A peine avions-nous salué dans deux coups d’oeil de ce site l’annonce de la reconnaissance légale en France de la médecine générale comme une discipline universitaire à part entière que nos confrères du conseil national des généralistes enseignants ( CNGE ) ... se mettaient en grève.
A l’évidence, l’effet d’annonce médiatique de notre ministre a été un peu court pour convaincre ces hommes de terrain qu’ils disposeraient des moyens nécessaires pour mettre en place une véritable filière de médecine générale. Disons-le tout net, la confiance n’est pas du tout au rendez-vous. Certes depuis toujours, les pontes des facultés de médecine, aussi amicaux qu’ils puissent parfois se montrer, ont toujours montré à la piétaille des généralistes que nous sommes que nous ne jouons pas vraiment dans la même cour. Ne confondons pas les torchons avec les serviettes, même si on se garde soigneusement de tout affrontement direct. Au delà de cet aspect épidermique des choses, ce malaise évident pose des questions plus fondamentales. Notre investigation va utiliser une notion mathématique - voilà de quoi réjouir les esprits scientifique - qui fonde la théorie des ensembles. Un ensemble ( que nous nommons ici un système) est plus et autre chose que la somme des éléments qui le constituent. La médecine générale est plus et autre chose que l’empilement plus ou moins réussi des rudiments de toutes les spécialités médicales enseignées par l’université.
En « haut lieu », ne pense-t-on pas qu’il suffit de quelques textes réglementaires pour que la médecine générale conçue comme ce patchwork rejoigne sagement toutes les spécialités médicales et chirurgicales déjà bien établies ? Pourtant, on ne le dit jamais assez, une ligne de partage aussi invisible que puissante existe. C’est celle de l’hôpital. Toutes les spécialités se sont bâties au fil du temps, en gros depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, en fonction des bastions qu’elles ont pu installer au sein de l’institution hospitalière sous la houlette vigilante de quelques mandarins influents. La croyance - quelque peu naïve - en la supériorité scientifique absolue des pratiques spécialisées, associée au foisonnement des équipements et autre plateaux technique a sonné la supériorité absolue et définitive des spécialistes sur les besogneux généralistes. Des armées alimentées par quasiment tous les internes des villes de faculté nommés au concours depuis un demi siècle, militairement hiérarchisées, ont investi toutes ces citadelles, les ont fortifiées et les ont dôtées de toutes les défenses possibles en matière d’enseignement, de formation et de recherche scientifique afin d’assurer et d’accroître leur puissance.
La médecine générale, elle, est nue comme un ver. Parce qu’il n’existe pas un moindre lieu fermé sur lui-même où elle s’exerce. L’internat de médecine générale est un abus de langage. La profession de généraliste est isolée de cette imposante citadelle hospitalière au coeur de la vie des hommes, en ville comme à la campagne, mais elle est indissociable de tout ce qui constitue le tissu de cette vie humaine. Aucune formation véritable d’un médecin généraliste ne peut se faire sans l’apprentissage de tout le système, de tous les systèmes en fait, dans lequel ( lesquels) baignent ceux qui font appel à lui quand survient un problème de santé. Le milieu hospitalier, celui que ne quittent jamais les médecins spécialistes dans un pays comme le Royaume Uni, n’a pas du tout la même nécessité d’adaptation personnelle à un tel système ouvert et sans limites. La tradition en France a longtemps fermé les yeux sur cette réalité. Les médecins sortant de leurs études qui ne les ont jamais conduits hors des murs de l’université et des services hospitaliers ont du se lancer en milieu inconnu et apprendre par eux-mêmes sur le tas leur métier de médecin généraliste. Ce n’est pas vraiment rassurant pour les patients, n’est-ce pas ?
Voilà pourquoi nous insistons tellement ici sur la nécessité de former nos généralistes pour en faire tout autre chose que des sous-spécialistes ( forcément ) dans tous les domaines de la médecine. Pour devenir des gens compétents dans cet univers complexe de la vie humaine de chaque jour, c’est d’une toute autre formation qu’ils ont besoin. C’est de formateurs eux-mêmes immergés professionnellement dans la pratique ambulatoire, tant dans leur cabinet personnel qu’au domicile des patients qu’ils ont besoin pour comprendre la vraie réalité de leur beau métier. Il est indispensable d’inverser les choses dans nos esprits. Ce n’est pas aux généralistes qui ont choisi de consacrer une partie de leur temps de travail à l’enseignement des étudiants de se mouler dans la tradition hospitalo-universitaire pour s’y fondre. Ils ne peuvent qu’y perdre leur âme. C’est le corps professoral médical ultra spécialisé qui doit modifier son système rigide pour pouvoir créer de véritables écoles de médecine générale.
Combien d’années faudra-t-il encore pour qu’une telle dimension systémique de la médecine générale soit prise en compte - comme elle en a un tragique besoin - par nos responsables ? Permettez au modeste auteur de ces propos simplement diagnostiques de ne se risquer à aucun pronostic.
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