Éthique, ou éthiques ?

Docteur François-Marie Michaut lui écrire

xxxParfois, il est difficile de ne pas être irrité par une sorte de sacralisation de l’action. Agir pour agir, de plus en plus vite, de plus en plus loin, de plus en plus fort, comme dans une sorte de griserie facilement contagieuse, voilà ce qu’on croit voir. Cependant, à y regarder de plus près, savoir comment se comporter soi-même dans les méandres de sa vie quotidienne n’est pas évident. Les gens de science ont tenté d’en faire l’étude en créant une discipline spécifique nommée l’éthologie. Ethos, en grec, signifie le comportement, les mœurs. Son inventeur, l’Etampois Geoffroy Saint-Hilaire, en 1854, a limité sa portée au monde animal. Le zoologue autrichien Konrad Lorentz en a jeté les fondements contemporains au 20 ème siècle. En ce qui concerne les hommes, force est de nous tourner vers ce que les philosophes, notamment Spinozza au 17 ème siècle, nomment l’éthique. L’éthique devient une partie intégrante de la philosophie en se souciant de la réflexion sur les façons dont nous nous comportons. Sa cousine la morale, dont le nom vient de la traduction en latin de ethos en mores ( les mœurs ), est plus considérée comme un ensemble de règles générales bien définies, et applicables par un groupe entier en un temps et un lieu donnés. Manière d’agir morale, immorale ou amorale sont des qualificatifs dogmatiques souvent utilisés dans les discours, alors que chacun en a son interprétation personnelle plus ou moins élastique et opportuniste.

xxxGardons ici le terme d’éthique, avec son aspect réflexif, en tenant compte du fait qu’il ne peut exister pour notre humanité une éthique unique et universelle, mais de multiples éthiques particulières, périssables, et, ce qui ne simplifie pas la question, éventuellement contradictoires entre elles. Par exemple, du côté des religions, le bouddhisme s’oppose à la destruction de toute vie animale quelle qu’elle soit, alors que l’Islam traditionnel considère la destruction physique des infidèles comme un acte de piété.
La question des incompatibilités entre l’éthique d’un groupe, comme une institution ou une entreprise, et l’éthique personnelle d’un se ses membres n’a rien d’anecdotique pour qui s’intéresse aux questions de santé.
xxxQuand s’installent des situations de harcèlement moral, que ce soit au travail, dans des groupes ou dans la famille, c’est un aspect qui a été longtemps négligé. Christiane Kreitlow, psychologue clinicienne à Paris, et fidèle de ce site, a publié dans la Revue Éthique et Santé ( éditeur Elsevier Masson ) de septembre 2008 un article intitulé << Le harcèlement moral au travail d’un point de vue éthique >> (1).

xxxLes personnes qui se retrouvent, pour leur malheur, dans le collimateur de ceux qui veulent les mettre dans l’impossibilité de vivre en accord avec leurs exigences éthiques personnelles, sont en conflit.
Il semble régner une incompatibilité, ou si vous préférez un conflit d’intérêt, entre leurs valeurs à eux, souvent exigeantes, et celles beaucoup plus pragmatiques qui ont force de loi dans le milieu professionnel.
Dans tous les récits, la passivité des témoins est relevée, sans qu’on puisse en comprendre clairement le mécanisme. L’idée du choc entre deux éthiques, celle qui dicte à une personne la façon dont elle doit et peut agir sans se renier elle-même, et celle que le groupe (ici professionnel) tente d’imposer en tenant compte de son seul intérêt en suivant de façon aveugle son leader d’opinion, est une excellente façon de comprendre les mécanisme de harcèlement. Ce n’est plus le schéma caricatural - et qui ne mène pas à grand chose - du gentil harcelé martyrisé par le démoniaque harceleur et ses acolytes lâchement passifs. Non, on est dans un combat entre des éthiques différentes, et cela nécessite, pour qui veut s’en sortir, de creuser encore sa propre éthique personnelle pour comprendre enfin la contradiction irréductible dans laquelle il s’est fait écraser.
Voilà qui ne peut pas réjouir ceux qui pensent qu’un médicament ou une thérapie miracle, pas plus qu’un traitement uniquement juridique ou social du harcèlement moral, est capable d’effacer les séquelles de ces drames humains.
Commencer à comprendre mieux l’incompréhensible, c’est déjà pouvoir souffrir moins du mécanisme de harcèlement psychologique.
xxxVoilà une bien bonne nouvelle, vous ne trouvez-pas ?

(1) Accès au résumé de l’article de Christiane Kreitlow