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La Lettre d'Expression Médicale
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 N° 648
 
 
       12 avril 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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La médecine romaine, voie d’avenir

Photo auteur ;;;;;;;;;; Docteur Bruno Blaive, lui écrire

xxxEn cherchant dans ma bibliothèque une documentation sur << l’être - médecin >>, concept que nous cherchons à cerner sur ce site, je suis tombé par hasard (mais existe t il) sur un livre intitulé << Être médecin à Rome >> de Jacques André (1). Cet érudit des traités grecs et latins de médecine met en scène la condition des médecins au cours des premiers siècles avant et après JC. L’auteur décrit l’exercice médical sous la République puis l’Empire en faisant référence à la littérature médicale, à des textes provenant d’historiens, de philosophes, de poètes satiriques, à des correspondances ( Pline, Cicéron) ou encore à des comptes rendus juridiques.
xxx Ce document nous permet de comprendre l’évolution de la médecine et des médecins dans la société romaine et, en cela, il nous invite à réfléchir sur l ’évolution de notre propre système de soins.

retrouver la confiance

xxxAu cours du 1er siècle avant J C, la médecine à Rome est exercée essentiellement par des médecins d’origine grecque. Ils sont esclaves et appartiennent à un maître qui peut les louer ou les affranchir en fonction des services rendus. A l’origine ils sont généralistes et peu nombreux, mais leur nombre augmente rapidement et entraîne une concurrence de plus en plus forte au sein de la profession. Celle-ci favorise alors le développement de spécialités médicales et ce d’autant plus qu’apparaissent de nouvelles maladies liées à l’amélioration des conditions de vie (obésité, goutte, troubles digestifs). Ainsi, Galien (2) dénonce le morcellement excessif et ridicule de la médecine en multiples spécialités (oculiste, dermatologue, diététicien, hydrothérapeute, pharmaceutique, médecin des dents, chirurgien ) . La médecine romaine est libérale et offre plusieurs niveaux de prestations :-celles des médecins  de haut rang, peu nombreux mais très riches exerçant dans les grandes villes (médecin personnel de riches commerçants, médecin de la Cour)- celles des médecins des faubourgs ou des campagnes, pauvres , exerçant sans privilège et représentant la grande majorité du corps médical ; enfin, -celles des médecins des collectivités, fonctionnaires urbains à rémunérations fixes, ayant droit à une clientèle privée et bénéficiant comme les plus riches de privilèges (l’Immunitas) Ils sont médecins des jeux (arènes) des jardins et bibliothèques publiques, des arsenaux et des armées, des exploitations minières et des manufactures, des communautés religieuses, etc.
xxx Ce modèle romain, toujours d’actualité, crée une médecine à plusieurs vitesses, toujours plus inégalitaire durant les périodes de crise. Aujourd’hui, dans un contexte morose, la majorité des citoyens ne croit plus à un système de santé efficace et juste. Retrouver leur confiance est donc un objectif essentiel à atteindre dans une politique de santé équitable et durable ; celle-ci demande sans doute de repenser l’ensemble du système de soins, mais aussi sa philosophie, celle de ses acteurs et de ses bénéficiaires.


restaurer la conscience

xxxLa médecine romaine est reconnue comme scientifique avec la mise en place d’un l’enseignement médical régulier (facultatif et de durée variable de 6 mois à 12 ans); d’abord privé sous la direction de maîtres grecs, puis sous l’Empire assuré par des professeurs appointés par l’état. Le développement de la profession suit celui de la société romaine, le médecin exerce dans un cabinet (médicina) avec salle d’attente, salle d’examen, armoire à remèdes et à poisons ou les drogues sont enfermées.
xxxL’assistance médicale gratuite se développe progressivement dans les grandes villes, d’abord réservée aux communautés d’esclaves puis aux employés de collectivités, plus tardivement aux indigents. Une brève hospitalisation au domicile privé du médecin est possible mais réservée aux plus riches. Les hôpitaux gratuits apparaîtront avec le christianisme mais sous la forme d’établissements privés charitables et sans que l’on connaisse le rôle des médecins. Le mode de recrutement de ses derniers évolue également avec notamment l’introduction du numerus clausus et les concours pour les médecins fonctionnaires urbains. Les catégories professionnelles s’enrichissent de nouvelles spécialisations : médecin du travail (dans les collectivités), médecin légiste (certificats de maladie, permis d’inhumer, accidents mortels et criminels.). L’organisation de la pratique médicale évoluait en fonction des besoins et des contraintes et les romains, qui étaient très pragmatiques, ne manquèrent pas d’imagination pour améliorer les conditions d’exercice des médecins, ou l’accès aux soins. Ainsi par exemple J André rapporte que pour pallier le manque initial de médecins, les autorités de la république facilitent le recrutement des meilleurs médecins étrangers (Grecs) puis, lorsque ces besoins médicaux sont assurés elles introduisent à la fin de la formation des médecins un ’’numerus clausus’’. Ce système, encore appliqué de nos jours, permettait de réguler efficacement les besoins en médecins (ce qui n’est plus le cas actuellement). Un autre facteur de régulation permettait de limiter la concurrence et concernait les médecins provinciaux (d’Asie ou d’Afrique) ? Ceux-ci devaient en effet obligatoirement retourner au bout de quatre années, ce qui correspondait à la durée moyenne des études médicales, dans leur pays d’origine pour y exercer.
xxx Par ailleurs, pour faciliter le recrutement et disposer de médecins qualifiés, les autorités romaines accordaient des facilités comme, par exemple : des bourses réservées aux étudiants provinciaux méritants autorisés à suivre les cours à l’université de Rome, ou organisaient déjà des cours de perfectionnement post-universitaire. Ceux-ci étaient réservés aux médecins installés et assurés par des maîtres comme Galien sous forme de conférences et de démonstrations publiques Les médecins de la république puis ceux de l’empire bénéficiaient aussi de privilèges qui laissent rêveurs aujourd’hui comme les ‘’Immunitas’. Ces privilèges s’étendaient à plusieurs domaines :-social  avec l’exemption des charges publiques et des charges vils, (impôts) -juridiques avec interdiction d’assigner un médecin en justice (sauf faute, négligence ou imprudence,) protection des dommages causés par ses employés (libres ou esclaves), exemption des charges de tutelle (caution) -militaire ou sacerdotale, civique avec l’exemption des charges et des obligations -professionnels avec des  gratifications financières supplémentaires aux honoraires en fonction de la fortune et de la gravite de la maladie ; droit à l’affranchissement des médecins esclaves, et de reconnaissance de la citoyenneté romaine, droits aux honneurs (dons pour statues, effigies de monnaie, legs).
xxxMais la médecine romaine était aussi capable de s’adapter aux besoins de son époque ainsi  elle disposait :
-de médecins cliniciens ambulants, car une grande partie de la population vivait dans des régions isolées ou dans des cités de petite taille ou la présence d’établissements de santé n’étaient pas rentables. Les paysans de ces territoires étaient donc condamnés à recourir aux rebouteux ou aux guérisseurs. Aussi à partir du III e siècle après J C, les responsables politiques autorisèrent la pratique d’une médecine itinérante par des médecins dits Médecins de régions.
-de consultations à distance qui étaient pratiquées par des médecins renommés comme Galien  et qui reposait sur un réseau de communication. Elle concernait des patients ‘’cultivés ‘capables d’exprimer les symptômes de leur maladie et d’appliquer les traitements, ou encore des patients’’ aisés’’, résidant dans des provinces éloignées de Rome.
-d’une aide à domicile, notamment lorsque la surveillance du patient s’avérait nécessaire. Après sa visite, le médecin pouvait laisser au domicile du patient, un élève de confiance capable d’assurer le suivi du traitement, de le tenir informé et, si besoin, même d’agir en urgence.


renforcer la compétence

xxxSi les bases de la médecine clinique et de la thérapeutique occidentale sont attribuées aux Grecs, on peut reconnaître aux romains l’enseignement et la pratique de la médecine moderne. En effet, à travers les quelques exemples empruntés à J. André on peut constater que la pratique médicale sous la République ou l’Empire était assez proche de celle que nous connaissons encore aujourd’hui. On peut aussi penser, d’après les privilèges qui leur ont été accordés, et malgré leur statut d’esclave, que les médecins tenaient une place importante dans la société romaine. Aujourd’hui si l’estime du médecin persiste à titre individuel, il a perdu celle de la société et des autorités de santé. Pourtant ses capacités à prévenir, soigner, voire guérir sont sans commune mesure à notre époque. D’où vient alors cette perte de reconnaissance ? Peut être qu’à ne soigner que les corps et par morceaux, les médecins d’aujourd’hui ont oublié l’âme de leurs patients en chemin ? Si cela était, ne faudrait il pas faire appel à la Philosophie qui était considérée par les Grecs comme la médecine de l’âme? xxxxxxxxxL‘introduction récente de la philosophie (50 H) dans le programme d’enseignement des futurs médecins va dans ce sens, mais cela sera-t- il suffisant pour modifier le comportement des médecins et des patients .
Que peut on en attendre ? D’après le philosophe Epictète, << ce qui tourmente les hommes ce n’est pas la réalité mais les opinions qu’ils s’en font >> . Or pour Éric Delassus (3) qui enseigne la philosophie cette discipline << permet d’appréhender la maladie et d’éliminer de la représentation que nous en faisons, toutes les productions de notre imagination qui la rende pénible et douloureuse >>. Cet auteur propose ainsi une philosophie préventive qui prépare l’homme sain à appréhender les perspectives les plus angoissantes de sa vie, la maladie, la souffrance  << à anticiper les malheurs à venir pour s’y préparer et jouir du présent >> et une philosophie curative qui permet au patient de mieux assumer sa maladie en étant acteur de sa vie et de ses soins.
xxx Cet accompagnement philosophique serait assuré par un philosophe ou un soignant possédant une formation dans ce domaine. Il serait fait à la demande du malade en respectant ses convictions, ses croyances, en essayant de lui rendre une envie de vivre, et pour les plus désespérés une certaine sérénité. Cette approche permettrait probablement de rééquilibrer dans la relation médecin malade l’écoute des patients, ce qu’ils revendiquent, mais aussi de réduire les prescriptions rassurantes mais non nécessaires. Si cela se réalisait, on accéderait alors à une nouvelle aire de la médecine, plus éthique, plus humaine, une médecine globale qui concilierait les anciens et des modernes , les Grecs et les Romains.

Notes :
(1) Etre médecin à Rome, J. André. Collection petite Bibliothèque de Payot 1995
(2) NDLR : En savoir plus sur Galien ( Claudius Galenus ) http://fr.wikipedia.org/wiki/Galien
(3) La philosophie peut elle jouer un rôle dans l’accompagnement des malades E. Delassus


 


Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
Cette lettre en illustre l’article 17
Je participerai à la transmission des connaissances et des savoirs acquis.


Os court : << En cachant quelque chose, vous vous découvrez. >>
Louis Scutenaire


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  La maladie de la valeur, Max Dorra

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