xxxAvant tout, et pour que nous parlions bien de la même chose, voici les définitions retenues :
Tabou, mot d’origine polynésienne, se référant à ce « qui ne peut être fait, prononcé, touché par crainte, par respect, par pudeur ».
Intimité : vie intérieure profonde, nature essentielle (de quelqu'un) ; ce qui reste généralement caché sous les apparences, impénétrable à l'analyse.
L’alliance de ces deux mots paraît au premier abord parfaitement fantaisiste. Comment peut-on imaginer frapper d’interdit la vie intérieure ? C’est pourtant ce que nos sociétés, dites développées, s’acharnent à faire tout en valorisant la notion de secret.
xxxLe secret, si cher à nos élites, origine de tant de déviances, a peu à peu rendu l’intimité impossible. Paradoxal certes et pourtant. Il était un temps que les moins de vingt ans… où la notion d’intimité était fortement liée à celle de respect. Tout ne pouvait pas se dire, ou se montrer. Il s’agissait du respect de soi (et l’on disait pudeur) et souvent du respect d’autrui.
Bien commode dans certaines situations, cette limite de l’intimité n’était que la conscience d’une possible agression de l’autre.
Peu à peu le secret a remplacé l’intimité. De la même famille que les mots crible, crime, crise (ça vous rappelle quelle que chose n’est-ce pas ?), le secret met à part. Il ne respecte pas, il occulte, il dissimule.
xxxIl y a loin entre ce qui ne peut se dire, et ce qui veut se taire. L’intimité appartient à l’impossibilité du dire, le secret à la volonté du silence. Le secret a tellement pris de place qu’il a exigé, pour pouvoir exister, le dévoilement de l’intime. L’intime est devenu tabou. Il fait peur puisqu’il empêche la maîtrise de l’autre, de ses désirs. Dans notre société pas de place pour l’inconnu. L’intime ne se partage pas puisqu’il ne s’analyse pas. Le secret se partage…entre initiés.
Quel curieux sujet sur un site réservé à l’expression médicale. Pourtant quoi de plus intime que la relation au corps et à la souffrance de l’autre ? Nous avons le secret, mais nous avons perdu l’intime de la relation. Nous nous abritons… quand cela nous arrange, derrière le secret professionnel, mais nous ne voulons plus pactiser avec l’intime de nos patients. Cette part « impénétrable à l’analyse » et qui pourtant fonde l’exercice même de notre art. Nous découpons, disséquons, analysons et l’humain disparaît.
xxxLa volonté de transparence, le goût de l’exhibition veulent prendre les habits de la vérité. Quelle vérité peut-elle se dire dans cette complaisance émotionnelle étalée sur tous les écrans ? La vérité de l’intime, en soi et pour l’autre, réside dans les ombres portées. La froide lumière des projecteurs, ou des scialytiques, écrase toutes les dimensions de l’être. Cette vérité croit confondre le secret… elle ne fait que lui donner encore plus de pouvoir. Plus elle dévoile, et plus le secret œuvre dans son ombre.
Plus d’intime, pire encore : surtout pas d’intime, afin que l’être montre tout, et reste manipulé par ceux et celles qui agitent le chiffon de la transparence pour mieux rester dans le pouvoir des initiés.
NDLR : Cette lettre illustre l’article 8 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 8°) Je ne renoncerai pas à protéger les personnes affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité.
|
|