Crise, la crise, tout le monde n'a que ce mot à la bouche par les froids qui durent. Pour tout expliquer, pour tout justifier de ce qui ne tourne pas vraiment rond. Gardons en mémoire que le latin médiéval nommait crisis exclusivement la manifestation grave d'une maladie. Nous parlons toujours d'une crise de colique néphrétique ou d'une crise cardiaque.
Qu'est-ce qui fait si peur aux particuliers dans la crise financière et économique mondiale qui est en cours ? Qu'est-ce qui trouble et laisse perplexe une telle proportion de citoyens et électeurs qui vont devoir s'exprimer dans quelques mois sur des choix politiques d'avenir à moyen terme ?
La profusion d'experts dans tous les domaines, aucun secteur de la santé n'y échappant, la diffusion à jet continu dans les médias de leurs analyses, devraient faire de chacun de nous un humain mieux armé pour comprendre le monde complexe qui nous entoure. Jamais dans la longue aventure de l'humanité, grâce à l'explosion des sciences et à la vulgarisation sans frontière des techniques de communication, nous n'avons eu accès à une telle masse de connaissances.
Voilà qui, logiquement, devrait nous conduire à augmenter notre confiance en notre capacité - unique dans le vivant - de bipèdes dotés d'un cerveau doué de parole de trouver des moyens pour vivre mieux.
Nous avons probablement trop vivement constaté que la croyance naïve de nos ancêtres occidentaux du XIXème siècle dans les vertus du progrès technique et scientifique était une illusion.
Le scepticisme devant des lendemains qui chantent propulsés par des progrès techniques sans fin a gagné les esprits, parfois dans un rejet excessif de toute réflexion scientifique solide. Ce qui ouvre grande la porte aux charlatanismes toujours en embuscade.
Rien à faire, nous affichons en France sans aucun fard notre pessimisme sur l'évolution de notre société. Selon une dépêche de l'agence AFP, reprise par le Figaro du 23 décembre 2011 , nous détenons même le record du monde de la nation voyant avec le plus d'inquiétude l'éventualité de difficultés économiques pour l'année 2012. Les pays européens occidentaux suivent la même tendance. Europe de l'est, Asie, Amérique du Nord et Amérique du sud font plus confiance en leurs possibilités d'avenir.
Le record de l'optimisme mondial ? Le continent africain en général, celui qui est réputé le plus misérable économiquement, avec le Nigéria (moins de 300 dollars par habitant par an ) en place de leader. Paradoxal, vous ne trouvez pas ? Voilà qui mériterait de se poser quelques questions sur «la valeur des civilisations» qui dépasse de beaucoup le simple cadre économique ou les tripatouillages électoralistes du moment.
Alors, nous les grands pessimistes - avec nos 34 092 dollars annuels par tête de pipe - qu'est-ce que nous faisons en dehors de nos discours pour nous projeter dans l'avenir ?
Et bien nous battons un autre record par rapport à tous les pays voisins. Celui du plus grand pari qu'il soit possible de faire sur notre futur. La fabrication d'enfants. Selon l'INSEE ( Bilan démographique 2011 , Anne Pla et Catherine Beaumel) nous sommes au 1er janvier 2012 plus nombreux que jamais avec 65,35 millions d'habitants.
Cette réalité nationale - on ne peut plus concrète - est remarquable. Il s'agit bien d'un choix délibéré des couples, contraception oblige, avec un âge moyen maternel dépassant les 30 ans.
Faut-il parler de mode, faut-il y voir une sorte de mimétisme, ou en chercher, en quête d'explication, un quelconque ressort psychologique ?
C'est pour moi adopter un point de vue trop réducteur.
Des individus peuvent être idiots et bavards, et il en existe mathématiquement une certaine proportion dans tout groupe, et des collectivités dont ils font partie se révéler particulièrement avisées dans leurs choix.
-Une société qui perd la foi salvatrice dans le maintien et l'accroissement de la valeur des choses matérielles a-t-elle tort en 2012 ?
-Une société qui investit sans hésitation, et sans aucune assurance, dans la valeur humaine de la génération qui nait est-elle dans l'erreur ?
À ces deux questions, ma réponse est, sans hésitation, non.
La France, et merci de ne voir là aucun reflet cocardier ou xénophobe, est décidément un pays exceptionnel dans le long et difficile cheminement vers la civilisation de l'espèce humaine qui débuta, semble-t-il, du côté de l'Afrique il y a 150 000 ans. Le travail est loin d'être achevé, ici comme ailleurs, chacun le constate.
Une civilisation unique de la fragile espèce zoologique homo sapiens sapiens - ce qui met fin à toute polémique locale- à faire progresser encore au delà des contingences immédiates, il ne peut pas exister de plus enthousiasmante perspective.
Photo Jean-Claude Deschamps