ARCHIVES DE LA LEM
N°424 à 427
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Lettre d'Expression médicale n°424
Hebdomadaire francophone de santé
28 novembre 2005

Fromages ou desserts?

Docteur Françoise Dencuff

Le Commissariat au Plan vient de publier son rapport « pour une régionalisation du système de santé en 2025 ». Ce rapport est un essai de projection de l’évolution de notre système de santé dans les vingt ans à venir. Il était sous « embargo » jusqu’au 8 novembre 2005. Le groupe de recherche appelé « Pôles » est constitué de 15 auteurs.

Retrouver la confiance:
Premier scénario : « la résurrection de la sécurité sociale » qui ne pourrait s’exercer sans un profond changement d’une part dans les processus de régulation et d’autre part dans l’architecture actuelle des caisses : abandon de la planification administrative de l’offre, suppression des agences de l’hospitalisation et a contrario existence d’un échelon régional amplifiant les attributions actuelles URCAM.
Deuxième scénario : an II de la décentralisation… : l´État fixe les priorités de santé et les grandes lignes directrices du modèle de santé à la française. Il « alloue aux régions des enveloppes de péréquation et négocie avec elles des programmations pluriannuelles ». Les caisses nationales d´assurance maladie disparaissent tandis que les agences régionales de l´hospitalisation sont intégrées aux services de la région.
Deuxième scénario : « déconcentralisation »… les agences régionales de santé (ARS) sont au cœur du système de soins définissent les programmes et les objectifs de santé publique de même que de l´allocation des ressources.
Troisième scénario : « le chariot des desserts »…même organisation du système de santé, mêmes acteurs. Simplement leurs missions sont renforcées. L´État, « sous la houlette du préfet », définit les politiques de prévention et les programmes de santé ; l´ARH gère l´offre de soins en établissements et l´URCAM a pour charge le secteur ambulatoire. « Ce scénario ne bouleverse pas les équilibres, il spécialise et renforce les blocs de compétence », notent les auteurs.
Devant le titre donné au dernier scénario il est à se demander si les deux premiers font partie du menu. Quoique leur dénomination ne donne guère envie d’y goûter.
De toute façon la seule certitude reste…l’incertitude. Il est difficile, alors que les entreprises ne peuvent faire de plans prévisionnels qu’à 3 ou 6 mois, d’imaginer l’état de la santé à 20 ans. Encore un pôle qui a du coûter bien cher aux contribuables. Il est vrai que si nous nous mettons debout à l’endroit exact du pôle (sud ou nord) le résultat est que nous tournons…autour de notre nombril !
Pour ceux ou celles qui ont envie de savoir à quelles sauces nous seront mangés vous pouvez lire l’intégralité de ce rapport à l’adresse suivante : http://www.plan.gouv.fr/intranet/upload/publications/documents/POLES-Rapport.pdf.
Vous serez particulièrement réjouis par la présentation des maisons du Bien Être…

Restaurer la conscience
Mais comme le monde se réinvente constamment et sur la proposition amicale du médecin maître-Toile FM Michaut, je suis allée regarder dans les premières LEM (n°87 à 89 à <http://www.exmed.org/arlem/arlem984.html#lem87> lien ) et comme je suis une petite jeune sur le site (uniquement bien sûr) j’ai eu la surprise de constater que nos experts exmédiens avaient, eux aussi, joué à Mme Soleil. Ils nous avaient concocté une série de 10 mesures pour sauver non pas la Sécu mais le soin dans notre douce France. Et ce il y a bientôt…7 ans (janvier 1999)

Renforcer la compétence:
Alors pour montrer au groupe « Pôles » que la base a aussi des idées et qu’en plus elles sont proposées gratuitement, je vais vous remettre le couvert en vous dévoilant le menu du Jardin d’Exmed, restaurant gastronomique trois fourchettes, qui vous garantit une parfaite digestion du futur.
Dix mesures concrètes pour les soins de santé
1. Rétablir la conscience pour tous de la réalité de nos prélèvements sociaux :
- Abolition de la fiction en trompe-l'oeil des cotisations patronales. Ce que le patron "paye" n'est que ce qu'il ne donne pas au " salarié", rien ne sort de sa poche personnelle.
- Prélèvement des cotisations sur tous les revenus (assiette CSG) sans aucune exception. (retraités, chômeurs, RMIstes, invalides, etc.). Cette ponction doit être assurée sur le compte bancaire de chaque assuré, pour qu'il voie la réalité de ce qu'il paye sur ses revenus. On évite ainsi le piège du prélèvement indolore à la source, qui permet de décider des taux sans aucun véritable contrôle démocratique.
- Proportionnalité complète de ces cotisations par rapport au revenu avec un seul pourcentage applicable à tous.
2. Abroger toute mesure de rationnement de la consommation de soins médicaux.
La part des revenus attribuée à la couverture sociale est régulée, démocratiquement, par toutes les décisions prises chaque année par les assurés, les assureurs, les soignés et les soignants. La médecine fait avec les moyens que le jeu des échanges marchands libres lui alloue. Cette allocation n'est plus décrétée ou administrée par des autorités de tutelle. Élimination progressive de tout financement public de l'assurance maladie. Les aides publiques indispensables pour telle et telle catégorie de population sont versées en totalité aux individus qui acquittent alors comme tous les autres leurs cotisations obligatoires et facultatives.
3. Mettre fin au simulacre du paritarisme dans la gestion des assurances sociales obligatoires et facultatives.
En ce qui concerne la Sécu, la propriété des caisses régionales est remise aux seuls assurés. Capitalisation, par eux, sans possibilité de détention de parts sociales par une quelconque personne morale, de droit public ou privé. Cette capitalisation est gérée de telle façon que son produit puisse être un complément solide aux retraites par répartition, à côté d'autres placements que chacun décide librement.
4. Adopter un statut nouveau des caisses régionales d'assurance maladie obligatoire.
Elles doivent fonctionner d'un point de vue économique sous le régime des sociétés authentiquement mutualistes avec des primes, ou cotisations variables en fonction des résultats de la dernière période. Et en tenant compte d'un profit technique nécessaire pour assurer la rémunération suffisante du capital (cf. n°3). Cette mutualisation authentique, fonctionnant selon des règles du jeu fixées par le Législateur met les assurés,et eux seuls, en mesure d'arbitrer entre la quantité et la qualité des soins médicaux qu'ils désirent et la part de leurs revenus qu'ils consacrent à leur financement .
5. Modifier la superstructure nationale de la sécurité sociale centralisée à la Française.
Elle devient juste une coordination minimale entre les caisses régionales. Il faut mettre fin à nos régimes spéciaux : Toute la population, médecins et personnels de l'industrie des soins médicaux, fonctionnaires compris, doit être logée à la même enseigne. Égalité !
6. Ouvrir à la concurrence des sociétés privées la part obligatoire de l'assurance maladie.
Mesure indispensable pour que les caisses régionales issues de la Sécurité sociale étatisée n'exposent pas des coûts de gestion supérieurs à ce qui est strictement nécessaire au bon accomplissement de leur métier d'assureur.
7. Laisser l'informatisation des médecins et des hôpitaux à la seule initiative privée
prise par eux, les caisses régionales et les autres sociétés privées mais avec l'interdiction de développer un réseau national et sans aucune possibilité de piratage d'informations qui relèvent du secret médical. ( Fin de citation)
J’ai quelque peu le sentiment que tout le monde n’est pas d’accord avec ces propositions. Normal, elles sont vraiment innovantes c'est-à-dire qu’elles ne se contentent pas de chercher à faire des économies de bouts de chandelle mais qu’elles essaient de faire changer en profondeur le « consommateur de soins ».
Si vraiment l’Etat veut faire des assurés sociaux de vrais consommateurs, qu’il leur donne la pleine et entière responsabilité de ce qu’ils peuvent ou veulent consommer.
Dans le même ordre d’idée, l’IFRAP (Institut Français pour la Recherche sur les Administrations Publiques : www.ifrap.org ) a publié en octobre dernier une enquête sur les anomalies de tarification entre public et privé. Les coûts de fonctionnement des hôpitaux publics sont supérieurs de 66% à ceux des cliniques privés pour des soins identiques sur des groupes de malades homogènes. Et la vieille tarte à la crème de la différence de « recrutement » ne fait plus recette même auprès des tutelles. Cerise sur le gâteau près de 15.000 emplois seraient à supprimer dans la fonction publique hospitalière.
Mais faire des économies sur le dos de certains de nos concitoyens n’est pas faire preuve de responsabilité. Repenser globalement notre rapport aux soins et à la protection sociale, voilà qui est responsable.
Au lieu de cela, et malgré les suspicions qui pèsent actuellement sur de nombreux volatiles, les poulets sont de sortie pour punir les vilains médecins qui dépensent trop de sous !
« L’audimat » nous assure que vous êtes nombreux(ses) à lire les morceaux de bravoure d’Exmed alors exprimez-vous, dites nous ce que vous pensez de ses propositions et surtout faites en d’autres. Nous changeons la carte régulièrement !
l'os court : « Le dermatologue ne sait rien et ne fait rien, le chirurgien ne sait rien mais fait tout, le psychiatre sait tout mais ne fait rien, le médecin légiste sait tout, fait tout ... trop tard ! »
Anonyme ... prudent


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Lettre d'Expression médicale n°425
Hebdomadaire francophone de santé
5 décembre 2005

Les mots et les maux de la médecine

Docteur Philippe Deharvengt

Avertissement aux lecteurs: le premier chapitre de cette LEM (retrouvons la confiance) est consacré aux risques bien réels d'une mutation du virus A(H5N1) de la grippe aviaire, qui le rendrait transmissible d'homme à homme, ce qui engendrerait une pandémie aux conséquences désastreuses pour l'humanité. Âmes sensibles s'abstenir et passer au second chapitre (restaurons la conscience).

Retrouver la confiance:
Source: <<Pandémie, la grande menace>> des Professeurs Jean-Philippe Derenne & François Bricaire, chez Fayard.
<<Le 2 septembre 2005, l'OMS a publié un document intitulé: Comment faire face à la menace d'une pandémie de grippe aviaire. Mesures stratégiques recommandées.
Ce document se fonde sur le constat suivant:
1- Le risque de pandémie est grand
2- Le risque va persister
3- L'évolution de la menace n'est pas prévisible
4- Le système d'alerte précoce est faible
5- Une intervention préventive est possible mais n'a jamais été tentée
6- La réduction de la morbidité et de la mortalité au cours d'une pandémie sera freinée par le manque de vaccins et d'antiviraux (manque de vaccins par pénurie d'oeufs embryonnés de poules, ces dernières ayant été exterminées, NDLA).[...]>>.
Retenons de tout cela que le risque de mutation du virus A(H5N1) et de transmission interhumaine de la grippe aviaire est bien réel et pris très au sérieux par les plus hautes instances sanitaires internationales. Qu'il appartient maintenant aux politiques de mettre en place dès aujourd'hui de multiples mesures pour faire face aux conséquences sanitaires et socio-économiques d'une telle pandémie. "Gouverner, c'est prévoir". Hâtons-nous de prévoir, demain il sera trop tard. Bien sûr il faut fabriquer plus de vaccins et d'antiviraux (Tamiflu). Mais il faut aussi se préparer à une catastrophe socio-économique gravissime. En premier lieu, les soignants, les pompiers, les policiers seront les premières victimes. Les transports en commun seront paralysés, d'où des embouteillages monstres qui entraveront l'intervention des équipes de secours. L'approvisionnement des lieux de distributions de denrées alimentaires sera perturbé. Les écoles et crèches seront fermées, et les parents travailleurs devront garder chez eux leurs enfants, donc ne pas travailler. Naturellement, les services hospitaliers, les cliniques, les cabinets de médecins libéraux seront très vite saturés.
On ne sait quand la pandémie se manifestera, ni dans quel continent. On sait seulement avec une quasi certitude que cela se produira. Avis à nos gouvernants. La pandémie de grippe espagnole de 1918/1919 a fait, dans le monde, selon les évaluations, entre 20 et 50 millions de morts, soit bien plus que la première guerre mondiale. Qu'on s'en souvienne.

Restaurer la conscience
Source: <<L'enfer de la médecine... est pavé de bonnes intentions>>, du Dr. Patrick Lemoine, chez Robert Laffont.
L'auteur nous entraîne dans une vision très caustique et humoristique de ce qu'a été la médecine des temps anciens, de ce qu'elle est aujourd'hui et de ce qu'elle risque d'être demain. Dogmatique, autoritaire, narcissique et insuffisante. Non, le mandarinat n'est pas mort en France après mai 1968. Les médecins, dans leur grande majorité, continuent de dire à leurs patients: <<Faites-moi confiance, je m'y connais.>> Et d'écrire à propos du même patient à un grand professeur d'Université en commençant sa lettre par:<<Monsieur et très cher Maître>> et de terminer par la sacro-sainte formule:<<Veuillez agréer, Monsieur et cher Maître, l'expression de ma très respectueuse considération>>. Et de citer Voltaire: <<La médecine consiste à mettre des drogues qu'on ne connaît pas dans des corps qu'on connaît encore moins>>. [...] Politique médicale: <<Les rapports des médecins et des hommes politiques ont toujours été des plus compliqués. Toute paranoïa mise à part, j'ai souvent le sentiment qu'une sorte de plan, de complot machiavélique vise à museler, mettre à genoux une profession détestée des gouvernants.>> [...]

Renforcer la compétence:
Tentons de faire une synthèse de ces deux ouvrages, quant à la qualité de notre chère médecine, dans ses maux et dans ses mots. Le fil conducteur en est cette réflexion du Dr.Patrick Lemoine sur l'éternel conflit médecins/gouvernants. Devant la menace bien réelle de pandémie de grippe aviaire, devant la dégradation patente des conditions d'exercice de nos confrères libéraux et hospitaliers, la seule solution passe par une excellente collaboration entre les deux protagonistes. Elle devrait être, pour être efficace, à l'échelle planétaire, mais cela constitue à l'évidence une énorme utopie. Alors, au mieux européenne, sinon hexagonale? C'est notre dernier espoir de sauver d'une mort certaine 1/10ème de notre population.
Il existe des Docteurs "Tant pis" et des Docteurs "Tant mieux". In medio stat virtus. Pour la rédaction de cette LEM, je me suis efforcé d'être entre ces deux genres en évitant les pièges de la politique de l'autruche et de la démagogie. Tout ce que j'ai écrit est vérifiable. Bien à vous.
l'os court : « Monsieur a son avenir devant lui et il l’aura dans le dos à chaque fois qu’il fera demi-tour.»
Pierre Dac


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Lettre d'Expression médicale n°426
Hebdomadaire francophone de santé
12 décembre 2005

Risquetout

Docteur Françoise Dencuff

Un sujet qui semble d’actualité : l’amour ou la peur du risque. Dans notre société partagée entre la préservation frileuse de ses acquis, le principe de précaution et les sports extrêmes il paraît intéressant de se pencher sur la notion de risque.
Dans une simplification restée célèbre, le Medef ( syndicat patronal NDLR), il y a quelques années, a divisé le monde en deux : d'un côté les riscophiles, « qui portent l'esprit d'entreprise », de l'autre de l'autre les riscophobes, qui, accrochés à leurs privilèges, refusent le progrès. QDM 25/11/05
Nous voilà donc, par la magie des étiquettes, divisés en deux clans…irréconciliables.

Retrouver la confiance:
Comme toujours pour restaurer la confiance, il nous faut comprendre ce qu’est le risque et quels types de risques.
A ma grande surprise mon dico étymologique reste muet. En effet l’origine de risque est plurielle : resecum (ce qui se coupe), rixicare (la querelle), rizq (le sort), rescum (l’écueil).
A l'époque médiévale une double étymologie, la première d'origine arabo-musulmane "ce que Dieu accorde aux hommes", la seconde d’origine toscane, l’écueil dissimulé qui menace le navigateur. Ce terme s’est répandu à la Renaissance et désignait tout danger encourus pas les armateurs. Étonnamment il a été associé aux assurances maritimes dès le XIVème siècle.
Il existe un rapport étroit du risque avec d'autres concepts comme le hasard, le danger, le péril, l'aléa, la crise. Au Moyen Âge, le danger représente l'expérience initiale du risque. Les hommes des Lumières vont dissocier les deux termes danger et risque. Au 18ème siècle, la technique et la science vont réduire la part de l'incertain. Jusqu'à la fin du 20ème siècle, l'idée de transcendance reste présente : risquer c'est évaluer, calculer. (Journal des accidents et des catastrophes n°19)
Donc le sens du mot risque reflète la volonté de maîtriser, de se préserver du danger. Lié au danger, il n’est pas le danger. En effet le risque, dans sa première acception exclut la notion de faute. Les risques que couvraient les assurances des armateurs relevaient des cas de force majeur, sans faute imputable.
Le Robert donne plusieurs définitions :
Ý Danger éventuel plus ou moins prévisible.
Ý Éventualité d’un événement ne dépendant pas exclusivement de la volonté des parties et pouvant causer la perte d’un objet ou tout autre dommage. Par extension : Événement contre la survenance duquel on s’assure.
Ý Fait de s’exposer à un danger (dans l’espoir d’obtenir un avantage).
Le Littré précise : "Péril dans lequel il rentre l’idée de hasard.
A l’heure actuelle, pour les compagnies d’assurance : le risque est la probabilité de survenues d’incidents ou d’événements indésirables, de dysfonctionnements dommageables pour, dans le domaine de la santé, la personne soignée, son entourage, le personnel hospitalier et l’établissement lui-même après exposition à un facteur déclenchant.
Le risque réel est celui qui existe vraiment, il est mesurable statistiquement en terme de probabilité. En réalité ce sont les conséquences de ce risque qui peuvent être évaluées…a posteriori ! Le risque potentiel se réfère à la possibilité, la probabilité de l’apparition d’un événement « dangereux ».
En 1898, une loi sur les accidents du travail est votée : elle révolutionne le droit français en substituant la responsabilité pour risque à la responsabilité pour faute. Désormais, on considérera que la conclusion du contrat de travail induit un risque, que le travailleur est mis en danger, et qu'il n'y a donc pas d'égalité entre les contractants.
Il existe une rupture importante entre les risques d’hier et d’aujourd’hui. Autrefois existait le risque professionnel. S’ajoutent maintenant les risques technologiques (et technologiques majeurs), écologiques ou environnementaux et les risques sanitaires.
La notion de risque était liée au commerce et à la finance plutôt qu’aux personnes. Aujourd’hui pour écarter le danger…il faut ouvrir son parapluie.
Dans les risques s’inscrit aussi depuis 1994, la mise en danger d’autrui…qui existait déjà dans les temps antiques sous le terme de scandale. De nombreuses enquêtes ont montré que nous surestimons souvent la fréquence d'événements spectaculaires et sous-estimons les menaces plus discrètes.
François Guery, professeur de philosophie à l'Université Jean Moulin (Lyon III) : Risquer c'est se risquer plutôt que subir. Le risque comporte le danger et ce n'est pas que le danger de mort, mais aussi le danger de perte de ce qui est essentiel pour l'homme
Et nous entrons là dans le cœur du problème. En effet la perte comme le manque sont des éléments essentiels de la vie. Nous perdons des biens, des personnes, la vie…Donc le risque est une composante majeure de la vie.
Comment alors expliquer (ou tenter de le faire) cette différence entre « riscophiles » et « riscophobes » ?
Les premiers seraient insensibles à la notion de perte, les seconds cousins germains d’oncle Picsou. Mais dans les deux cas le sentiment de toute puissance est à la base de leurs conduites face au risque. En effet pour les premiers, il nie le risque face au danger. Quant aux seconds ils pensent pouvoir lui échapper.
Pour un chercheur israélien (Ebstein et coll) les personnes qui se mettent régulièrement et pathologiquement en danger souffriraient d'un déficit génétique chronique en dopamine par une mutation du gène DRD4 qui semble significativement plus fréquente chez les casse-cou.
Beaucoup de ses confrères ne sont pas d’accord avec cette « trouvaille » puisqu’il faudrait un minimum de 10 à 12 gènes nécessaire à la détermination de la totalité de ce trait de caractère.
Les riscophobes quant à eux feraient partie de ce que les psychiatres appellent des personnalités évitantes dépendantes.
Les uns comme les autres (phobes ou philes) traduisent dans leurs comportements face au danger et à la prise de risque un manque de confiance en eux, une peur de l’inconnu qui peut aller chez certains jusqu’à l’autodestruction.
La notion de risque est malheureusement pour nous intimement liée à l’inconnu. En effet l’évaluation des risques se fait toujours une fois que « l’événement indésirable » est arrivé.
Lors de mes formations à la gestion des risques, un de mes amis me demanda l’exercice suivant : fais moi la liste de tous les risques que tu encoures en traversant la rue devant chez toi. Tu as tout le temps que tu veux.
Inutile de vous préciser qu’après avoir envisagé la voiture folle, la branche d’arbre indésirable ou la peau de banane…je suis restée muette. J’ avais oublié l’avion qui s’écrase, le chien qui me course, la balle de tennis ou de golf…il énuméra ainsi des risques potentiels pendant 30 minutes ! De quoi nous donner envie de rester au lit…oui mais le plafond peut fuir, le lustre se décrocher, le sommier se rompre, la tasse de café se renverser…Bref le risque zéro n’existe pas.

Restaurer la conscience
L’essentiel dans ce nouveau métier qu’est la gestion des risques tient dans l’imagination et la créativité. Il ne faut pas avancer en regardant dans le rétroviseur c'est-à-dire en vérifiant que les risques déjà repérés et évalués ont été neutralisés.
Les médias, oiseaux de mauvais augure, répètent à l’envie que le risque zéro n’existe pas mais ils pointent sans pitié la clinique qui n’a pas prévu l’accident post-op. ou le médecin qui n’a pas vu l’infime démarrage d’une tumeur qui tuera le patient quelques mois plus tard.
Hélas ! Comment dans un siècle aussi technoscientifique le risque de mourir peut-il encore exister !

Renforcer la compétence:
Bien entendu…je caricature. Il ne s’agit ni de nier le risque ni d’en faire un obstacle permanent à tout plaisir.
Car dans la prise de risque il est important de noter qu’il existe souvent un intense sentiment de plaisir. Bouffées d’adrénaline bienheureuses qui réveillent les sens les plus endormis. Mais qui dit plaisir dit aussi pouvoir en profiter…donc vivre. Les adeptes responsables des sports extrêmes vous diront tous à quel point la préparation et la mesure du risque sont importantes.
Nous sommes loin alors du jeu du foulard, de la toxicomanie, de l’alcool au volant. Car la mesure du risque se fait pour soi et pour les autres. Un auteur célèbre disait que sa liberté s’arrêtait là où commençait celle des autres. Quel inconscient ! Digne des USA lorsqu’ils refusent de signer le protocole d’accord sur la réduction des gaz à effet de serre.
Même en me moquant souvent du fameux principe de précaution cher au monde politico-financier, je n’oublie pas que la première maxime d’un médecin reste : Primum non nocere. Le législateur reste encore trop souvent dans la logique de la loi du talion ; œil pour œil, dent pour dent. Ce qui me paraîtrait plus efficace, encore une fois, serait de responsabiliser les « faiseurs de risques ». Individuellement, car la responsabilité collective dilue la responsabilité.
Ce ne sont pas « les médecins » qui tuent leurs patients mais certains médecins qui ne respectent pas notre maxime. Ce ne sont pas les alcooliques qui coûtent cher à la société mais chaque personne qui abuse de l’alcool…
Notre métier plus que tout autre est confronté au terrible dilemme du choix bénéfice/risque. Et si les banquiers ou les assurances perdent…des sous, les médecins eux risquent la santé et quelquefois la vie de leurs patients. De même que les pilotes de B747, pardon A380, doivent réaliser que ce n’est pas un chargement de personnes mais 500 ou 600 personnes, toutes avec leur histoire, qu’ils doivent mener à bon port. Surtout si les rotations trop nombreuses les incitent à se faire une petite ligne de cocaïne pour tenir le coup.
En résumé, le danger plus ou moins prévisible, le choix conscient et responsable de s’y exposer, la certitude que tout n’est pas maîtrisable, l’inventivité pour toujours rechercher un risque que l’on aurait oublié, le plaisir de pouvoir de temps en temps repousser les limites de notre petit confort, de donner à l’autre au risque de se perdre…
François Guery terminait ainsi sa conférence : La mesure du risque par la raison permet à l'homme de retrouver sa liberté.
l'os court : « Ce qui protège expose.» Michel Serre


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Lettre d'Expression médicale n°427
Hebdomadaire francophone de santé
19 décembre 2005

Se vacciner contre l’obscurantisme

Docteur François-Marie Michaut

Quand certaines cités de France ont connu des scènes d’émeutes largement télévisées dans le monde entier, nous avons pris ici le temps de regarder, d’écouter et surtout de réfléchir pendant quelques semaines. Que de wagons de salive ont été déversés de tous les côtés, nous laissant finalement un goût prononcé d’incompréhension. Et une sensation de constat d’impuissance.

Retrouver la confiance:
Quand des Africains se ruinent, et mettent leur vie en danger, en traversant clandestinement la Méditerranée entre les mains d’exploiteurs innommables, on se dit que nos sociétés européennes restent un Eldorado dans des lieux de misère sans fond. Fabuleux espoir de pouvoir enfin vivre dignement chez ceux d’ailleurs. Et, d’un autre côté, certains de nos jeunes vivant en France, qui nous jettent à la tête leur désespoir, en s’en prenant par le feu à l’un de nos symboles majeurs de possibilité de liberté : la sacro-sainte bagnole. Qui des deux groupes n’a pas compris la réalité ? La question mérite qu’on s’y attarde, plutôt que de se lancer, bride abattue, sur de prétendues campagnes d’information et de dialogues se voulant explicatifs. D’un côté ceux qui sont nés dans des systèmes culturels dominés par la tradition ont développé une confiance -peut-être excessive- dans ce que la vie dans des pays riches pouvait leur apporter. Tous ces gens parient sur nous, ils n’ont plus aucune confiance en l’avenir de leur pays. De notre côté, des jeunes nés ici nous hurlent à leur façon brûlante qu’ils ne peuvent accorder aucune confiance à notre société telle qu’elle leur apparaît chaque jour. Tous les discours, et Dieu sait s’ils abondent, pour convaincre tous ces jeunes qu’ils se trompent dans leur analyse, et qu’ils n’ont pas de raison de connaître une telle panne de confiance, ne peuvent qu’échouer, car ils sont, pour eux, inacceptables. Ils n’ont tout simplement aucun sens à leurs oreilles.

Restaurer la conscience

Le monde lui-même n’a aucun sens à leurs yeux. La fascination par l’argent, si facilement affichée, ne doit pas faire illusion. Pourquoi sommes-nous assez aveugles pour ne pas le voir ? Nous sommes en plein obscurantisme. Se lancer dans des procès et des polémiques sans fin pour savoir comment on a pu en venir là ne conduit à rien. La seule question digne d’intérêt est de se demander comment on peut envisager de se “vacciner” contre les obscurantismes. Celui-ci, comme tous les autres, dont ceux prenant les oripeaux trompeurs de la science, de la médecine ou des religions. Immense ambition, en vérité. Notre guide, si vous le voulez bien, sera Michel Serres. Voici comment il envisage la toile de fond culturelle générale indispensable, et obligatoire, pour tous les étudiants de première année, quelle que soit l’orientation de leurs études après leur baccalauréat. Le mieux, pour comprendre comment donner la possibilité à huit personnes sur dix dans un pays aussi scolarisé que la France de “ restaurer leur conscience” est de laisser la parole à Michel Serres. En le remerciant, comme son éditeur le Pommier, de nous avoir autorisé à reprendre ici sa proposition.

Renforcer la compétence:
Programme commun pour la première année des universités :
I. Le programme courant de la spécialité
II. Le Grand Récit unitaire de toutes les sciences
Éléments de physique et d’astrophysique : la formation de l’Univers, du big-bang au refroidissement des planètes.
Éléments de géophysique, de chimie et de biologie : de la naissance de la Terre à l’apparition de la vie et à l’évolution des espèces.
Éléments d’antropologie générale : émergence et diffusion du genre humain.
Éléments d’agronomie, de médecine et passage à la culture : le rapport des hommes à la Terre, à la vie, à l’humanité elle-même.
III. La mosaïque des cultures humaines
Éléments de linguistique générale ; géographie et histoire des familles de langues.
Les langages de communication : leur évolution.
Éléments d’histoire des religions : polythéismes, monothéismes, panthéismes, athéismes.
Éléments de sciences politiques : les diverses sortes de gouvernement. Éléments d’économie : le partage des richesses dans le monde.
Chefs-d’oeuvre choisis des beaux-arts et des sagesses. Sites : le patrimoine de l’humanité, selon l’Unesco.
( Source : Michel Serres, “ L’incandescent”, Éditions Le Pommier (Paris) 2003 ).

En tant que médecin créateur de ce site de santé, je ne peux qu’applaudir à ce programme. Son adoption nous sortirait des multiples ornières dont nous parlons dans cette lettre chaque semaine depuis 1997. La médecine souffre terriblement - et les malades encore plus- d’une hypertrophie technoscientifique accompagnée d’une atrophie culturelle sévère. Bien sûr cela bousculerait de multiples et puissantes forteresses, bien sûr on objecterait la nécessité de faire appel à de nouveaux enseignants, bien sûr, on s’inquiéterait de l’investissement en temps et en moyens financiers qui en résulterait. Mais le jeu en vaut la chandelle : la nation qui aurait l’audace politique de lancer ce programme deviendrait le détonateur d’une nouvelle ère des Lumières. Car nul doute, devant le balisage d’un élargissement culturel considérable de l’esprit pour une grande partie de nos jeunes, les obscurantismes, tous les obscurantismes actuels et à venir, ceux dont on parle et les muets, auraient beaucoup plus de mal à nous actionner.
Et ce mouvement, peut-être - rêvons un peu - d’abord repris par l’Europe, deviendrait vite contagieux dans le monde entier. A vous de jouer, messieurs de tous les pays qui disposez des pouvoirs de décision ! La mondialisation de la culture du XXIème siècle, quelle superbe occasion de faire un vrai pied de nez à la globalisation si décriée des seuls échanges économiques. Quelqu’un qui a eu la chance d’exercer avec passion le métier si particulier de médecin généraliste ne peut que se réjouir qu’enfin on écoute René Dubos, l’inventeur méconnu des antibiotiques en 1928 : “ Penser globalement, agir localement”. Un apprentissage intellectuel qui permette enfin à tous, même si cela ne profite vraiment qu’à quelques-uns, d’avoir les outils indispensables pour penser globalement. Et seulement après, sur cette toile de fond, il devient logique de pouvoir agir localement avec l’acquisition des connaissances et des compétences de la discipline, quelle qu’elle soit, qu’on a choisi.
l'os court : « Autrefois, les illettrés étaient ceux qui n’allaient pas à l’école. Aujourd’hui, ce sont ceux qui y vont » Paul Guth