xxxC’est bien pire que la grippe A H1 N1 en cours. Il ne s’agit plus de quelques régions rurales isolées, ni même des seuls médecins généralistes exerçant dans des zones réputées difficiles, nous assistons à une épidémie de fermetures de cabinets médicaux libéraux. Peu à peu, l’ensemble des spécialités cliniques est atteint sur le territoire français. Il devient de plus en plus difficile, et même souvent déjà impossible, à ceux qui partent en retraite de trouver un successeur.
Les universités continuent d’appliquer un numerus clausus sévère, comme si nous étions encore en période de pléthore médicale. Disons donc, pour le public non médical, que nous formons relativement peu de médecins, et que les postes de professionnels qui se libèrent ne trouvent plus assez de candidats pour pouvoir être normalement occupés afin de soigner les malades.
La situation du côté des hôpitaux publics n’est guère plus enviable, avec des difficultés énormes de pouvoir recruter assez de praticiens dans certaines disciplines comme l’anesthésie, la chirurgie ou la médecine d’urgence.
xxxJamais le public, nous disent les sondeurs d’opinion depuis plus de vingt ans, n’a manifesté un tel engouement pour la médecine et ses prouesses réelles ou supposées. Les gens ont en grande estime leur médecin, médecin généraliste ( celui qui est le plus proche de la population) en tête, avec des scores à faire pâlir toutes les autres professions sans aucune exception. Bien entendu, jamais encore les actions en justice contre des praticiens n’ont également été aussi fréquentes, jamais non plus la presse n’a autant fait des gorges chaudes de la moindre suspicion de bavure ou d’erreur médicale.
Mais jamais non plus nos gouvernants ne se sont immiscés à ce point dans la manière, dont, à leurs yeux, nous devrions exercer notre métier. Sous une pluie de recommandations, de protocoles, de guides de bonne pratique, de contrôles, de déclarations obligatoires et sous la férule de multiples hauts comités et d’armées d’experts en chambre, tout semble se passer comme si les responsables du monde de la santé considéraient les médecins de ville comme des irresponsables et des délinquants potentiels à surveiller et à << maîtriser >> au plus près. Vous auriez envie, vous, de vous retrouver dans cette situation ?
xxxIl est évident que l’envolée vertigineuse des masses d’argent que les pays riches consacrent à maintenir ou rétablir la santé de leurs citoyens ne peut plus être considérée comme un phénomène sans importance. Mais est-il acceptable que la question des soins soit réduite à la tentative, toujours aussi vaine, de boucher le légendaire << trou de la Sécu >> ?
La conscience des équilibres comptables entre les recettes et les dépenses d’un système d’assurance collective semble hélas la plus développée. Être traité en permanence de profiteur et de gaspilleur des fonds collectés par ou pour l’assurance maladie, pensez-vous que ce soit de nature à donner envie à des jeunes gens d’exercer nos métiers ?
Tant que ne seront pas clairement formulées par nos sociétés ce qu’elles attendent des différents métiers de la santé, et la place que chacun est en droit d’en attendre pour pouvoir y consacrer avec bonheur sa vie professionnelle, le nombre des médecins continuera de fondre. Car le fameux << no future >>, c’est exactement ce que peuvent ressentir ceux qui viennent d’achever de très longues et exigeantes études quand le temps de voler de ses propres ailes survient. Dans les années 1980, l’âge moyen des généralistes lors de leur installation était de 29 ans. Actuellement, il est de 39 ans.
xxxLe rêve d’une médecine aussi totalement automatisée que nos actuelles chaînes de montage des automobiles ferait bien l’affaire de nos responsables des politiques de santé. Mais pas un seul professionnel de la santé ne peut y croire. Que cela donne du fil à retordre ou non à nos dirigeants, et comme nous aurons toujours besoin, notamment, de médecins de proximité, que faut-il faire ? D’abord, cesser de nous laisser berner d’illusions avec des mesurettes circonstancielles du genre de primes à l’installation. Proposer ce genre d’appât ne peut que renforcer encore la méfiance des jeunes médecins à se lancer dans l’aventure d’un cabinet personnel ou de groupe. Est-ce que je ne vais pas me faire enfermer à vie, et sans aucun espoir de pouvoir en ressortir, dans un piège redoutable ? Cesser aussi de ne pas donner aux médecins la compétence indispensable pour pouvoir se lancer dans des métiers que l’université et l’hôpital ignorent complètement et méprisent.
Nos juniors sont eux aussi nourris au lait toxique du principe de précaution. Comme, manquant cruellement de vraie formation adaptée, ils ne se sentent absolument pas sûrs d’eux et ne veulent donc pas prendre de responsabilité. D’où la fuite en masse vers des emplois salariés, juste pour se protéger eux-mêmes. Précaution, précaution encore et toujours : faut-il les blâmer ?
Que faisons-nous pour leur faciliter vraiment le passage vers des métiers indissociables de la responsabilité personnelle et de tous ses dangers ? Jusqu’à présent rien. C’est pourtant exactement à ce niveau qu’il faudrait faire preuve d’imagination et de créativité, si on voulait vraiment soigner l’hémorragie de la démographie médicale. Mais le veut-on vraiment ?
Il n’y a aucune raison que des jeunes médecins s’il sont assez solidement formés, y compris dans toutes les petites choses du quotidien, s’ils gardent la sécurité de pouvoir se faire appuyer en cas de besoin par des pairs plus expérimentés qu’eux, s’ils ont le sentiment qu’ils sont respectables, donc largement respectés, s’ils savent qu’ils pourront exercer un jour d’autres fonctions, se détournent de la médecine individuelle.
Depuis 600 semaines, nous publions des LEM avec de multiples constats et des tas de propositions qui répondraient fort bien à cette façon de voir les choses.
Rien, hélas, ne bouge vraiment dans ce sens !
La balle est dans votre camp, messieurs les politiques. Vous pouvez continuer de faire semblant de ne pas écouter les voix des sans grade.
Peut-être le paierez-vous un jour très cher ( comme nous tous) quand cette maladie que vous pensiez tenir en laisse viendra vous tirer par les pieds.
NDLR : Cette lettre illustre l’article 13 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE . Lien
13°) Je participerai à la transmission des connaissances et des savoirs acquis.
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