Il y a déjà quinze ans que sur ce site, comme ailleurs, les médecins sont sollicités afin de sortir de leur mutisme devant la dégradation incessante de leurs différents métiers. Médecine générale en tête, mais pas exclusivement. En dehors de quelques remarquables exceptions dont j'ai tenté de rendre compte ici quand j'en ai eu connaissance, sans grand succès de contagion, je le reconnais.
Alors, quand des confrères ayant enfin maîtrisé les techniques de communication numérique font connaitre sans détour leur pensée, je ne peux qu'applaudir ( Le Figaro économique, Le Parisien du 4 septembre 2012). Dans le titre de cette lettre, je les nomme «ils», c'est avec sympathie pour dire mon soutien.
Allant plus loin que le populaire Stéphane Hessel, nos blogueurs font bien plus que de demeurer au stade de l'indignation. Des médecins, depuis toujours, n'ont pas cessé de râler, de dénoncer, de fustiger, de se gausser des sottises doctement proférées par des instances se proclamant supérieures et omniscientes.
Sans autre résultat pour ces imprécateurs que de se faire traiter de mauvais coucheurs par ceux dont ils contestent, souvent fort à propos, les décisions souveraines.
Michel Serres nous a prévenu : On s'expose quand on fait, on s'impose quand on défait.
Et bien, nos confrères, une vingtaine de sans grade semble-t-il selon les médias, ont le courage de s'exposer, de mettre sur la place publique ce qu'ils ont de plus intime. L'idée qu'ils ont de leur métier de médecin généraliste, ou, comme disent dans leur sabir les technocrates, exerçant la médecine de proximité, transparait derrière leurs propos. Il s'agit, enfin, d'avoir pour objectif de «rendre leurs (ses) lettres de noblesse à la médecine de ville».
Quel soulagement quand on ne parle depuis des années que de chiffres, de rendement, de techniques, d'administration, de politique et de comptabilité que la notion de noblesse de la médecine revienne sur le devant de la scène. Ne serait-ce d'ailleurs que pour la soumettre sans complaisance au débat public et à la réflexion des professionnels concernés et des intellectuels.
Cet arrière-plan idéologique modifie totalement la perception que nous pouvons avoir de l'avenir de la médecine dans les toutes prochaines années. Si la force motrice des comportements médicaux n'est pas clarifiée dans un premier temps, aucune des mesures pratiques prévues par les autorités depuis des mois pour inciter les praticiens à exercer partout la médecine générale ne peut aboutir au moindre résultat durable. Les exemples d'échecs sont si nombreux qu'il est inutilement cruel de les détailler.
Pour parler sans détour, réduire le manque d'attrait de l'exercice de la médecine en cabinet privé pour les jeunes générations, à une simple question de conditions matérielles et de rémunération, c'est ne pas vouloir comprendre ce qu'est vraiment la pratique médicale dans toutes ses dimensions humaines. Les médecins, comme tous les autres, ont une certaine conscience de leur fonction dans une société. Qui prend la peine de les interroger à ce sujet ? Personne, tant la réponse semble aller de soi. Or, elle est loin, mais vraiment très loin, d'être univoque.
Il est encore temps de sonder avec attention les derniers survivants encore en fonction de la médecine de soins, modèle 1922 rénové en 1946 et 1960 que nous vivons en France.
Les discours de tous ceux qui se sont mis en avant en disant : «moi, je sais, et je vais vous dire ce qu'il faut faire» se sont discrédités eux-mêmes. Personne ne peut pronostiquer ce que sera la médecine de demain. La seule chose qui est certaine, c'est que les médecins, eux, resteront indispensables, quoi qu'il arrive.
Respecter les hommes médecins parce qu'ils sont nécessaires au fonctionnement des fragiles humains que nous sommes, c'est simplement se comporter de façon intelligente pour notre avenir à tous.
Nos médecins blogueurs, mais aucunement blagueurs, lancent de leur propre initiative une piste qui ne manque pas d'intérêt. Pour eux, et sur un modèle inventé en 1958 par Robert Debré pour les grands hôpitaux publics, un médecin dans toute sa plénitude doit pouvoir se consacrer à trois missions complémentaires. Les soins aux malades, certes, et sans surprise, mais aussi l'enseignement aux étudiants et la recherche pour faire progresser les connaissances scientifiques de chaque discipline. Enseignement et recherche sont encore inaccessibles en 2012 à la majorité des praticiens privés.
Trois casquettes possibles tout au long d'une vie, même pour un médecin généraliste isolé, voilà qui est de nature à motiver des gens dynamiques !
La réforme Debré a instauré des Centres Hospitalo-Universitaires dans les principales métropoles nationales. La médecine hospitalière hautement spécialisée a alors connu en France, au milieu du siècle dernier, un développement considérable.
Nos confrères envisagent une décentralisation pour la médecine privée avec ce qu'il nomment des «maisons universitaires de santé». Avec un millier des ces lieux, la taille serait telle que les praticiens (moins d'une centaine de généralistes en moyenne) auraient la possibilité de se rencontrer physiquement et de se connaître pour pouvoir travailler ensemble en potentialisant leurs talents.
Les plus anciens n'ont aucun droit de décider à la place de ceux qui débutent dans la profession. Si la médecine ambulatoire est dans l'impasse que nous connaissons, c'est parce que nos générations ont raté son adaptation aux temps nouveaux. Les vieux (1) ont le pouvoir de faire en sorte que ce genre de projet qui risque de rogner leur territoire, avec son lot «d'avantages acquis», ne sorte pas des cartons.
Qui sortira vainqueur de ce combat à fleurets mouchetés ? Rien de bien sorcier à pronostiquer. Ceux qui ne seront pas brisés par l'effondrement de notre chateau de cartes actuel survivront, parce que la vie quand elle est menacée est entre leurs seules mains.
(Cliché exmed)