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Mon ami et complice regretté (1) Jacques Blais ne cessait dans ses publications sur ce site d'insister sur la différence fondamentale entre être et exister. On est à partir du moment où la biologie qui nous constitue ( animaux ou végétaux) se met en mouvement jusqu'au jour inéluctable de notre mort.
Joumana Haddad, née en 1970, donc juste avant la guerre terrible que chacun garde en mémoire, à Beyrouth, vient de publier aux Éditions Actes Sud, traduit de l'anglais par Anne-Laure Tissut, un remarquable petit livre (141 pages), qui est une poignante et brillante démonstration de ce peut, et à mes yeux doit, être la construction sans concession d'une véritable existence. Le mouvement de s'extirper de ce qui nous a été donné par la naissance pour construire ce qu'il y a de plus humain et de plus haut en nous.
Ne pas se laisser influencer par les clichés que nous trimbalons facilement sur les populations et les cultures des pays du pourtour méditerranéen, notre auteur y met rapidement un frein des plus efficaces.
Ses fonctions de responsable des pages culturelles du quotidien Al-Nahar ( La Lumière, en français) lui donnent pour cela les armes les plus efficaces. Que le lecteur ne se laisse pas trop aveugler par le fait que Joumana a crée en 2009, au milieu des pires difficultés qu'elle raconte, grâce à internet, la revue JASAD ( Corps) (2). Oser glorifier le corps et les corps dans toute leur splendeur et leur vie dans l'univers culturel arabe force l'admiration. Il faut une solide confiance en soi-même pour ouvrir une telle voie.
Confiance en ses propres potentialités aussi freinées puissent-elles être par des traditions à nos yeux écrasantes.
Je dis bien à nos yeux de vieux européens de l'ouest nanti, avec leur myopie sur notre réalité profonde. Que l'auteur soit une femme qui n'a ni froid aux yeux, ni sa plume dans sa poche, renforce encore considérablement le message de portée mondiale qu'elle envoie. Ce n'est probablement pas pour rien que: «I killed Sheherazade» a été écrit en anglais par l'ancienne élève des bonnes soeurs françaises du Liban. Elle nous dit clairement quelque chose que nous suggèrent chacun à leur façon les nombreux mouvements actuels des peuples du monde, qu'ils soient arabes ou non. Le temps de la soumission aveugle de peuples entiers à des pouvoirs qui s'arrogent la toute puissance sur chacune de nos vies fait déjà partie du passé.
Si les nations sont en mouvement, parfois de façon dramatiques, les personnes aussi, et particulièrement les femmes, prennent conscience que leur avenir ne peut être que ce qu'elles forgent elles-mêmes dans leur vie de tous les jours.
Joumana Haddad ne nous livre pas du tout les « confessions ( geignardes) d'une femme arabe en colère», comme le suggère un sous-titre mal venu.
Son propos va infiniment plus loin et plus haut. Elle fait véritablement oeuvre de moraliste, elle, qui ironie des incompréhensions des cerveaux bornés se fait traiter volontiers de pornographe et autres noms d'oiseaux par certains de ses concitoyens.
Vivre sa vie comme une oeuvre jamais terminée, à améliorer sans fin quels que puissent être les échecs en respectant sans compromissions ses valeurs fondatrices, cela vaut infiniment plus que n'importe quel ouvrage qui prétend enseigner la sagesse.
Un petit livre très grand dans une production littéraire nombriliste souvent étouffante, c'est assez rare pour qu'on le souligne.
Alors, comment conclure autrement que par cette boutade qui n'en n'est pas une ?
Joumana Haddad, cette femme qui est un authentique Homme.
Noes:
(1) Le docteur Jacques Blais, premier compagnon d'Exmed, est décédé le 23 avril 2005. Éléments biographiques.
(2) Revue Jassad http://www.jasadmag.com/en/index.asp
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