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 N° 510
 
 
 
    6 août 2007
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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André Bourguignon  

Photo de l'auteur Docteur François-Marie Michaut lui écrire

La LEM 509 a été consacrée à une conférence sur la transdisciplinarité. Il se trouve que j’ai bien connu André Bourguignon, et je voudrais ici porter un témoignage strictement personnel de ce que j’ai vécu avec lui au cours de mes études de médecine. Le service hospitalier dont il était le patron ( ainsi nommait-on les médecins chefs des services ) était bien modestement destiné à accueillir des malades chroniques quand leur état ne justifiait plus leur maintien en service de médecine ou de chirurgie d’un hôpital de Paris, sans qu’ils soient capables encore d’aller en maison de repos ou de rentrer chez eux. L’établissement dénommé Albert Chenevier (1), dépendant de l’Assistance Publique, se situait en 1965 dans un Créteil encore embryonnaire. Le CHU Henri Mondor n’était qu’un vaste chantier incompréhensible entouré d’horribles barricades.

retrouver la confiance

 Étudiant en avant-dernière année d’études de médecine, et nommé externe, j’ai choisi ce poste un peu atypique. Mais, je voulais déjà devenir généraliste, et les services hyperspécialisés ( déjà ) que j’avais fréquenté comme stagiaire ne m’attiraient pas. Je doutais déjà fortement de leur rôle formateur pour mon projet personnel. Donc, un beau matin, je rencontrai André Bourguignon. Homme de haute taille, un peu voûté, avec ses cheveux ondulés déjà bien blanchis tirés en arrière, drapé dans une blouse blanche et ceint du long tablier impeccable, il ne manquait pas de panache. Ajoutez-y la traditionnelle capote bleue de l’Assistance Publique négligemment jetée sur les épaules, et une voix aux graves sonorités slaves, voilà une fière allure.

restaurer la conscience

Le plus étonnant fut alors ce qu’il était demandé aux nouveaux externes. Les dossiers étaient déjà énormes après les séjours hospitaliers antérieurs, les soins à donner restaient plutôt modestes, nous avons eu comme mission prioritaire de parler avec les patients. Parler sans limitation de temps, sans obligation de choix de l’interlocuteur, sans obligation de demeurer dans un domaine strictement médical ou technique et sans le moindre souçi de ... rendement. Quelle surprise quand on a été pendant déjà des années été dressé à l’examen clinique dans lequel les paroles du malade sont strictement limitées au classique interrogatoire. Et facilement suspectées par les médecins de manquer de sérieux, donc de fiabilité. Soudain, nous pouvions passer une demi-heure, une heure ou deux heures à écouter un patient. J’ai vécu cette liberté comme une marque de confiance du patron à notre égard, comme à celui des patients du service. Cela n’empêchait pas André Bourguignon de nous encourager vivement à présenter le très sélectif concours de l’internat des hôpitaux de Paris, pour que nous apprenions au mieux notre métier. Là, je dois avouer que j’ai désobéi en fuyant cette direction, tout en admirant le savoir-faire clinique de ce neuropsychiatre, capable de localiser de façon précise toute affection neurologique sans l’aide d’aucune investigation complémentaire. En vérité, l’imagerie, en dehors des rayons X, avec injections de lipiodol ou de gaz dans les ventricules cérébraux, n’existait pas encore.

renforcer la compétence

Neuropsychiatre, ce patron n’exerçait pas en tant que tel dans le service de malades chroniques. Psychanalyste, fort lié à Freud, il cherchait comme lui à relier la psychanalyse à la science. Il s’était engagé dans des recherches de neurophysiologie sur le sommeil, dont il nous parlait souvent. Professeur, il l’était aussi, ce qui voulait dire qu’il avait réussi le très difficile concours de l’agrégation de médecine. Et, ironie des carrières comme elles étaient et des choix des postes, il était professeur de Médecine du Travail à la faculté de médecine de Paris. Il n’exerçait pas la médecine du travail, mais il avait un cabinet privé dans le quartier latin dont il s’occupait l’après-midi. Et là, c’est la psychiatrie et la psychanalyse qu’il pratiquait.
Le plus extraordinaire dans son service était la réunion du mercredi. Là tout le monde des blouses blanches, y compris les infirmières et aides soignants, se retrouvait autour d’une grande table dans une salle incroyablement enfumée. On y parlait beaucoup, Bourguignon, Gitane bleue au coin de la bouche, animant nos échanges. On y parlait de tout, on y posait beaucoup de questions. Notre patron, qui exerçait aussi des fonctions dans la rédaction de la revue La Semaine des Hôpitaux ( et y écrivait volontiers ) nous distribuait le dernier numéro. Puis venait le temps de la présentation par l’un d’entre nous d’un exposé préparé à l’avance sur un sujet proposé par le patron. Là, il pouvait être question d’un roman, d’un film, des diagnostics médicaux chez Balzac, d’une pièce de Pirandello, ou des oeuvres de Mélanie Klein sur la psychanalyse infantile, à moins qu’il ne s’agisse des études anthropologiques de Margaret Mead sur les tribus de Nouvelle-Guinée ou Conrad Lorentz et ses oies. Bien entendu, Balint était à l’honneur, ainsi que René Dubos, ce père méconnu de l’écologie.
Enfin, un café ou un verre de bouillon, cérémonieusement servi par la surveillante du service mettait traditionnellement fin à ces séances fort peu conventionnelles de formation tous azimuts des soignants.
Ayant fait le choix de partir au Tchad comme médecin de brousse pour accomplir mon service national, j’ai demandé à André Bourguignon d’y consacrer ma thèse de doctorat. Ce qu’il a accepté avec une grande gentillesse, en me laissant totalement libre et du sujet et de la façon de le traiter. Cela devint un travail sur ma pratique médicale, accompagné de nombreuses diapositives qui furent aussi passées dans le service.
Voilà de quelle manière il m’a semblé que Bourguignon vivait, et faisait vivre autour de lui à qui le voulait bien, sans faire de cours ni de discours cette notion de transdisciplinarité qu’il a théorisée bien longtemps plus tard comme l’a montré la LEM 509.
Enfin, et ceci n’est probablement pas un hasard, en écrivant ce témoignage, je réalise pour la première fois que la formation que j’ai eu la chance de recevoir alors pouvait se résumer en trois phases, et en trois phrases inventées par Jacques Blais ( ils ne se connaissaient pas) qui vous diront quelque chose :
- Retrouver la confiance
-Restaurer la conscience
-Renforcer la compétence

NDLA : Je n’ai pas la moindre idée de qui a bien pu être cet Albert Chenevier.

 


Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :« Freud a trouvé le sexe relégué dans un hangar et il l’a installé comme un invité d’honneur au salon. »
Beran Wolfe


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Lire La LEM 509 La question de la pluridisciplinarité Françoise Dencuff

Lire La LEM 508 Soignant, sois toi-même François-Marie Michaut

Lire La LEM 507 Le malade, le médecin et l'ordinateur Françoise Dencuff