Ignorance,
maladie curable

23 juin 2014
Docteur François-Marie Michaut
lui répondre

Ne pas savoir, c'est ce que dit le in-noscere antique originel qui s'est francisé en ignorer. Il est habituel d'en affubler les nourrissons et les enfants, avant que la machine culturelle à apprendre, c'est à dire sous nos cieux la famille et surtout l'école, ne leur soit imposée. Aux innocents les mains pleines prophétise le proverbe. Les innocents, ceux qui ne savent pas. Ceci n'a pas empêché la chrétienté catholique de nommer ainsi à sa tête romaine une série de 13 papes homonymes.

Tout médecin, quelque peu rompu à son métier et à l'écoute de ses patients, demeure frappé par la méconnaissance stupéfiante des choses du corps, des maladies et des sciences en général d'une énorme fraction de la population. Le discours convenu, directement issu des médias ou de l'Internet, ne peut pas faire illusion : sous les mots, il n'y a pas grand chose d'autre que des croyances vagues et des opinions troubles.
Le plus surprenant pour les soignants est que ce niveau d'ignorance n'est absolument pas proportionnel au niveau d'études ou de qualification professionnelle.

Inversement, qui n'a pas rencontré ces personnages inébranlables dans leurs convictions qui savent absolument tout, mieux que les médecins, de la médecine, des maladies, de leur traitement ? Peut-être est-ce une erreur personnelle, mais il me semble que, jadis, ces patients difficiles à soigner sans perdre patience étaient souvent des membres du corps enseignant. Les transmetteurs de connaissance auprès des enfants se laisseraient-ils facilement prendre à un mirage ? Celui de prétendre posséder LA connaissance, enfin la seule sérieuse, celle qui a reçu le label académique.

La science est triomphante, les applications qu'en font chaque jour d'avantage les techniques sont époustouflantes. Quant à laisser entendre que là réside la limite indépassable du savoir humain, l'espace est minime. Les merveilles spectaculaires frappent infiniment plus les esprits pressés que les doutes des professionnels des sciences. Chercher, c'est passer sa vie à se tromper pour atteindre, peut-être, le jour où la réussite est au rendez-vous. Et, à partir de là, tous les efforts seront déployés par les collègues pour dépasser encore ce qui a été à un moment donné la pointe extrême de la connaissance scientifique. Le savoir n'est pas un acquis monolithique plaçant ses «possesseurs» au dessus du lot des autres. Ce n'est qu'un flux dynamique toujours en devenir. Ceux qui sont désignés par l'étiquette honorifique de celui qui sait (docteur) devraient être bien placés pour ne jamais le perdre de vue.

Une fois encore, mais il n'y a là aucun hasard, juste une nécessité, c'est encore Jean-Loup Dabadie un poète et parolier de Jean Gabin en 1974 qu'il nous faut écouter.
« Ce que je sais, c'est que je ne sais rien ».

   Que par prudence médicale l'adage Primum non nocere reste dans les têtes.
Mais, ce ne serait pas inutile, en ces temps où les dégâts de l'obscurantisme ensanglantent la planète, de se forger une autre devise infiniment plus audacieuse : Primum noscere (1). D'abord savoir.
Magie des lettres, juste un petit s en plus entre les deux verbes, et de la nuisance qui tue nous versons dans la connaissance qui fait vivre.



Note :
(1) Noscere est à la racine des mots cognition, gnose et, pour les anglophones, du verbe to know. NDA.



 


 

Retrouver la confiance

 

Restaurer la conscience


Renforcer la compétence


Os court : « La vraie science est une ignorance qui se sait. »
Michel de Montaigne
Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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