Abécédaire 4
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suite de l'Abécédaire

Abécédaire médicalement poètique

Serge RATTEL, docteur en Médecine

GIORGIO

 

 

Primesautier, un feu follet,

Aimant le sport, chanter, danser ;

D'un naturel, vif, enjoué,

Propre à séduire ou entraîner.

 

Ayant vécu aux colonies

Durant des lustres, une demi-vie,

Des anciens conteurs à l'instar,

Gardait mémoire des racontars.

 

Aux anecdotes joignait le geste,

Mêlait la fougue au manifeste,

De rire la collégialité.

 

Dans un syndrome de glissement

Au crépuscule, furtivement,

Quitta un monde d'absurdité.

PAUL

 

 

"Mémoires d'un âne"* est apparu

Dans mon esprit comme une image

Y associant un enfant sage

Sur bancs d'école, du déjà vu !

 

 

Paul et son âne se coltinaient,

Tentant de se mettre à l'abri

D'un nid d'insectes mal appris,

Décidés à les butiner.

 

 

Aventure des plus pittoresques

S'inscrivant dans une de ces fresques

Que le praticien peut croquer.

 

 

La visite fût vite expédiée,

Bourdons et médecin congédiés,

"Sécurité** non escroquée.

 

Comtesse de Ségur

**Sécurité sociale

 

ADÈLE

 

 

Fidèle patiente, on se revoit

Dans de funestes circonstances

Pour le trépas, fin d'existence

De Venant dont s'est tu la voix.

 

Mère providence de tous les chats

A cent cinquante lieux à la ronde,

Adèle leur a créé un monde,

Famille et gîte sans l'achat.

 

En soixante ans de vie commune,

Pas d'amertume ni de rancune.

Décennies de compréhension.

 

Chemin de croix, frôlement de coeur,

Bonheur durable, sort de faveur

Se perdent dans l'inhumation.

MARTIN

 

 

 

Il était maire de sa commune

Indifférent à la fortune,

Sans même y faire quelques choux gras

Besogne ingrate du lauréat.

"Pauvre Martin, pauvre misère."*

 

 

D'un naturel très asthmatique

Comme d'autres sont charismatiques,

Il profitait de l'air des champs

Non pollué, en se cachant.

"Pauvre Martin, pauvre misère."

 

 

Comme indigent propriétaire,

Il cultivait la pomme de terre

Qui fut frappé par le mildiou.**

"Pauvre Martin, pauvre misère."

 

 

Sentant trop tôt sa fin venir

Il me demande d'intervenir,

Moi qui ne suis qu'un pousse-cailloux.

"Pauvre Martin, pauvre misère."

 

 

Je fis de mon mieux, pas grand chose,

Un peu de ce qui recompose

Afin qu'il reposât "tout doux".

"Pauvre Martin, pauvre misère."

 

*G. Brassens

**Maladie de la pomme de terre provoquée par des champignons microscopiques.

 

 

JULIETTE

 

 

Issue d'une grossesse gémellaire,

Homozygote, gènes exemplaires ;

A contempler se démener

Curieux spectacle que ces mémés.

 

 

On s'est connu aux accouchements

De Charline son unique enfant ;

Des femmes la multiparité

Crée le contact et l'amitié.

 

 

La nonantaine, usée, souffrante,

M'apostrophait dans la tourmente :

"Docteur, je ne veux pas mourir."

 

 

"Mais qui vous parle de la mort ?

A corps à cris, vous vous faîtes tort."

Et je l'empêchais de souffrir.

 

 

MON COEUR ! DOCTEUR"

 

 

 

Un digne couple de retraités

D'un âge certain, même avancé

Se présenta au "long séjour"

Pour y couler de mornes jours

 

 

Frappée d'une surdité profonde

Qui limitait belle faconde

Grand-mère clamait "le coeur ! Docteur"

Au rituel inquisiteur

 

 

"Mais non, Madame, il va très bien"

"Comment dites-vous ? que je n'ai rien !"

Et s'instaurait le dialogue

 

 

De sourds bien sûr, comment faire d'autre ?

De ses stériles patenôtres

Grand-père concluait l'épilogue

 

Le moulin

 

 

Tourne moulin, tourne toujours,

Brasse de tes ailes l'air alentour.

Témoin d'hier, au goût du jour,

du rêve ambiant soit le recours.

 

 

Bonhomme affable, loquace, gentil,

Comment ne pas être conquis

Par maître Jean, propriétaire,

Ce vieux garçon veillant sa mère.

Patient docile, obéissant,

Malade modèle, bien pensant.

Coronarite, angor spastique

S'intrique, culmine, stade critique.

Et le meunier, d'abandonner

Un dur labeur, si beau métier.

 

 

Jouets du vent, ailes tournent à vide,

Plus de froment, absence de guide.

Le boulanger dans le pétrin,

Le villageois crève la faim.

Du moulin on perdit l'usage.

L'âne se complaît au pâturage,

Broute un chardon, va et vient, brait,

Oublie le bât et les harnais.

Meunier se meurt de lassitude,

Consulte Eole, vieille habitude.

Celui-ci, par mansuétude

Souffle moins fort qu'à l'habitude,

Néanmoins, tout en poursuivant

Changement de bord en lit du vent.

Mémoires de lustres révolus,

N'existe aucun exemple connu

Que le vent n'est changé de sens

Une vie durant. Faisons confiance.

 

Tourne moulin, tourne toujours,

Brasse de tes ailes l'air alentour.

Témoin d'hier, au goût du jour,

Du rêve ambiant sois le recours.

LONGÉVITÉ

 

" Des aveugles venaient contempler la splendeur des cieux inconnus et des paralytiques se donner une dernière fois l'illusion de courir la planète. "

Françoise Chandernagor

 

A un savoir de gériatrie

Ayant voué nombre d'années,

Bien mal venu de parti pris

D'aucun oserait me taxer !

 

Apercevoir dans un fauteuil

Une dame aveugle et amputée,

N'est-ce pas déjà faire son deuil

D'un corps, outre-tombe passé ?

 

Râler, gémir, pleurer, prier

Sur une couche, lit d'agonie,

N'est-ce pas déjà être damné,

Jeté aux chiens, être banni ?

 

A vie, être cloué au siège

Pour cause de paralysie,

N'est-ce pas déjà semblant de piège

Dun corps fuyant et dessaisi ?

 

Amnésique, désorienté,

Attaché par sécurité,

N'est-ce pas déjà être aliéné,

Avoir perdu sa liberté ?

 

L'isolement, la solitude,

Quémander la sollicitude,

N'est-ce pas déjà signe d'abandon,

Désespoir du pauvre larron ?

 

Alors, pourquoi persévérer,

Connaître l'enfer présumé,

S'enferrer en longévité

Si les gènes vous ont condamné ?

 

Toujours plus jeune, jamais vieillir,

Un vrai défi à relever

L'important est, pouvoir mourir

Plus vieux mais en bonne santé !

 

LA MÉMOIRE

 

 

 

Non secondaire, fondamental,

De la mémoire don primordial,

Celui de pouvoir publier

Quand la jeunesse est oubliée.

 

 

 

Mémoire, faculté de l'oubli,

Des accessoires péripéties.

Bonheur d'éluder les ennuis,

Les turpitudes et vilenies.

Oublier des riens c'est banal,

Garder la tête le principal.

Le principal c'est la mémoire

Des faits récents, anciennes gloires.

La garder bonne un capital,

Se souvenir, fondamental !

 

 

 

Sans être au stade de l'Alzheimer,

Quand d'une vie on gagne la guerre,

Démissionner, acte fatal,

Garder mémoire, fondamental.

Recourez au médicament

Du dernier cri, drogue du moment,

Vasorégule à la demande

Nobles organes de commande.

Privilège d'être bien loti

Quand la "sécu" vous l'amortit.

 

 

 

Non secondaire, fondamental,

De la mémoire don primordial,

Celui de pouvoir publier

Quand la jeunesse est oubliée.

 

VIEILLARDS

 

" Mourir, la belle affaire, mais vieillir, ô vieillir "

Jacques Brel

 

Paralysé de l'hémi-corps,

Scatologique, salace, retors,

Le vieil homme regarde son monde,

Recherchant une croupe gironde.

Sous le couvert du vertueux,

il est d'usage aux vieux messieurs

De se permettre auprès des femmes

Ce qu'aux plus jeunes refusent ces dames.

N'étant dangereux qu'en paroles,

Se faire peloter, certaines raffolent.

A ces vieillards concupiscents

Correspondent moult impertinents

L'imbus, l'écraseur, le puant,

L'auto satisfait culminant.

Le meilleur, le plus beau son fait,

Ne se mirent qu'au plus que parfait.

Fierté d'en être arrivé là,

D'avoir gagné la tombola

Où se jouent les jours de la vie,

A consommer selon l'envie.

Porter en terre proches et amis

Sans état d'âme mais bonhomie.

En tirer quelque vanité

A les bénir ou les louer

Alors qu'hier, avant leur mort,

Ils cumulaient griefs et torts.

Vieillir est une maladie

Dont personne ni rien ne guérit.

Vieillir peut être calamité

Quand on en cumule les méfaits.

Alzheimeriens et décadents,

Séniles, prostrés et dépendants

Donnent une idée de la misère

Et des tourments qui désespèrent.

Sert-il d'entretenir un corps

Que l'âme a quitté sans remords ?

S'opposent à ceux-là une race,

D'espèce oeil vif tel le rapace.

De ces chênes qu'il nous faut abattre,

 

 

 

 

L'homme devant qui il faut rabattre.

Individu d'âge indécis,

Privilège d'une vieillesse bénie,

Si celle-ci s'avère un naufrage,

Superbe, il ignore son suffrage.

Sagesse acquise, puits de science,

Respire le calme sans insolence.

Présence inspirant le respect

Un peu comme relique sacrée.

L'homme désire la longévité

En excluant l'adversité.

Or le destin, lui, est aveugle,

N'apprécie en rien qu'on lui beugle

Conduite à tenir. L'individu

S'égare dans le malentendu,

Doit obéir aux lois d'espèce,

Sans illusions, même son Altesse.

 

 

L'OBSTÉTRIQUE

 

 

 

Opter pour médecine générale,

Permet d'être polyvalent.

Une discipline qui m'emballe

Est de mettre au monde les enfants.

Choisir la dermatologie

Permet sans doute des fantaisies,

Caresser les peaux satinées,

Palper morceaux privilégiés.

L'obstétrique ne se veut funeste

Comme la médecine dites "légale",

De chrétiens elle n'est pas en reste

De macchabées ne se régale.

Bref ! aborder sans un complexe

Discipline portant sur le sexe,

Non pas de la prostitution

Celui de la reproduction,

Permet de relever le gant

Dire aux Français faîtes des enfants.

Suggère de hisser les couleurs

Pour femmes en manque de bienfaiteurs.

S'offrir à l'oeil et à l'oreille

Un concert de piaillements,

Tout en gagnant bien de l'oseille

Au bon coeur de jolies mamans.

Chère obstétrique, rare merveille,

La plus belle des spécialités.

Des médecins le caducée,

Tu le mérites en pur vermeil,

A moi de te féliciter !

 

De l'épisiotomie,

 

Grands bâtiments de pierres grises,

Maternités et vieilles églises

Sont des lieux saints privilégiés

Pour naître et se faire baptiser.

Chantier de vie, nid d'éclosion,

Maternité siège d'élection

Possède le privilège troublant

Des réceptions de cocons blancs.

En ce milieu aseptisé

On y recueille fruit du péché :

Le nourrisson tôt piailleur

Pressé de se faire pendre ailleurs.

Gynécologues, obstétriciens

Grands prêtres du temple païen

Découvrent en pratique ancestrale

Un rituel en rien banal,

J'ai nommé l'épisiotomie.

Propice moyen d'économie

A limiter souffrance foetale,

Éviter mort néonatale.

Tempo sur technique d'épisio.

On scrute, on coupe ou l'on cisaille,

Le périnée on se chamaille

Pour le garder in extenso.

Frais périnée des primipares,

Ridé, fané des multipares,

Fantasme de sollicitude,

Dermatome de vicissitude.

La pratique du systématique

Fut rarement bien bénéfique.

Crever, trouer les périnées,

Travail médiocre, vilipendé.

En limitant la déchirure,

On oeuvre pour que périnée dure.

Zélée consoeur anthropologue.*

Des temps moderne l'idéologue,

Traduit le geste ésotérique

En rituel initiatique.

 

 

De l'état de femme pudique

 

 

A celui de mère en pratique.

Révélation que celle-là !

Complications et charabia.

Préventivement et de bon sens

N'évoque en rien l'évanescence

Ce geste d'épisiotomie,

Seul palliatif à l'insoumis.

Transition recto-vaginale,

Le périnée muscle vénal

Se flatte être en priorité

Patrimoine de féminité.

 

"Rites initiatiques et pratique médicale dans la société française contemporaine"

du Dr Anne Dutruge

NE VARIETUR

 

 

 

Les femmes n'accouchent plus le dimanche

Et encore moins les jours fériés ;

A moins qu'elles ne le fassent exprès

Alors, en montrant patte blanche.

 

Pondre son oeuf quand on le désire,

Se délivrer à la demande,

A moins que la mode recommande

Une autre forme de loisir.

 

Comme les rachianesthésies,

Faîtes de manière systématique,

Ont toutes de quoi rendre sceptique

Le vieil accoucheur dessaisi.

 

Ne faut-il pas garder raison

En respectant dame nature,

Laquelle sans grande déconfiture,

Des siècles fit tourner la maison ?

 

Si s'opposer au naturel

Contrarie le physiologique,

Ne risquons le pathologique,

Dédaignons plaisir virtuel.

 

 

LE CRIME

Plus le sang coule, mieux il s'exprime,

Horreur des faits, lugubre frime,

Crime passionnel ou crapuleux

D'amoureux, de non vertueux.

Juge de peines avide d'aveux,

Croque-mitaine au temps précieux,

Jamais à cours d'un jugement

Pour les adultes ou les enfants.

Il juge au nom des droits de l'homme

Ceux mêmes que l'homme créa pour l'homme.

Programme des plus prétentieux,

Copie conforme des tables de Dieu.

Jugements qu'on applique, exemplaires

Pour un malfrat ou une affaire.

Crimes qu'on oublie pour une nation

Bien trop petite, sans prétention,

Pour des milliers d'individus

En guerre ethnique, des inconnus.

Identique pour l'avortement

Le thème en vogue du moment,

Détruire cent vies placidement

En sauver une héroïquement.

Irrationnel, incohérent

Contradictoire et surprenant.

Déclin d'une civilisation

Qui se détruit d'aberrations.

 

 

 

SIDA

 

Mélodie cul, maladie culte

Mauvais génie des forces occultes.

La référence médiacratique

Le thème dévot du politique

 

Une maladie pareille aux autres

Porte au délire les bons apôtres.

Par son nom osons l'appeler

"SIDA" que ne fais-tu gloser !

Ni plus ni moins que choléra

Comme aux vignes le phylloxéra

Délice suprême des médias

Noble virus, syndrome ingrat.

SIDA galas multimédias

La mise en scène, le falbala

Les états d'âmes, le cinéma

La drogue, la marijuana.

Insignifiante petite vérole

Gonococcie maigre bricole.

Du cancer on ne jase plus

On le contracte avec vertu.

Médecin en mal de jeu scénique

Abandonnant tout sens critique

Laudateur du préservatif

L'indispensable supplétif.

Baisez, shootez à qui mieux-mieux

Le destin s'inscrit dans les cieux.

Avec cet ancien ustensile

Le rut s'épuisera tranquille.

Exploit du sang contaminé

Mémoire tronquée, évaporée.

Méchants innocents hémophiles

Ne jouissant point du profil.

 

Mélodie cul, maladie culte

Mauvais génie des forces occultes.

La référence médiacratique

Le thème dévot du politique.

 

 

Mauvais goût, trêve de plaisanterie

Démasquons cette hypocrisie.

Évitons porter au pinacle

La panacée du "gay" cénacle,

Cénacle dont les membres laxistes

S'opposent en choeur aux extrémistes.

Morale, fidélité, rigueur

Vocabulaire proscrit, FAIT PEUR !

Le retour de l'ordre moral

Nouveau thème caricatural.

En connurent les siècles passés

De nombreuses monstruosites

 

 

Du SIDA la pathologie

Au même titre qu'autres maladies

Doit être traitée dans la quiétude

Sans remous ni béatitude.

Soigner guérir les miséreux

Porter secours aux malchanceux

Qui contractent une maladie

Sans faire état d'impéritie.

Ni mal divin, ni mal honteux,

Aux médecins d'être généreux.

Laissez ceux-ci à leur labeur

Vivre et se battre en tout honneur.

 

Mélodie cul maladie culte

Mauvais génie des forces occultes.

La référence médiacratique

Le théme dévot du politique.

LA MORT ET LE MÉDECIN

ou

LE PESSIMISME

 

Enraciné d'une vocation

Conforté par une formation

Le médecin face au moribond

Ne peut rien espérer de bon.

 

"La mort, un accomplissement

De la personne".* Un boniment !

L'individu aimant la vie

La quittera inassouvi.

 

Mort médicale respire l'échec

Qu'on veuille ou non faire le fin bec.

Aboutissement d'une incurie.

 

La vie, la mort, même processus

En quelque sorte le consensus

Pour une gestion de pénurie.

 

*Citation de François Mitterrand dans la préface du livre

"La mort intime" de Marie de Hennezel (Nov. 95)

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