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Lettre
d'Expression médicale n°424
Hebdomadaire francophone de santé
28 novembre 2005
Fromages ou desserts?
Docteur Françoise Dencuff
Le Commissariat au Plan vient de publier son rapport «
pour une régionalisation du système de santé
en 2025 ». Ce rapport est un essai de projection de lévolution
de notre système de santé dans les vingt ans à
venir. Il était sous « embargo » jusquau
8 novembre 2005. Le groupe de recherche appelé « Pôles
» est constitué de 15 auteurs.
Retrouver la confiance:
Premier scénario : « la résurrection de la sécurité
sociale » qui ne pourrait sexercer sans un profond changement
dune part dans les processus de régulation et dautre
part dans larchitecture actuelle des caisses : abandon de
la planification administrative de loffre, suppression des
agences de lhospitalisation et a contrario existence dun
échelon régional amplifiant les attributions actuelles
URCAM.
Deuxième scénario : an II de la décentralisation
: l´État fixe les priorités de santé
et les grandes lignes directrices du modèle de santé
à la française. Il « alloue aux régions
des enveloppes de péréquation et négocie avec
elles des programmations pluriannuelles ». Les caisses nationales
d´assurance maladie disparaissent tandis que les agences régionales
de l´hospitalisation sont intégrées aux services
de la région.
Deuxième scénario : « déconcentralisation
»
les agences régionales de santé (ARS)
sont au cur du système de soins définissent
les programmes et les objectifs de santé publique de même
que de l´allocation des ressources.
Troisième scénario : « le chariot des desserts
»
même organisation du système de santé,
mêmes acteurs. Simplement leurs missions sont renforcées.
L´État, « sous la houlette du préfet »,
définit les politiques de prévention et les programmes
de santé ; l´ARH gère l´offre de soins
en établissements et l´URCAM a pour charge le secteur
ambulatoire. « Ce scénario ne bouleverse pas les équilibres,
il spécialise et renforce les blocs de compétence
», notent les auteurs.
Devant le titre donné au dernier scénario il est à
se demander si les deux premiers font partie du menu. Quoique leur
dénomination ne donne guère envie dy goûter.
De toute façon la seule certitude reste
lincertitude.
Il est difficile, alors que les entreprises ne peuvent faire de
plans prévisionnels quà 3 ou 6 mois, dimaginer
létat de la santé à 20 ans. Encore un
pôle qui a du coûter bien cher aux contribuables. Il
est vrai que si nous nous mettons debout à lendroit
exact du pôle (sud ou nord) le résultat est que nous
tournons
autour de notre nombril !
Pour ceux ou celles qui ont envie de savoir à quelles sauces
nous seront mangés vous pouvez lire lintégralité
de ce rapport à ladresse suivante : http://www.plan.gouv.fr/intranet/upload/publications/documents/POLES-Rapport.pdf.
Vous serez particulièrement réjouis par la présentation
des maisons du Bien Être
Restaurer la conscience
Mais comme le monde se réinvente constamment et sur la proposition
amicale du médecin maître-Toile FM Michaut, je suis
allée regarder dans les premières LEM (n°87 à
89 à <http://www.exmed.org/arlem/arlem984.html#lem87>
lien
) et comme je suis une petite jeune sur le site (uniquement bien
sûr) jai eu la surprise de constater que nos experts
exmédiens avaient, eux aussi, joué à Mme Soleil.
Ils nous avaient concocté une série de 10 mesures
pour sauver non pas la Sécu mais le soin dans notre douce
France. Et ce il y a bientôt
7 ans (janvier 1999)
Renforcer la compétence:
Alors pour montrer au groupe « Pôles » que la
base a aussi des idées et quen plus elles sont proposées
gratuitement, je vais vous remettre le couvert en vous dévoilant
le menu du Jardin dExmed, restaurant gastronomique trois fourchettes,
qui vous garantit une parfaite digestion du futur.
Dix mesures concrètes pour les soins de santé
1. Rétablir la conscience pour tous de la réalité
de nos prélèvements sociaux :
- Abolition de la fiction en trompe-l'oeil des cotisations patronales.
Ce que le patron "paye" n'est que ce qu'il ne donne pas
au " salarié", rien ne sort de sa poche personnelle.
- Prélèvement des cotisations sur tous les revenus
(assiette CSG) sans aucune exception. (retraités, chômeurs,
RMIstes, invalides, etc.). Cette ponction doit être assurée
sur le compte bancaire de chaque assuré, pour qu'il voie
la réalité de ce qu'il paye sur ses revenus. On évite
ainsi le piège du prélèvement indolore à
la source, qui permet de décider des taux sans aucun véritable
contrôle démocratique.
- Proportionnalité complète de ces cotisations par
rapport au revenu avec un seul pourcentage applicable à tous.
2. Abroger toute mesure de rationnement de la consommation de
soins médicaux.
La part des revenus attribuée à la couverture sociale
est régulée, démocratiquement, par toutes les
décisions prises chaque année par les assurés,
les assureurs, les soignés et les soignants. La médecine
fait avec les moyens que le jeu des échanges marchands libres
lui alloue. Cette allocation n'est plus décrétée
ou administrée par des autorités de tutelle. Élimination
progressive de tout financement public de l'assurance maladie. Les
aides publiques indispensables pour telle et telle catégorie
de population sont versées en totalité aux individus
qui acquittent alors comme tous les autres leurs cotisations obligatoires
et facultatives.
3. Mettre fin au simulacre du paritarisme dans la gestion des
assurances sociales obligatoires et facultatives.
En ce qui concerne la Sécu, la propriété des
caisses régionales est remise aux seuls assurés. Capitalisation,
par eux, sans possibilité de détention de parts sociales
par une quelconque personne morale, de droit public ou privé.
Cette capitalisation est gérée de telle façon
que son produit puisse être un complément solide aux
retraites par répartition, à côté d'autres
placements que chacun décide librement.
4. Adopter un statut nouveau des caisses régionales d'assurance
maladie obligatoire.
Elles doivent fonctionner d'un point de vue économique sous
le régime des sociétés authentiquement mutualistes
avec des primes, ou cotisations variables en fonction des résultats
de la dernière période. Et en tenant compte d'un profit
technique nécessaire pour assurer la rémunération
suffisante du capital (cf. n°3). Cette mutualisation authentique,
fonctionnant selon des règles du jeu fixées par le
Législateur met les assurés,et eux seuls, en mesure
d'arbitrer entre la quantité et la qualité des soins
médicaux qu'ils désirent et la part de leurs revenus
qu'ils consacrent à leur financement .
5. Modifier la superstructure nationale de la sécurité
sociale centralisée à la Française.
Elle devient juste une coordination minimale entre les caisses régionales.
Il faut mettre fin à nos régimes spéciaux :
Toute la population, médecins et personnels de l'industrie
des soins médicaux, fonctionnaires compris, doit être
logée à la même enseigne. Égalité
!
6. Ouvrir à la concurrence des sociétés
privées la part obligatoire de l'assurance maladie.
Mesure indispensable pour que les caisses régionales issues
de la Sécurité sociale étatisée n'exposent
pas des coûts de gestion supérieurs à ce qui
est strictement nécessaire au bon accomplissement de leur
métier d'assureur.
7. Laisser l'informatisation des médecins et des hôpitaux
à la seule initiative privée
prise par eux, les caisses régionales et les autres sociétés
privées mais avec l'interdiction de développer un
réseau national et sans aucune possibilité de piratage
d'informations qui relèvent du secret médical. ( Fin
de citation)
Jai quelque peu le sentiment que tout le monde nest
pas daccord avec ces propositions. Normal, elles sont vraiment
innovantes c'est-à-dire quelles ne se contentent pas
de chercher à faire des économies de bouts de chandelle
mais quelles essaient de faire changer en profondeur le «
consommateur de soins ».
Si vraiment lEtat veut faire des assurés sociaux de
vrais consommateurs, quil leur donne la pleine et entière
responsabilité de ce quils peuvent ou veulent consommer.
Dans le même ordre didée, lIFRAP (Institut
Français pour la Recherche sur les Administrations Publiques
: www.ifrap.org ) a publié en octobre dernier une enquête
sur les anomalies de tarification entre public et privé.
Les coûts de fonctionnement des hôpitaux publics sont
supérieurs de 66% à ceux des cliniques privés
pour des soins identiques sur des groupes de malades homogènes.
Et la vieille tarte à la crème de la différence
de « recrutement » ne fait plus recette même auprès
des tutelles. Cerise sur le gâteau près de 15.000 emplois
seraient à supprimer dans la fonction publique hospitalière.
Mais faire des économies sur le dos de certains de nos concitoyens
nest pas faire preuve de responsabilité. Repenser globalement
notre rapport aux soins et à la protection sociale, voilà
qui est responsable.
Au lieu de cela, et malgré les suspicions qui pèsent
actuellement sur de nombreux volatiles, les poulets sont de sortie
pour punir les vilains médecins qui dépensent trop
de sous !
« Laudimat » nous assure que vous êtes nombreux(ses)
à lire les morceaux de bravoure dExmed alors exprimez-vous,
dites nous ce que vous pensez de ses propositions et surtout faites
en dautres. Nous changeons la carte régulièrement
!
l'os court :
« Le dermatologue ne sait
rien et ne fait rien, le chirurgien ne sait rien mais fait tout,
le psychiatre sait tout mais ne fait rien, le médecin légiste
sait tout, fait tout ... trop tard ! »
Anonyme ... prudent
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Lettre
d'Expression médicale n°425
Hebdomadaire francophone de santé
5 décembre 2005
Les mots et les maux de la
médecine
Docteur Philippe Deharvengt
Avertissement
aux lecteurs: le premier chapitre de cette LEM (retrouvons la confiance)
est consacré aux risques bien réels d'une mutation
du virus A(H5N1) de la grippe aviaire, qui le rendrait transmissible
d'homme à homme, ce qui engendrerait une pandémie
aux conséquences désastreuses pour l'humanité.
Âmes sensibles s'abstenir et passer au second chapitre (restaurons
la conscience).
Retrouver la confiance:
Source: <<Pandémie, la grande menace>> des Professeurs
Jean-Philippe Derenne & François Bricaire, chez Fayard.
<<Le 2 septembre 2005, l'OMS a publié un document intitulé:
Comment faire face à la menace d'une pandémie de grippe
aviaire. Mesures stratégiques recommandées.
Ce document se fonde sur le constat suivant:
1- Le risque de pandémie est grand
2- Le risque va persister
3- L'évolution de la menace n'est pas prévisible
4- Le système d'alerte précoce est faible
5- Une intervention préventive est possible mais n'a jamais
été tentée
6- La réduction de la morbidité et de la mortalité
au cours d'une pandémie sera freinée par le manque
de vaccins et d'antiviraux (manque de vaccins par pénurie
d'oeufs embryonnés de poules, ces dernières ayant
été exterminées, NDLA).[...]>>.
Retenons de tout cela que le risque de mutation du virus A(H5N1)
et de transmission interhumaine de la grippe aviaire est bien réel
et pris très au sérieux par les plus hautes instances
sanitaires internationales. Qu'il appartient maintenant aux politiques
de mettre en place dès aujourd'hui de multiples mesures pour
faire face aux conséquences sanitaires et socio-économiques
d'une telle pandémie. "Gouverner, c'est prévoir".
Hâtons-nous de prévoir, demain il sera trop tard. Bien
sûr il faut fabriquer plus de vaccins et d'antiviraux (Tamiflu).
Mais il faut aussi se préparer à une catastrophe socio-économique
gravissime. En premier lieu, les soignants, les pompiers, les policiers
seront les premières victimes. Les transports en commun seront
paralysés, d'où des embouteillages monstres qui entraveront
l'intervention des équipes de secours. L'approvisionnement
des lieux de distributions de denrées alimentaires sera perturbé.
Les écoles et crèches seront fermées, et les
parents travailleurs devront garder chez eux leurs enfants, donc
ne pas travailler. Naturellement, les services hospitaliers, les
cliniques, les cabinets de médecins libéraux seront
très vite saturés.
On ne sait quand la pandémie se manifestera, ni dans quel
continent. On sait seulement avec une quasi certitude que cela se
produira. Avis à nos gouvernants. La pandémie de grippe
espagnole de 1918/1919 a fait, dans le monde, selon les évaluations,
entre 20 et 50 millions de morts, soit bien plus que la première
guerre mondiale. Qu'on s'en souvienne.
Restaurer la conscience
Source: <<L'enfer de la médecine... est pavé
de bonnes intentions>>, du Dr. Patrick Lemoine, chez Robert
Laffont.
L'auteur nous entraîne dans une vision très caustique
et humoristique de ce qu'a été la médecine
des temps anciens, de ce qu'elle est aujourd'hui et de ce qu'elle
risque d'être demain. Dogmatique, autoritaire, narcissique
et insuffisante. Non, le mandarinat n'est pas mort en France après
mai 1968. Les médecins, dans leur grande majorité,
continuent de dire à leurs patients: <<Faites-moi confiance,
je m'y connais.>> Et d'écrire à propos du même
patient à un grand professeur d'Université en commençant
sa lettre par:<<Monsieur et très cher Maître>>
et de terminer par la sacro-sainte formule:<<Veuillez agréer,
Monsieur et cher Maître, l'expression de ma très respectueuse
considération>>. Et de citer Voltaire: <<La médecine
consiste à mettre des drogues qu'on ne connaît pas
dans des corps qu'on connaît encore moins>>. [...] Politique
médicale: <<Les rapports des médecins et des
hommes politiques ont toujours été des plus compliqués.
Toute paranoïa mise à part, j'ai souvent le sentiment
qu'une sorte de plan, de complot machiavélique vise à
museler, mettre à genoux une profession détestée
des gouvernants.>> [...]
Renforcer la compétence:
Tentons de faire une synthèse de ces deux ouvrages, quant
à la qualité de notre chère médecine,
dans ses maux et dans ses mots. Le fil conducteur en est cette réflexion
du Dr.Patrick Lemoine sur l'éternel conflit médecins/gouvernants.
Devant la menace bien réelle de pandémie de grippe
aviaire, devant la dégradation patente des conditions d'exercice
de nos confrères libéraux et hospitaliers, la seule
solution passe par une excellente collaboration entre les deux protagonistes.
Elle devrait être, pour être efficace, à l'échelle
planétaire, mais cela constitue à l'évidence
une énorme utopie. Alors, au mieux européenne, sinon
hexagonale? C'est notre dernier espoir de sauver d'une mort certaine
1/10ème de notre population.
Il existe des Docteurs "Tant pis" et des Docteurs "Tant
mieux". In medio stat virtus. Pour la rédaction de cette
LEM, je me suis efforcé d'être entre ces deux genres
en évitant les pièges de la politique de l'autruche
et de la démagogie. Tout ce que j'ai écrit est vérifiable.
Bien à vous.
l'os court :
« Monsieur a son avenir
devant lui et il laura dans le dos à chaque fois quil
fera demi-tour.»
Pierre Dac
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Lettre
d'Expression médicale n°426
Hebdomadaire francophone de santé
12 décembre 2005
Risquetout
Docteur Françoise Dencuff
Un sujet
qui semble dactualité : lamour ou la peur du
risque. Dans notre société partagée entre la
préservation frileuse de ses acquis, le principe de précaution
et les sports extrêmes il paraît intéressant
de se pencher sur la notion de risque.
Dans une simplification restée célèbre, le
Medef ( syndicat patronal NDLR), il y a quelques années,
a divisé le monde en deux : d'un côté les riscophiles,
« qui portent l'esprit d'entreprise », de l'autre de
l'autre les riscophobes, qui, accrochés à leurs privilèges,
refusent le progrès. QDM 25/11/05
Nous voilà donc, par la magie des étiquettes, divisés
en deux clans
irréconciliables.
Retrouver la confiance:
Comme toujours pour restaurer la confiance, il nous faut comprendre
ce quest le risque et quels types de risques.
A ma grande surprise mon dico étymologique reste muet. En
effet lorigine de risque est plurielle : resecum (ce qui se
coupe), rixicare (la querelle), rizq (le sort), rescum (lécueil).
A l'époque médiévale une double étymologie,
la première d'origine arabo-musulmane "ce que Dieu accorde
aux hommes", la seconde dorigine toscane, lécueil
dissimulé qui menace le navigateur. Ce terme sest répandu
à la Renaissance et désignait tout danger encourus
pas les armateurs. Étonnamment il a été associé
aux assurances maritimes dès le XIVème siècle.
Il existe un rapport étroit du risque avec d'autres concepts
comme le hasard, le danger, le péril, l'aléa, la crise.
Au Moyen Âge, le danger représente l'expérience
initiale du risque. Les hommes des Lumières vont dissocier
les deux termes danger et risque. Au 18ème siècle,
la technique et la science vont réduire la part de l'incertain.
Jusqu'à la fin du 20ème siècle, l'idée
de transcendance reste présente : risquer c'est évaluer,
calculer. (Journal des accidents et des catastrophes n°19)
Donc le sens du mot risque reflète la volonté de maîtriser,
de se préserver du danger. Lié au danger, il nest
pas le danger. En effet le risque, dans sa première acception
exclut la notion de faute. Les risques que couvraient les assurances
des armateurs relevaient des cas de force majeur, sans faute imputable.
Le Robert donne plusieurs définitions :
Ý Danger éventuel plus ou moins prévisible.
Ý Éventualité dun événement ne
dépendant pas exclusivement de la volonté des parties
et pouvant causer la perte dun objet ou tout autre dommage.
Par extension : Événement contre la survenance duquel
on sassure.
Ý Fait de sexposer à un danger (dans lespoir
dobtenir un avantage).
Le Littré précise : "Péril dans lequel
il rentre lidée de hasard.
A lheure actuelle, pour les compagnies dassurance :
le risque est la probabilité de survenues dincidents
ou dévénements indésirables, de dysfonctionnements
dommageables pour, dans le domaine de la santé, la personne
soignée, son entourage, le personnel hospitalier et létablissement
lui-même après exposition à un facteur déclenchant.
Le risque réel est celui qui existe vraiment, il est mesurable
statistiquement en terme de probabilité. En réalité
ce sont les conséquences de ce risque qui peuvent être
évaluées
a posteriori ! Le risque potentiel se
réfère à la possibilité, la probabilité
de lapparition dun événement « dangereux
».
En 1898, une loi sur les accidents du travail est votée :
elle révolutionne le droit français en substituant
la responsabilité pour risque à la responsabilité
pour faute. Désormais, on considérera que la conclusion
du contrat de travail induit un risque, que le travailleur est mis
en danger, et qu'il n'y a donc pas d'égalité entre
les contractants.
Il existe une rupture importante entre les risques dhier et
daujourdhui. Autrefois existait le risque professionnel.
Sajoutent maintenant les risques technologiques (et technologiques
majeurs), écologiques ou environnementaux et les risques
sanitaires.
La notion de risque était liée au commerce et à
la finance plutôt quaux personnes. Aujourdhui
pour écarter le danger
il faut ouvrir son parapluie.
Dans les risques sinscrit aussi depuis 1994, la mise en danger
dautrui
qui existait déjà dans les temps
antiques sous le terme de scandale. De nombreuses enquêtes
ont montré que nous surestimons souvent la fréquence
d'événements spectaculaires et sous-estimons les menaces
plus discrètes.
François Guery, professeur de philosophie à l'Université
Jean Moulin (Lyon III) : Risquer c'est se risquer plutôt que
subir. Le risque comporte le danger et ce n'est pas que le danger
de mort, mais aussi le danger de perte de ce qui est essentiel pour
l'homme
Et nous entrons là dans le cur du problème.
En effet la perte comme le manque sont des éléments
essentiels de la vie. Nous perdons des biens, des personnes, la
vie
Donc le risque est une composante majeure de la vie.
Comment alors expliquer (ou tenter de le faire) cette différence
entre « riscophiles » et « riscophobes »
?
Les premiers seraient insensibles à la notion de perte, les
seconds cousins germains doncle Picsou. Mais dans les deux
cas le sentiment de toute puissance est à la base de leurs
conduites face au risque. En effet pour les premiers, il nie le
risque face au danger. Quant aux seconds ils pensent pouvoir lui
échapper.
Pour un chercheur israélien (Ebstein et coll) les personnes
qui se mettent régulièrement et pathologiquement en
danger souffriraient d'un déficit génétique
chronique en dopamine par une mutation du gène DRD4 qui semble
significativement plus fréquente chez les casse-cou.
Beaucoup de ses confrères ne sont pas daccord avec
cette « trouvaille » puisquil faudrait un minimum
de 10 à 12 gènes nécessaire à la détermination
de la totalité de ce trait de caractère.
Les riscophobes quant à eux feraient partie de ce que les
psychiatres appellent des personnalités évitantes
dépendantes.
Les uns comme les autres (phobes ou philes) traduisent dans leurs
comportements face au danger et à la prise de risque un manque
de confiance en eux, une peur de linconnu qui peut aller chez
certains jusquà lautodestruction.
La notion de risque est malheureusement pour nous intimement liée
à linconnu. En effet lévaluation des risques
se fait toujours une fois que « lévénement
indésirable » est arrivé.
Lors de mes formations à la gestion des risques, un de mes
amis me demanda lexercice suivant : fais moi la liste de tous
les risques que tu encoures en traversant la rue devant chez toi.
Tu as tout le temps que tu veux.
Inutile de vous préciser quaprès avoir envisagé
la voiture folle, la branche darbre indésirable ou
la peau de banane
je suis restée muette. J avais
oublié lavion qui sécrase, le chien qui
me course, la balle de tennis ou de golf
il énuméra
ainsi des risques potentiels pendant 30 minutes ! De quoi nous donner
envie de rester au lit
oui mais le plafond peut fuir, le lustre
se décrocher, le sommier se rompre, la tasse de café
se renverser
Bref le risque zéro nexiste pas.
Restaurer la conscience
Lessentiel dans ce nouveau métier quest la gestion
des risques tient dans limagination et la créativité.
Il ne faut pas avancer en regardant dans le rétroviseur c'est-à-dire
en vérifiant que les risques déjà repérés
et évalués ont été neutralisés.
Les médias, oiseaux de mauvais augure, répètent
à lenvie que le risque zéro nexiste pas
mais ils pointent sans pitié la clinique qui na pas
prévu laccident post-op. ou le médecin qui na
pas vu linfime démarrage dune tumeur qui tuera
le patient quelques mois plus tard.
Hélas ! Comment dans un siècle aussi technoscientifique
le risque de mourir peut-il encore exister !
Renforcer la compétence:
Bien entendu
je caricature. Il ne sagit ni de nier le
risque ni den faire un obstacle permanent à tout plaisir.
Car dans la prise de risque il est important de noter quil
existe souvent un intense sentiment de plaisir. Bouffées
dadrénaline bienheureuses qui réveillent les
sens les plus endormis. Mais qui dit plaisir dit aussi pouvoir en
profiter
donc vivre. Les adeptes responsables des sports extrêmes
vous diront tous à quel point la préparation et la
mesure du risque sont importantes.
Nous sommes loin alors du jeu du foulard, de la toxicomanie, de
lalcool au volant. Car la mesure du risque se fait pour soi
et pour les autres. Un auteur célèbre disait que sa
liberté sarrêtait là où commençait
celle des autres. Quel inconscient ! Digne des USA lorsquils
refusent de signer le protocole daccord sur la réduction
des gaz à effet de serre.
Même en me moquant souvent du fameux principe de précaution
cher au monde politico-financier, je noublie pas que la première
maxime dun médecin reste : Primum non nocere. Le législateur
reste encore trop souvent dans la logique de la loi du talion ;
il pour il, dent pour dent. Ce qui me paraîtrait
plus efficace, encore une fois, serait de responsabiliser les «
faiseurs de risques ». Individuellement, car la responsabilité
collective dilue la responsabilité.
Ce ne sont pas « les médecins » qui tuent leurs
patients mais certains médecins qui ne respectent pas notre
maxime. Ce ne sont pas les alcooliques qui coûtent cher à
la société mais chaque personne qui abuse de lalcool
Notre métier plus que tout autre est confronté au
terrible dilemme du choix bénéfice/risque. Et si les
banquiers ou les assurances perdent
des sous, les médecins
eux risquent la santé et quelquefois la vie de leurs patients.
De même que les pilotes de B747, pardon A380, doivent réaliser
que ce nest pas un chargement de personnes mais 500 ou 600
personnes, toutes avec leur histoire, quils doivent mener
à bon port. Surtout si les rotations trop nombreuses les
incitent à se faire une petite ligne de cocaïne pour
tenir le coup.
En résumé, le danger plus ou moins prévisible,
le choix conscient et responsable de sy exposer, la certitude
que tout nest pas maîtrisable, linventivité
pour toujours rechercher un risque que lon aurait oublié,
le plaisir de pouvoir de temps en temps repousser les limites de
notre petit confort, de donner à lautre au risque de
se perdre
François Guery terminait ainsi sa conférence : La
mesure du risque par la raison permet à l'homme de retrouver
sa liberté.
l'os court :
« Ce qui protège
expose.» Michel Serre
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Lettre
d'Expression médicale n°427
Hebdomadaire francophone de santé
19 décembre 2005
Se vacciner contre lobscurantisme
Docteur François-Marie Michaut
Quand certaines cités de France ont connu des scènes
démeutes largement télévisées
dans le monde entier, nous avons pris ici le temps de regarder,
découter et surtout de réfléchir pendant
quelques semaines. Que de wagons de salive ont été
déversés de tous les côtés, nous laissant
finalement un goût prononcé dincompréhension.
Et une sensation de constat dimpuissance.
Retrouver la confiance:
Quand des Africains se ruinent, et mettent leur vie en danger, en
traversant clandestinement la Méditerranée entre les
mains dexploiteurs innommables, on se dit que nos sociétés
européennes restent un Eldorado dans des lieux de misère
sans fond. Fabuleux espoir de pouvoir enfin vivre dignement chez
ceux dailleurs. Et, dun autre côté, certains
de nos jeunes vivant en France, qui nous jettent à la tête
leur désespoir, en sen prenant par le feu à
lun de nos symboles majeurs de possibilité de liberté
: la sacro-sainte bagnole. Qui des deux groupes na pas compris
la réalité ? La question mérite quon
sy attarde, plutôt que de se lancer, bride abattue,
sur de prétendues campagnes dinformation et de dialogues
se voulant explicatifs. Dun côté ceux qui sont
nés dans des systèmes culturels dominés par
la tradition ont développé une confiance -peut-être
excessive- dans ce que la vie dans des pays riches pouvait leur
apporter. Tous ces gens parient sur nous, ils nont plus aucune
confiance en lavenir de leur pays. De notre côté,
des jeunes nés ici nous hurlent à leur façon
brûlante quils ne peuvent accorder aucune confiance
à notre société telle quelle leur apparaît
chaque jour. Tous les discours, et Dieu sait sils abondent,
pour convaincre tous ces jeunes quils se trompent dans leur
analyse, et quils nont pas de raison de connaître
une telle panne de confiance, ne peuvent quéchouer,
car ils sont, pour eux, inacceptables. Ils nont tout simplement
aucun sens à leurs oreilles.
Restaurer la conscience
Le monde lui-même na aucun sens à leurs yeux.
La fascination par largent, si facilement affichée,
ne doit pas faire illusion. Pourquoi sommes-nous assez aveugles
pour ne pas le voir ? Nous sommes en plein obscurantisme. Se lancer
dans des procès et des polémiques sans fin pour savoir
comment on a pu en venir là ne conduit à rien. La
seule question digne dintérêt est de se demander
comment on peut envisager de se vacciner contre les
obscurantismes. Celui-ci, comme tous les autres, dont ceux prenant
les oripeaux trompeurs de la science, de la médecine ou des
religions. Immense ambition, en vérité. Notre guide,
si vous le voulez bien, sera Michel Serres. Voici comment il envisage
la toile de fond culturelle générale indispensable,
et obligatoire, pour tous les étudiants de première
année, quelle que soit lorientation de leurs études
après leur baccalauréat. Le mieux, pour comprendre
comment donner la possibilité à huit personnes sur
dix dans un pays aussi scolarisé que la France de
restaurer leur conscience est de laisser la parole à
Michel Serres. En le remerciant, comme son éditeur le Pommier,
de nous avoir autorisé à reprendre ici sa proposition.
Renforcer la compétence:
Programme commun pour la première année
des universités :
I. Le programme courant de la spécialité
II. Le Grand Récit unitaire de toutes les sciences
Éléments de physique et dastrophysique : la
formation de lUnivers, du big-bang au refroidissement des
planètes.
Éléments de géophysique, de chimie et de biologie
: de la naissance de la Terre à lapparition de la vie
et à lévolution des espèces.
Éléments dantropologie générale
: émergence et diffusion du genre humain.
Éléments dagronomie, de médecine et passage
à la culture : le rapport des hommes à la Terre, à
la vie, à lhumanité elle-même.
III. La mosaïque des cultures humaines
Éléments de linguistique générale ;
géographie et histoire des familles de langues.
Les langages de communication : leur évolution.
Éléments dhistoire des religions : polythéismes,
monothéismes, panthéismes, athéismes.
Éléments de sciences politiques : les diverses sortes
de gouvernement. Éléments déconomie :
le partage des richesses dans le monde.
Chefs-doeuvre choisis des beaux-arts et des sagesses. Sites
: le patrimoine de lhumanité, selon lUnesco.
( Source : Michel Serres, Lincandescent, Éditions
Le Pommier (Paris) 2003 ).
En tant que médecin créateur de ce site de santé,
je ne peux quapplaudir à ce programme. Son adoption
nous sortirait des multiples ornières dont nous parlons dans
cette lettre chaque semaine depuis 1997. La médecine souffre
terriblement - et les malades encore plus- dune hypertrophie
technoscientifique accompagnée dune atrophie culturelle
sévère. Bien sûr cela bousculerait de multiples
et puissantes forteresses, bien sûr on objecterait la nécessité
de faire appel à de nouveaux enseignants, bien sûr,
on sinquiéterait de linvestissement en temps
et en moyens financiers qui en résulterait. Mais le jeu en
vaut la chandelle : la nation qui aurait laudace politique
de lancer ce programme deviendrait le détonateur dune
nouvelle ère des Lumières. Car nul doute, devant le
balisage dun élargissement culturel considérable
de lesprit pour une grande partie de nos jeunes, les obscurantismes,
tous les obscurantismes actuels et à venir, ceux dont on
parle et les muets, auraient beaucoup plus de mal à nous
actionner.
Et ce mouvement, peut-être - rêvons un peu - dabord
repris par lEurope, deviendrait vite contagieux dans le monde
entier. A vous de jouer, messieurs de tous les pays qui disposez
des pouvoirs de décision ! La mondialisation de la culture
du XXIème siècle, quelle superbe occasion de faire
un vrai pied de nez à la globalisation si décriée
des seuls échanges économiques. Quelquun qui
a eu la chance dexercer avec passion le métier si particulier
de médecin généraliste ne peut que se réjouir
quenfin on écoute René Dubos, linventeur
méconnu des antibiotiques en 1928 : Penser globalement,
agir localement. Un apprentissage intellectuel qui permette
enfin à tous, même si cela ne profite vraiment quà
quelques-uns, davoir les outils indispensables pour penser
globalement. Et seulement après, sur cette toile de fond,
il devient logique de pouvoir agir localement avec lacquisition
des connaissances et des compétences de la discipline, quelle
quelle soit, quon a choisi.
l'os court : « Autrefois, les illettrés
étaient ceux qui nallaient pas à lécole.
Aujourdhui, ce sont ceux qui y vont » Paul Guth
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