Il y a quelques semaines, le Quotidien du médecin
abordait un sujet toujours délicat dans lexercice
de la relation soignante. Le refus de soins quil
soit le fait du patient ou du médecin. Il me
semble important au moment où le patient se trouve
fortement lié administrativement à son
médecin traitant daborder ce que le législateur
a baptisé du doux nom de : consentement éclairé.
Depuis linstauration du Code de Déontologie,
il est reconnu au patient le droit de refuser un soin
ou un praticien mais ce nest que depuis 2002 que
cette « permission » jusque là officieuse
est devenu obligation.
Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et
à la qualité du système de santé
(art 111-4 csp: alinéa 2 et 3) : « Le médecin
doit respecter la volonté de la personne après
l'avoir informée des conséquences de ses
choix. Si la volonté de la personne de refuser
ou d'interrompre un traitement met sa vie en danger,
le médecin doit tout mettre en uvre pour
la convaincre d'accepter les soins indispensables. Aucun
acte médical ni aucun traitement ne peut être
pratiqué sans le consentement libre et évalué
de la personne et ce consentement peut être retiré
à tout moment. »
Pourtant avant même la promulgation de la loi
le conseil d'Etat apporte une nuance : « La volonté
du patient peut être méconnue à
la triple condition : qu'un acte médical soit
indispensable à sa survie, que cet acte soit
proportionné à son état et réalisé
avec l'intention de le sauver. » (arrêt
du 26/10/2001)
Il est donc question de consentement libre et évalué.
Difficile de vérifier chez nos patients ces deux
notions de liberté et dévaluation.
Libre jusquoù, évalué par
qui ?
Pour se préserver de futures poursuites judiciaires
le médecin doit faire remplir et signer à
son patient un certificat de refus de soins ou d'hospitalisation
qui a « pour objectif de démontrer à
la justice la qualité de l'information délivrée
au patient : information simple et compréhensible
reçue par un patient en pleine possession de
ses facultés mentales, détaillant les
risques encourus. Il doit obligatoirement être
accompagné d'une observation médicale
écrite, confirmant le fait que le patient a été
examiné, que son état clinique a été
décrit et évalué. Le certificat
doit être cosigné par au moins un accompagnant
ou une tierce personne (personnel soignant à
l'hôpital) ».
En cas de refus de signature du certificat, il est nécessaire
de faire dresser un procès-verbal (par l'administration
de l'hôpital, voire les services de police) et
être contresigné par un accompagnant, ou
à défaut un témoin. Le certificat
est établi en deux exemplaires. L'original est
remis au patient.
Et pourtant en aucun cas, ce document n'a valeur de
protection juridique absolue pour le médecin,
il est malgré tout pris en compte comme pièce
essentielle en cas de procès.
Cette dernière phrase nous montre bien lambiguïté
du problème : une loi nous contraint au consentement
mais le fait de produire « le contrat »
signé par le patient en présence de témoins
ne nous met pas à labri dun retournement
de situation.
Pour ce qui concerne le refus dun médecin
à soigner une personne, le code de déontologie
est très clair : le médecin a parfaitement
le droit de refuser un patient, mais ce refus doit obligatoirement
être assorti de la recherche d'un praticien pouvant
assurer les mêmes soins, de même qualité,
à ce patient. Si le médecin ne fait pas
ça, il est en faute et devient condamnable par
la juridiction ordinale.
Un médecin refusant de soigner, en dehors bien
entendu dun cas durgence vitale, nest
pas assigné devant les tribunaux.
Dans son avis relatif au refus de traitement et à
l'autonomie des personnes, le comité consultatif
national d'éthique pour les sciences de la vie
donne une série d'exemples où le médecin
peut être en position de refus. Lorsqu'il juge
« inutiles ou coûteuses » des investigations
demandées par le patient alors qu'existent des
« examens plus simples, aussi efficaces et beaucoup
moins coûteux ». Car « il ne faut
pas oublier que le médecin reste aussi un acteur
de santé publique ». De même, les
situations d'acharnement thérapeutique : «
S'obstiner à maintenir la vie et non pas la qualité
de vie au prix de traitements excessivement lourds,
sans l'espoir, même minime, d'un bénéfice
à court ou moyen terme, ne constitue pas une
obligation. » Dans le cas d'une assistance médicale
à la procréation, le gynécologue
ou l'équipe chargée de la pratiquer peut
refuser en raison de l'âge ou de l'état
des personnes : « La responsabilité de
la médecine n'est pas de permettre la réalisation
d'un désir à tout prix. Elle est aussi
d'expliquer avec respect le caractère irréaliste,
voire nocif, de certains projets. » Le refus de
mettre en route une réanimation néonatale
du fait d'un jugement pessimiste sur l'avenir du foetus
relève également de considérations
médicales. Cependant, tout comme le patient,
le médecin peut exprimer ses propres valeurs
culturelles et refuser, par exemple, une interruption
volontaire de grossesse.
Mais une sorte de refus a tendance à se faire
de plus en plus fréquente : le refus de soins
pour les titulaires de la CMU ou de lAME. Rendez-vous
repoussé aux calendes grecques quand ce nest
pas refus pur et simple. Ce sont les dentistes qui ont
la palme de la discrimination.
Les raisons évoquées sont toutes financières
: pas de remboursements des dépassements, délais
de payements trop longs par les caisses
Ces raisons
sont véridiques mais montrent à quel point
Mammon règne en maître. Nos patients demandent
de la reconnaissance et de la considération.
Etes-vous surs quune consultation à 20
€ permette de prendre le temps ? La désaffection
des jeunes générations nest pas
seulement due à la difficulté du travail.
Nous navons pas créé une génération
entière de flemmards mais ils sont conscients
que la valeur du travail ne peut plus sétalonner
sur le nombre de cadeaux reçus à Noël.
Et nous entrons dans le cercle vicieux : moins de valeur,
moins de médecins, moins de temps donc moins
de valeur accordée par nos patients
De quelle liberté parle-t-on quand nous nous
retrouvons dans langoisse de la maladie ? Nous
pouvons craindre que cette liberté ne soit vécue
comme la dernière encore possible. Devant la
difficulté de compréhension des actes
médicaux de plus en plus techniques le patient
est-il vraiment à même de prendre une décision.
A ce questionnement le Comité Consultatif National
dEthique (CCNE) relève que « la complexité
accrue des propositions thérapeutiques et une
plus grande autonomie de décision reconnue aux
personnes malades (loi du 4 mars 2002) dans le domaine
des soins médicaux ont abouti à ce que
le consentement du malade ne soit plus simplement implicite,
mais doive être explicité, avec pour corrélat
une plus grande attention portée à sa
parole, fut-elle hostile à une proposition médicale
» (avis n° 87 « Refus de traitement
et autonomie de la personne »)
Les grands mots (maux ?) sont lâchés :
la plus grande attention à la parole du malade.
Comment faire pour porter cette attention quand le temps
imparti aux consultations et aux soins est de plus en
plus dicté par le financier ? Car il est évident
que pour quil y ait liberté et compréhension
il faut du temps. Le temps indispensable à la
confiance. Celle du patient envers son médecin
mais aussi celle du soignant vis-à-vis de «
son » médecin. Cest avec le temps
que lon peut exprimer ses peurs, ses doutes, son
vécu.
Pour Maître Mario Stasi avocat à la cour
d'appel de Paris et rapporteur de l'avis du Ccne, nous
ne sommes pas objet de soin, mais sujet de soin : ce
n'est plus le médecin et son savoir qui est au
centre de la relation, c'est le patient et sa maladie.
La relation de confiance est fondamentale entre le médecin
et son patient. Le premier devoir d'effort de dialogue
et de compréhension part du médecin, puisque
c'est celui qui détient le savoir, et donc le
pouvoir.
Le pouvoir de soigner certes, de guérir quelquefois,
de contraindre
malheureusement. Car le refus de
soins exprimé par un patient est mal vécu
par le soignant. Pour les membres de léquipe
mobile de soins palliatifs des hôpitaux de Strasbourg
cest une situation violente qui pourra déboucher
sur trois de types de comportements : soit une ignorance
pure et simple de la situation (« qui n'a pas
lieu d'exister »), soit une culpabilité
et une peur « à l'origine de comportements
réactionnels à leur tour violents »,
soit un questionnement « inconfortable »
mais salutaire à propos du patient, de soi-même
et de l'équipe soignante.
Cette remise en question de notre capacité de
convaincre, dexpliquer nous renvoie à notre
impuissance face à la mort. Et la réaction
face à cette impuissante est souvent la colère.
Pas seulement parce que nous navons pas le pouvoir
mais aussi parce que nous ne pourrons jamais vaincre
la mort, ni la nôtre, ni celle de ceux que nous
aimons ou / et que nous soignons. Alors face à
cette colère qui nous envahit nous nous réfugions
trop souvent encore derrière les gestes purement
techniques. Il nous faut faire quelque chose à
tout prix. Et ce prix est bien lourd pour le patient
devenu objet de soins
et donc de nouveau «
maîtrisable ».
La
compétence relationnelle du médecin est
fort malmenée et ceux qui me connaissent savent
bien que je ne suis guère portée à
la compromission. Pourtant il nous faut reconnaître,
tous, patients et soignants, que les enjeux sont tels
quils troublent la limpidité de notre relation.
Et comme lorsquun verre est rempli deau
boueuse, il suffit de laisser le temps à la vase
de décanter. (Pour mon confrère Gabriel,
je prendrai plutôt lexemple dun grand
vin). Encore ce fichu temps, celui que lon veut
à tout prix nous enlever. Le temps de la vie
et de la mort, de la conscience et du respect.
Car nous ne sommes innocents ni les uns ni les autres.
Impatience dêtre guéris ou de guérir.
La colère du patient a besoin dun bouc
émissaire et celle du médecin dactes
encore et toujours plus poussés. Devant ce trouble,
il ny a que le temps et son corollaire en matière
de soins : le partage.
Dans les équipes hospitalières, quand
elles existent, la collégialité de la
réflexion est donc essentielle, qu'il s'agisse
de mettre en mots une situation difficile, de prendre
du recul par rapport à un conflit avec le patient
ou ses proches, de s'interroger sur les limites de sa
pratique en sortant du contexte purement biomédical,
de trouver une cohérence au sein de l'équipe
soignante, ou encore tout simplement de se rassurer
par rapport au risque médico-légal au
regard du manque possible d'information.
Mais pour le médecin généraliste,
isolé
dans la Creuse, pas simple de partager.
Dautant que ce nest guère dans la
culture médicale, ni dans notre formation. Le
refus de soins étant vécu comme un échec
nous avons peur du regard de nos confrères. Les
groupes de parole se généralisent pour
les soignants et pour les patients mais nexistent
pratiquement pas pour le corps médical. Les groupe
Balint étaient peut-être trop orientés
vers la psychanalyse et se sont peu à peu désagrégés.
Et puis encore une fois il nous faudrait du temps pour
être ensemble. Ce temps est rémunéré
dans les équipes hospitalières mais pour
un médecin libéral, il représente
du temps volé au sommeil ou à sa famille.
Dans le cas idéal où nous pouvons partager,
Les membres de l'Emsp de Strasbourg proposent alors
quelques pistes de réflexion : « Y a-t-il
vraiment refus ? » (oui, s'il y a persistance
du refus dans la durée et quel que soit le soignant),
« Le refus est-il éclairé ? »
(par l'information du patient et de la famille), «
S'il y a refus éclairé, refus de quoi
? ».
Dans tous les cas, le refus de soins ne doit pas être
confondu avec refus de traitement. Accompagner nos malades
même sils ont décidé de suspendre
les traitements reste une obligation
dhumanité.
Le refus de soins est dailleurs une expression
inappropriée. Les patients ne refusent pas le
soin, lattention, le confort. Ils refusent le
plus souvent quon leur mente et il nous font linestimable
cadeau de nous forcer à cesser de nous mentir.
NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plait, vous
déplait ou vous semble mériter telle ou
telle réponse, d'un simple clic sur la photo
de l'auteu et un courrier électronique de votre
part lui parviendra. FMM, webmestre.
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