Les
quatre convives sont assis autour de la table, ils ont visiblement
commencé à manger, et à boire, la conversation
est engagée. Sylvette revient de la cuisine, et s'enquiert
du bien-être de chacun, s'affaire, puis s'assied à
son tour à sa place.
SYLVETTE.
Tu es suffisamment servi, Jeff ?
JEAN-FRANÇOIS. Cette manie des diminutifs
! ! Jophe et Jeff, il y a des articles sur le sujet, qui prétendent
qu'en nous appelant comme cela, vous essayez de nous réduire,
je vais finir par croire que c'est vrai. (Se tournant vers
Jean-Christophe). Elle continue à vouloir t'appeler
Jophe, toi ?
JEAN-CHRISTOPHE. Oui, mais je résiste ! (il
s'adresse à sa femme Sylvette). Tu as entendu, chérie
? Il s'appelle Jean-François, depuis des années
d'ailleurs, à la rigueur François si tu veux faire
court
SYLVETTE, (un peu vive). Mais vous me faites
marrer, c'est vous qui nous avez raconté cent fois qu'au
collège et au lycée vous étiez toujours fourrés
ensemble, et Jeff par ci et Jophe par là... ce n'est pas
vrai, Marielle ?
Marielle
opine, mais n'a pas le temps de répondre
JEAN-CHRISTOPHE.
Oui, mais il y a un temps pour tout, on n'a plus quinze
ans, on est des grands maintenant, mais je vous fais remarquer,
vous deux, que si on s'avise de vous appeler par vos vrais noms,
Sylvette ou Marie-Armelle, on va se prendre un carton jaune instantané,
non ?
SYLVETTE. Attention, il n'est plus question de diminutifs,
ici, mais de surnoms, c'est toute la différence entre un
nom trop long, que l'on va réduire, et un nom trop moche,
que l'on va modifier
JEAN-CHRISTOPHE. Ouais, t'es toujours pas compliquée
dans ton genre, toi !
SYLVETTE. Dis donc, tu m'as prise comme ça,
dès le départ, et de temps en temps la compliquée
elle a des vues sur la vie qui ne sont pas si mauvaises, je crois
?
Les
deux échangent un regard appuyé, mais alors qu'il
dénote en l'occurrence une complicité partagée,
il est interprété différemment par Jean-François
JEAN-FRANÇOIS.
Mais qu'est-ce que vous avez, tous les deux, vos règles,
un découvert bancaire, ou un contrôle fiscal, pas
de quoi vous mettre à cran pour si peu ! !
Sylvette
se lève de nouveau, un peu nerveusement, et repasse le
plat sans trop de conviction
SYLVETTE.
Bon, tout le monde est servi, là, je peux remporter
?
JEAN-FRANÇOIS. Oui ma belle (avec un sourire
forcé, comme pour se faire pardonner et améliorer
l'atmosphère), et j'insiste parce que d'une part c'était
très bon, d'autre part je te trouve en beauté, ce
soir, tu as les yeux particulièrement brillants
Sylvette
part en effectuant une sorte de salut militaire, ou de courbette,
ou les deux
MARIELLE.
Tu as besoin d'aide, Sylvie ?
SYLVETTE. Non non, reste assise, tu sais les hommes
ont toujours besoin de toi, d'une femme en général
!
JEAN-FRANÇOIS, (s'adressant à son compère Jean-Christophe).
Bon, je suppose que tu veux des nouvelles des garçons
? (il se rengorge un peu) Eh bien écoute je crois
qu'on peut dire que tout va bien, pas vrai ? (à l'intention
de sa femme, qui hoche la tête) Alors Stéphane
a été finalement gardé dans sa boîte,
tu sais il va continuer comme commercial, en réalité
je ne t'avais pas caché que j'étais un peu déçu,
au départ, qu'il n'essaie même pas de faire comme
nous, mais je ne le voyais pas en Math Spé et en prépa,
il n'est pas fait pour les Grandes Ecoles, c'est comme ça,
et ce n'est pas une question de capacités, non, mais il
n'a pas le mental pour ça, tu vois, ni la méthode,
lui il a besoin de contact, d'être créatif, de convaincre,
d'ailleurs ce n'est sûrement pas à toi que je vais
expliquer ce genre d'affaire, tu baignes dedans, je lui ai répété,
je lui avais dit je ne sais combien de fois « appelle Jean-Christophe,
appelle le, d'abord c'est ton parrain, et puis il te conseillera,
tu sais c'est son boulot après tout aussi, et regarde il
ne s'en sort pas mal », c'est vrai ça marche, non,
ton boulot, tu es toujours content ? (il poursuit sans même
regarder si son ami veut répondre) Et puis je lui répétais,
« ce n'est pas parce que Jean-Christophe n'a pas intégré
qu'il n'a pas réussi, tu comprends, pas vrai ? Il a bifurqué,
et puis le commercial ce n'est pas si mal dans le fond, on rencontre
des tas de gens...» (il se racle un instant la gorge,
boit une gorgée, écarte son col de son cou d'un
doigt nerveux, et continue) Oui, donc pour Stéphane
plus de souci, remarque on n'en a jamais réellement eu,
pas vrai ? (vers sa femme, machinalement) parce qu'il n'est
pas bête, le bonhomme, et puis la petite est bien, ah oui,
il est toujours avec Cécile, (sa femme sursaute et s'apprête
à le reprendre) non Christelle, c'est ça ? enfin
elle est gentille, et puis elle apprendra, oui c'est sûr
que ces jeunes, là, le repassage, la cuisine, tout ça,
c'est pas véritablement leur truc, enfin moi ce que j'en
dis, c'est leurs affaires à eux, mais bon, il rapporte
des trucs à sa mère, elle lui montre pour les lavages
particuliers, quoi, enfin ils habitent tout près, (il
voit que Sylvette a regagné la table, et s'adresse aussi
à elle maintenant) oui je parlais de Stéphane
et de la petite là, Sandrine (de nouveau sa femme le
regarde sèchement) non euh, Christelle, c'est ça
Christelle, oh je les confonds, oui alors ils ont un petit deux
pièces dans un bâtiment tout neuf. Bon c'est du logement
social, hein, faut pas rêver, mais tu sais qu'on fait maintenant
du social plutôt vraiment correct, avec les nouvelles lois
obligatoires pour les municipalités, non objectivement
c'est plus que correct, d'accord évidemment tu ne peux
pas demander un ascenseur, ni un garage, et puis ils ont des noirs
comme voisins, remarque je n'ai rien contre, pas vrai ? ils ont
l'air sympa, et je crois que le type travaille, même...
La petite, la copine de Stéphane là , Cécile,
non Christelle, j'ai voulu la faire entrer comme hôtesse
à l'accueil chez nous, à l'époque, dans mon
en... (en étant très attentif, on sent qu'il
se trouble très légèrement, seule Sylvette
s'en avise, il boit de nouveau, et refait le geste de passer un
doigt entre col et cou) dans mon entreprise, mais je ne sais
pas ce qui... . enfin... en fin de compte elle est au standard
dans la Société de Marielle, ça a été
plus simple, c'est à côté, et puis on le voit
bien, ces jeunes dans le fond ils s'en foutent, pas vrai ? du
moment que ça lui permet de partager le loyer, Stéphane
lui c'est ce qui lui importait
Les
autres paraissent un peu soûlés de ce très
long monologue, et depuis un moment Sylvette était en attente
d'une interruption pour intervenir, elle en profite
SYLVETTE.
Quelqu'un veut du fromage ? Bon eh bien servez vous, tiens
Marielle vas-y et puis tu feras suivre, tu veux bien ?
JEAN-CHRISTOPHE, (semblant désireux de varier la conversation
et surtout les intervenants, il avise Marielle). Tu
es toujours dans ta Compagnie d'Assurances, là, celle qui
fait une pub terrible là, Zéro Tracas machin, c'est
ça ?
MARIELLE. Non, moi c'est « bien sûr,
c'est...et ça rime ! ! »
JEAN-CHRISTOPHE . Oui, enfin tu restes et
cela te convient ?
MARIELLE, (répondant, pour un observateur averti,
à la fois vite et prudemment, comme si elle se surveillait)
. Oui, eh comment je reste, ce n'est vraiment pas le
mom... enfin avec cette conjoncture il vaut mieux se garder son
poste quand il vous convient, non ?
JEAN-FRANÇOIS, (il « reprend la main »
instantanément, paraissant à la fois soucieux de
conserver la parole longtemps, et désireux de ne pas laisser
quelqu'un d'autre s'immiscer). Bon, je n'en ai pas
terminé avec les fistons, alors ça c'était
pour Stéphane, pour Bertrand il est sur les rails, lui,
normalement cela sera plutôt Centrale Lyon, je crois que
c'est ce qui le tente, enfin je me demande s'il n'aura pas un
peu l'embarras du choix, parce que
MARIELLE, (un peu vivement). Ne lui porte
pas la poisse, d'une part ils sont 1000 aussi bons que lui, ensuite
tout peut se produire, et puis ne projette pas TES idées
ou TES choix, il fera bien ce qu'il voudra, ou alors il prendra
ce qu'il restera...
JEAN-CHRISTOPHE, (sans regarder personne, sombrement).
C'est vrai, dans la vie des fois il y a des imprévus
SYLVETTE, (aussitôt). C'est sûr,
la route paraît toute droite, et puis tout à coup
tu rates un virage, ou ton moteur cale au pied d'une côte,
ou bien tout simplement tu ne sais plus quel embranchement prendre
à un carrefour que tu connais pourtant par coeur
Marielle
la regarde intensément et étrangement
JEAN-FRANÇOIS.
Mais c'est pas vrai ! Qu'est-ce que vous avez, décidément,
tous les deux, vous avez laissé passer la limite pour votre
billet de loto ? Bon enfin c'est sûr qu'il fera ce qu'il
peut, le gamin, mais ne gâchez pas tout quoi, merde, on
peut en être fiers, il ira loin lui aussi ! Enfin je veux
dire, il pouvait choisir de faire autre chose que moi, c'est sûr,
mais je pense qu'il est dans les bons, alors ne boudons pas le
plaisir, pas vrai ?
Tout
le monde marque une pause, puis Sylvette reprend, en bonne maîtresse
de maison
SYLVETTE.
Il a une copine, lui aussi ?
MARIELLE , (vive et désabusée).
Oui oh tu parles !
JEAN-FRANÇOIS, (vif, et exactement en même
temps que sa femme, ils se couvrent mutuellement la voix).
Oui oui, une fille super
MARIELLE, (très sèche). Super,
ou superbe ?
JEAN-FRANÇOIS. Mais tu es jalouse, ma parole
? ! Parfaitement, moi je la trouve et super et superbe !
MARIELLE, (ne le laissant pas insister, et prenant les
autres à témoin). Et vous savez pourquoi
elle lui plaît tant ? parce qu'elle aussi elle va «
faire ingénieur » prépa et tout le tintouin,
c'est une fille à diplômes, à études
supérieures, en plus elle a une belle gueule, des mensurations
idéales, c'est une fausse blonde, mignonne je ne conteste
pas, très même, mais alors vous lui suggérez
de faire des nouilles elle vous demande sur quel bouton du micro-onde
il faut appuyer, vous pouvez toujours attendre pour qu'elle se
serve un jour d'un fer à repasser, « oh ben ça
c'est plutôt le truc de ma mère, vous savez, moi
j'avoue que je ne sais pas comment ça marche », quant
à un aspirateur, le dernier qu'elle a approché il
était dans la vitrine de promo de chez Darty et elle l'avait
pris pour un complexe HiFi-vidéo et coetera. Et la machine
à laver, j'ai fini par écrire deux ou trois fois
le mode d'emploi pour Bertrand, pour être sûre qu'il
puisse porter un slip sans être obligé de retourner
en acheter un neuf chez Leclerc à chaque fois. Mais c'est
vrai, elle est super ! Toutes les émissions de télé,
tous les feuilletons, les prénoms des Lofteurs toutes générations
confondues, tous les CD sans exception des 50 premiers du Hit
Parade, les menus par coeur des dix-sept fast-food dans un rayon
de sept kilomètres, et toutes les marques de produits de
beauté des catalogues classiques, aucun problème.
Et pour le reste, aucun souci, Balzac c'est un cinéma du
VIIIème, Hugo c'est un parfum bien connu, Pasteur c'est
le métro après Montparnasse, Marie Curie cela doit
être cet assaisonnement épicé vaguement indien
utilisé pour l'agneau dans les recettes de chez Marie et
ses plats tout préparés, et puis César Franck
c'est probablement le gars auquel on fait toujours allusion quand
on parle du magasin de couture Frank et Fils...
JEAN-FRANÇOIS. Mais ce n'est pas possible
d'être d'une telle mauvaise foi ! (se tournant vers les
autres) Vous voyez ce que ça donne, une mère
qui sent la femelle rivale qui marque son territoire pour venir
lui voler un de ses petits ? Non, c'est toujours pareil, Marielle
voudrait que tout le monde ait eu la même vie qu'elle, le
BEPC, les cours de couture chez les bonnes soeurs, la cuisine
de sa propre mère pour savoir préparer des pâtés
en croûte et des civets, et puis le repassage avec des fers
chauffés sur la cuisinière en fonte, quarante ans
avant la centrale vapeur, la machine à laver tous les lundis
et l'aspirateur deux fois par semaine, mais la vie évolue,
tout change, ces filles là, maintenant, elles dessinent
des projets de tracteurs à turbo-propulsion, des ponts
suspendus sur la Garonne, ou elles calculent la résistance
des volets de rétro-freinage d'un supersonique, alors c'est
vrai, effectivement, elles vont bouffer à la cantine et
chez Flunch, et porter leur linge à la laverie du coin,
et au pressing ! Mais, bon sang, personne n'est obligé
de rester figé sur des positions datant de la guerre, ou
d'expier éternellement les difficultés et les interdits
de ses propres parents, non ? C'est vrai quoi, il n'y avait ni
pilule ni IVG autrefois, et à part le retrait ou l'abstention
par de vraie solution, ce n'est pas pour autant qu'on va obliger
nos jeunes à fonctionner de la même manière,
non ? Tu n'es pas d'accord, Jean-Christophe ? Tu t'imagines encore,
sans pilule, sans préservatif, obligé de regarder
simplement ta femme de loin, dix jours par mois ? Qu'est-ce que
tu en penses ? Allez, prends parti mon vieux, mouille toi ! !
JEAN-CHRISTOPHE, (il paraît à la fois complètement affolé
et désemparé, hésitant entre fuir et fondre en larmes, il saisit
une bouteille comme pour offrir à boire, se lève et se rassied
aussitôt, et finit par afficher une sorte de sourire idiot, par
hausser les épaules comme un indécis sans opinion).
Ouais, oh bah moi actuell
SYLVETTE, (venant à son secours avec soudaineté et sécheresse).
Tu sais, pour Chris je crois que cette question n'a jamais
été primordiale, et encore moins maintenant que
jamais
JEAN-FRANÇOIS, (hâbleur, pesant, maladroit au
possible par ignorance). Non mais, tu me fais marrer
toi, tu as vite fait d'enterrer sa libido, à ton mec, mais
laisse le s'exprimer quoi ! Vous êtes bien toutes pareilles,
il y a des tas de sujets, soit c'est complètement tabou,
soit vous donnez l'impression, vous les femmes, d'être les
seules à avoir le droit d'émettre une opinion, c'est
tout de même terrible, ça !
Brusquement,
Jean-Christophe se lève, quitte la table pour se rendre
dans la cuisine
MARIELLE,
(rabrouant son mari). Tu es content de toi ?
Tu ne réaliseras jamais quand tu deviens lourd, toi, ou
quand tu gênes tout simplement ! Le jour où tu sauras
ouvrir les yeux, regarder, écouter aussi, dis donc ce n'est
pas près d'arriver, ou alors il faut que tu sois à
jeûn...
JEAN-FRANÇOIS. N'exagère pas, je n'ai
presque pas bu, je dois en être à trois verres, tu
parles ! Mais qu'est-ce qu'ils ont, ce soir, ces deux là,
c'est pas vrai ça !
Sylvette
rejoint son mari dans la cuisine, lui pose une main sur l'épaule,
le serre ensuite gentiment contre elle, puis le ramène
doucement vers la salle à manger et la table, où
il reprend sa place sans regarder qui que ce soit.
SYLVETTE. Allez, parle nous plutôt de
ton boulot, ça y est, tu passes bientôt directeur,
chef de projet, je ne sais ce que tu évoquais la dernière
fois, une promotion, un changement d'affectation, c'est en cours
ou cela a abouti ?
JEAN-FRANÇOIS, (semblant affecté, ou soucieux
de se rattraper, mal à l'aise, il boit une gorgée,
se racle la gorge, et s'apercevant que sa femme s'apprête
à prendre la parole, il attaque tout de suite).
Oui oh tu sais ce que c'est hein ? Des promesses, cela ne manque
jamais, mais après on t'annonce la conjoncture, les restrictions
budgétaires, les coupes sombres dans le personnel, et puis
tel projet qui n'a pas l'air d'aboutir, et untel à placer
prioritairement, un neveu du PDG ou un chouchou de Secrétaire
d'Etat... (Il regarde un peu tout le monde autour de lui, comme
s'il désirait mesurer la crédibilité de ses
paroles, et il reprend en accélérant un peu le débit,
en haussant le ton, faussement dynamique et disgracieusement enjoué
et faux.) Non, alors il y a un moment où je me suis
dit « mon gars, ne compte que sur toi, n'espère rien
de tous ces gugusses, prends ton destin en mains, si tu veux évoluer
ce sera ailleurs, allez, refais toi des CV à la mode, des
trucs super en couleur avec des références et des
ambitions, et puis balance les un peu partout, et attends, espère,
cela finira par venir, tu en vaux bien d'autres, l'expérience
ça compte tout de même sacrément, on n'est
pas complètement cuit à ton âge...
SYLVETTE, (un peu surprise). Et alors ? Une
simple lubie, ou cela a donné quelque chose ? Tu as des
résultats ? les chasseurs de tête se sont arrachés
tes photos d'identité ?
JEAN-FRANÇOIS, (toujours mal à l'aise).
Bon, dis donc, on change de sujet, tu sais le boulot moi j'y pense
en semaine, mais le week-end on arrête, allez Chris, vieux,
ton week-end à toi ça va être quoi ?
JEAN-CHRISTOPHE, (toujours l'air perdu, quêtant
une aide du côté de sa femme, désireux malgré
tout de répondre quelque chose, devant l'effort de son
copain pour relancer la conversation). Oh, écoute
je n'en sais trop rien, mais je suis sûr que tu as, toi,
des week-ends passionnants, le dernier par exemple, ou des projets
pour celui à venir ?
JEAN-FRANÇOIS, (l'air de savourer d'avance des
révélations dignes d'un intérêt palpitant
pour tous). Mon vieux, tu vois pour moi, oh je n'oserais
pas dire la routine, mais ça va finir par y ressembler,
remarque je ne me plains pas, c'est une question de choix, mais
bon, moi le week-end, je n'ai pas changé, c'est golf, ou
à la rigueur VTT, ou parfois les deux. Toujours pas de
sport, pour toi, vieux ?
(Avant même que son interlocuteur, absorbé de façon
évidente dans ses pensées, ne réponde après
avoir levé la tête, Jean-François poursuit)
Oui, je ne sais pas, tu bougerais un peu, quoi, tu ne faisais
pas du cheval autrefois, ah non c'est vrai, c'était toi
Sylvie (elle le regarde d'un air ahuri) quoi, j'ai rêvé,
tu as bien fait du cheval à un moment, non ?
MARIELLE. Je voudrais juste te rappeler
que c'était MOI qui pratiquais l'équitation pendant
quelques années, jusqu'à ce que tu te mettes au
vélo et au golf
JEAN-FRANÇOIS. Ah oui, je savais bien qu'il
y avait une cavalière quelque part ! Oui, enfin cela n'a
pas d'importance d'ailleurs, alors tu vois, puisque cela t'intéresse,
généralement je vais rouler un peu, de 10h à
midi, par exemple, et puis après le déjeuner j'irai
faire 9 trous, tu vois où est mon parcours, je n'ai pas
changé? Tranquille, hein, parfois les neuf premiers, et
après un ou deux dimanches plus tard je module, les neuf
derniers, comme ça je varie les plaisirs et les difficultés,
oh je me débrouille vraiment pas mal maintenant, en réalité
si j'avais eu le temps je me demande si la compétition
ne m'aurait pas convenu, mais bah, les années passent et
après on se disperse, tu sais ce que c'est ? Ah, et puis
souvent, en tout cas c'était le cas dimanche dernier, non
d'ailleurs c'était samedi parce que dimanche on déjeunait
chez les Beaugrand-Lederman, en sortant hop, un tour chez le pépiniériste,
là tu vois tout près du golf ? Histoire de renouveler
le jardin, Marielle aime bien à cette saison s'occuper
de rapporter des plants pour les repiquer, et
SYLVETTE, (s'adressant, un peu interloquée, à son amie).
Parce qu'en plus tu te tapes le golf malgré le fait
que tu ne joues pas ?
JEAN-FRANÇOIS. Ben quoi ? Elle vient me voir
jouer, d'abord, et puis ça lui fait le plus grand bien
de marcher dans l'herbe, non, plutôt que de ne rien faire
à la maison !
MARIELLE. Traduction : ma chérie, tu me portes
mon barda de clubs et compagnie, et puis au retour tu me prépares
un whisky, après avoir fait semblant de prendre une infusion
au club house du golf, bon après ma chérie tu es
libre, c'est comme tu veux, si tu préfères mettre
la machine à laver en route d'abord, ou finir la vaisselle,
ou bien me repasser une chemise pour demain si Maria-Purificacion
ne l'a pas fait, c'est toi qui choisis? La seule chose que je
te demanderai c'est de fermer la porte de la cuisine, que je ne
sois pas dérangé pour la télé, d'accord
? Et des fois que je me pique un petit roupillon dans le canapé,
autant que je ronfle tranquille, pas vrai ?
JEAN-FRANÇOIS, (exagérant un air scandalisé ou
outré). Tu ne penses pas que tu exagères un
peu, non ? Tu viens aussi au golf pour y retrouver tes copines,
non ?
MARIELLE. Mes compagnes d'infortune, tu veux dire,
oui ! C'est bizarre, je n'en ai jamais trouvé une qui aie
VRAIMENT choisi d'accompagner son bonhomme au golf, c'est plutôt
une sorte de jeu à qui perd gagne : pile tu viens me regarder
taper dans ma balle, parce que j'en ai envie, tu feras le reste
plus tard quand je n'aurais plus rien à faire, face je
te fais la gueule toute la soirée si tu décides
de ne pas venir, parce que la femme sert de faire-valoir et de
vitrine à l'homme, et puis d'abord tu ne vas pas râler
je ne t'ai même pas demandé de te mettre au VTT,
là on y va entre copains !
ACTE
2 (deuxième partie)