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Tout le monde convient du fait que le rôle des médecins, comme de tous les autres soignants professionnels tant du corps que de la psyché, est de mettre à la disposition de chacun de nous les moyens scientifiques et techniques de se défendre au mieux contre la maladie. Une telle vision, dont la simplicité peut parfaitement convenir à une vision d'assureur ou de gestionnaire administratif et politique, est-elle suffisante aux yeux des citoyens soumis dans leur chair aux ennuis de santé pour comprendre ce que font les médecins dans une société comme la notre ?
La question n'est pas purement spéculative quand de vastes zones de notre territoire national ne parviennent plus à trouver de successeurs à leurs praticiens qui cessent leur activité. Le journal « Les Échos» du 15 avril 2011 dresse un constat éloquent des mesures incitatives prises par les pouvoirs publics depuis 2007 pour arrêter cette «désertification médicale» des banlieues dites difficiles et des campagnes. Contre un engagement de trois ans d'exercice, une prime de 20% des honoraires perçus est versée par l'Assurance maladie.
Quel est le résultat de ce qui est délicieusement qualifié une incitation ?
Cinquante volontaires se sont engagés, soit une bien modeste proportion des 773 praticiens espérés par les autoritaires. Et un coût non négligeable pour les assurés sociaux de 25 000 euros par an et par médecin.
Qu'est-ce qui ne va pas, pourquoi ce déficit criant de confiance des jeunes diplômés vis à vis d'une planification collective des cabinets médicaux privés ?
Pourquoi cette montée en puissance des actes de violence à l'encontre des médecins, tant à l'hôpital qu'en ville, au cours de la dernière année, selon une étude récente du Conseil de l'ordre ? La confiance de nombreuses personnes vis à vis de leurs soignants serait-elle en voie de disparition ? Il n'est pas question pour autant de généraliser des comportements minoritaires, mais bien réels et problématiques, pour l'attractivité des métiers de la santé dans l'avenir.
Quelque chose se serait-il cassé dans la fonction de soignant dans notre système de santé organisé jusqu'au moindre détail par une bureaucratie intrusive à l'extrême dans la relation malade-médecin comme dans le comportement privé de chacun au nom de la prévention ?
Il est irréaliste de vouloir ressusciter le médecin notable à vie de son fief géographique tel qu'il a existé et régné sans contestation jusqu'en 1968. Qu'est-ce qui pouvait bien exister dans cette fonction médicale et dont la perte ou le manque entraînent de telles conséquences, de plus en plus nuisibles pour les populations concernées ?
La science médicale n'est visiblement pas intéressée par cet écart grandissant entre ses préoccupations purement techno-scientifiques traditionnelles et les besoins de la population en soins de qualité aussi haute que possible. Les instances représentant la profession sont également absorbées par leurs fonctions de représentation et de défense de leurs mandants directs.
Avons-nous bien conscience de ce que représente le médecin dans le système complexe des rapports interhumains qui déterminent la qualité de la vie de chaque jour dans un quartier ou une campagne ? Ce tissu humain se tricote lentement, au jour le jour, non pas dans des bureaux, mais dans les rencontres sur le terrain. Des plus banales en se saluant dans la rue aux plus dramatiques au sein du cabinet médical ou au chevet de celui que la maladie, la naissance ou l'accident cloue au lit chez lui ou à l'hôpital.
Ce travail de tisseur d'humanité est une entreprise exaltante, car il vous confirme, non pas une quelconque supériorité qui ne peut être ressentie par aucun soignant intelligent, mais que le métier que vous faites est indispensable.
La méconnaissance de cette dimension unique de la médecine, que ne peuvent vraiment connaitre que les médecins généralistes et les médecins spécialistes d'exercice public comme privé soignant au fil des années des malades chroniques ou invalides, est dramatique.
Au nom du rendement, des équilibres financiers introuvables, de la recherche de la maîtrise absolue des maladies en utilisant les seules armes de la technoscience, des protocoles et planifications standardisantes, c'est tout ce fragile tissu humain, bâti au fil des générations qui disparait sous nos yeux parce qu'il est fragile et doit être entretenu en permanence.
De maladroites revendications de sauvetage du service public dans les endroits que fuient tous ceux qui le peuvent traduisent cette réalité en se trompant de diagnostic.
Quand, par manque de clairvoyance des organisateurs, et d'irrespect de l'écologie humaine la plus quotidienne, les relations humaines régressent vers une violence égoïste, il devient impossible d'exercer des métiers de santé en contact direct et intime avec une population donnée.
D'un côté, comme lorsque dans les banques les guichetiers sont remplacés par des distributeurs de billets, nous faisons disparaitre au nom du profit et d'un bien illusoire progrès les rencontres humaines, et de l'autre, nous cherchons à attirer des artisans du tissu humain comme les médecins dans ces zones en voie accélérée de deshumanisation.
Cherchez l'erreur. Vous ne la trouverez pas chez les médecins. La solution, que ce soit avec la bâton ou avec la carotte, non plus, d'ailleurs.
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