sait plusieurs vies, pourrait-on
dire. Ses frasques homosexuelles avec Verlaine se situaient
vers les années 72, et après ces épisodes
il a été largement rapporté une période
tardive durant laquelle Rimbaud a été trafiquant
d'armes, vers 1890. Et ceci essentiellement dans cette région
du Harrar éthiopien. De sorte que l'image du grand
homme est complètement opposée, sur les deux
rives de la Mer Rouge. Méprisé et presque
haï en territoire abyssinien, sur ce sol africain,
Arthur a par contre laissé au Yemen une image de
poète adulé, une figure de la culture française
conservée pieusement dans un musée restauré
du port d'Aden. Cette sorte de lien bizarre entre deux mondes
si dissemblables, apporté par une figure emblématique
tourmentée d'un patrimoine des lettres françaises
est étonnante, et ce n'est pas l'unique point, lors
d'un séjour en Ethiopie, qui donne envie d'aller
voir en face comment est la vie, celle du monde arabe par
rapport à celui-ci, si mitigé entre Coptes,
Africains, Nubiens, Abyssins.
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En
1974 étaient découverts dans la vallée
de l'Awash, en Ethiopie, les restes correctement conservés
de Lucy, une de nos ancêtres australopithèques.
Se rendre vers le grand sud éthiopien présente,
au long de la vallée de l'Omo, un long fleuve, un
caractère émouvant comme celui de plonger
dans des racines de civilisations en réel décalage.
A longer les pistes de terre, on dépasse des quantités
de marcheurs. Les Ethiopiens se déplacent sans cesse,
à pied, pour aller vers un autre village, un marché,
un rassemblement. Les hommes reposent leurs bras sur un
bâton placé sur leurs épaules, durant
leurs pérégrinations.
Un souvenir de spectacle étonnant. Une place de village,
avec sous l'arbre à palabre une réunion de
valeureux « guerriers » leurs lances à
la main, assis à parler, deviser, opiner et boire.
Passe devant eux une femme enceinte certainement très
proche de son terme. Mais non dispensée pour autant
des tâches « nobles » féminines,
consistant dans toute l'Afrique à porter l'eau, le
bois pour le feu, tout ce qui présente ce caractère
alimentaire important. En l'occurrence pour celle-ci un
ballot gigantesque de fourrage, qu'elle tente de hisser
sur son dos, et de maintenir ensuite par un très
long bandeau retenu par son front. Avec des efforts insensés,
elle finit par parvenir à lever sa charge, sous le
regard immobile des hommes. Elle paraît fourmi sous
une cargaison trois fois plus grosse qu'elle. Seule une
autre femme s'approchera pour l'aider, lui laissant ensuite
glisser entre les lèvres un filet de liquide issu
du contenu d'une courge, à la manière d'une
gourde de nos bergers du midi.
Les différentes ethnies du pays se distinguent, extérieurement,
à leurs vêtements. En particulier les Danakils,
membres représentant des tribus assez spécifiques
de porteurs de sel, sont vêtus de tuniques de la couleur
du sable, marcheurs permanents. Les femmes adoptent une
coiffure différente également selon leur origine,
avec une longueur qui les identifie, ou un style de nattes,
une coupe variable qui permet de les distinguer.
Dans le sud de la vallée, les femmes vont fréquemment
seins nus sur les chemins, parées de longs colliers,
traduisant des modes de vie plus anciens. Sur les marchés
de petits villages, des vendeurs proposent généralement,
à l'usage des hommes, des courges emplies de sang
de chèvres, qui sont présumées leur
procurer virilité et force.
Au bout d'un chemin pentu, comme enroulé en spirale
douce au creux d'un entonnoir de cultures en terrasses pauvres
et desséchées, se dresse une espèce
de lieu sacré, ou à vocation particulière.
On distingue sur cette sorte de place ronde quatre totems
alignés, taillés de façon un peu rudimentaire
dans des planches sculptées, et peintes, qui représentent
une famille, père, mère et deux jeunes, comme
un symbole de la vie et de la reconnaissance, bien plus
que comme un lieu de sépulture. Des années
plus tard, je serai frappé, bien loin de là,
dans une des îles Loyauté jouxtant la Nouvelle
Calédonie, de l'identité d'alignements totémiques
avec probablement la même signification, tribale là-bas,
de figurines taillées dans un bois gris.
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Un lieu de passage
d'histoires successives, d'entrecroisements du monde
L'Ethiopie demeure un
de ces endroits du monde qui frappe par la persistance
d'un mystère, lié à un remue-ménage
des siècles depuis une antiquité de l'humanité
probablement très ancrée dans les racines.
L'Afrique est de plus en plus en passe de livrer progressivement
les clefs de tant de traces des origines de l'humanité,
entre ces squelettes fossiles de l'est, ces peintures
rupestres du sud, et ces réunions probables de
pistes orientant vers les tout débuts de l'homme.
Et puis cette corne Nord-Est a conservé aussi tant
de traces de civilisations antiques, de religions décrites
dans les premiers textes, d'allusions trouvées
dans les sources de la chrétienté, et d'autres
formes de théologies et de cultes, avec la proximité
relative des grands lieux de l'Islam, du Moyen-Orient,
de lieux mythiques comme la Mer Rouge.
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Lorsqu'on
observe, au pied de leurs villages à cases rondes
couvertes de chaume, les femmes superbes et nobles de l'Omo,
fières de montrer leurs enfants, ou quand plus loin
à l'écart on doublera des files incessantes
de ces déambulateurs pédestres, de ces femmes
d'un autre âge dénudées, c'est de nouveau
une autre direction que prend cette Afrique là. Celle
d'un sud encore plus lointain, qui aboutira plus bas, Tanzanie,
Kenya, vers les Massaïs et autres étonnantes
civilisations.
L'Ethiopie ouvre une palette qui couvre des nuances surprenantes
car elles vont des grosses villes grouillantes de commerces
et de trafic, à la relative modernité au moins
dans l'idée et la conception, celle d'un chemin de
fer si rare, en sinuant au travers de villages si pauvres,
de cultures sacrifiées, de populations affamées,
et d'une espérance de vie réduite.
Il est patent que les traditions, le poids des décennies
de pouvoir en place sans la moindre capacité de contre-poids,
comme tant d'Etats Africains ont pu le connaître,
et ensuite les conflits militaires et de pouvoir stratégiques
d'un siècle ont créé au fil du temps
un curieux mélange entre passé historique
fourni et préservé et avenir assez massacré.
Juste comme un clin d'œil, tandis
que je relis, fin Mai 2002, ce texte, un flash sur une radio
annonce que l'obélisque de Rome, qui provient d'Ethiopie
et des vestiges de l'empire Aksoum, aussi, et fait l'objet
d'un litige et de réclamations permanentes entre la
République d'Ethiopie et l'Etat Italien, vient d'être
victime d'une décharge de foudre, qui a provoqué
des dégâts sur sa pointe. Amusant lien de rappel
entre le vieux pays occupé et le passé militaire
de la Botte. Coup de foudre pour un Empire, contre bruits
de bottes des conquérants.
Jacques Blais
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