L'âme des médecins

30 avril 2012
Docteur François-Marie Michaut
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              La dénomination de médecine de l'âme pour désigner la psychiatrie m'a toujours interloqué. Que vient donc faire dans notre médecine occidentale contemporaine la notion d'âme ? Intrusion du religieux, ou, à tout le moins du métaphysique, dans la pensée scientifique ? Quand, au nom de certaine tradition religieuse et culturelle islamique, s'expriment dans les hôpitaux des demandes pressantes de ségrégation des soins selon le sexe, la question n'est pas hors sujet. Médecine de l'âme, en fait, c'est la traduction littérale des racines grecques de psychiatrie. Le «psyché» hellénique est le pendant de la racine latine anima. Celle-là même, désignant au départ le souffle, qui a donné les mots âme et, que nos amis vétérinaires ne prennent pas la mouche, ... animal.
Laissons de côté, avec la princesse Psyché aux ailes de papillon, épouse du dieu Cupidon, cette médecine de l'âme pour nous intéresser à l'âme des médecins.

Retrouver la confiance

Médecins, ni objets, ni inanimés, avez-vous une âme ?
Par quel mécanisme étrange l'être humain qui n'a été pendant de longues années qu'un étudiant en médecine (ou toute autre discipline des soins de santé) plus ou moins studieux devient un jour une personne apte à soigner ceux dont elle s'occupe ? Une transformation subtile , dont je n'ai jamais lu la description, s'opère pour que naisse le médecin. Les luthiers ont eu le même problème. Comment transformer une banale boite en bois blanc sur laquelle vibrent des cordes en instrument de musique au son harmonieux ? Au moyen d'un petit cylindre de bois qui se nomme l'âme.
    Les sociétés traditionnelles demeurent fidèles à la pratique de l'initiation pour marquer cérémonieusement le passage de l'enfance au statut d'adulte. Les religions constituées, pour donner l'autorisation à certains de devenir membre de leur clergé, ont recours à la cérémonie de l'ordination. Curieux voisinage verbal avec nos ordinateurs qui ne sont que des machines purement mécaniques, permettant de mettre dans un ordre bien défini des un et des zéros.

Restaurer la conscience

Le passage du statut de citoyen ordinaire à celui de reconnu apte à soigner les malades n'est marqué par aucune cérémonie importante. La prestation à la va vite pour obtenir le doctorat en médecine du serment d'Hippocrate est, la plupart du temps, une formalité bâclée au plus vite. Tout simplement parce que cette étape marque le divorce entre l'université et le professionnel en exercice. Rupture mutuelle et réciproque par laquelle le médecin, exception faite de la minorité du corps enseignant, est seul en face de lui-même pour tout le reste de son existence. Médecin orphelin, université coupée des générations de praticiens qu'elle a formé. Telle est la réalité chez nous.
  Alors, comment s'étonner que tant de soignants, submergés par des obligations auxquelles ils ne peuvent pas (et ne savent pas) dire non connaissent ce que j'ai nommé la iatrolyse (1) ?

Renforcer la compétence

Pour qu'un travail soit possible, les physiciens sont formels, il faut que des forces puissent jouer. Nous voici dans le domaine de l'énergie. Énergie soignante, pourquoi pas. Le fameux, et régulièrement mal compris effet placebo en est une illustration. Des effets thérapeutiques objectivement mesurables sont régulièrement obtenus alors que des médecins, sans le savoir(2), utilisent des procédés thérapeutiques sans efficacité pharmaceutique.
   Le médecin par lui-même, Michael Balint l'a démontré, est un remède.
Elle est là, l'âme des médecins. Méconnue, fragile, quasiment secrète car imperméable aux modes du moment. Certainement imprégnée d'un immense héritage culturel dont notre mémoire trop saturée a perdu le souvenir, mais qui continue d'agir à travers chacun de nos actes.
Il n'existe aucune technique d'entrainement, de «coaching», de rationalisation, de rentabilisation, d'enseignement théorique ou pratique de la qualité soignante d'une personne. Technocrates, organisateurs, de grâce, passez votre chemin : ces rivages vous sont définitivement inaccessibles.
Par contre, de multiples facteurs, à commencer par l'universel amour de l'argent et du pouvoir, l'addiction au travail, le harcèlement psychologique sont capables de détruire cette énergie soignante.
   C'est en vivant comme des hommes, dans un cadre et avec des rythmes respectant leur humanité et leurs possibilités de s'ouvrir à d'autres mondes (3) que celui de la technoscience que peuvent s'épanouir nos jeunes confrères. Sans épanouissement personnel, sans souffle capable de leur donner un sens profond, les soins ne peuvent être que de qualité décevante et les déserts médicaux continuer à gagner tous nos lieux de vie.
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Notes:

(1) Michaut F-M : Iatrolyse, doublure noire des blouses blanches
    (2) Un placebo ne peut pas être un faux médicament precrit volontairement par un médecin. L'effet placebo n'est pas une tromperie du malade et suppose que le prescripteur, comme le receveur, ignore si le produit est actif ou non.
      (3) Cf le nouveau D.I.U Médecine et Humanités proposé par la faculté Paris-Descartes.

                                                     
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Os court : « Accepte la vérité de quiconque l'a énoncée.»

Moïse Maïmonide


Cette lettre illustre notre Charte d'Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html

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