Le mot urgence vient du verbe urgeo (urgueo), ursi, ere : peser sur, pousser, accabler ; poursuivre, talonner ; hâter, s'occuper sans relâche de, insister sur ; être pressant, être urgent, être menaçant ; insister, serrer de près.
Le moins que l' on puisse dire c' est que notre Georges
Clooney national a compris le message. Sa réponse
aux propositions du rapport Larcher sur les communautés
de territoire commandé par le ministère
de la santé est on ne peut plus... menaçante :
il engage les patients à porter plainte contre
les Agences Régionales d' Hospitalisation pour
« perte de chance ».
Plutôt que nous lancer dans un débat stérile sur les jeux de pouvoirs de certains d' entre nous, médiatiquement séduisants, il est intéressant de décoder ce que les urgences ont de si « politiquement correct » dans notre société.
Depuis quelques décennies la médecine s' est lancé un grand challenge : sauver tout azimut. Dans un monde caractérisé par une volonté sans cesse affichée de sécuriser les citoyens, les urgences sont devenues l' emblème de la « vraie médecine ». A tel point que les maux quotidiens qui nous empoisonnent la vie, et constituent le fond de clientèle des généralistes, sont qualifiés de bobologie. Terme méprisant tant pour les patients que pour les médecins.
Il ne peut y avoir de véritable combat sans des
adversaires à la hauteur. Qui mieux que les urgentistes
peuvent prendre ce rôle? Les séries télévisées
ont bien entendu renforcé l' image de ces héros
des temps modernes. Vite, toujours plus vite dans une
ambiance de fin du monde.
Bien loin des attaques sur les compétences, la disponibilité, les revenus des médecins, les urgentistes jouissent de la faveur inconditionnelle du public.
Il
est évident que les urgences existent en médecine
mais beaucoup moins souvent que l' on ne pense. Certes
une rupture cardiaque peut passer pour telle, sauf que
si vous ne pouvez pas trouver un nouveau cœur votre
urgence se transformera illico en avis de décès
malgré une réanimation parfaite. Moins
dramatique, qui penserait qu' une simple fracture du
nez est une urgence à traiter dans les 6 heures ?
L' encombrement des services d' urgence prouve chaque
jour que ce ne sont pas les urgences qui sauvent des
vies mais les réanimations dans les ambulances
des SAMU et autres SMUR et la compétence des
médecins régulateurs.
La grande différence entre les fictions américaines
et la réalité des urgences françaises
tient à la prise en charge des patients. D' un
côté on ramasse tout et on fonce et il
vaut mieux que les urgences soient sur le pied de guerre.
De l' autre, on stabilise le patient sur place et on
arrive tranquillement aux urgences qui ont tout le temps
nécessaire... pour contacter les services spécialisés.
Alors faire croire aux Français qu' il y a perte de chance n' est peut-être pas très malin. Le véritable problème dans les services des urgences tient surtout à leur encombrement par des patients qui n' ont rien à y faire. A quand une plainte pour perte de chance d' un accidenté avec fracture du nez qui aura poireauté pendant plus de 6 heures à cause de bouchons d' oreille et autres indigestions ?
Il est vrai que les médecins n' ont plus guère envie de se déplacer la nuit. Simple lassitude, besoin de repos, crainte pour leur vie dans certains quartiers ? Et si les médecins s' étaient eux aussi laissés manipuler par la civilisation des loisirs ?
Alors oui ! Il y a Urgence, tout est à revoir. Prendre le temps de se poser les bonnes questions. Revoir la formation pour que les généralistes redeviennent les vrais médecins, les interlocuteurs privilégiés pour tout ce qui ne relève pas de l' urgence vitale. Faire des campagnes d' information en direction des patients.
Mais dresser les malades contre le système de soins par idéologie politique est dangereux et éthiquement contestable. Diviser pour mieux régner était la maxime du sénat romain, il me semble que cette citation de Machiavel reste dans ce cas plus que jamais d' actualité : ceux qui de particuliers deviennent princes seulement par les faveurs de la fortune ont peu de peine à réussir mais infiniment à se maintenir !
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