GIORGIO
Primesautier,
un feu follet,
Aimant le sport,
chanter, danser ;
D'un naturel,
vif, enjoué,
Propre à
séduire ou entraîner.
Ayant vécu
aux colonies
Durant des
lustres, une demi-vie,
Des anciens
conteurs à l'instar,
Gardait mémoire
des racontars.
Aux anecdotes
joignait le geste,
Mêlait
la fougue au manifeste,
De rire la
collégialité.
Dans un syndrome
de glissement
Au crépuscule,
furtivement,
Quitta un monde
d'absurdité.
PAUL
"Mémoires
d'un âne"* est apparu
Dans mon esprit
comme une image
Y associant
un enfant sage
Sur bancs d'école,
du déjà vu !
Paul et son
âne se coltinaient,
Tentant de
se mettre à l'abri
D'un nid d'insectes
mal appris,
Décidés
à les butiner.
Aventure des
plus pittoresques
S'inscrivant
dans une de ces fresques
Que le praticien
peut croquer.
La visite fût
vite expédiée,
Bourdons et
médecin congédiés,
"Sécurité**
non escroquée.
Comtesse de
Ségur
**Sécurité
sociale
ADÈLE
Fidèle
patiente, on se revoit
Dans de funestes
circonstances
Pour le trépas,
fin d'existence
De Venant dont
s'est tu la voix.
Mère
providence de tous les chats
A cent cinquante
lieux à la ronde,
Adèle
leur a créé un monde,
Famille et
gîte sans l'achat.
En soixante
ans de vie commune,
Pas d'amertume
ni de rancune.
Décennies
de compréhension.
Chemin de croix,
frôlement de coeur,
Bonheur durable,
sort de faveur
Se perdent
dans l'inhumation.
MARTIN
Il était
maire de sa commune
Indifférent
à la fortune,
Sans même
y faire quelques choux gras
Besogne ingrate
du lauréat.
"Pauvre Martin,
pauvre misère."*
D'un naturel
très asthmatique
Comme d'autres
sont charismatiques,
Il profitait
de l'air des champs
Non pollué,
en se cachant.
"Pauvre Martin,
pauvre misère."
Comme indigent
propriétaire,
Il cultivait
la pomme de terre
Qui fut frappé
par le mildiou.**
"Pauvre Martin,
pauvre misère."
Sentant trop
tôt sa fin venir
Il me demande
d'intervenir,
Moi qui ne
suis qu'un pousse-cailloux.
"Pauvre Martin,
pauvre misère."
Je fis de mon
mieux, pas grand chose,
Un peu de ce
qui recompose
Afin qu'il
reposât "tout doux".
"Pauvre Martin,
pauvre misère."
*G. Brassens
**Maladie de
la pomme de terre provoquée par des champignons microscopiques.
JULIETTE
Issue d'une
grossesse gémellaire,
Homozygote,
gènes exemplaires ;
A contempler
se démener
Curieux spectacle
que ces mémés.
On s'est connu
aux accouchements
De Charline
son unique enfant ;
Des femmes
la multiparité
Crée
le contact et l'amitié.
La nonantaine,
usée, souffrante,
M'apostrophait
dans la tourmente :
"Docteur, je
ne veux pas mourir."
"Mais qui vous
parle de la mort ?
A corps à
cris, vous vous faîtes tort."
Et je l'empêchais
de souffrir.
MON COEUR !
DOCTEUR"
Un digne couple
de retraités
D'un âge
certain, même avancé
Se présenta
au "long séjour"
Pour y couler
de mornes jours
Frappée
d'une surdité profonde
Qui limitait
belle faconde
Grand-mère
clamait "le coeur ! Docteur"
Au rituel inquisiteur
"Mais non,
Madame, il va très bien"
"Comment dites-vous
? que je n'ai rien !"
Et s'instaurait
le dialogue
De sourds bien
sûr, comment faire d'autre ?
De ses stériles
patenôtres
Grand-père
concluait l'épilogue
Le moulin
Tourne moulin,
tourne toujours,
Brasse de tes
ailes l'air alentour.
Témoin
d'hier, au goût du jour,
du rêve
ambiant soit le recours.
Bonhomme affable,
loquace, gentil,
Comment ne
pas être conquis
Par maître
Jean, propriétaire,
Ce vieux garçon
veillant sa mère.
Patient docile,
obéissant,
Malade modèle,
bien pensant.
Coronarite,
angor spastique
S'intrique,
culmine, stade critique.
Et le meunier,
d'abandonner
Un dur labeur,
si beau métier.
Jouets du vent,
ailes tournent à vide,
Plus de froment,
absence de guide.
Le boulanger
dans le pétrin,
Le villageois
crève la faim.
Du moulin on
perdit l'usage.
L'âne
se complaît au pâturage,
Broute un chardon,
va et vient, brait,
Oublie le bât
et les harnais.
Meunier se
meurt de lassitude,
Consulte Eole,
vieille habitude.
Celui-ci, par
mansuétude
Souffle moins
fort qu'à l'habitude,
Néanmoins,
tout en poursuivant
Changement
de bord en lit du vent.
Mémoires
de lustres révolus,
N'existe aucun
exemple connu
Que le vent
n'est changé de sens
Une vie durant.
Faisons confiance.
Tourne moulin,
tourne toujours,
Brasse de tes
ailes l'air alentour.
Témoin
d'hier, au goût du jour,
Du rêve
ambiant sois le recours.
LONGÉVITÉ
" Des aveugles
venaient contempler la splendeur des cieux inconnus et des
paralytiques se donner une dernière fois l'illusion
de courir la planète. "
Françoise
Chandernagor
A un savoir
de gériatrie
Ayant voué
nombre d'années,
Bien mal venu
de parti pris
D'aucun oserait
me taxer !
Apercevoir
dans un fauteuil
Une dame aveugle
et amputée,
N'est-ce pas
déjà faire son deuil
D'un corps,
outre-tombe passé ?
Râler,
gémir, pleurer, prier
Sur une couche,
lit d'agonie,
N'est-ce pas
déjà être damné,
Jeté
aux chiens, être banni ?
A vie, être
cloué au siège
Pour cause
de paralysie,
N'est-ce pas
déjà semblant de piège
Dun corps fuyant
et dessaisi ?
Amnésique,
désorienté,
Attaché
par sécurité,
N'est-ce pas
déjà être aliéné,
Avoir perdu
sa liberté ?
L'isolement,
la solitude,
Quémander
la sollicitude,
N'est-ce pas
déjà signe d'abandon,
Désespoir
du pauvre larron ?
Alors, pourquoi
persévérer,
Connaître
l'enfer présumé,
S'enferrer
en longévité
Si les gènes
vous ont condamné ?
Toujours plus
jeune, jamais vieillir,
Un vrai défi
à relever
L'important
est, pouvoir mourir
Plus vieux
mais en bonne santé !
LA MÉMOIRE
Non secondaire,
fondamental,
De la mémoire
don primordial,
Celui de pouvoir
publier
Quand la jeunesse
est oubliée.
Mémoire,
faculté de l'oubli,
Des accessoires
péripéties.
Bonheur d'éluder
les ennuis,
Les turpitudes
et vilenies.
Oublier des
riens c'est banal,
Garder la tête
le principal.
Le principal
c'est la mémoire
Des faits récents,
anciennes gloires.
La garder bonne
un capital,
Se souvenir,
fondamental !
Sans être
au stade de l'Alzheimer,
Quand d'une
vie on gagne la guerre,
Démissionner,
acte fatal,
Garder mémoire,
fondamental.
Recourez au
médicament
Du dernier
cri, drogue du moment,
Vasorégule
à la demande
Nobles organes
de commande.
Privilège
d'être bien loti
Quand la "sécu"
vous l'amortit.
Non secondaire,
fondamental,
De la mémoire
don primordial,
Celui de pouvoir
publier
Quand la jeunesse
est oubliée.
VIEILLARDS
" Mourir, la
belle affaire, mais vieillir, ô vieillir "
Jacques Brel
Paralysé
de l'hémi-corps,
Scatologique,
salace, retors,
Le vieil homme
regarde son monde,
Recherchant
une croupe gironde.
Sous le couvert
du vertueux,
il est d'usage
aux vieux messieurs
De se permettre
auprès des femmes
Ce qu'aux plus
jeunes refusent ces dames.
N'étant
dangereux qu'en paroles,
Se faire peloter,
certaines raffolent.
A ces vieillards
concupiscents
Correspondent
moult impertinents
L'imbus, l'écraseur,
le puant,
L'auto satisfait
culminant.
Le meilleur,
le plus beau son fait,
Ne se mirent
qu'au plus que parfait.
Fierté
d'en être arrivé là,
D'avoir gagné
la tombola
Où se
jouent les jours de la vie,
A consommer
selon l'envie.
Porter en terre
proches et amis
Sans état
d'âme mais bonhomie.
En tirer quelque
vanité
A les bénir
ou les louer
Alors qu'hier,
avant leur mort,
Ils cumulaient
griefs et torts.
Vieillir est
une maladie
Dont personne
ni rien ne guérit.
Vieillir peut
être calamité
Quand on en
cumule les méfaits.
Alzheimeriens
et décadents,
Séniles,
prostrés et dépendants
Donnent une
idée de la misère
Et des tourments
qui désespèrent.
Sert-il d'entretenir
un corps
Que l'âme
a quitté sans remords ?
S'opposent
à ceux-là une race,
D'espèce
oeil vif tel le rapace.
De ces chênes
qu'il nous faut abattre,
L'homme devant
qui il faut rabattre.
Individu d'âge
indécis,
Privilège
d'une vieillesse bénie,
Si celle-ci
s'avère un naufrage,
Superbe, il
ignore son suffrage.
Sagesse acquise,
puits de science,
Respire le
calme sans insolence.
Présence
inspirant le respect
Un peu comme
relique sacrée.
L'homme désire
la longévité
En excluant
l'adversité.
Or le destin,
lui, est aveugle,
N'apprécie
en rien qu'on lui beugle
Conduite à
tenir. L'individu
S'égare
dans le malentendu,
Doit obéir
aux lois d'espèce,
Sans illusions,
même son Altesse.
L'OBSTÉTRIQUE
Opter pour
médecine générale,
Permet d'être
polyvalent.
Une discipline
qui m'emballe
Est de mettre
au monde les enfants.
Choisir la
dermatologie
Permet sans
doute des fantaisies,
Caresser les
peaux satinées,
Palper morceaux
privilégiés.
L'obstétrique
ne se veut funeste
Comme la médecine
dites "légale",
De chrétiens
elle n'est pas en reste
De macchabées
ne se régale.
Bref ! aborder
sans un complexe
Discipline
portant sur le sexe,
Non pas de
la prostitution
Celui de la
reproduction,
Permet de relever
le gant
Dire aux Français
faîtes des enfants.
Suggère
de hisser les couleurs
Pour femmes
en manque de bienfaiteurs.
S'offrir à
l'oeil et à l'oreille
Un concert
de piaillements,
Tout en gagnant
bien de l'oseille
Au bon coeur
de jolies mamans.
Chère
obstétrique, rare merveille,
La plus belle
des spécialités.
Des médecins
le caducée,
Tu le mérites
en pur vermeil,
A moi de te
féliciter !
De l'épisiotomie,
Grands bâtiments
de pierres grises,
Maternités
et vieilles églises
Sont des lieux
saints privilégiés
Pour naître
et se faire baptiser.
Chantier de
vie, nid d'éclosion,
Maternité
siège d'élection
Possède
le privilège troublant
Des réceptions
de cocons blancs.
En ce milieu
aseptisé
On y recueille
fruit du péché :
Le nourrisson
tôt piailleur
Pressé
de se faire pendre ailleurs.
Gynécologues,
obstétriciens
Grands prêtres
du temple païen
Découvrent
en pratique ancestrale
Un rituel en
rien banal,
J'ai nommé
l'épisiotomie.
Propice moyen
d'économie
A limiter souffrance
foetale,
Éviter
mort néonatale.
Tempo sur technique
d'épisio.
On scrute,
on coupe ou l'on cisaille,
Le périnée
on se chamaille
Pour le garder
in extenso.
Frais périnée
des primipares,
Ridé,
fané des multipares,
Fantasme de
sollicitude,
Dermatome de
vicissitude.
La pratique
du systématique
Fut rarement
bien bénéfique.
Crever, trouer
les périnées,
Travail médiocre,
vilipendé.
En limitant
la déchirure,
On oeuvre pour
que périnée dure.
Zélée
consoeur anthropologue.*
Des temps moderne
l'idéologue,
Traduit le
geste ésotérique
En rituel initiatique.
De l'état
de femme pudique
A celui de
mère en pratique.
Révélation
que celle-là !
Complications
et charabia.
Préventivement
et de bon sens
N'évoque
en rien l'évanescence
Ce geste d'épisiotomie,
Seul palliatif
à l'insoumis.
Transition
recto-vaginale,
Le périnée
muscle vénal
Se flatte être
en priorité
Patrimoine
de féminité.
"Rites initiatiques
et pratique médicale dans la société
française contemporaine"
du Dr Anne
Dutruge
NE VARIETUR
Les femmes
n'accouchent plus le dimanche
Et encore moins
les jours fériés ;
A moins qu'elles
ne le fassent exprès
Alors, en montrant
patte blanche.
Pondre son
oeuf quand on le désire,
Se délivrer
à la demande,
A moins que
la mode recommande
Une autre forme
de loisir.
Comme les rachianesthésies,
Faîtes
de manière systématique,
Ont toutes
de quoi rendre sceptique
Le vieil accoucheur
dessaisi.
Ne faut-il
pas garder raison
En respectant
dame nature,
Laquelle sans
grande déconfiture,
Des siècles
fit tourner la maison ?
Si s'opposer
au naturel
Contrarie le
physiologique,
Ne risquons
le pathologique,
Dédaignons
plaisir virtuel.
LE CRIME
Plus le sang
coule, mieux il s'exprime,
Horreur des
faits, lugubre frime,
Crime passionnel
ou crapuleux
D'amoureux,
de non vertueux.
Juge de peines
avide d'aveux,
Croque-mitaine
au temps précieux,
Jamais à
cours d'un jugement
Pour les adultes
ou les enfants.
Il juge au
nom des droits de l'homme
Ceux mêmes
que l'homme créa pour l'homme.
Programme des
plus prétentieux,
Copie conforme
des tables de Dieu.
Jugements qu'on
applique, exemplaires
Pour un malfrat
ou une affaire.
Crimes qu'on
oublie pour une nation
Bien trop petite,
sans prétention,
Pour des milliers
d'individus
En guerre ethnique,
des inconnus.
Identique pour
l'avortement
Le thème
en vogue du moment,
Détruire
cent vies placidement
En sauver une
héroïquement.
Irrationnel,
incohérent
Contradictoire
et surprenant.
Déclin
d'une civilisation
Qui se détruit
d'aberrations.