Même au lendemain d'un vendredi 13 adulé des uns autant qu'honnis par les autres, malgré notre culture rationaliste, les chiffres gardent leur charge symbolique. Sans détour, cela me fait tout drôle d'écrire en ce moment le numéro 900 de la Lettre d'Expression médicale. À raison d'une chaque semaine, cela commence à faire une durée d'existence non négligeable : presque la majorité légale.
Pour un gâteau d'anniversaire, nous sommes tous d'accord, cela devient difficile de souffler toutes les bougies en une seule fois.
Souvenons-nous. La LEM a vu le jour en 1997. Au départ, ce fut un simple bulletin envoyé par fax à quelques médecins qui s'étaient retrouvés à l'initiative du regretté Jacques Blais au siège parisien de la revue «Le Généraliste». Le gros titre de la une précisait : «Dix généralistes en quête d'avocat». Il s'agissait de faire connaître publiquement ce que pensaient des praticiens de terrain de la réforme de la sécurité sociale prise par décret (donc sans passer par le parlement) par Alain Juppé, alors premier ministre. Nous étions très inquiets pour l'avenir de la profession et la qualité des soins de santé, alors qu'aucune voix ne s'élevait pour contester ce prétendu sauvetage d'une sécurité sociale dèjà économiquement comateuse.
Pour le dire sans détour, nous n'avons eu aucun retour de cet appel relayé par la publication médicale la plus diffusée de France. Et personne ne s'est proposé pour prendre le rôle d'avocat. Nous avons décidé, en fait avec le seul Jacques Blais, alors éditorialiste du Généraliste, et médecin de famille dans une banlieue francilienne ouvrière, de prendre la parole et de nous exprimer ouvertement sur la place publique.
Les organisations syndicales de praticiens privés, ne parvenant pas à canaliser ce mouvement, ont rapidement disparu de l'horizon.
Puis, pour des raisons essentiellement pratiques et ... économiques, j'ai fait le choix de plonger dans l'univers balbutiant de l'internet pour tenter d'assurer une diffusion plus large de cette lettre hebdomadaire.
L'expérience a été presque aussi pleine de difficultés que riche de satisfactions. L'établissement de nouveaux contacts, et bien au delà de nos frontières, plus ou moins durables et plus ou moins enrichissants pour mon gout, a été, et demeure encore, une aventure personnelle exceptionnelle. Que tous ceux qui ont accepté que ces échanges s'établissent et qui ont apporté (toujours bénévolement, c'est admirable dans notre époque marchandisée à l'extrême) leur contribution à Exmed trouvent ici la manifestation sans réserve de toute ma gratitude.
Quand hier, samedi 14 février, deux attaques à l'arme de guerre ont été menées à Copenhague contre une conférence sur la liberté d'expression et contre un lieu de culte juif, un terrible message se répète. Des esprits qui cherchent à imposer leur domination absolue ne voient finalement que deux ennemis qu'il faut détruire en les mettant étrangement sur le même plan : la liberté d'exprimer sa pensée personnelle et le message spirituel dont le peuple juif (croyant ou non) est (qu'il le veuille ou non) le porteur et le transmetteur.
C'était exactement ce qu'exprimaient, sans savoir le dire avec des mots ou des traits, les acteurs de la tragédie parisienne de Charlie Hebdo et de l'Hyper cacher. Le mot cacher, en hébreu - je ne l'ai pas entendu dans les commentaires - cela veut dire simplement correct. Détruire par la terreur ce qui est hyper correct pour les uns, c'est une épouvantable et suicidaire perversion des esprits de certains autres.
Alors, les lieux, aussi modestes soient-ils, où peut s'exercer la liberté d'expression de ceux qui les fréquentent prennent une toute autre valeur pour notre avenir à tous. Cela n'a strictement rien à voir avec une quelconque croyance religieuse, scientifique ou philosophique.
Tant qu'elle sera lue, la LEM, toujours à sa manière et sans se rallier à aucun drapeau, continuera son petit bonhomme de chemin pour que soit manifeste une voie (parmi des milliers d'autres possibles) d'expression médicale libre et indépendante.
(cliché exmed)
« C'est difficile d'imaginer comment ce sera arrangé ici dans 900 milliards d'années, déjà qu'en dix ans la plupart des bougnats a disparu, t'as plus que de grandes brasseries. »