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ACTE DEUX



DEUXIEME SEQUENCE:

« QU'EST-CE QUE VOUS AVEZ ? »


Les quatre convives sont assis autour de la table, ils ont visiblement commencé à manger, et à boire, la conversation est engagée. Sylvette revient de la cuisine, et s'enquiert du bien-être de chacun, s'affaire, puis s'assied à son tour à sa place.

SYLVETTE. — Tu es suffisamment servi, Jeff ?
JEAN-FRANÇOIS. — Cette manie des diminutifs ! ! Jophe et Jeff, il y a des articles sur le sujet, qui prétendent qu'en nous appelant comme cela, vous essayez de nous réduire, je vais finir par croire que c'est vrai. (Se tournant vers Jean-Christophe). Elle continue à vouloir t'appeler Jophe, toi ?
JEAN-CHRISTOPHE. — Oui, mais je résiste ! (il s'adresse à sa femme Sylvette). Tu as entendu, chérie ? Il s'appelle Jean-François, depuis des années d'ailleurs, à la rigueur François si tu veux faire court
SYLVETTE, (un peu vive). — Mais vous me faites marrer, c'est vous qui nous avez raconté cent fois qu'au collège et au lycée vous étiez toujours fourrés ensemble, et Jeff par ci et Jophe par là... ce n'est pas vrai, Marielle ?

Marielle opine, mais n'a pas le temps de répondre

JEAN-CHRISTOPHE. — Oui, mais il y a un temps pour tout, on n'a plus quinze ans, on est des grands maintenant, mais je vous fais remarquer, vous deux, que si on s'avise de vous appeler par vos vrais noms, Sylvette ou Marie-Armelle, on va se prendre un carton jaune instantané, non ?
SYLVETTE. — Attention, il n'est plus question de diminutifs, ici, mais de surnoms, c'est toute la différence entre un nom trop long, que l'on va réduire, et un nom trop moche, que l'on va modifier
JEAN-CHRISTOPHE. — Ouais, t'es toujours pas compliquée dans ton genre, toi !
SYLVETTE. — Dis donc, tu m'as prise comme ça, dès le départ, et de temps en temps la compliquée elle a des vues sur la vie qui ne sont pas si mauvaises, je crois ?

Les deux échangent un regard appuyé, mais alors qu'il dénote en l'occurrence une complicité partagée, il est interprété différemment par Jean-François

JEAN-FRANÇOIS. — Mais qu'est-ce que vous avez, tous les deux, vos règles, un découvert bancaire, ou un contrôle fiscal, pas de quoi vous mettre à cran pour si peu ! !

Sylvette se lève de nouveau, un peu nerveusement, et repasse le plat sans trop de conviction

SYLVETTE. — Bon, tout le monde est servi, là, je peux remporter ?
JEAN-FRANÇOIS
. — Oui ma belle (avec un sourire forcé, comme pour se faire pardonner et améliorer l'atmosphère), et j'insiste parce que d'une part c'était très bon, d'autre part je te trouve en beauté, ce soir, tu as les yeux particulièrement brillants

Sylvette part en effectuant une sorte de salut militaire, ou de courbette, ou les deux

MARIELLE. — Tu as besoin d'aide, Sylvie ?
SYLVETTE. — Non non, reste assise, tu sais les hommes ont toujours besoin de toi, d'une femme en général !
JEAN-FRANÇOIS, (s'adressant à son compère Jean-Christophe). — Bon, je suppose que tu veux des nouvelles des garçons ? (il se rengorge un peu) Eh bien écoute je crois qu'on peut dire que tout va bien, pas vrai ? (à l'intention de sa femme, qui hoche la tête) Alors Stéphane a été finalement gardé dans sa boîte, tu sais il va continuer comme commercial, en réalité je ne t'avais pas caché que j'étais un peu déçu, au départ, qu'il n'essaie même pas de faire comme nous, mais je ne le voyais pas en Math Spé et en prépa, il n'est pas fait pour les Grandes Ecoles, c'est comme ça, et ce n'est pas une question de capacités, non, mais il n'a pas le mental pour ça, tu vois, ni la méthode, lui il a besoin de contact, d'être créatif, de convaincre, d'ailleurs ce n'est sûrement pas à toi que je vais expliquer ce genre d'affaire, tu baignes dedans, je lui ai répété, je lui avais dit je ne sais combien de fois « appelle Jean-Christophe, appelle le, d'abord c'est ton parrain, et puis il te conseillera, tu sais c'est son boulot après tout aussi, et regarde il ne s'en sort pas mal », c'est vrai ça marche, non, ton boulot, tu es toujours content ? (il poursuit sans même regarder si son ami veut répondre) Et puis je lui répétais, « ce n'est pas parce que Jean-Christophe n'a pas intégré qu'il n'a pas réussi, tu comprends, pas vrai ? Il a bifurqué, et puis le commercial ce n'est pas si mal dans le fond, on rencontre des tas de gens...» (il se racle un instant la gorge, boit une gorgée, écarte son col de son cou d'un doigt nerveux, et continue) Oui, donc pour Stéphane plus de souci, remarque on n'en a jamais réellement eu, pas vrai ? (vers sa femme, machinalement) parce qu'il n'est pas bête, le bonhomme, et puis la petite est bien, ah oui, il est toujours avec Cécile, (sa femme sursaute et s'apprête à le reprendre) non Christelle, c'est ça ? enfin elle est gentille, et puis elle apprendra, oui c'est sûr que ces jeunes, là, le repassage, la cuisine, tout ça, c'est pas véritablement leur truc, enfin moi ce que j'en dis, c'est leurs affaires à eux, mais bon, il rapporte des trucs à sa mère, elle lui montre pour les lavages particuliers, quoi, enfin ils habitent tout près, (il voit que Sylvette a regagné la table, et s'adresse aussi à elle maintenant) oui je parlais de Stéphane et de la petite là, Sandrine (de nouveau sa femme le regarde sèchement) non euh, Christelle, c'est ça Christelle, oh je les confonds, oui alors ils ont un petit deux pièces dans un bâtiment tout neuf. Bon c'est du logement social, hein, faut pas rêver, mais tu sais qu'on fait maintenant du social plutôt vraiment correct, avec les nouvelles lois obligatoires pour les municipalités, non objectivement c'est plus que correct, d'accord évidemment tu ne peux pas demander un ascenseur, ni un garage, et puis ils ont des noirs comme voisins, remarque je n'ai rien contre, pas vrai ? ils ont l'air sympa, et je crois que le type travaille, même... La petite, la copine de Stéphane là , Cécile, non Christelle, j'ai voulu la faire entrer comme hôtesse à l'accueil chez nous, à l'époque, dans mon en... (en étant très attentif, on sent qu'il se trouble très légèrement, seule Sylvette s'en avise, il boit de nouveau, et refait le geste de passer un doigt entre col et cou) dans mon entreprise, mais je ne sais pas ce qui... . enfin... en fin de compte elle est au standard dans la Société de Marielle, ça a été plus simple, c'est à côté, et puis on le voit bien, ces jeunes dans le fond ils s'en foutent, pas vrai ? du moment que ça lui permet de partager le loyer, Stéphane lui c'est ce qui lui importait

Les autres paraissent un peu soûlés de ce très long monologue, et depuis un moment Sylvette était en attente d'une interruption pour intervenir, elle en profite

SYLVETTE. — Quelqu'un veut du fromage ? Bon eh bien servez vous, tiens Marielle vas-y et puis tu feras suivre, tu veux bien ?
JEAN-CHRISTOPHE, (semblant désireux de varier la conversation et surtout les intervenants, il avise Marielle). — Tu es toujours dans ta Compagnie d'Assurances, là, celle qui fait une pub terrible là, Zéro Tracas machin, c'est ça ?
MARIELLE. — Non, moi c'est « bien sûr, c'est...et ça rime ! ! »
JEAN-CHRISTOPHE . — Oui, enfin tu restes et cela te convient ?
MARIELLE, (répondant, pour un observateur averti, à la fois vite et prudemment, comme si elle se surveillait) . — Oui, eh comment je reste, ce n'est vraiment pas le mom... enfin avec cette conjoncture il vaut mieux se garder son poste quand il vous convient, non ?
JEAN-FRANÇOIS, (il « reprend la main » instantanément, paraissant à la fois soucieux de conserver la parole longtemps, et désireux de ne pas laisser quelqu'un d'autre s'immiscer). — Bon, je n'en ai pas terminé avec les fistons, alors ça c'était pour Stéphane, pour Bertrand il est sur les rails, lui, normalement cela sera plutôt Centrale Lyon, je crois que c'est ce qui le tente, enfin je me demande s'il n'aura pas un peu l'embarras du choix, parce que
MARIELLE, (un peu vivement). — Ne lui porte pas la poisse, d'une part ils sont 1000 aussi bons que lui, ensuite tout peut se produire, et puis ne projette pas TES idées ou TES choix, il fera bien ce qu'il voudra, ou alors il prendra ce qu'il restera...
JEAN-CHRISTOPHE, (sans regarder personne, sombrement). — C'est vrai, dans la vie des fois il y a des imprévus
SYLVETTE, (aussitôt). — C'est sûr, la route paraît toute droite, et puis tout à coup tu rates un virage, ou ton moteur cale au pied d'une côte, ou bien tout simplement tu ne sais plus quel embranchement prendre à un carrefour que tu connais pourtant par coeur

Marielle la regarde intensément et étrangement

JEAN-FRANÇOIS. — Mais c'est pas vrai ! Qu'est-ce que vous avez, décidément, tous les deux, vous avez laissé passer la limite pour votre billet de loto ? Bon enfin c'est sûr qu'il fera ce qu'il peut, le gamin, mais ne gâchez pas tout quoi, merde, on peut en être fiers, il ira loin lui aussi ! Enfin je veux dire, il pouvait choisir de faire autre chose que moi, c'est sûr, mais je pense qu'il est dans les bons, alors ne boudons pas le plaisir, pas vrai ?

Tout le monde marque une pause, puis Sylvette reprend, en bonne maîtresse de maison

SYLVETTE. — Il a une copine, lui aussi ?
MARIELLE , (vive et désabusée). — Oui oh tu parles !
JEAN-FRANÇOIS, (vif, et exactement en même temps que sa femme, ils se couvrent mutuellement la voix). — Oui oui, une fille super
MARIELLE, (très sèche). — Super, ou superbe ?
JEAN-FRANÇOIS. — Mais tu es jalouse, ma parole ? ! Parfaitement, moi je la trouve et super et superbe !
MARIELLE, (ne le laissant pas insister, et prenant les autres à témoin). — Et vous savez pourquoi elle lui plaît tant ? parce qu'elle aussi elle va « faire ingénieur » prépa et tout le tintouin, c'est une fille à diplômes, à études supérieures, en plus elle a une belle gueule, des mensurations idéales, c'est une fausse blonde, mignonne je ne conteste pas, très même, mais alors vous lui suggérez de faire des nouilles elle vous demande sur quel bouton du micro-onde il faut appuyer, vous pouvez toujours attendre pour qu'elle se serve un jour d'un fer à repasser, « oh ben ça c'est plutôt le truc de ma mère, vous savez, moi j'avoue que je ne sais pas comment ça marche », quant à un aspirateur, le dernier qu'elle a approché il était dans la vitrine de promo de chez Darty et elle l'avait pris pour un complexe HiFi-vidéo et coetera. Et la machine à laver, j'ai fini par écrire deux ou trois fois le mode d'emploi pour Bertrand, pour être sûre qu'il puisse porter un slip sans être obligé de retourner en acheter un neuf chez Leclerc à chaque fois. Mais c'est vrai, elle est super ! Toutes les émissions de télé, tous les feuilletons, les prénoms des Lofteurs toutes générations confondues, tous les CD sans exception des 50 premiers du Hit Parade, les menus par coeur des dix-sept fast-food dans un rayon de sept kilomètres, et toutes les marques de produits de beauté des catalogues classiques, aucun problème. Et pour le reste, aucun souci, Balzac c'est un cinéma du VIIIème, Hugo c'est un parfum bien connu, Pasteur c'est le métro après Montparnasse, Marie Curie cela doit être cet assaisonnement épicé vaguement indien utilisé pour l'agneau dans les recettes de chez Marie et ses plats tout préparés, et puis César Franck c'est probablement le gars auquel on fait toujours allusion quand on parle du magasin de couture Frank et Fils...
JEAN-FRANÇOIS. — Mais ce n'est pas possible d'être d'une telle mauvaise foi ! (se tournant vers les autres) Vous voyez ce que ça donne, une mère qui sent la femelle rivale qui marque son territoire pour venir lui voler un de ses petits ? Non, c'est toujours pareil, Marielle voudrait que tout le monde ait eu la même vie qu'elle, le BEPC, les cours de couture chez les bonnes soeurs, la cuisine de sa propre mère pour savoir préparer des pâtés en croûte et des civets, et puis le repassage avec des fers chauffés sur la cuisinière en fonte, quarante ans avant la centrale vapeur, la machine à laver tous les lundis et l'aspirateur deux fois par semaine, mais la vie évolue, tout change, ces filles là, maintenant, elles dessinent des projets de tracteurs à turbo-propulsion, des ponts suspendus sur la Garonne, ou elles calculent la résistance des volets de rétro-freinage d'un supersonique, alors c'est vrai, effectivement, elles vont bouffer à la cantine et chez Flunch, et porter leur linge à la laverie du coin, et au pressing ! Mais, bon sang, personne n'est obligé de rester figé sur des positions datant de la guerre, ou d'expier éternellement les difficultés et les interdits de ses propres parents, non ? C'est vrai quoi, il n'y avait ni pilule ni IVG autrefois, et à part le retrait ou l'abstention par de vraie solution, ce n'est pas pour autant qu'on va obliger nos jeunes à fonctionner de la même manière, non ? Tu n'es pas d'accord, Jean-Christophe ? Tu t'imagines encore, sans pilule, sans préservatif, obligé de regarder simplement ta femme de loin, dix jours par mois ? Qu'est-ce que tu en penses ? Allez, prends parti mon vieux, mouille toi ! !
JEAN-CHRISTOPHE, (il paraît à la fois complètement affolé et désemparé, hésitant entre fuir et fondre en larmes, il saisit une bouteille comme pour offrir à boire, se lève et se rassied aussitôt, et finit par afficher une sorte de sourire idiot, par hausser les épaules comme un indécis sans opinion). — Ouais, oh bah moi actuell
SYLVETTE, (venant à son secours avec soudaineté et sécheresse). — Tu sais, pour Chris je crois que cette question n'a jamais été primordiale, et encore moins maintenant que jamais
JEAN-FRANÇOIS, (hâbleur, pesant, maladroit au possible par ignorance). — Non mais, tu me fais marrer toi, tu as vite fait d'enterrer sa libido, à ton mec, mais laisse le s'exprimer quoi ! Vous êtes bien toutes pareilles, il y a des tas de sujets, soit c'est complètement tabou, soit vous donnez l'impression, vous les femmes, d'être les seules à avoir le droit d'émettre une opinion, c'est tout de même terrible, ça !

Brusquement, Jean-Christophe se lève, quitte la table pour se rendre dans la cuisine

MARIELLE, (rabrouant son mari). Tu es content de toi ? Tu ne réaliseras jamais quand tu deviens lourd, toi, ou quand tu gênes tout simplement ! Le jour où tu sauras ouvrir les yeux, regarder, écouter aussi, dis donc ce n'est pas près d'arriver, ou alors il faut que tu sois à jeûn...
JEAN-FRANÇOIS. — N'exagère pas, je n'ai presque pas bu, je dois en être à trois verres, tu parles ! Mais qu'est-ce qu'ils ont, ce soir, ces deux là, c'est pas vrai ça !

Sylvette rejoint son mari dans la cuisine, lui pose une main sur l'épaule, le serre ensuite gentiment contre elle, puis le ramène doucement vers la salle à manger et la table, où il reprend sa place sans regarder qui que ce soit.

SYLVETTE. — Allez, parle nous plutôt de ton boulot, ça y est, tu passes bientôt directeur, chef de projet, je ne sais ce que tu évoquais la dernière fois, une promotion, un changement d'affectation, c'est en cours ou cela a abouti ?
JEAN-FRANÇOIS, (semblant affecté, ou soucieux de se rattraper, mal à l'aise, il boit une gorgée, se racle la gorge, et s'apercevant que sa femme s'apprête à prendre la parole, il attaque tout de suite). — Oui oh tu sais ce que c'est hein ? Des promesses, cela ne manque jamais, mais après on t'annonce la conjoncture, les restrictions budgétaires, les coupes sombres dans le personnel, et puis tel projet qui n'a pas l'air d'aboutir, et untel à placer prioritairement, un neveu du PDG ou un chouchou de Secrétaire d'Etat... (Il regarde un peu tout le monde autour de lui, comme s'il désirait mesurer la crédibilité de ses paroles, et il reprend en accélérant un peu le débit, en haussant le ton, faussement dynamique et disgracieusement enjoué et faux.) Non, alors il y a un moment où je me suis dit « mon gars, ne compte que sur toi, n'espère rien de tous ces gugusses, prends ton destin en mains, si tu veux évoluer ce sera ailleurs, allez, refais toi des CV à la mode, des trucs super en couleur avec des références et des ambitions, et puis balance les un peu partout, et attends, espère, cela finira par venir, tu en vaux bien d'autres, l'expérience ça compte tout de même sacrément, on n'est pas complètement cuit à ton âge...
SYLVETTE, (un peu surprise). — Et alors ? Une simple lubie, ou cela a donné quelque chose ? Tu as des résultats ? les chasseurs de tête se sont arrachés tes photos d'identité ?
JEAN-FRANÇOIS, (toujours mal à l'aise). — Bon, dis donc, on change de sujet, tu sais le boulot moi j'y pense en semaine, mais le week-end on arrête, allez Chris, vieux, ton week-end à toi ça va être quoi ?
JEAN-CHRISTOPHE, (toujours l'air perdu, quêtant une aide du côté de sa femme, désireux malgré tout de répondre quelque chose, devant l'effort de son copain pour relancer la conversation). — Oh, écoute je n'en sais trop rien, mais je suis sûr que tu as, toi, des week-ends passionnants, le dernier par exemple, ou des projets pour celui à venir ?
JEAN-FRANÇOIS, (l'air de savourer d'avance des révélations dignes d'un intérêt palpitant pour tous). — Mon vieux, tu vois pour moi, oh je n'oserais pas dire la routine, mais ça va finir par y ressembler, remarque je ne me plains pas, c'est une question de choix, mais bon, moi le week-end, je n'ai pas changé, c'est golf, ou à la rigueur VTT, ou parfois les deux. Toujours pas de sport, pour toi, vieux ?
(Avant même que son interlocuteur, absorbé de façon évidente dans ses pensées, ne réponde après avoir levé la tête, Jean-François poursuit)
Oui, je ne sais pas, tu bougerais un peu, quoi, tu ne faisais pas du cheval autrefois, ah non c'est vrai, c'était toi Sylvie (elle le regarde d'un air ahuri) quoi, j'ai rêvé, tu as bien fait du cheval à un moment, non ?
MARIELLE. — Je voudrais juste te rappeler que c'était MOI qui pratiquais l'équitation pendant quelques années, jusqu'à ce que tu te mettes au vélo et au golf
JEAN-FRANÇOIS. — Ah oui, je savais bien qu'il y avait une cavalière quelque part ! Oui, enfin cela n'a pas d'importance d'ailleurs, alors tu vois, puisque cela t'intéresse, généralement je vais rouler un peu, de 10h à midi, par exemple, et puis après le déjeuner j'irai faire 9 trous, tu vois où est mon parcours, je n'ai pas changé? Tranquille, hein, parfois les neuf premiers, et après un ou deux dimanches plus tard je module, les neuf derniers, comme ça je varie les plaisirs et les difficultés, oh je me débrouille vraiment pas mal maintenant, en réalité si j'avais eu le temps je me demande si la compétition ne m'aurait pas convenu, mais bah, les années passent et après on se disperse, tu sais ce que c'est ? Ah, et puis souvent, en tout cas c'était le cas dimanche dernier, non d'ailleurs c'était samedi parce que dimanche on déjeunait chez les Beaugrand-Lederman, en sortant hop, un tour chez le pépiniériste, là tu vois tout près du golf ? Histoire de renouveler le jardin, Marielle aime bien à cette saison s'occuper de rapporter des plants pour les repiquer, et
SYLVETTE, (s'adressant, un peu interloquée, à son amie). — Parce qu'en plus tu te tapes le golf malgré le fait que tu ne joues pas ?
JEAN-FRANÇOIS. — Ben quoi ? Elle vient me voir jouer, d'abord, et puis ça lui fait le plus grand bien de marcher dans l'herbe, non, plutôt que de ne rien faire à la maison !
MARIELLE. — Traduction : ma chérie, tu me portes mon barda de clubs et compagnie, et puis au retour tu me prépares un whisky, après avoir fait semblant de prendre une infusion au club house du golf, bon après ma chérie tu es libre, c'est comme tu veux, si tu préfères mettre la machine à laver en route d'abord, ou finir la vaisselle, ou bien me repasser une chemise pour demain si Maria-Purificacion ne l'a pas fait, c'est toi qui choisis? La seule chose que je te demanderai c'est de fermer la porte de la cuisine, que je ne sois pas dérangé pour la télé, d'accord ? Et des fois que je me pique un petit roupillon dans le canapé, autant que je ronfle tranquille, pas vrai ?
JEAN-FRANÇOIS, (exagérant un air scandalisé ou outré). — Tu ne penses pas que tu exagères un peu, non ? Tu viens aussi au golf pour y retrouver tes copines, non ?
MARIELLE. — Mes compagnes d'infortune, tu veux dire, oui ! C'est bizarre, je n'en ai jamais trouvé une qui aie VRAIMENT choisi d'accompagner son bonhomme au golf, c'est plutôt une sorte de jeu à qui perd gagne : pile tu viens me regarder taper dans ma balle, parce que j'en ai envie, tu feras le reste plus tard quand je n'aurais plus rien à faire, face je te fais la gueule toute la soirée si tu décides de ne pas venir, parce que la femme sert de faire-valoir et de vitrine à l'homme, et puis d'abord tu ne vas pas râler je ne t'ai même pas demandé de te mettre au VTT, là on y va entre copains !

ACTE 2 (deuxième partie)