Compromission

Docteur Françoise Dencuff lui écrire

xxxxDéfinition de la compromission : renoncement à ses principes par lâcheté ou par intérêt. Acte par lequel on transige avec sa conscience.
C’est un article paru le 18 mai sur Egora.fr qui est à l’origine de ces quelques modestes réflexions.
Le professeur Granger, psychiatre à l´hôpital Cochin et initiateur du Mouvement de défense de l´hôpital public (Mdhp), opposant au volet hôpital du projet de loi Bachelot a été censuré par la direction générale de l’AP-HP suite à la diffusion à tous ses confrères chefs de service et à la presse d’un document encore confidentiel, à savoir le « Tableau prévisionnel des effectifs rémunérés » (Tper) pour 2009.
Document dérangeant puisqu’il prévoit la suppression de 605 postes de personnels soignants (permanents et remplaçants) et 100 (seulement !) dans les postes administratifs.

xxxxLa connexion internet a depuis été rétablie mais elle est maintenant « modérée » puisque tout projet de mail doit être validée par la direction de la politique médicale.
De quelle confiance parlons-nous ? Celle de la direction de l’AP-HP vis-à-vis de son salarié ou celle de Bernard Granger vis-à-vis de ses patients ?
Beaucoup d’entre nous se sont trouvés dans une situation où leurs principes, leurs valeurs étaient confrontés à la réalité économique ou relationnelle.
La seule vraie question est la suivante : cette dénonciation (risquée) a-t-elle été dictée par les valeurs d’honnêteté et d’engagement pour le mieux être des patients ou simplement par les jeux de pouvoir entre administratifs et corps médical.
De même la dénonciation médiatique de Patrick Pelloux lors de la canicule de 2003 était-elle une occasion de mise en avant ou a-t-elle servi les patients ?
Il est délicat de vouloir éclairer les motivations des uns et des autres mais légitime de s’interroger sur les résultats attendus de telle ou telle intervention. Jusqu’où sommes-nous prêts à accepter la compromission ? Sommes-nous toujours animés par un désir de justesse, mesurons nous les conséquences de nos actes pour l’ensemble du corps de santé, patients compris ?

xxxAu risque de passer pour cyniques nous acceptons les compromissions chaque jour sous couvert de : cela ne sert à rien de réagir, nous ne sommes pas assez nombreux, nous n’avons pas assez de poids, « ils » auront toujours le dernier mot, pourquoi me mettre en danger puisque de toute façon tout le monde s’en fout…
Exmed, depuis 602 LEM, pointe chaque semaine les dérives du système de soins sans beaucoup de réactions de la part des internautes de la profession. Le nombrilisme exacerbé de notre société efface peu à peu les contours de notre charte (d’hypocrite comme disent les carabins). Le patient devenu client ou usager est placé dans une position de marchandage commercial.
Bref la conscience de soi, de ses limites, de ses valeurs se noie dans une soupe de « bons sentiments » égoïstes.
Pourquoi si peu de participation sur la liste de discussion, si peu d’engagement à écrire et décrire les abus ? Parce que la conscience de soi est suspecte dans un monde normalisé où l’on prône surtout la conscience du danger.

xxxAlors comment expliquer les engagements médiatiques, sont-ils à dénoncer aussi ? Tout est-il permis ? Comment être politique sans faire de la politique ? Comment se préoccuper du « bien de la cité » sans se laisser aller aux « trompettes de la renommée » ? Comment être entendus sans hurler dans les micros, sans mettre en scène les actes de rébellion ?
La compromission est l’ombre portée de la résistance, la tentation de penser que l’on sera protégé, la négation même de la responsabilité. Car il est forcément question, à fortiori quand il s’agit de défendre la qualité des soins, de responsabilité. Responsabilité devant les patients et devant nos pairs. Responsabilité d’être et de faire pour le bien commun.
Alors doit-on condamner le Pr Granger pour son atteinte au sacro saint devoir de réserve ? Son geste permettra-t-il à nos grands administrateurs de réaliser qu’il y a parfois une limite à la compromission ? Pas sûr mais ce geste méritait en tout cas d’être relayé ainsi que la disproportion de la réaction des instances dirigeantes de l’AP-HP.
Dans un monde internet…ionalisé le « pas vu, pas pris » n’est plus de mise !