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Au long de ces différents poèmes,
il apparaîtra tant de ces interrogations, sur la réalité
des êtres, sur les apparences, sur les portes que les
patients nous entr'ouvrent un instant privilégié,
et qui en observant ce qu'ils nous ont permis de comprendre
et d'apercevoir nous offrent tant de leur intimité
secrète, refermée sur leurs existences
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A relire, une
crainte serait fréquemment de donner une
impression d'omniprésence lancinante de
la mort, celle des enfants encore plus, de ces
vécus de deuils rémanents et récurrents
qui, si naturellement ils frappent, meutrissent
et hantent le parcours des médecins, ne
sont cependant pas ce qu'ils en retiennent avec
le recul. C'est alors le souhait ici, montrer
que la détresse, la maladie, la mort envahissent
évidemment durablement l'expression de
la souffrance, mais avec le recul bien plus encore
la notion d'un rôle à jouer, voué
à l'écoute, à l'accueil,
à la présence utile, à l'observation
perpétuelle de ces destins dont les sorts
contraires ne sauraient ternir l'incroyable capacité
des êtres à vivre, à tenter
d'exister, d'aimer, d'avancer, et la récompense,
si elle a lieu d'être mentionnée,
est plutôt là.
(Recueil " Souscrire " 1986)
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4-
LA BRANCHE COUPEE
Leur foyer vivait avec la mort,
Comme si la vie y séjournait à tort,
Leur plantation montrait une pousse malade,
A la manière d'un chou dans les salades.
Leur arbre familial a perdu sa branche,
Tombée après si longtemps un dimanche,
Alors qu'ils avaient fini par vivre
Avec un oubli dont on s'ennivre
Leur foyer vivait avec la crainte,
Mais ils en avaient exclu la plainte,
A travers le temps se taisait la raison,
A travers les ans défilaient les saisons,
Jusqu'au jour où soudain le mal a dit
Que l'on avait trop bafoué la maladie,
Et il a enlevé cet enfant touché
Que depuis quelques temps il avait couché.
Leur foyer vivait avec une épine
Autour de laquelle ils s'agglutinent,
Un dard ou un point de côté.
Ils vont encore, depuis qu'elle est ôtée,
Marchant différemment, sans ce fils,
Boîtant sur une cicatrice.
Leur foyer vivait avec la mort,
Comme si la vie était un mauvais sort
Leur foyer vivra avec le temps,
Comme un soleil qu'on n'apprécie plus tant,
Ils garderont toujours de l'ombre,
Rappelant qu'ils ne font plus nombre,
Ils conserveront là, dans l'oreille,
La voix d'un enfant que l'on veille,
Et ils auront, tenace, jusqu'à demain,
L'impression de tenir encore sa main
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5-
ETRES
Il est des êtres dont un sourire,
Limpide et comme irrésistible,
Vous séduit et puis vous attire,
Trait blanc dans le rouge de la cible,
Et le même être dont un soupir,
Retenu ou même imperceptible
S'est laissé un beau jour saisir,
Cet être là n'était pas invincible.
Il est des êtres dont l'existence
Est complexe, étrange, et multiple,
Allant jusqu'aux extravagances
Et compliquant leurs périples,
Mais vous avez votre importance,
Le jour où leur détresse triple,
A l'appel aigu qu'ils vous lancent
Votre réponse sera simple.
Il est des êtres dont les bagages
Sont d'or, et de charbon noirci,
Les mêmes n'auront dans leur langage
Que peu de plaintes et nul merci
Leur vie constitue un voyage
Entre la nuit et l'éclairage
Ils vous appellent un jour d'orage,
Lendemain les laisse en sursis.
Il est des êtres dont les lèvres,
Souriantes sur des dents si blanches,
Cacheront jusqu'au bout la fièvre
Qui les étreint quelques dimanches,
Quand leur espérance se sèvre
Ou quand toute confiance flanche,
Et d'eux court et s'échappe, lièvre,
Et leur histoire est seule franche
(Recueil " Souscrire " 1986)
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Il est des êtres dont un regard,
Entr'aperçu alors qu'il se plisse,
Ou intercepté lorsqu'il s'égare
Vous a fait devenir complice.
Vous retrouvez un jour, hagard,
Cet être dont les espoirs faiblissent,
Mais déjà il se bagarre,
Ses résurgences s'accomplissent.
Il est des êtres de qualité,
D'un potentiel considérable,
Comment peuvent-ils être quittés,
Devenir un jour misérables,
Ils vont, leur vie durant, acquitter,
Des dettes, jusqu'à l'irréparable,
Pourtant ces êtres étaient habités
De forces vives à nulles semblables.
Il est des êtres dont la vigueur
Met les peurs sous sa carapace
Dont les freins qui leur lient le cur
Réduisent le temps et l'espace,
Dont l'avenir et ses rigueurs
tiennent des serres de rapaces,
Ces êtres, sous leur belle humeur,
Gardent des peines qui dépassent.
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Et la route se poursuit, entre
cet « être » qui constitue la transparence,
la recherche, l'inconnue, et la quête des
thérapeutes et des praticiens, et « l'avoir
» ou l'agir, ou le paraître, qui offre généralement
la disponibilité apparente des personnes venues se
livrer dans ces rencontres faussées par une éducation,
des apprentissages, une orientation, ou des barrières,
qui placeront le visible, le dit, le perceptible avant le
tu, le caché, l'omis.
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6-
L'ENFANT AFRICAIN
Tandis qu'on le déshabille,
Il a de grands yeux qui brillent,
Il est bien assez grand pour voir,
Mais est trop petit pour savoir,
Pourquoi ceux de sa famille,
Qu'ils soient garçons ou bien filles,
Ont une peau d'un profond noir
Qui s'assombrit avec le soir.
L'enfant africain est en paix,
Son sourire à lui est épais,
Et son regard est très foncé,
Comme s'il allait annoncer
Qu'il a compris, ou bien qu'il sait,
Qu'il a admis et qu'il se tait,
Derrière ses sourcils froncés
Il fait mine de renoncer.
Avec tant d'exactitude,
Il juge sans inquiétude,
Il a murmuré gentiment,
Sans audace et sans tourment,
Avec simple certitude
Et une digne attitude :
« je veux que mon Docteur, Maman,
soit noir aussi, celui-là ment
»
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Le docteur a des gestes lents,
Il a surtout des gestes blancs,
Mais plutôt rose est la couleur
Des joues entre les écouteurs,
Et ses mains bougent en parlant,
Comme pour donner un élan,
Et ajouter une chaleur
A son sourire de pâleur.
Il n'est plus qu'yeux qui s'attardent,
Ces deux prunelles qui dardent
Une muette interrogation
Ou une nette appréciation :
De ce blanc qui me regarde,
Devrai-je donc prendre garde ?
Pourtant j'avais eu l'impression
Qu'étaient bonnes ses intentions
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Comme
il a été dit, " nul n'est prophète
En son pays ", et la position ou le rôle
Présumé ne convaincront pas l'enfant
Dans son immense logique de sage, au
Delà d'une gestuelle de communication
Amicale ou quasiment tendre
(Recueil " Tirs " 1986)
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7-
VIVANTS ET MORTS
C'est un petit jour, qui naît sur les prés,
Et tes yeux lui ressemblent,
Dans le vert, si l'on y regarde de près,
Il y a des fleurs qui tremblent.
C'est un jour qui meurt sur les cyprès,
Où quelques croix se rassemblent
Dans l'ombre, qui ne fait peur qu'après,
Quand on n'est plus ensemble
C'est un petit matin qui chantonne,
Et je crois qu'il a ta voix,
Dans le vent qui murmure et frissonne,
Si discret qu'on ne le voit.
C'est un matin clair qui s'empoisonne,
Quand il s'enroule sur les croix,
Et la clochette du clerc résonne.
C'est drôle, il fait presque froid
C'est un plein midi, qui sent la campagne,
Et le soleil qui explose,
Quand ses rayons brûlent et accompagnent
Le vent sur les fleurs encloses.
C'est un midi qui s'en va, et regagne
L'aire où les croix s'exposent.
Sans bruit, sous le nom de sa compagne,
Un homme a posé des roses
C'est un frèle soir, qui vient se replier,
Il a la couleur de tes yeux,
Sur le champ, au pied des grands peupliers,
Où son odeur se sent le mieux.
C'est un fragile soir qui vient supplier,
Ecrivant ses mots sur les cieux,
Des petites croix, pour ne pas oublier
Ces ombres, en devenant vieux.
C'est une sombre nuit qui s'abandonne,
Chanterait-elle comme toi,
Dans sa robe noire qui festonne,
Jusqu'au bord des derniers toits ?
C'est une grave nuit qui nous pardonne,
Quand un amour unit des doigts,
Qui se croisent, qui prennent, et qui donnent
La nuit, le bois proche est coi.
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Une symbolique considérable,
celle des cultures, des origines, des religions, des
croyances, et le praticien y est en permanence confronté,
qu'il adhère ou qu'il refoule. Première
notion ici, celle de ces images, entre cyprès,
croix, et lieux de recueillement et de repos, derrière
cela ce que murmurent, crient, prient, ou pleurent les
familles et les patients, ce qui constitue, étaye,
fabrique et compose leurs vies et leur vision du monde.
Et puis deuxième notion, la propre manière
personnelle du professionnel de santé d'élaborer,
de bâtir, de construire autour de lui son univers
affectif, ses repères, son environnement protecteur
et le reliant à ses réalités propres,
tangibles. Lui aussi aime, pour son propre compte.
(Recueil " Souscrire " 1986)
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