Voyages
retour sommaire                                     La santé est notre affaire à tous
 
GALAPAGOS :

Qui riment avec Albatros


Jacques Blais
 
 

Nous aurons l'occasion d'en reparler à propos des Iles en général. Celles du monde sont réparties en géologiques, historiques, botaniques, touristiques, on pourrait ainsi ajouter bien des définitions, comme en plaçant à part des Iles Mystérieuses, si ces appellations n'avaient déjà inspiré bien des auteurs, y compris Hergé.

Les Iles Galapagos me paraissent exprimer le mystère du règne animal, comme celle de Pâques ou bien les Marquises nous parlent de l'Homme.

Et c'est un peu ainsi que l'on aborde cet archipel, à travers une ambiance qui est tout sauf celle d'un débarquement, d'une horde touristique, d'une transhumance saisonnière de porteurs de shorts et de T-shirts à inscriptions. Pour aborder les Galapagos, un silence feutré est utile pour préserver les animaux, n'effrayer surtout aucune espèce, protéger les nidations en cours, une sorte de recueillement est indispensable pour respecter le travail de tant de chercheurs depuis Darwin, une extrême prudence pour regarder où l'on met les pieds, comment on propulse son corps d'humain sur le territoire de la faune, accorder aux espèces qui vous accueillent chez elles une immense attention déférente, car elles ont fait preuve de capacités d'adaptation et de survie étonnantes.
Opinion personnelle : mieux vaut, de loin, arriver dans l'archipel à bord d'un petit bateau comme en proposent des voyagistes ou des associations respectueux de l'environnement et de la vraie découverte, il faut alors chercher un peu dans les recoins hors catalogues classiques, mais il en va de même pour visiter des déserts sublimes ou des lieux complètement ignorés de la planète. Tout existe, depuis le paquebot de croisière classique qui touchera trois îles à toute allure, débarquant ses lots de passagers multicolores par paquets de 100 comme aux ïles Grecques ou en tant d'endroits du globe, avec alors une quasi impossibilité de découvrir autre chose que le sentier court « industrialisé », jusqu'au voilier des amateurs fortunés. Nous avions eu la chance, recherchée longtemps malgré tout, de bénéficier d'un bateau très bien équipé de 15 passagers dans des cabines, avec un personnel de bord performant et aimable.
Une note de départ : les 13 autres passagers étaient des américains d'une seule et même famille, de trois générations. Nos partenaires et voisins d'outre atlantique présentent tout comme nous bien des défauts, mais autant de qualités. Au nombre de ces dernières cette forme d'audace innovante qui les fera économiser pour s'offrir un collectif, pour les 70 ans de grand-père, ou les 40 ans de mariage, ou simplement pour le bonheur, qui emportera tout le monde à la découverte fantastique de la Terre. En discutant avec eux largement, les deux générations de parents insistaient tellement sur cette capacité d'adaptation d'un enseignement pour les enfants. Plusieurs d'entre eux, présents ici, âgés de 8 à 12 ans, manquaient évidemment l'école. « Et alors, insistaient leurs aînés, n'apprendront-ils pas ici infiniment plus de la vie, de l'observation ? Ils vont prendre des notes, dessiner, capturer sur des clichés les oiseaux et les animaux, s'intéresser à mille détails, et ils proposeront tous, dans leurs classes respectives, c'est entendu avec leurs enseignants, des exposés pour leurs camarades moins chanceux, qui même s'ils les envient leur seront aussi reconnaissants »
De fait, ces enfants ont été d'un bout à l'autre captivés, posant d'innombrables questions aux guides de la Fondation Darwin, s'intéressant à tout, motivés et curieux, amusés et passionnés par cette sorte de musée en plein air de la faune terrestre, aérienne, et marine.

 

Un archipel sur l'équateur

Comme à l'habitude, ce qui sur une planisphère semble si petit, des îles proches à se toucher, revêt une toute autre réalité sur place. Le bateau va naviguer de nuit d'une île à l'autre, laissant ainsi la journée pour des visites complètes, tranquilles, lentes, des sites à découvrir.
L 'archipel des Galapagos appartient à l'Equateur. Occasion excellente de visiter Quito cette ville étonnante nichée à 2800 mètres d'altitude, remontant la pente des montagnes de ses rues à angle droit, et protégée comme tant de cités sud-américaines par une immense vierge étendant ses bras au sommet de la colline principale. L'aéroport de Quito, comme celui de Hong-Kong par exemple, est situé dans les immeubles, carrément, atterrissage de précision et nuisances sonores pour les habitants.
Si on dispose du temps pour cela, escapade chez les voisins de Colombie, la ville de Bogota à la fois misérable et noble, les mines de sel spectaculaires.
Et le passage obligé au petit monument amusant situé juste sur la ligne de l'Equateur, où malgré toutes les connaissances climatiques d'inversion de saisons, de géographie d'altitude, on rit de grelotter dans un vent frisquet sur l'équateur, réflexe d'européen irréfléchi.
Les paquebots ou les avions pour les Galapagos partent de Guayaquil, la ville basse au plan carré plus que classique, cernée de quartiers pauvres et défaits.
L'archipel des Galapagos est constitué de 13 îles, qui ont pour première caractéristique de s'avérer différentes dans leur flore, leur faune, leurs reliefs, et d'avoir ainsi permis à Charles Darwin, né en 1809 et mort en 1882, d'y appliquer ses principes chers moteurs de ses recherches, à savoir essentiellement l'évolution des espèces selon le lieu et le temps, et la sélection naturelle. Découvertes en 1535, les îles n'ont attiré l'attention, et les intérêts d'abord des baleiniers puis des pêcheurs de tortues de mer que dans le XIXème siècle.
Certaines des îles sont équipées, habitées largement et supportent un commerce et des industries de pèche, d'autres ne sont visitées que pour leur faune. Elles présentent aussi des surfaces très variables et si elles trouvent leur origine dans le volcanisme, le résultat sur leur sol est différent d'un endroit à l'autre. Lave brute ici, cratères de volcans là, et repousse ailleurs d'une végétation plus touffue. Elles ont été baptisées comme tous les archipels du même genre de noms hispaniques d'inspiration religieuse, Isabela, Santa Cruz, San Salvador, mais quelques unes font allusion à leur production tropicale, comme Floreana.
Une prise de conscience nécessaire, de nouveau, à la première tentative pour tester l'eau de la superbe île d'Isabela, à la vaste présentation de deux baies contiguës séparées par un pic de lave résistant, sorte de mât. S'il fait un bon 30° à terre, la mer est froide, le courant de Humboldt joue son rôle, apportant du sud des eaux plus fraîches. Ce fait ayant pour conséquence, et c'est ainsi que tout s'emboîte, s'entraîne et se connecte, aux Galapagos, d'autoriser certaines espèces de « pingouins » si tant est que l'on se résolve à confondre ou mélanger les manchots et les porteurs de smokings patauds, tout à coup si vifs une fois à l'eau, à survivre en prenant l'habitude, au fil des générations, de réduire les échanges thermiques en diminuant leur taille.

 
 


Des oiseaux de toutes les couleurs

Prenons, comme il a été annoncé, le parti de retenir de ces explorations l'aspect d'une découverte globale, de sensations et d'émotions, en s'épargnant un catalogue île par île de la faune, pour garder un esprit global susceptible d'illustrer les principes d'adaptation décrits par Darwin.
Les frégates dont les mâles se rengorgent d'un merveilleux jabot écarlate pour séduire leurs belles cohabitent sur certaines îles avec des espèces plus banales, dérivées des mouettes et équivalents. Tout ce monde aviaire doit partager le terrain, et manger à sa faim sans entrer en guerre. L'adaptation a consisté à pratiquer les trois huit sur un territoire de chasse identique. Des oiseaux diurnes sont devenus nocturnes pour travailler la nuit à chercher leur nourriture. Première adaptation. Suivie d'une autre, liée non plus aux horaires mais à l'équipement : pour se repérer la nuit les uns les autres, certaines espèces ont vu apparaître, près de leur œil, une tache blanche luminescente qui les rend identifiables de nuit pour leurs congénères. Simple exemple.

Autre illustration : les pinsons originaires d'Angleterre ou d'Europe, venus sur place sur les bateaux des grands navigateurs, ont dû modifier leur bec en fonction du sol rencontré lors de leur immigration. S'ils ont débarqué et établi leur campement sur l'île à végétation haute, arbustes et mousses, terrain meuble, leur bec a poussé pour atteindre les anfractuosités des failles et les bourgeons. Ceux qui, à l'inverse, se sont intallés sur des îles de lave et de rocher ont réduit la longueur de leur bec, pour attraper des corpuscules et mollusques, des brins de végétation dans les fentes.

La première catégorie spectaculaire d'oiseaux, fréquente, est celle des fous. Notre Europe reconnaît les fous de Bassan, aux Galapagos vivent des fous à pattes bleues, et des fous à pattes rouges, dont on a véritablement l'impression qu'ils viennent de tremper leurs palmes dans un pot de peinture. Ces fous volants dans leurs drôles de pointures plongent avec une soudaineté incroyable, passant d'un vol plané tranquille à une attaque en piqué terminée dans la mer, dont ils émergent peu après, un poisson dans le bec. C'est un spectacle extraordinaire et très plaisant.
Outre les frégates citées, de très nombreux oiseaux à bec de toutes formes et aspects, des échassiers, des palmés, de multiples variétés cohabitent ou sont spécifiquement établis sur telle île, tel territoire.
L'Etat d'Equateur a accompli un travail considérable pour préserver ce vivarium.
Tout est prévu pour transformer en observatoire recueilli chaque visite. Un maximum de quinze personnes sont autorisées en un passage sur un site. Lorsque les petites annexes adaptées nous débarquent sur les lieux, les chaussures des participants sont lavées par projection d'eau de manière à éviter d'apporter de l'île précédente des bactéries et organismes étrangers au nouveau site. Chaque visiteur se voit remettre un sac à accrocher autour du cou, devant la poitrine, pour y placer les papiers, emballages de pellicules, et même les brins synthétiques issus éventuellement de vêtements, fils de boutons, laine et autres débris. Ceci toujours pour ne pas risquer de modifier l'écologie locale. En imaginant bien qu'un fil de tergal importé sur une île créera une anomalie, que la paille des semelles d'une île voisine mais différente apportée sur un sol de nature autre modifiera la réactivité végétale, et par contre-coup ultérieur, animale.
Les guides locaux signalent toute approche inadaptée d'un endroit, comment passer à l'écart des nids, loin des zones de reproduction. De ce fait, les oiseaux ignorent la peur, n'ayant jamais senti de menace de la part des humains, et si naturellement il est interdit de les toucher, on les côtoie au plus près, à quelques centimètres parfois.
Avant de descendre à terre, juste après le petit déjeuner, le guide de la fondation Darwin qui voyage avec les passagers, toujours disponible pour des réponses, illustre de dessins ou de photographies les prévisions de découverte de la faune, explique, prévient et prévoit. Ce sont souvent des étudiants étrangers, Hollandais, Suédois, qui pratiquent un anglais parfait, et savent tout sur les lieux, leurs habitants, leur histoire.
Une des îles, Santiago à l'allure paisible et romantique, abrite une réserve de flamants roses dont les nidations sont signalées, balisées et protégées. Pour les fameux albatros, il faut un haut relief qui permette leur envol laborieux. Qui rappelle aux adeptes du parapente les nécessités de leur élan, en un mouvement de course sur un dévers qui donne dans le vide créé par une falaise, souvent. L'albatros présente la même démarche un peu pataude, s'ébrouant en progressant vers un a pic d'où il se lâche. Et son vol alors devient merveille, lenteur, ampleur, beauté, majesté, le volatile à la plus grande envergure se fait ensuite plaisir, très longtemps, à éblouir les spectateurs et à dominer les lieux.
Un oiseau d'un blanc absolu est, à l'inverse, d'une rapidité extrême, l'oiseau de paradis, que d'autres latitudes comme La Réunion nomment par exemple paille en queue. Un oiseau racé, félin, au fuselage prolongé d'une longue tige blanche. Le photographier même à grande vitesse est très difficile, souvent la seule manière est de se laisser survoler et de le capter à son passage à la verticale au dessus de l'objectif, en ratant dix clichés pour une réussite de plaisir.

Enfin, dans le domaine de la survie des oiseaux, une place à part sera faite aux hiboux, dont une île garde une famille bien acclimatée. On peut supposer quelque pirate parvenant sous ces latitudes avec ce volatile sur son épaule ou quelque vergue, et cette espèce inventant ses propres ressources et modifiant son mode de vie jusqu'à se reproduire au fil des siècles sur un territoire bien inhabituel.

 
 


Des iguanes et des lions de mer

Les îles Galapagos sont aussi très renommées comme ultime repère de la survie des iguanes. La plupart sont marins, sortes de gros lézards noirs courant partout sur les rochers des berges. Des milliers de survivants d'une ère ancienne, qui témoignent de leurs propres capacités d'adaptation. L'iguane, pour lutter contre la chaleur ambiante, se soulève des laves quand elles le brûlent, aérant son corps, il modifie son rythme respiratoire, se baigne pour se rafraîchir. L'iguane est incontestablement un élément vivant d'étrangeté sur cet archipel, baladant son corps plissé rugueux à reflets rouges quand il a écorché sa peau sur les craquelures des laves, en troupeaux furtifs et paresseux si typiques. Il est entouré, au bord de l'eau, par des quantités de crabes rouges grouillant parfois. Et des phoques. Là aussi, les langues et les négligences de précision appellent assez indifféremment otaries, phoques, lions de mer, ces mammifères d'eau devenant aisément habitués aux humains, au point ici de partager les baignades sans aucune difficulté.
Plusieurs endroits du monde offrent ainsi des rassemblements nombreux de ces animaux, comme la côte Namibienne, la côte Péruvienne, la Patagonie, ou ces Galapagos.
Parfois, entre une flaque d'eau de mer scintillante, un vaste pâté de lave noirâtre fendillée, des branchages morts amenés sur une langue de sable par la marée, s'observent, partageant le terrain sans conflit, trois phoques, une cinquantaine d'iguanes entourés de crabes orangés, une frégate rengorgée de rouge vermillon, plusieurs oiseaux gobeurs de crustacés et de mollusques, deux échassiers à l'allure hautaine, un cormoran et un couple de fous…. La vie sous sa forme à la fois résiduelle et persévérante, exemple de cohabitation et de réadaptation permanente, illustrant la capacité des vivants à renouveler leurs espèces et à modifier leurs mœurs selon les circonstances.

Les iguanes terrestres sont beaucoup plus rares. Plus impressionnants par leur volume, leur corps massif et si lourdaud, leur gueule d'un autre âge, leur couleur et leurs reliefs cutanés passe-partout. Différents des varans aperçus en Australie par exemple. Et c'est la végétation qui a été contrainte à s'adapter. Le cactus candélabre a adopté une croissance modifiée, ses premières feuilles hérissées de piquants démarrant bien plus haut que dans les contrées dépourvues de ce type de bêtes qui viennent gêner leur pied en s'y frottant sans cesse.
La végétation de ce genre de territoire est pauvre, repoussant au fil des siècles sur les failles des laves dont on connaît la tendance fertilisante. Des mousses vertes, orange, rousses, des arbustes bas, quelques rares arbres à graines, des buissons et des plantes grasses aquatiques. En une berge d'île dont un cratère volcanique ancien, communiquant avec la mer par un siphon, s'emplit et se vide d'une eau verte très riche, des haies d'arbres malingres malgré tout sont parvenus à prendre pied.

Un monde biologique

Un moment est nécessaire, au fil d'un séjour de découverte, pour réaliser à quel point on se trouve sur place en un monde animal, végétal, biologique. Et pour comprendre, selon sa nature personnelle, que les humains peuvent nous manquer alors.
Même sur les quelques trois îles nettement habitées, et rassemblant agriculture, pêche, commerces, l'occasion est rare de profiter des relations avec la population. Tout est organisé, ici, pour que le règne animal soit privilégié. La Fondation Darwin s'est développée progressivement et a installé des bases très bien équipées, avec des programmes permanents d'étude et de recherche.

Mais cet environnement de réserve animalière si particulière crée cette atmosphère à l'ambiance quasiment recueillie, feutrée, et les voyageurs ont en permanence tendance à parler bas, chuchoter, marcher avec précaution. C'est en réalité la part de mysticisme, plus encore que de vrai mystère de ces îles un peu à l'écart dans le monde, que de promouvoir à ce point le respect des animaux de tous les règnes, des végétaux adaptés, et d'amener les humains à se percevoir en visiteurs étrangers. Témoin cette scène, lorsqu'en bordure de plage l'aileron d'un requin s'identifie. Dans le « faites attention, de ce côté il y a des squales » du guide, les candidats à la baignade, refroidis à tous les sens du terme, entendront ici « ne leur faites ni peur ni mal », quand dans une situation identique, vécue sur une plage australienne, ou en Nouvelle Calédonie, les amateurs de sable et de bain auront pris leurs jambes à leur cou, en comprenant aussitôt « sauvez votre peau et sortez de l'eau tout de suite ».

Cette répartition des îles de la Terre répond finalement bien à des diversités, liées à des axes qui varient totalement. Entre l'histoire ou le passé des îles méditerrannéennes, la géologie corallienne avec ses paysages de bords de mer incomparables du Pacifique des atolls, le rôle dans les navigations trans-océaniques des Açores ou du Cap-Vert, les civilisations si mystérieuses des peuples maoris de Pâques ou des Marquises, le volcanisme réhabilité et réhabité des Antilles ou de l'Océan Indien, cet archipel si particulier des Galapagos trouve une justification complètement autre. Celle d'une vitrine du monde animal, avec son propre mystère et ses recherches supportant depuis deux siècles les théories du Darwinisme. En oubliant, un temps, les hommes qui ne deviennent plus tant acteurs qu'observateurs.
Ou si rapidement et prestement prédateurs, lorsqu'il s'agit des tortues de mer, par exemple. Combien de lieux, cette plage des Hattes en Guyane, le belvédère de Poum en Nouvelle Calédonie, ou la pointe sud de Santiago au Cap Vert, dont les tortues peu à peu sont menacées de disparition, tant les commerçants braconniers les guettent et les volent lors de la ponte. Aux Galapagos, où l'animal est roi, préservé, choyé, protégé, les tortues persistent à vivre vieilles, comme des témoins du monde durable.


Jacques Blais

 
  Tous droits réservés. © François-Marie Michaut 1997-2004