xxx On ne devrait pas souffler à l’encontre du vent de l’opinion générale…. Soufflons quand même, les filles ! D’autant que les temps sont durs, entre les obscures Dark Wadorettes affublées de voiles noirs au nom de la religion nous expliquant que c’est là la vraie liberté des femmes, et dix jolies starlettes qui se dépoitraillent pour, soi-disant, sensibiliser à la campagne de dépistage du cancer du sein, nous sommes cernées par une exhibitionitude ambiante galopante aiguë, dans un sens comme dans l’autre, contre laquelle il ne semble exister de remède. Revenons sur les faits : en septembre 2009, dix stars françaises, actrices et top(-less)-modèles posent seins nus dans Marie Claire pour apporter leur contribution à la lutte contre le cancer du sein. La mise en scène est sobre, en noir et blanc, le regard volontairement inexpressif (ça n’a pas dû être trop difficile), tourné vers l’interlocutrice, c’est à dire…. NOUS ! Le résultat n’est pas inesthétique, ce sont des tops après tout, qu’en est-il des impacts de ces photos? L’un d’eux est bien certainement une belle retombée pour le magazine Marie Claire qui doit se frotter les mains, d’autant que l’incitation au voyeurisme , dont se défend évidemment la mise en scène très simple des modèles, élargit les ventes à un lectorat masculin supplémentaire. Excitation sexuelle et maladie, voilà une association innovante et originale, dont la revue tire un bon profit, et tout en se donnant bonne conscience, c’est pour la bonne cause, et que ne ferait-on pas pour la bonne cause !
xxxL’autre impact est la stimulation du réflexe de peur de la lectrice, par la juxtaposition du texte : « elle a montré ses seins, elle a sauvé sa vie », à peine menaçant ça : si vous ne montrez pas vos seins, vous êtes une criminelle mettant une vie en danger. Les femmes non atteintes n’ont pas attendu Marie Claire pour se faire dépister et montrer leur poitrine, non pas en l’exhibant en des milliers d’exemplaires servant à se refaire une notoriété personnelle, mais dans un contexte purement médical. La nécessité de se faire dépister n’est pas un scoop pour les femmes. Celles qui sont atteintes dans leur chair après cette maladie vont donc constater, une fois de plus, à quel point leur anatomie mutilée ressemble bien peu à ces corps indemnes, déployées sur papier glacé comme une provocation supplémentaire, et prendre un peu plus conscience combien elles sont éloignées de cet idéal. Car il ne s’agit pas de dévoiler simplement sa tenue d’Eve lors d’un examen, il s’agit de montrer un organe potentiellement malade, par lequel la mort peut survenir. La campagne de photographies dans la revue Marie Claire passe complètement au-dessus de cet aspect, ces femmes posent pour un photographe qui les met malgré tout en valeur en dévoilant un corps intact ; le passage devant un mammographe est complètement dénué de coquetterie, l’appareil « photographique » ici n’est pas un ami, c’est un instrument douloureux qui potentiellement va faire basculer notre vie, parce qu’il voit la maladie, en-dedans du corps. Il ne glisse pas esthétiquement sur des formes harmonieuses, non, il va fouiller au plus profond de la chair et démasquer ce qui nous terrorise, toutes, et qui fera que nous ne nous déshabillerons plus jamais avec cette belle désinvolture.
xxxOn ne donne pas à boire à un chameau qui n’a plus soif, notre époque nous jette en pâture constamment jusqu’au gavage des images du corps devenu « objet » ; la nudité a beau ne plus être honteuse, la débauche d’idéaux féminins dans les magazines ne facilite pas pour la femme lambda, et encore moins pour la cancéreuse de s’exposer au regard , ne serait-ce que celui de la manipulatrice radio, du médecin radiologue ou du chirurgien. Le médecin, l’appareil de radiologie ont une fonction intrusive dans l’intimité et la dignité, et extériorisent l’intérieur de la personne. Le cliché médical est un informateur sur sa physiologie, c’est une deuxième mise à nu, qui n’a rien à voir avec juste le fait de se déshabiller. Il n’est pas question simplement de convaincre les femmes à se déshabiller, il est question de le leur faire faire à bon escient, au bon moment, et dans le cadre d’un suivi par des médecins, de façon adaptée : dépistage systématisé pour les unes, personnalisé pour les autres.
Parce que le gros du problème est que les actrices et les mannequins pensent ! Mais si ! On ne demande pas du tout à des professionnels de la santé de se prononcer sur le dépistage, d’en expliquer les tenants et les aboutissants, pas du tout, ce sont les top-modèles, Estelle Lefébure en tête, avec l’appui de Tina Kieffer, rédactrice en chef de Marie Claire, qui plaident pour un dépistage systématique gratuit à partir de 40 ans, en demandant même à Mme Carla Bruni-Sarkozy d’intervenir en sa faveur ! Le sujet de cet article ici n’est pas de discuter du bien fondé d’une telle demande, contestée par les professionnels épidémiologistes et cancérologues sur son efficacité, contestée aussi pour des raisons de sur-diagnostics et de multiplication d’investigations coûteuses et délétères à la suite de « faux positifs » inhérents à l’imagerie particulière dans cette tranche d’âge entre 40 et 50 ans, qui justifie le dépistage systématique seulement après 50ans. Tout cela est un débat à part, mais qui n’a pas eu lieu puisqu’on ne demande pas l’avis des médecins! Ce qui paraît inacceptable est que le médecin est singulièrement absent dans ces discussions autour des sujets aussi importants que le dépistage et la prévention du cancer du sein, aussi bien dans la revue que lors des émissions télévisées ou radiophoniques sur le sujet.
Pour le bien des femmes, belles actrices et coureuses de podium, abstenez-vous donc de réfléchir, faites ce pour quoi vous êtes payées et qui semble déjà si difficile pour vous, à savoir mettre un pied devant l’autre sur une trajectoire linéaire en faisant des demi-tours sans se casser un talon ou se faire une entorse aux neurones, et laissez la réflexion à ceux qui possèdent ce qu’il faut pour cela : un cerveau, une connaissance médicale, des arguments scientifiques. Ou faut-il que les médecins s’imposent, nus comme des vers, sur les plateaux télévisés pour se faire entendre ?
XXXEt puis pourquoi la nudité féminine est-elle utilisée, une fois de plus, à des fins pseudo-philanthropiques ? Pourquoi la nudité masculine rencontre-t' elle encore dans le grand public un accueil si frileux ? Le problème de l’homme serait-il son pénis ? A-t' il peur de se voir ridiculisé ou vulnérable par l’exposition de cet organe…télescopique, flanqué là comme une fioriture décorative ? La libération du corps masculin s’est faite depuis 1980 à nos jours en grande partie à travers la photographie, mais c’est son UTILISATION à l’instar de celui de la femme qui traduira alors vraiment l’égalité entre les deux sexes . Je croirai vraiment en la dimension philanthropique et d’intérêt général de ce genre de déshabillage public lorsqu’un jour des stars masculines du show biz voudront bien, pour sensibiliser à la détection du cancer du testicule ou de la prostate, baisser le pantalon ou relever le kilt avec la phrase en surimpression : « il a montré ses bourses, il a sauvé sa vie ».
Non mais en fait, je ne suis pas juste, la performance de nos dix naïades aura eu son utilité, et je suis sûre que les routiers sympas, on the road, se sentent bien entourés dans leurs heures solitaires, avec ces belles sur papier glacé placardées aux parois de leur cabine….
Pour conclure, si vraiment la santé publique doit être confiée à des rédactrices de revue, des actrices et des ex-mannequins, nous pourrons toujours, nous, les médecins, nous recycler en défilant sur les podiums, en tenue de ce que vous voulez d’ailleurs !
Cette lettre illustre l’article 8 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
8°) Je ne renoncerai pas à protéger les personnes affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou dans leur dignité.
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