Méditations,
médication
et médiation

10 février 2014
Docteur François-Marie Michaut
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Quelle ne fut pas ma surprise, en faisant mes premières armes médicales, de constater que l'abondant jargon des hommes de l'art se gardait comme de la peste du mot de mort. Ne jamais prononcer ce terme au pied du lit d'un malade pour ne pas l'effrayer. Consigne impérative. Alors, hypocrites que nous étions, l'issue fatale devenait, dans nos échanges au moment de la traditionnelle visite, en grand cortège tout de blanc vêtu, ou dans la rédaction de nos observations, l'exitus. Au même titre que le redoutable cancer, l'un de ses fidèles et redoutés pourvoyeurs, devenait devant les malades «une mitose». Compassion vraie ou pas, paternalisme de paccotile ou non, peu importe.
L'image d'Épinal du médecin consacrant sa vie à lutter contre la mort de ses patients n'a vraiment pas simplifié les choses dans nos têtes. Le spectacle d'aînés dans nos hôpitaux «oubliant» de pousser la porte de la chambre des moribonds ou «sautant leur lit» en regardant ailleurs, quel étudiant ne l'a pas observé. De quoi se poser des questions. Médecine et mort, un couple inséparable, mais une cohabitation orageuse.

Toujours bousculés par les obligations de ce métier, pas vraiment comme les autres, les médecins ne sont guère disposés à consacrer quelques instants de leur vie pour réfléchir à la mort, celles de leurs patients, de leurs proches ou... d'eux-mêmes. L'alibi est en béton, mais le silence intérieur apparent autour de cette redoutable mort est un plomb pour l'esprit comme pour l'action. Si un jour, et il en est question, il est demandé aux praticiens de mettre leurs compétences au service de certaines fins de vie programmées, avant d'y contribuer, il faudra être bien clair avec sa propre conscience personnelle.

Voilà pourquoi le livre de François Cheng «Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie» tombe à pic. Court (167 pages), remarquablement écrit, cet ouvrage va à l'essentiel en se libérant du schéma académique traditionnel.

    L'auteur, âgé de 88 ans, puise dans sa double culture chinoise et française ce qu'il a trouvé de meilleur et de plus tonifiant pour que la mort ne soit plus dans nos esprits le point final inéluctable d'une vie elle-même dépourvue de toute signification.
Double souffle complémentaire ne faisant appel à aucun prosélytisme idéologique, ni à aucune recette comportementale : la liberté totale du lecteur est respectée.
La forme de la méditation publique dont le texte n'est que la mise en forme imprègne le propos de ce que les auditeurs ont amené eux-mêmes en retour par leur écoute.
«La mort, autrement dit la vie» titre heureusement Cheng pour nous entrainer sur un terrain capable de nous apaiser, ce n'est pas une simple formule paradoxale.
Pour qui s'intéresse de près ou de loin au vivant, c'est une évidence. Les cellules nous constituant ne cessent de mourir, et ce n'est que de cette mort que peut survenir la vie. Sans un ovule et un spermatozoïde qui ont cessé d'exister pour que naisse de leurs restes un être, personne ne serait ici.
   Alors, oui, le livre de François Cheng, heureusement couronné par ses remarquables poèmes en guise de cinquième et ultime méditation et orné d'une calligraphie de sa composition en couverture est bien un remède et un agent de médiation puissant entre des soignants confrontés régulièrement à la mort et des êtres humainement rongés par la peur de la mort ou le chagrin de la mort.

Tout cela vous semble bien triste ? Lisez, et vous verrez qu'il n'en est rien. Et comme la réalité sait souvent ne pas manquer d'humour, notre cher auteur du jour, en tant qu'académicien français, a droit au titre très officiel d' «immortel». Joli pied de nez, en vérité.



Retrouver la confiance

 

Restaurer la conscience


Renforcer la compétence


Os court : « Devoir attendre sa mort pour pouvoir vivre, voilà un vrai tour de force ontologique.»
Robert Musil (1880-1942)

Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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