Quand certaines cités de France ont connu
des scènes démeutes largement télévisées
dans le monde entier, nous avons pris ici le temps de
regarder, découter et surtout de réfléchir
pendant quelques semaines. Que de wagons de salive ont
été déversés de tous les
côtés, nous laissant finalement un goût
prononcé dincompréhension. Et une
sensation de constat dimpuissance.
Quand des Africains se ruinent, et mettent leur vie
en danger, en traversant clandestinement la Méditerranée
entre les mains dexploiteurs innommables, on se
dit que nos sociétés européennes
restent un Eldorado dans des lieux de misère
sans fond. Fabuleux espoir de pouvoir enfin vivre dignement
chez ceux dailleurs. Et, dun autre côté,
certains de nos jeunes vivant en France, qui nous jettent
à la tête leur désespoir, en sen
prenant par le feu à lun de nos symboles
majeurs de possibilité de liberté : la
sacro-sainte bagnole. Qui des deux groupes na
pas compris la réalité ? La question mérite
quon sy attarde, plutôt que de se
lancer, bride abattue, sur de prétendues campagnes
dinformation et de dialogues se voulant explicatifs.
Dun côté ceux qui sont nés
dans des systèmes culturels dominés par
la tradition ont développé une confiance
-peut-être excessive- dans ce que la vie dans
des pays riches pouvait leur apporter. Tous ces gens
parient sur nous, ils nont plus aucune confiance
en lavenir de leur pays. De notre côté,
des jeunes nés ici nous hurlent à leur
façon brûlante quils ne peuvent accorder
aucune confiance à notre société
telle quelle leur apparaît chaque jour.
Tous les discours, et Dieu sait sils abondent,
pour convaincre tous ces jeunes quils se trompent
dans leur analyse, et quils nont pas de
raison de connaître une telle panne de confiance,
ne peuvent quéchouer, car ils sont, pour
eux, inacceptables. Ils nont tout simplement aucun
sens à leurs oreilles.
Le monde lui-même na aucun sens à
leurs yeux. La fascination par largent, si facilement
affichée, ne doit pas faire illusion. Pourquoi
sommes-nous assez aveugles pour ne pas le voir ? Nous
sommes en plein obscurantisme. Se lancer dans des procès
et des polémiques sans fin pour savoir comment
on a pu en venir là ne conduit à rien.
La seule question digne dintérêt
est de se demander comment on peut envisager de se vacciner
contre les obscurantismes. Celui-ci, comme tous les
autres, dont ceux prenant les oripeaux trompeurs de
la science, de la médecine ou des religions.
Immense ambition, en vérité. Notre guide,
si vous le voulez bien, sera Michel Serres. Voici comment
il envisage la toile de fond culturelle générale
indispensable, et obligatoire, pour tous les étudiants
de première année, quelle que soit lorientation
de leurs études après leur baccalauréat.
Le mieux, pour comprendre comment donner la possibilité
à huit personnes sur dix dans un pays aussi scolarisé
que la France de restaurer leur conscience
est de laisser la parole à Michel Serres. En
le remerciant, comme son éditeur le Pommier,
de nous avoir autorisé à reprendre ici
sa proposition.
Programme
commun pour la première année des universités
:
I. Le programme courant de la spécialité
II. Le Grand Récit unitaire de toutes les
sciences
Éléments de physique et dastrophysique
: la formation de lUnivers, du big-bang au refroidissement
des planètes.
Éléments de géophysique, de chimie
et de biologie : de la naissance de la Terre à
lapparition de la vie et à lévolution
des espèces.
Éléments dantropologie générale
: émergence et diffusion du genre humain.
Éléments dagronomie, de médecine
et passage à la culture : le rapport des hommes
à la Terre, à la vie, à lhumanité
elle-même.
III. La mosaïque des cultures humaines
Éléments de linguistique générale
; géographie et histoire des familles de langues.
Les langages de communication : leur évolution.
Éléments dhistoire des religions
: polythéismes, monothéismes, panthéismes,
athéismes.
Éléments de sciences politiques : les
diverses sortes de gouvernement. Éléments
déconomie : le partage des richesses dans
le monde.
Chefs-doeuvre choisis des beaux-arts et des sagesses.
Sites : le patrimoine de lhumanité, selon
lUnesco.
( Source : Michel Serres, Lincandescent,
Éditions Le Pommier (Paris) 2003 ).
En tant que médecin créateur de ce site
de santé, je ne peux quapplaudir à
ce programme. Son adoption nous sortirait des multiples
ornières dont nous parlons dans cette lettre
chaque semaine depuis 1997. La médecine souffre
terriblement - et les malades encore plus- dune
hypertrophie technoscientifique accompagnée dune
atrophie culturelle sévère. Bien sûr
cela bousculerait de multiples et puissantes forteresses,
bien sûr on objecterait la nécessité
de faire appel à de nouveaux enseignants, bien
sûr, on sinquiéterait de linvestissement
en temps et en moyens financiers qui en résulterait.
Mais le jeu en vaut la chandelle : la nation qui aurait
laudace politique de lancer ce programme deviendrait
le détonateur dune nouvelle ère
des Lumières. Car nul doute, devant le balisage
dun élargissement culturel considérable
de lesprit pour une grande partie de nos jeunes,
les obscurantismes, tous les obscurantismes actuels
et à venir, ceux dont on parle et les muets,
auraient beaucoup plus de mal à nous actionner.
Et ce mouvement, peut-être - rêvons un peu
- dabord repris par lEurope, deviendrait
vite contagieux dans le monde entier. A vous de jouer,
messieurs de tous les pays qui disposez des pouvoirs
de décision ! La mondialisation de la culture
du XXIème siècle, quelle superbe occasion
de faire un vrai pied de nez à la globalisation
si décriée des seuls échanges économiques.
Quelquun qui a eu la chance dexercer avec
passion le métier si particulier de médecin
généraliste ne peut que se réjouir
quenfin on écoute René Dubos, linventeur
méconnu des antibiotiques en 1928 : Penser
globalement, agir localement. Un apprentissage
intellectuel qui permette enfin à tous, même
si cela ne profite vraiment quà quelques-uns,
davoir les outils indispensables pour penser globalement.
Et seulement après, sur cette toile de fond,
il devient logique de pouvoir agir localement avec lacquisition
des connaissances et des compétences de la discipline,
quelle quelle soit, quon a choisi.
NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plait, vous
déplait ou vous semble mériter telle ou
telle réponse, d'un simple clic sur la photo
de l'auteur et un courrier électronique de votre
part lui parviendra.
FMM, webmestre.
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