xxx Depuis toujours la médecine a été soumise aux interrogations sur son rôle et sa fonction dans la société. La réponse met en avant, en général , ses objectifs humanitaires et la démarche rationnelle qu’elle utilise pour les atteindre. Depuis Vésale à la Renaissance et Descartes au siècle de Louis XIV, l’approche rationnelle des maladies n’a fait que s’accentuer, comme si la médecine avait toujours à démontrer qu’elle est bien la fille de la science. Cette évolution la conduit aujourd’hui à un rationalisme réductionniste laissant parfois douter de son essence humaniste.
xxx On pourrait se féliciter, en tant que citoyen, que les moyens utilisés pour notre santé soient placés sous le signe du rationnel. Mais ce critère de rationalité a été érigé en principe absolu, en dogme , dicté finalement par des règles économiques et imposé pour cette raison à tous les domaines et à tous les acteurs de la santé.
Dans cette recherche d’une médecine se voulant objective et objectivable, on a oublié de prendre en compte chez les patients et les soignants une part importante de leur être. Celui de leur subjectivité et de la façon à chaque fois unique dont les uns et les autres vivent la maladie, leur maladie.
Une démarche médicale objective est nécessaire à l’étude des maladies, nul ne peut le contester. Elle ne peut pourtant pas s’appliquer sans précautions aux relations humaines car elle risque de conduire à un appauvrissement de la relation médecin malade. Si comme le pensait déjà Hippocrate, la prise en compte de la subjectivité du patient est nécessaire à sa prise en charge thérapeutique, il faudrait que les soignants soient capables de l’intégrer dans leur pratique et de l’utiliser au mieux de leurs intérêts respectifs.
xxx La formulation des plaintes des patients et la manière dont ils comprennent et vivent leurs maladies tiennent peu de place aujourd’hui dans la consultation des médecins. Ceci est sans doute lié a l’enseignement de cette objectivité médicale qui leur a appris à se méfier des informations transmises et à les considérer en général comme peu fiables. Entendons par là difficilement évaluables
‘’La médecine par les preuves ‘’ (Evidence Base Médecine, EBM des anglo-saxons ) credo des sociétés scientifiques, est devenu aussi celui des autorités de santé puis rapidement celui des Caisses d’assurances maladie. Or si l’étude des phénomènes scientifiques se doit d’être objective, celle des phénomènes humains est bien plus complexe à appréhender.
Pour contourner la subjectivité humaine, la science médicale a recours à différentes méthodes de mesure. Les plus utilisées sont :
-L’analyse du symptôme à partir de l’exploration fonctionnelle, biologique ou imagée de l’organe défaillant. Ces mesures numériques transformées sont informatives mais coûteuses et mal adaptées aux suivis répétés des malades chroniques
- L’analyse statistique des données des patients et leur comparaison à celles des ‘références normatives, ou à celles relevées dans la littérature (bibliographie, méta analyses). La crédibilité accordée aux sciences des grands nombres repose sur leur puissance discriminative et sur leur capacité à mettre en évidence (ou non) une relation dite statistiquement significative entre les indicateurs choisis. Mais ce qui rend les statistiques incontournables en médecine, c’est sans doute leur capacité à manipuler (au sens propre et figuré) des données et des résultats sur des petits nombres.
xxx La subjectivité des soignants eux-mêmes reste une autre difficulté à gérer au cours des consultations . En effet, les médecins sont le plus souvent réticents à assumer leur propre implication dans les échanges avec les patients car ils sont mal préparés à communiquer et à reconnaître, pour mieux les gérer, leur propres émotions. Au cours de la négociation qui l’engage avec son patient, le médecin, qu’il le veuille ou non, est soumis à son propre comportement et à ses propres intérêts. Les recommandations (Guidelines ) sont là comme des indicateurs ou comme des garde - fou, ils ne suppriment en rien l’art difficile de la décision qui conduit à un choix thérapeutique pertinent.
xxxSi la recherche de la rationalité objective dans l’exercice de la médecine a montré ses limites il est peut être temps de prendre en compte la part de subjectivité présente dans la relation médecin malade afin d’extirper ce qui peut être bénéfique à leur relation. Ceci est d’autant plus pertinent que les grandes découvertes médicales se font rares et que le nombre de malades chroniques ne fait et ne fera que progresser du fait de l’allongement régulier de la durée de notre vie.
Pour réduire le flou inhérent à la subjectivité des informations données par le patient, on utilise des outils de conception simple, de faible coût qui évaluent le symptôme principal. Les plus utilisés sont basés sur le principe d’une échelle numérique graduée de 0 à10 sur laquelle le patient peut se positionner par rapport à l’estimation de sa plainte (plus ou moins de douleur, de dyspnée, de distance parcourue, ..) ou de son traitement (plus ou moins efficace). Ce type de mesure chiffrée est très utilisé aujourd’hui pour montrer le bénéfice d’un traitement, le patient étant ici son propre témoin. Cette évaluation est généralement complétée par un questionnaire de qualité de vie préalablement validé scientifiquement et que doit remplir le patient Cependant ces mesures récursives, faciles à utiliser et à manipuler par le patient et par les médecins -statisticiens, apportent au mieux des réponses aux questions ’’ pré formatées’’. Mais rien sur tout le reste !
Si on veut progresser dans le domaine complexe de l’intersubjectivité patient soignant, il faut inventer d’autres méthodes d’approche, impliquer les nouvelles techniques de communication entre médecins et les réseaux de malades. Cette évolution sera difficile à réussir pour bon nombre de médecins formés à la consultation classique en tête à tête avec le patient (ce qui peut se traduire en langage informatique par un ‘’mode client serveur’’). Demain, les cybermédecins, familiarisés avec la pratique du partage des données des patients, (DPP) pourront participer activement à l’exercice médical en réseau dit pair à pair, (peer to peer ou poste à poste) et contribuer à le faire évoluer.
Ce système est concevable sur le modèle de l’approche révolutionnaire de Google et de son classement de la qualité de l’information. Cela repose sur un principe simple, mais vérifié, selon lequel la jonction pondérée de nombreuses données subjectives fournit des outils efficaces et dans de nombreux domaines. On conçoit dès lors, apport étonnant de l’Internet à l’amélioration de la qualité des soins de santé, l’application possible de ce concept entre objectivité et subjectivité ( dit de pairjectivité ) dans l’exploration et l’exploitation à visée thérapeutique de la relation médecin malade.
Pour en savoir plus sur le concept de pairjectivité consulter le site atoute.org et les articles du Dr D. Dupagne animateur du site 20/09/2008 .
NDLR : Cette lettre aux accents futuristes illustre l’article 1 de notre Charte d’Hippocrate. Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 1°) Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l’environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.
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