Les récents meurtres de Toulouse ont pris pour cibles des enfants fréquentant un établissement scolaire confessionnel juif. Ce choix hautement symbolique dans son atrocité ne peut que soulever la vieille question de l'antisémitisme, tant en France que dans les autres pays du monde. Il est en effet trop facile de rejeter cette attitude de haine dans le camp de telle ou telle tradition culturelle quand elle est chauffée au feu destructeur de l'extrémisme. Une fois encore, et une fois de trop, l'antisémitisme à quelque degré que ce soit, tel l'enfer de Sartre, ce serait les autres.
L'immense émotion devant un tel drame ne peut se diluer dans des flots de compassion. Nous ne sommes pas dans une cellule de soutien psychologique, mais au coeur même de notre société. Si l'on désire vraiment que ces sept morts n'aient pas été privés de leur vie pour rien, il est indispensable que ces trois évènements successifs, allant crescendo dans l'horreur, prennent un sens pour ceux qui pensent que la réflexion de quelques-uns est le moteur des façons de penser et d'agir de demain.
Depuis des dizaines d'années, certains discours de la psychiatrie et de la psychologie ne cessent de fustiger notre héritage judéo-chrétien. Il y aurait là un terreau culturel particulièrement fertile à toute culpabilité.
Autrement dit, un frein considérable à notre bonheur individuel et une planche savonnée vers des états pathologiques. Le public est volontiers fasciné par les avis de la nébuleuse psy, même si souvent il en a une lecture tronquée et trompeuse. Les exemples abondent, chacun les a constatés.
Ce qui m'étonne, c'est cet amalgame jamais clairement expliqué entre le juif et le chrétien. La tradition chrétienne, celle dont je suis issu par ma famille de naissance, et dont j'ai suivi comme beaucoup l'enseignement, il me semble la connaître à peu près. Que je sois un croyant ou non, le message évangélique et les prescriptions du clergé catholique ne me sont pas inconnus.
Cette tradition chrétienne portant le pavillon de l'amour des autres, j'en vois l'ombre portée dans les valeurs républicaines que veulent protéger nos lois avec le fameux triptyque liberté, égalité, fraternité.
Là où je coince, et je ne dois pas être le seul, c'est quand est mentionné, comme si son poids pouvait me nuire de quelque façon que ce soit, l'héritage du judaïsme. Bien que d'esprit plutôt curieux et fouineur dans de nombreux domaines étrangers à la médecine, je dois avouer, jusqu'à ces toutes dernières années, mon ignorance presque totale de la tradition juive.
En tant qu'étudiant en médecine, j'ai plongé dans le bain de la connaissance scientifique, avec son dressage quasi pavlovien à la supériorité absolue de la pensée rationaliste.
Le religieux, renvoyant dos à dos toutes les formes de foi et les clergés revendiquant leur supériorité exclusive, n'avait pas, n'avait plus, sa place dans la pensée médicale dominante. Je force volontairement un peu le trait de ce tableau pour souligner la pression philosophique que fait régner sur nos esprits notre culture exclusivement matérialiste. Cela n'est jamais dit clairement aux étudiants, ce qui pourrait ouvrir sur des interrogations fructueuses, c'est un bain idéologique latent. Son origine historique ? Probablement Galilée, qui fut d'abord carabin raté, au XVII ème siècle.
Avec lui, un aiguillage idéologique majeur a été emprunté par notre culture dominée par le christianisme, qui est allée au fil du temps vers de plus en plus de radicalité. Le religieux assimilé au sacré a été refoulé dans le domaine ridiculisé de la métaphysique, c'est à dire hors du champ de toute connaissance scientifiquement accessible. La physique, et dans sa roue toutes nos technosciences, en constitue l'étendard.
Pour tout esprit curieux, une question se pose. Sommes-nous absolument certains, pour rester dans le domaine de la médecine, que limiter nos possibilités de connaissance au seul domaine des sciences reconnues ne nous ampute pas de tout un pan de compréhension de la réalité ? Pour parler trivialement, en nous éloignant des traditions de nos ancêtres dont le souvenir même a disparu, n'avons-nous pas jeté le bébé de la connaissance du réel avec l'eau du bain de la science ?
Les traditions des différentes cultures disent-elles finalement, sous des habits et dans des langages différents, la même chose ? C'est ce qu'affirme, solide documentation à l'appui, Claudine Brelet, dont je mentionne le travail de référence dans la LEM 748.
Dans le monde protéiforme des traditions comment s'orienter ? Les dérapages intellectuels, les impostures et les charlatanismes ont de tout temps produit une littérature abondante lassant les esprits les moins sectaires.
La tradition juive a, pour nous, le mérite de s'appuyer sur des livres encore accessibles à tous qui ont été transmis, et commentés sans cesse, par des générations de cerveaux brillants et passionnés. Un mouvement dit mystique, celui immémorial de la kabbale ( ou cabale), en est issu. D'accès exigeant, de réputation sulfureuse, il a, en toute discrétion (ce genre de pensée faisant jadis de vous un ennemi à faire disparaitre) enrichi de nombreux esprits. La médecine dite alchimique, avec Paracelse en figure de proue, en est une illustration. Notre bon vieux Rabelais lui-même s'en serait imprégné en douce.
Devant les impasses de notre façon actuelle de comprendre ce qu'est la santé et la maladie, donc la stagnation progressive de nos manières de nous soigner, une confrontation entre science et tradition est inévitable.
Science et tradition disent-ils la même chose sous des langages différents ? Les connaissances scientifiques concernent-elles la même réalité que celles de la tradition ? Les deux dimensions sont-elles de même nature, se recouvrent-elles exactement ? L'une des deux englobe-t-elle l'autre ? Au sortir d'une exclusion réciproque depuis des siècles, de leur rapprochement volontaire en profondeur (1) puisse-t-il naître dans le futur une connaissance unifiée nous permettant de poursuivre notre cheminement vers une humanité plus civilisée. Simplement, et c'est vital tant notre avenir planétaire est en péril, plus humaine.
(Cliché J-C Deschamps)
Baruch Benoit Spinoza