xxxLe « syndrome méditerranéen » désigne un comportement d’exagération des symptômes de la part d’un patient, et ce, du fait de ses origines, et de sa culture .
Ce terme méprisant, révélateur d’un racisme doctoral et médicalisé, provient de deux facteurs :
-De l’attitude non coutumière , inhabituelle, « folklorique » , et ressentie comme surjouée du patient étranger qui exprime sa plainte.
-De la tendance concomitante du personnel soignant à classer les malades entre faciles et difficiles, compliants ou…casse-pieds, « bons » et « mauvais » malades.
xxxLa personne étrangère à notre mode de vie, à notre culture, qui consulte dans notre pays , est confrontée à deux problèmes :
-Celui de la communication par le langage
-Celui de son vécu de la douleur, dépendant de facteurs individuels et culturels.
Tout d’abord la relation malade-médecin passe par une bonne communication, et l’on peut constater que le problème de la langue et le sentiment d’incompréhension de la part du souffrant majorent son angoisse, et de là très certainement ses symptômes. Au problème purement linguistique s’ajoute la capacité propre de la personne à verbaliser son mal, ceci dépend de la richesse du vocabulaire dont elle dispose, et peut être pauvre dans sa propre langue. Quelle sera la réaction du médecin face à cela ? Aura-t il la même réaction attentive face à un malade, étranger ou non d’ailleurs, qui saura exprimer avec un florilège de mots sa souffrance , par rapport à une personne dont le bagage linguistique est pauvre, et qui s’aidera de comparaisons maladroites ? Instinctivement il rejettera ce langage plus ou moins imagé, plus ou moins répétitif ou fruste comme non-scientifique et donc dénué d’intérêt, et sous-estimera la plainte douloureuse.
xxxDans l’analyse de la douleur et de son vécu on doit distinguer
-seuil douloureux,
-seuil de tolérance à la douleur,
- expression de la douleur.
Pour schématiser, objectivement le seuil douloureux est, en l’absence de lésion du système nerveux, commun à tous. Par contre le seuil de tolérance à la douleur diffère selon les facteurs socioprofessionnels, économiques, psychologiques, biologiques. Il est certain qu’on supportera moins bien une douleur dans un contexte de pauvreté, de chômage, de dépression, de grand âge, ou lorsqu’on est déjà atteint et affaibli par une autre maladie.
xxxL’expression de la douleur, elle, est étroitement liée au facteur culturel. En effet, la douleur, du moins son expression, n’est pas toujours proportionnelle à la gravité de la maladie et dépend aussi bien de la personnalité du sujet que de sa culture. La dimension individuelle de la douleur d’un patient est non partageable, elle dépend de son état psychologique, de son expérience personnelle ; par contre la dimension culturelle découle de l’appartenance d’un individu à un groupe culturel, ethnique et religieux, pour lequel le comportement face à la douleur est commun au groupe, coutumier et transmis à travers les générations.
L’aspect culturel comprend la dimension religieuse, sur laquelle il convient de se pencher . Il est évident que le musulman, le juif et le chrétien n’auront pas le même vécu, le même ressenti, la même attitude vis à vis de la douleur.
Pour le chrétien la douleur est une façon de se rapprocher de la perfection, de Dieu. La douleur a une valeur rédemptrice, elle doit être endurée stoïquement comme une punition et à fin d’expier nos péchés, à l’instar de Jésus qui accepta son calvaire pour nous laver de toute faute. C’est bien cet encombrant héritage chrétien qui a retardé à ce point la prise en charge médicale de la douleur dans notre pays .
Pour les judaïques, la douleur est perçue comme une épreuve pour renforcer les hommes, mais il n’y a pas d’attitude de mortification, la révolte est autorisée.
Dans l’Islam non plus on n’est pas confronté à la notion du juste souffrant, Dieu est essentiellement tout-puissant, le fidèle doit remettre sa vie entre ses mains, la douleur est plutôt intégrée dans une optique de prédestination, inscrite dans la condition humaine. Mais, et c’est là toute la différence d’avec la culture chrétienne, Dieu a donné à l’homme le droit et les moyens de la combattre. Étant donné que la douleur n’est pas un châtiment, la personne musulmane n’a pas d’entrave religieuse à adhérer à un traitement contre sa douleur, à le revendiquer, à le demander facilement, puisque l’humain avec l’aval divin peut tout mettre en œuvre pour la faire disparaître .
xxxDeux questions découlent de ces observations :
-Est-ce éthique de faire de la différence culturelle un critère dans la prise en charge de la douleur ?
-Est-ce d’actualité ?
A la première question , nous répondrons non, si la considération culturelle devient discriminatrice. Par contre si cet aspect de la personne étrangère à traiter est compris dans une prise en charge globale de la douleur et débouche sur une meilleure appréhension du problème, alors il est souhaitable de connaître et de comprendre ces différences culturelles et d’origines.
A la deuxième question l’avenir répondra. Il est vrai que les populations sont de moins en moins confinées et qu’il existe une mondialisation dans la culture, les goûts, les comportements, les habitudes de vie, et qu’on peut s’attendre à ce que la différence de vécu face à la maladie, la douleur , la mort soit progressivement gommée .
Pour conclure, il est indispensable d’opter pour une prise en charge globale de la plainte, parce que le malade, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, cherche toujours la raison de sa douleur, il cherche à comprendre ce qui cause son mal. Si le médecin n’est pas enclin à l’écouter, à le considérer dans son entité individuelle, psychologique, sociale et ne fait pas l’effort de comprendre ses patients en fonction de leur appartenance à des groupes culturels différents, alors il ne faudra pas s’étonner que le malade, se sentant incompris, rejeté, voire méprisé, aille trouver les réponses ailleurs, chez des guérisseurs ou des rebouteux plus ou moins honnêtes, mais qui, eux, apporteront toujours des… « réponses ».
NDLR : Cette lettre illustre l’article 7 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE . Lien
- 7°) Je reconnaîtrai l’autonomie de la personne et respecterai sa volonté et ses croyances en faisant abstraction de mes propres convictions culturelles , idéologiques, philosophiques ou religieuses, et de toute appartenance à une catégorie sociale ou à un groupe.
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