Au siècle dernier, pour mettre gentiment en boîte un membre du corps médical, il était usuel dans une rencontre amicale de poser une question. Qu'en dit la faculté ? Comme s'il n'existait qu'une faculté à prendre au sérieux : celle de médecine. Comme si, aussi, il tombait sous le sens commun que n'importe quel praticien était une pièce à part entière de cette institution académique prestigieuse. Un individu labellisé par ses études accessibles à une minorité sociale était supposé doté d'une autorité intellectuelle et morale digne de considération.
Est-ce la traduction désuète d'un certain pouvoir médical, celui-là même que nos technocrates de la santé s'acharnent à détruire pour mieux régenter le système de soins ? Vous savez, cet idéal, jamais ouvertement exprimé, d'une médecine sans médecins. Comme dans les laboratoires d'analyses médicales, et de plus en plus dans les blocs opératoires, que des machines automatisées facilement contrôlables par des techniciens robotisés. Praticiens réduits au silence, simples techniciens d'exécution d'ordres venus «d'en haut». Paradis ou enfer ?
La parole médicale est-elle devenue une simple référence culturelle à faire passer au musée des antiquités ? La presse ne manque jamais une occasion de donner la parole à un expert à la mode médiatique quand des questions de santé se posent. Des références issues de gens supposés compétents dans leur domaine, cela fait sérieux. « C'est vendeur, Coco ».
La parole médicale à usage personnel est partout. Mon médecin est le seul à pouvoir me dire si oui ou non ma vie est menacée par la maladie.
Quand il donne un nom à mes dysfonctionnements, c'est lui qui crée d'un mot pour moi ma maladie. Mon imagination et mes émotions font que j'en suis profondément modifié. Mais, en même temps, je ne suis plus seul face à ce qui m'arrive : lui est à mes côtés et va faire tout ce qu'il peut pour que je retrouve le meilleur état physique et psychique possible.
Vouloir réduire la parole médicale au remplissage de simples questionnaires destinés à alimenter de vastes bases de données informatisées ou non est une terrifiante simplification. Je parle d'expérience au cours des années 1980. Chaque médecin a sa propre façon de parler. Les mots utilisés ne sont jamais à sens unique, ils ne sont jamais ordonnés de la même manière. Ils ne concernent que des cas particuliers à aucun autre comparable. L'échec répété des dossiers standardisés en est la preuve vivante. Toute trace d'une intervention médicale est strictement personnelle et ne peut avoir de valeur significative que pour celui qui l'a écrite.
La parole médicale trouve toute sa force, toute sa faiblesse et toutes ses limites dans deux occasions.
D'abord quand des praticiens échangent leurs observations d'un malade par courrier papier ou électronique. Être capable de faire passer l'essentiel de ce qu'on veut transmettre à un confrère en quelques lignes n'est pas un exercice à la portée de tout le monde. Cela mérite une attention à l'interlocuteur et des efforts de communication que la formation professionnelle ne met pas au premier rang. Souvent, une grande ambiguité persiste. Des courriers adressés à un médecin, tout comme des résultats de laboratoire ou des comptes rendus d'imagerie sont livrés sans explication au patient.
La parole médicale devient redoutable quand elle a pour mission d'établir des certificats médicaux. Les risques de dérapage sont extrêmes, et la moindre erreur ou la moindre ambiguité peuvent avoir les plus lourdes conséquences tant pour le patient concerné que pour le médecin rédacteur. Là encore, d'une certaine façon, c'est la manière de s'exprimer du médecin qui créée une partie non négligeable de la réalité clinique.
Il serait bien présomptueux ici de vouloir donner quelques leçons que ce soit à quiconque. Si, simplement, les médecins voulaient bien garder en tête, sans se laisser dévier par quelque beau parleur, que leur stylo ou leur clavier est au moins aussi important que leur stéthoscope pour exercer au mieux leur métier. La parole, rien que la parole, mais toute la parole et non de simples coches préfabriquées à noircir.
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Cliché Stella Da Silva
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