xxxAugmenter les taxes sur les produits censés augmenter la prise de poids et ainsi diminuer les obésités… En voilà une bonne idée de technocrates ! Un rapport de plus propose quatre vingt mesures et Le Figaro du 28 septembre nous a annoncé que la France est à la traîne en matière de lutte contre l’obésité (1).
Mais me direz-vous, l’idée n’a pas été retenue. Certes et cela ne nous empêche nullement de réfléchir, en tant que médecins, futurs-ex patients et citoyens, à la façon dont sont menées les innombrables campagnes de prévention.
Prévention, prévenir de praevenire : devancer ou arriver le premier. Il est certain qu’avec de telles idées, au royaume des aveugles, les borgnes sont premiers.
xxxLa confiance en qui ? En nos grands administrateurs ou en nous ? Comment expliquer que nous ne sachions plus ce qui est bon et sain pour nous ? Peut-être parce que l’industrie agro-alimentaire, sous de fallacieux prétextes comme le manque de temps pour préparer les repas, les étiquettes bien trop illisibles, les soi-disant tests pseudo-scientifiques, le matraquage publicitaire, a fini par nous faire perdre tous nos repères alimentaires. Peut-être aussi parce que nous avons manqué de vigilance et que les plats tout prêts, le besoin de sucre pour masquer un mal être et l’aggravation de la charge de travail des femmes faisaient peu à peu le lit de toutes les compromissions. Sans parler bien sur de l’inattention générée par les repas pris devant un écran.
La prévention est donc là pour devancer les bugs de notre machine humaine. En réalité, le plus souvent, elle n’est là que pour mettre en lumière les bugs déjà existants, en espérant que les médecins programmateurs sauront en trouver l’origine et les soigner.
Ce n’est donc pas de prévention qu’il nous faudrait parler mais d’éducation. Pas d’éducation à la santé (comme si nous en avions la maitrise totale) mais d’éducation à l’alimentation et à la cuisine, d’apprentissage à l’organisation du temps, d’éducation correcte à l’anatomie (combien de jeunes savent où se situent foie, pancréas, rate, organes génitaux internes…etc.). Oserai-je dire d’éducation à une vie saine ?
Et dans le rôle d’éducateur pourquoi pas le généraliste ? Pas pour prescrire les examens complémentaires qui trouveront toujours quelque chose mais pour prendre le temps de montrer, faire toucher, expliquer. J’entends déjà gronder dans les rangs : pas le temps, trop de boulot. Alors une petite proposition en passant, proposition en forme d’acte de résistance : arrêter de servir de gratte papier pour la sécu, le temps libéré sera bien mieux employé.
xxxLa santé depuis quelques années devient la grande affaire de nos politiques. Histoire certainement de retrouver le rôle des papas soucieux du bien être de leurs électeurs. A moins qu’ils n’agissent en Oncle Picsou. Il faut dire que la santé…c’est l’affaire de tous. Erreur, c’est la maladie qui est l’affaire commune. Parce que la santé n’est qu’affaire de chacun dans un système qui prône la solidarité. Toute relative d’ailleurs.
C’est bien là le nœud du problème car à force de nous marteler que nous devons faire du sport, examiner nos fèces, nos seins, prendre garde à nos artères, nous finissons par vivre dans un monde où la maladie nous guette à chaque coin de nos activités.
La pensée unique n’est pas basée sur la confiance et les messages d’encouragement. Elle n’est que culpabilisation et accusation. Elle finit par faire de nous des suspects de mauvaise santé. Votre Honneur ! Je plaide coupable, si j’ai un cancer c’est que j’ai trop fumé, c’est que je n’ai pas su gérer le stress, que je n’ai pas fini le deuil de mes parents, que j’ai craqué devant les rayons surchargés de sucreries….
xxxToutes ces réflexions je les entends jour après jour. Et, à la charge émotionnelle liée à la découverte de la maladie se rajoute celle d’avoir été un(e) mauvais(e) patient(e). La programmation liée à la normalisation des comportements et des physiques engendre un système qui produit de la maladie. Le management des esprits par la peur n’est pas nouveau.
xxxQuelle place occupe le médecin dans le concert préventif ? Souvent celle du complice quand ce n’est celle du procureur.
Nombre d’entre nous, et ce n’est guère à notre honneur, ont participé activement à des régimes qui ont voulu imposer l’idéal d’un humain tout droit sorti du Meilleur des Mondes. Dans notre volonté de sauver nos semblables, et pour ce faire de chercher sans cesse le coupable dans la maladie, nous avons fini pas oublier la diversité des êtres et des physiologies. Nous nous sommes faits les complices d’une volonté politique qui n’a rien à voir avec la santé mais qui veut se justifier de ses manques (pour ne pas dire de ses lâchetés). Nous avons légitimé les avancées marketing de l’agroalimentaire. Bref nous avons participé à la programmation d’un état d’être et de faire qui finit par produire l’inverse du résultat attendu. La maladie ne cesse de progresser.
L’âge de plus en plus avancé auquel nous pouvons espérer avaler notre bulletin de naissance n’a pas toujours à voir avec l’augmentation des maladies. Et, dans les diverses pollutions que nous subissons jour après jour, il en est une à laquelle nous devons être vigilants : la pollution programmatrice. Prévenir par l’éducation, pas de problème, prévenir par une règlementation responsable des industries (agro-alimentaire, chimique, nucléaire…), aucun problème mais prévenir en programmant des normes « humaines » pas question. Ce n’est pas uniquement une question de liberté. C’est tout simplement l’évidence : nous ne sommes pas égaux physiquement et psychologiquement. La stigmatisation de tout ce qui sort de la norme est pathogène. La schizophrénie ambiante qui veut tout à la fois nous formater sur un modèle unique et dénoncer les racismes anti-gros ou anti-fous ne fait que renforcer les attitudes imbéciles.
Pourquoi punir tous ceux d’entre nous qui adorent fumer, boire ou se faire une bonne tartine de confiture alors qu’il serait tellement plus efficace de punir les industries qui trichent avec notre santé ? Pourquoi punir tous ceux qui compensent leur mal être au lieu de réfléchir à une organisation du travail cohérente, à des modes de management humanistes ?
La programmation est par essence pathogène. Ne nous faisons pas les complices des « maîtres du monde ». Cessons de rajouter de la culpabilité et faisons tranquillement notre travail d’éducation.
(1) Pour en savoir plus, la rédaction vous suggère le lien suivant :
http://www.agrobiosciences.org/breve.php3?id_breve=1214
NDLR : Cette lettre illustre l’article 5 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 5°) Je n’utiliserai pas de manière abusive le pouvoir que me donnent mes connaissances médicales pour influencer les patients dans leurs décisions.
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